Guide de la protection judiciaire de l’enfant.
Michel Huyette
Philippe Desloges et autres...
Avant-propos à la quatrième édition
DIX ANNEES se sont écoulées depuis la parution de la première édition de ce guide. Comme pour les deux précédentes éditions, j’ai souhaité conserver l’introduction initiale, car elle explique l’origine du livre et rappelle la situation de la protection de l’enfance dans les années quatre-vingt-dix, notamment l’ampleur de la distance prise par les professionnels avec le cadre juridique, au détriment des familles, des mineurs, et de l’efficacité des interventions.
Philippe Desloges et autres...
Avant-propos à la quatrième édition
DIX ANNEES se sont écoulées depuis la parution de la première édition de ce guide. Comme pour les deux précédentes éditions, j’ai souhaité conserver l’introduction initiale, car elle explique l’origine du livre et rappelle la situation de la protection de l’enfance dans les années quatre-vingt-dix, notamment l’ampleur de la distance prise par les professionnels avec le cadre juridique, au détriment des familles, des mineurs, et de l’efficacité des interventions.
Une décennie plus tard, un peu plus de rigueur juridique est sans doute entrée progressivement dans les esprits et dans les pratiques. Mais du chemin reste encore à parcourir.
Aujourd’hui, les débats sont toujours vifs autour de la protection judiciaire des mineurs. Dans certains départements, s’est mise en place l’expérimentation de l’exercice de la quasi-totalité des mesures éducatives par les départements. Cette nouvelle répartition des compétences entre les juges et les conseils généraux génère interrogations et tensions.
Par ailleurs, le ministère de la Justice veut réduire les missions civiles de la Protection judiciaire de la jeunesse afin que celle-ci intervienne essentiellement dans un cadre pénal. Le désengagement est également en cours pour les jeunes majeurs. Cela est-il susceptible de réduire la capacité de l’institution judiciaire à assurer efficacement sa mission de protection ? Comment articuler au mieux les interventions éducatives dans un cadre pénal et dans un cadre civil ? Les professionnels sont particulièrement inquiets et les polémiques se multiplient.
Plusieurs lois de mars 2007 sont venues modifier sur plusieurs points le dispositif de protection de l’enfance. Tout ceci justifie de nouveaux développements dans cette nouvelle édition du guide.
Au-delà, cette quatrième édition est l’occasion de mettre à jour l’ensemble des références légales et jurisprudentielles, qui évoluent rapidement. L’ouvrage est à jour au 31 décembre 2008.
À côté du guide, vous trouverez dorénavant un blog, créé en complément du Guide, à l’adresse : www.justicedesmineurs.fr.
Vous pouvez en inscrivant votre adresse électronique dans la case « newsletter » être informé de toutes les nouveautés qui viennent mettre ce Guide à jour, et plus largement recevoir des informations sur la protection de l’enfance.
Enfin, j’indique que cette nouvelle édition a été rédigée avec l’aide précieuse de Philippe Desloges, juge des enfants. Il a, notamment, amplement participé à la nouvelle rédaction du chapitre 14 sur l’aide aux mineurs qui commettent des actes de délinquance.
MH avril 2009
Introduction de la première édition
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(rem : Il s'agit ici de l'introduction de la première édition du Guide, en 1997. Bien des choses ont évolué depuis. Toutefois ce texte est maintenu dans une perspective historique)
LE MONDE de la protection judiciaire de l’enfance est un monde étonnant et complexe. Celui qui n’a pas l’occasion de s’en approcher n’imagine pas ce que l’on y côtoie journellement, ce qui se passe dans certaines familles, et le travail des institutions qui interviennent. Même pour les professionnels aux compétences diverses qui participent à cette protection, c’est un monde où les situations sont chargées d’émotions souvent fortes, où les problématiques sont difficiles à analyser, où les interventions sont souvent délicates, s’entrecroisent, où il faut concilier des pratiques sociales, éducatives, psychologiques ou juridiques qui n’utilisent pas les mêmes schémas de pensée.
C’est aussi un système qui, sous des apparences trompeuses, ne fonctionne pas bien, et dans lequel, bien que la protection soit pourtant judiciaire, bien des règles, d’abord légales, ne sont pas respectées par les professionnels, avec, pour corollaire inéluctable, le non-respect de certains droits des individus, et, au-delà, un travail auprès des familles moins efficace qu’il ne pourrait l’être.
Un monde complexe
La complexité provient d’abord de la difficulté, immédiate, à comprendre ce qui se passe. Ce qui apparaît en surface, la crise, le passage à l’acte, ne reflète pas toujours vraiment ce qui se passe en profondeur dans une famille. Et comme dans un véhicule automobile qui ne fonctionne plus, si l’on entend bien un bruit bizarre dans le moteur, on ne peut pas de nouveau le faire avancer tant que l’on n’a pas découvert où se trouve réellement la panne afin de pouvoir réparer efficacement. Autrement dit, c’est une chose que de constater que tel adulte affiche tel comportement inadapté, ou que tel mineur va mal ; c’est une tout autre chose que de savoir d’où viennent ces dysfonctionnements pour répondre par l’intervention la plus adaptée, afin de ne pas ajouter un nouveau dysfonctionnement à ceux qui existent déjà. Le risque est en permanence de voir apparaître dans les dossiers des analyses hâtives, des avis trop rapidement avancés sur des parents et des mineurs, qui conduisent forcément à des réactions légitimes de méfiance ou de rejet de leur part, et à des décisions inappropriées et peu efficaces car motivées par des arguments non convaincants pour les intéressés. Il faut donc à chaque étape chercher comment réduire ce risque de subjectivité et d’erreur.
Avant l’ouverture de la procédure judiciaire et pendant son déroulement, de multiples professionnels interviennent. Ce sont d’abord souvent les travailleurs sociaux de quartier, qui travaillent dans le cadre de la prévention, en dehors de toute intervention judiciaire, puis ceux de l’éducation nationale, puis les médecins, les puéricultrices, les sages-femmes, les conseillères en économie sociale et familiale, les services de la Protection maternelle et infantile (PMI), les praticiens hospitaliers, médecins ou psychiatres. Ce sont aussi les divers services d’aide aux adultes, les services d’accueil provisoire, les organismes d’insertion dans les quartiers, du RMI, etc.
Quand une procédure est ouverte au tribunal pour enfants, nombreux sont encore les professionnels qui y participent, dans le cadre judiciaire. Au cours de la procédure interviennent :
- le procureur de la République, qui ouvre certains dossiers, donne son avis avant toute audience et est chargé de l’exécution des décisions des juges ;
- le juge des enfants, qui organise le déroulement de la procédure et ordonne les mesures qu’il estime utiles ;
- les services d’investigation (enquêtes sociales, consultations, observations en milieu ouvert) ; les experts judiciaires (médecins, psychologues, psychiatres) ;
- les services d’action éducative en milieu ouvert ;
- les foyers privés ou publics ;
- les services d’Aide sociale à l’enfance départementaux ;
- les lieux de vie ; les assistantes maternelles ;-
- et en cours de procédure divers services de prévention parmi ceux cités continuent leur travail en dehors du cadre judiciaire.
Chacun de ces services, chaque individu qui intervient, a sa façon d’aborder la famille, d’analyser ce qui s’y passe, ses objectifs d’intervention, ses méthodes de travail. Le risque est dans leurs divergences, voire leurs contradictions. Or rien n’est plus déstabilisant pour une famille que les attitudes diverses, sinon opposées, des divers professionnels qui la rencontrent. L’ensemble des interventions forme donc un ensemble très complexe dont il faut autant que possible écarter les incohérences et les contradictions. La complexité du système est l’une des raisons de son mauvais fonctionnement.
Un système qui fonctionne mal
Après de nombreuses années de pratique de terrain, la lecture de centaines de dossiers en provenance de nombreuses juridictions réparties sur tout le territoire national, le constat est net. Malgré des apparences trompeuses, la protection judiciaire de l’enfance ne fonctionne pas bien, ou tout au moins pourrait fonctionner incomparablement mieux. Qu’en est-il ?
Au moment de la découverte des premières situations, de la lecture des premiers dossiers, tout semble se dérouler normalement. Les procédures sont conduites, des décisions sont prises, des services éducatifs interviennent. Puis au fil du temps, on distingue, si le regard veut bien les observer, une série de dysfonctionnements.
Et ce qui frappe avant tout, et ce qui a en premier motivé la rédaction de cet ouvrage, c’est de la part des professionnels l’étourdissante absence de référence aux règles légales, soit par ignorance, soit par choix délibéré. Il est rare de trouver un professionnel capable de décrire en détail et sans erreurs l’ensemble des règles procédurales et de fond applicables à la protection judiciaire de l’enfance, même chez ceux qui sont en fonction depuis de nombreuses années. Et pourtant, contrairement à ce qui est parfois affirmé, soit par méconnaissance soit pour justifier l’arbitraire des pratiques, les interventions sont encadrées par des textes qui pour la plupart sont très clairs et ne laissent pas place à l’interprétation. De surcroît, il existe une jurisprudence nombreuse (on appelle jurisprudence l’ensemble des décisions rendues par les tribunaux, et qui viennent compléter les textes par leur interprétation), qui a apporté des précisions essentielles sur bien des points en suspens. Pour la rédaction de ce livre, environ un millier de décisions a été étudié, accessibles par les revues spécialisées et les banques de données informatiques. Rien n’est donc plus faux que d’affirmer que la protection de l’enfance est un système sans droit et que le tribunal pour enfants n’est pas une véritable juridiction.
Cette méconnaissance des textes trouve sans doute son origine dans une carence des formations et dans une inadéquation persistante des pratiques. Ceux qui arrivent sur le terrain, magistrats et professionnels de l’éducation, ne maîtrisent pas les règles élémentaires de la protection judiciaire de l’enfance. Et comme très peu de juristes figurent parmi tous les intervenants qui gravitent autour des familles, encore aujourd’hui rarement assistées d’un avocat, le débat n’est presque jamais poussé vers le terrain du droit. Pour peu que le juge des enfants n’impose pas un déroulement juridiquement rigoureux de la procédure, ce ne sont que des questions de fait qui sont abordées, sans qu’aucun carton rouge ne sorte de la poche d’un quelconque arbitre en cas de violation de la législation.
Et puis, il faut l’admettre, cette absence de référence à des règles extérieures a bien arrangé les professionnels pendant des décennies. Se préserver du droit pour s’en tenir au fait est un moyen très efficace de faire passer sa vision de la situation sans rencontrer d’obstacle insurmontable, en s’abritant derrière cette notion à géométrie variable et en soi vide de sens qu’est « l’intérêt de l’enfant ». Il suffit d’entendre, encore parfois aujourd’hui, ce qui se murmure sur la présence des avocats qui viendraient attiser les conflits alors que tout, affirme-t-on, doit être négocié entre les intéressés, pour comprendre combien il doit être difficile pour certains d’admettre qu’il existe des limites infranchissables à l’arbitraire et au libre choix des pratiques. Que doit-on penser par exemple lorsque certains professionnels de l’éducation, après avoir entendu le juge des enfants énoncer les règles légales qui ne sont pas respectées et les pratiques non conformes au droit qui doivent cesser, viennent apostropher sévèrement le magistrat en affirmant que malheureusement dorénavant la « collaboration » éducatif/juge va être compromise et qu’ils s’interrogent sur la place qui va rester à la « négociation » ? Le respect du droit peut-il être négocié, doit-il obtenir au préalable l’accord de tous, ou bien admet-on sans état d’âme que dans le domaine de la protection judiciaire de l’enfance comme dans tous les autres s’applique un ensemble de règles que personne n’est en droit d’écarter ?
Or de fait, pourtant, dans aucune autre juridiction le droit n’est autant malmené que dans les procédures de protection de l’enfance conduites dans les tribunaux pour enfants. Nulle part ailleurs il n’y a comme ici besoin d’argumenter, de justifier, d’exiger ou de menacer pour obtenir le respect scrupuleux des règles légales élémentaires.
Ce qui est très grave, c’est que de cette absence de référence de tous les professionnels à des règles légales reconnues et respectées, découlent inéluctablement des contradictions et des incohérences qui entament l’efficacité des interventions. Les familles ne peuvent pas s’y retrouver si elles ont en face d’elles des professionnels qui leur lancent des injonctions paradoxales ou dont les pratiques se contredisent. Or c’est bien lorsque dans une famille les règles fondamentales ne sont plus respectées que les professionnels doivent faire preuve de la plus grande cohérence. Car les professionnels, et en premier lieu ceux de l’institution judiciaire, sont des repères essentiels pour les familles à la dérive. C’est à eux qu’il appartient de remettre de l’ordre là où règne le désordre. De la cohérence des professionnels découle directement l’efficacité de leurs interventions, ou l’inverse.
Pour une autre protection judiciaire de l’enfance
Un autre obstacle, important, qui empêche d’obtenir un respect permanent des textes, c’est l’affirmation, souvent lancée, qu’il risque d’y avoir dans ce domaine sensible de la protection de l’enfance une contradiction entre le strict respect de la loi et l’efficacité des interventions de protection. Autrement dit, certains présentent le formalisme juridique comme un obstacle occasionnel à la protection réelle des mineurs. Rien n’est plus faux. Et il faut insister sur trois points.
Tout d’abord, lorsqu’une loi est votée, personne n’est autorisé à apprécier l’opportunité de la respecter, quel que soit son titre, quelle que soit sa fonction. Laisser chacun apprécier la valeur d’une loi et décider de son respect ou de sa mise de côté, c’est ouvrir la porte à tous les arbitraires, à tous les excès, chacun faisant son propre choix, différent de celui de son voisin ou collègue, entre textes qui lui conviennent et textes qu’il écarte. Et dans le domaine de la protection des mineurs, parce que les professionnels qui interviennent ont, à part le juge des enfants, une formation en sciences humaines ou psychologiques, parce qu’il ne s’agit pas là de sciences exactes, le risque de l’appréciation personnelle et donc de l’arbitraire est plus important que dans tout autre domaine. Ce risque ne peut être réduit que par des balises juridiques nettes et infranchissables.
Ensuite, la référence à la loi est d’importance proportionnelle aux atteintes aux libertés individuelles. Plus une société démocratique admet des atteintes aux droits essentiels des individus, plus elle fixe des limites précises aux possibilités légales de porter atteinte à ces droits. On le constate en matière pénale. La procédure d’instruction, puis correctionnelle ou criminelle, est minutieusement décrite et réglementée dans le Code de procédure pénale parce que tout le monde considère que, dans une matière où l’on peut supprimer à un individu la liberté fondamentale d’aller et venir, il faut éviter autant que possible les dérapages et les excès. D’où un formalisme parfois estimé excessif mais qui se justifie dans son principe.
Il en est de même en matière de protection judiciaire de l’enfance. Parce qu’il ne doit pas y avoir grand-chose au monde de plus attentatoire aux droits fondamentaux des personnes et de plus douloureux que de se voir autoritairement privé de ses enfants/parents, il est impératif que les modalités de l’intervention publique soient encadrées par des règles légales impératives. C’est bien pour cela qu’à côté de la protection administrative des mineurs, gérée par les départements depuis la décentralisation et mise en œuvre à la demande des parents, sans empiétement sur leurs prérogatives d’autorité parentale, le choix a été fait, depuis longtemps, d’instaurer une protection judiciaire, plus autoritaire vis-à-vis des familles mais assurant a priori en contrepartie une protection des droits efficace. L’intérêt de la procédure judiciaire ne réside pas dans le juge, mais dans la procédure qu’il doit respecter pour permettre d’assurer cet équilibre souhaité entre intervention et respect de certains droits.
Enfin, et peut-être par-dessus tout, non seulement il n’y a aucune contradiction entre respect des règles et protection des mineurs, mais le respect des règles est une condition primordiale de l’efficacité des interventions. Cela ne découle pas seulement de la nécessité pour tous les intervenants d’avoir des repères qui évitent les contradictions qui parasitent le travail entamé. Cela tient au fait que la loi française de protection judiciaire de l’enfance, dans sa rédaction de juin 1970 toujours en vigueur pour l’essentiel malgré quelques modifications importantes, est une loi qui préserve un remarquable équilibre entre rigueur de la protection des enfants, mission essentielle, et respect des droits fondamentaux des individus, parents et mineurs ; autrement dit, elle veille à ce que les atteintes aux droits soient limitées à leur plus petit minimum.
Et c’est lorsque ces atteintes sont limitées autant que possible en même temps que la protection est efficacement assurée que les parents ne se sentent plus abandonnés de côté, comme souvent dans le passé, et ont le sentiment qu’une place essentielle leur est laissée, ce qui peut les inciter à faire les efforts nécessaires pour reconstituer une famille équilibrée. Leur rappeler qu’ils ont des droits, c’est les encourager à les utiliser, ou au moins à retrouver la capacité de les utiliser, c’est les maintenir au cœur de la procédure, c’est leur rappeler qu’à nos yeux ils ont toujours de la valeur, même s’ils ont eu des attitudes fortement contestables et actuellement sanctionnées fermement.
Le fil directeur de toutes les pages qui vont suivre est celui-là : présenter les règles légales applicables et démontrer comment la législation, quand elle est respectée, favorise directement l’évolution des situations en assurant la protection sans faille des mineurs tout en encourageant les membres des familles à participer à la procédure et à faire les efforts indispensables pour redresser leur situation. Les exemples seront très nombreux. Ils apparaissent pratiquement à tous les stades de la procédure, qui sera étudiée chronologiquement comme dans un dossier réel.
Il est impératif de mettre en place une autre protection judiciaire de l’enfance, plus respectueuse des textes, plus respectueuse des droits des individus, plus cohérente entre les divers professionnels, et pourtant assurant sans complaisance et efficacement la protection judiciaire de tous les mineurs, dans toutes les circonstances. Il n’y a aucune antinomie entre ces objectifs qui vont dans le même sens et qui ne peuvent/doivent pas être détachés. La protection judiciaire de l’enfance doit être en même temps juridiquement incontestable, exigeante en terme de protection des enfants, et profondément humaine. Il faut la repenser entièrement à travers le filtre du droit, de la cohérence des interventions à partir des règles légales, et du respect des individus. C’est ce qui est proposé dans cet ouvrage.
CHAPITRE 1 : L’ouverture du dossier
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DES QU’UNE personne s’adresse à l’institution judiciaire pour faire connaître la situation d’un mineur, des règles légales importantes s’appliquent. Il faut vérifier le cadre juridique de la saisine du juge des enfants, et ensuite effectuer les premières formalités.
La saisine du juge des enfants
Chaque jour, arrivent dans les tribunaux pour enfants de nombreux documents relatifs à des familles non connues et ne faisant l’objet d’aucune mesure judiciaire. La première démarche du juge des enfants est de vérifier s’il est juridiquement saisi et a l’obligation d’ouvrir un dossier de protection et, si tel est le cas, si la situation relève bien de sa compétence territoriale. Il doit aussi vérifier que celui pour lequel il est saisi est bien un mineur.
La notion juridique de saisine
La valeur juridique de ces courriers varie de l’un à l’autre en ce sens que seules certaines personnes, limitativement énumérées par la loi, ont autorité pour saisir le juge des enfants, c’est-à-dire qu’en sollicitant le magistrat elles, et elles seules, l’obligent à statuer sur leur demande, qu’elle soit ou non fondée. La liste de ces personnes est précisée par l’article 375 du Code civil, ainsi rédigé :
« […] des mesures d’assistance éducative peuvent être ordonnées par justice à la requête des père et mère conjointement ou de l’un d’eux, de la personne ou du service à qui l’enfant a été confié, ou du tuteur, ou du mineur lui-même ou du ministère public. Le juge peut se saisir d’office à titre exceptionnel […]. »
La saisine par le procureur de la République
Dans la réalité, la grande majorité des requêtes est transmise au tribunal pour enfants par le procureur de la République (souvent le substitut du procureur, c’est-à-dire un des membres du parquet, plus particulièrement chargé des affaires civiles et pénales concernant les mineurs), et ces requêtes sont accompagnées des documents transmis au procureur, la plupart du temps par les services médico-sociaux de prévention, parfois par la police ou la gendarmerie, plus rarement par des particuliers, ou des membres de la famille non cités à l’article 375 .
Il est important que les signalements, selon le mot utilisé par les professionnels pour nommer tous les documents adressés à la justice afin que des dossiers soient ouverts (rapports, lettres, procès-verbaux, etc.), soient lus par le substitut du procureur de la République, et cela pour plusieurs raisons .
Tout d’abord, le substitut va effectuer un premier filtre, et rejeter les documents dans lesquels, manifestement, aucun élément ne peut servir à caractériser un danger, critère d’intervention du juge des enfants (cf. chapitre 4). Il est inutile de lancer une lourde procédure quand il est certain qu’elle se terminera par une décision de non-lieu, c’est-à-dire de non-intervention. Le substitut décide alors, sans aucune formalité et sans rendre de décision, de classer le courrier « sans suite », et le document est archivé. Souvent, surtout si l’envoyeur est un service administratif, le substitut l’informera par lettre simple de sa décision de classement sans suite.
Le substitut va également réorienter les documents dirigés par erreur vers le tribunal pour enfants, en les adressant par exemple au juge aux affaires familiales ou au juge des tutelles, si la question posée est de leur ressort. En effet, pour bien des personnes, il est difficile de savoir à qui s’adresser au sein de l’institution judiciaire, plusieurs juridictions intervenant au sujet des mineurs, parfois en même temps.
Également, le substitut doit lire les écrits qui lui parviennent pour rechercher si des infractions pénales semblent avoir été commises et ordonner si nécessaire des investigations de police, voire saisir un juge d’instruction. C’est en effet à lui, et non au juge des enfants, de diligenter les enquêtes pénales, et lui seul a compétence pour engager des poursuites devant les juridictions pénales. Or dans bien des cas les enquêtes pénales doivent être enclenchées sans tarder, afin que les éléments de preuves ne disparaissent pas, par exemple des traces de blessures.
Notons que, comme l’a récemment confirmé la Cour de cassation, le substitut peut parfaitement adresser au juge des enfants, pour que ces pièces figurent au dossier d’assistance éducative, des éléments provenant d’un dossier pénal, y compris d’un dossier d’instruction, à condition qu’il s’agisse d’une transmission officielle et que ces documents soient soumis au débat contradictoire devant le juge des enfants .
Enfin, il peut, dès cet instant, donner un avis sur les mesures de protection à prendre. La complexité de certains dossiers, la difficulté à apprécier des situations parfois complexes incitent à multiplier les lectures, plusieurs avis réduisant le risque d’erreur au moment de la prise de décision.
La saisine par les parents
Il n’est pas rare que les parents eux-mêmes fassent appel directement au tribunal pour enfants, soit de leur seule initiative, soit après avoir été conseillés par des tiers. Cette possibilité prévue par la législation française est d’une très grande importance. En effet, lorsque des parents sollicitent le tribunal, ils sont dans une situation très différente de ceux qui sont convoqués après signalement des services sociaux. Demandeurs plutôt qu’accusés, ils seront la plupart du temps coopérants, fourniront les renseignements nécessaires à une bonne appréciation de la situation, même si leur demande n’exclut pas toujours la subjectivité ou la tentative, consciente ou non, de manipuler tant soit peu la réalité.
Il arrive parfois que les parents adressent au juge des enfants un courrier peu explicite, ou qui incite à penser que leur problématique relève de la compétence d'un autre magistrat, notamment d'un JAF.
Dans ce cas, s'il n'y a pas de demande explicite de mesure éducative, le juge des enfants peut se contenter de répondre que la demande n'est pas de sa compétence, tout en rappelant que son critère de saisine est l'existence d'un danger et en invitant le rédacteur à lui adresser d'autres précisions s'il pense que tel est le cas, ou qu'il a besoin d'indications complémentaires pour bien comprendre l'objet et le sens de la démarche.
Si le parent persiste alors le juge des enfants doit le convoquer ainsi que tous les intéressés, solliciter l'avis du ministère public puis, s'il conclut que le danger allégué n'est pas avéré, rendre une décision de non lieu (cf. plus loin).
La saisine par un mineur
La saisine du juge des enfants directement par un mineur est plus rare. On peut comprendre qu’il ne doit vraiment pas être simple d’écrire à un juge que l’on ne connaît pas, lorsqu’on a moins de dix-huit ans, et en plus pour se plaindre de sa propre famille. Cela suppose d’abord que l’on connaisse l’existence du tribunal pour enfants, ce qu’ignorent de nombreux mineurs.
La Cour de cassation a précisé qu’un mineur ne peut valablement saisir le juge des enfants que s’il « possède un discernement suffisant pour exercer [cette] prérogative ». La notion de discernement, qui ne correspond à aucun âge précis, est énoncée comme condition à la capacité juridique du mineur. Le juge des enfants doit donc apprécier si l’âge et les compétences du mineur lui permettent de réaliser réellement le sens et la portée de sa démarche. En cas de réponse négative, il ne doit pas se considérer comme légalement saisi. Le décret de mars 2002, qui a, sur plusieurs points, réformé la procédure d’assistance éducative, a étendu à plusieurs stades de cette procédure ce critère de discernement du mineur, qui devient la référence générale.
Cette saisine est parfois difficile à gérer en pratique. Car il arrive qu’un mineur écrive au juge pour dénoncer une situation familiale trop pénible, sollicite aide et protection, par exemple l’éloignement d’un environnement qu’il ne supporte plus, mais demande au magistrat dans sa lettre de ne pas avertir ses parents, craignant vivement leur réaction quand ils recevront les premiers documents en provenance du tribunal. Or le juge doit rapidement avertir les parents de l’ouverture d’un dossier judiciaire (cf. infra) et la convocation à l’audience arrivera à leur domicile avant que le mineur ne bénéficie concrètement d’une mesure de protection, les mesures ordonnées ne pouvant être mises en œuvre que lorsqu’elles sont notifiées (cf. chapitre 6, « La décision »). Juridiquement, comme cela sera détaillé plus loin, il est impossible de cacher aux parents la démarche de leur enfant, le juge ne devant pas statuer, sauf exception, sans l’audition des intéressés. En opportunité, cela ne serait pas non plus souhaitable, parce que le mineur peut apporter au magistrat des éléments mensongers, ou au moins différents de la réalité (les professionnels savent combien certains mineurs sont parfois très forts pour attendrir et tromper leur interlocuteur), et que donc ses arguments doivent être confrontés avec ceux des autres membres de sa famille avant d’être avalisés. Et puis les parents, se sentant dès le début de la procédure exclus du débat, pourraient penser que le juge accorde plus de crédit aux propos de leur enfant qu’aux leurs et, en conséquence, refuser parfois de déférer aux convocations ultérieures ou s’opposer dès le début de la procédure à un magistrat qui les a ignorés.
Cette difficulté réelle n’est pas sans solution. Le mineur peut être averti par un travailleur social de la façon dont sa demande va être traitée et de la possibilité qu’il aura, à tout moment, en cas de réaction de ses parents le mettant gravement en danger, d’alerter le service éducatif auprès du tribunal (SEAT) ou un service de police ou de gendarmerie. Il doit savoir que des incidents graves peuvent sous certaines réserves autoriser le juge à éloigner un mineur avant même l’audition de ses parents s’il y a urgence à le protéger (cf. chapitre 7, « Les procédures exceptionnelles »).
Un éducateur du SEAT peut également passer dans la famille le jour même de la réception de la convocation pour s’assurer que rien de dommageable n’a lieu. Mais même si de telles précautions se sont avérées suffisantes dans tous les cas traités, il reste que cette période de début de procédure est souvent difficile à vivre pour les mineurs qui l’ont déclenchée et qui, quoi qu’on leur dise, ne savent pas vraiment si et comment leur protection sera efficacement assurée en cas de besoin, faute de connaissance suffisante permettant seule la confiance envers les professionnels qui vont intervenir.
La saisine par le tuteur ou celui à qui le mineur est confié
Si une requête est adressée au tribunal pour enfants par le tuteur du mineur, ou par celui à qui l’enfant a été confié, personne physique ou service, même sans décision judiciaire, par exemple des grands-parents qui ont remplacé les parents à leur demande pendant un temps, le juge a également l’obligation de statuer. La Cour de cassation rappelle régulièrement que la saisine peut provenir tant de celui à qui le mineur est confié par décision judiciaire que de celui à qui il est confié de fait, à l’amiable, sans cadre juridique particulier .
La saisine d'office
Les demandes envoyées au tribunal par les personnes autres que celles énumérées à l’article 375 du Code civil, par exemple un oncle qui s’inquiète de l’évolution d’un neveu, un instituteur, un médecin, etc., ne saisissent pas le juge des enfants, c’est-à-dire qu’elles n’obligent pas le magistrat à ouvrir une procédure ni à organiser une audience et prendre une décision, et cela quel que soit le contenu du courrier. Autrement dit, le juge peut choisir légalement d’ignorer ces demandes.
Toutefois, si le juge choisit d’ouvrir un dossier, c’est qu’il décide de se saisir d’office, comme cela lui est permis à titre exceptionnel. Il rend alors obligatoirement une décision d’assistance éducative (intervention ou non-lieu). Et les personnes dont la requête a été acceptée et traitée deviennent partie à la procédure et ont alors automatiquement la possibilité d’interjeter appel de la décision prise qui doit leur être notifiée, en application de l’article 546 du Code de procédure civile .
Selon l’article 375, la saisine d’office, c’est-à-dire la décision d’ouvrir un dossier prise par le juge seul, sans demande de ceux qui peuvent juridiquement le saisir et mentionnés plus haut, doit rester exceptionnelle, et il est préférable qu’elle le reste réellement en pratique. Toutefois, le juge des enfants n’est pas tenu de justifier les raisons de sa saisine d’office ou de motiver son caractère exceptionnel. Son choix est discrétionnaire .
Dans une décision du 7 décembre 2012, n° 2012-286, le Conseil Constitutionnel a décidé, à propos de la saisine d'office, que :
« Considérant qu'aux termes de l'article 16 de la Déclaration de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution » ; que le principe d'impartialité est indissociable de l'exercice de fonctions juridictionnelles ; qu'il en résulte qu'en principe une juridiction ne saurait disposer de la faculté d'introduire spontanément une instance au terme de laquelle elle prononce une décision revêtue de l'autorité de chose jugée ; si la Constitution ne confère pas à cette interdiction un caractère général et absolu, la saisine d'office d'une juridiction ne peut trouver de justification, lorsque la procédure n'a pas pour objet le prononcé de sanctions ayant le caractère d'une punition, qu'à la condition qu'elle soit fondée sur un motif d'intérêt général et que soient instituées par la loi des garanties propres à assurer le respect du principe d'impartialité » .
Toutefois, à la différence de l'article du code de commerce objet de la QPC, qui permet l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire, la saisine d'office du juge des enfants consiste uniquement dans l'ouverture d'une procédure sans que le magistrat, à cet instant, ne prenne aucune décision. Sans doute le juge des enfants n'ouvre-t-il une procédure que s'il considère qu'il est possible que tel enfant soit en danger. Mais les éléments qui lui seront transmis ultérieurement ainsi que les débats en audience pourront démontrer que tel n'est pas le cas.
En tous cas cela confirme que la saisine d'office ne doit être utilisée que très exceptionnellement, ce qu'au demeurant prévoit cet article.
Au-delà, nous avons déjà dit pourquoi il est important que les signalements transitent par le procureur de la République. De plus, il ne faut pas que n’importe qui puisse déclencher à tort et à travers une procédure judiciaire et intervenir ensuite dans le processus juridictionnel en plus des premiers intéressés que sont les parents et les mineurs. Cela pourrait être source de conflits supplémentaires. En pratique, il est donc souhaitable que les courriers de tiers envoyés directement au tribunal pour enfants soient orientés vers le parquet pour que ce soit le substitut du procureur qui apprécie l’opportunité de rédiger une requête et saisisse juridiquement lui-même le juge des enfants, les requérants n’étant alors plus partie à la procédure, ce qui est hautement préférable. Mais cette possibilité d’auto-saisine par le juge des enfants, qui est une particularité juridique exceptionnelle, permet quand même, en cas de carence du parquet, de passer outre son abstention et de lancer malgré tout une indispensable procédure de protection. En fait, le législateur, en permettant qu’un dossier de protection de l’enfance soit ouvert par de multiples biais, a voulu supprimer tous les obstacles procéduraux possibles à l’instauration des mesures de protection pour qu’aucun mineur ne reste hors du champ de cette protection. Ces règles doivent être approuvées.
Signalement et secret professionnel
S’il est souhaitable que toutes les informations concernant des mineurs susceptibles d’être en danger parviennent aux services de prévention ou au tribunal pour enfants, certains de ceux qui en détiennent sont soumis au secret professionnel (travailleurs sociaux, médecins, etc.).
Le législateur a tenté de trouver un équilibre satisfaisant entre protection du secret, condition pour que s’installe une relation de confiance entre celui qui s’exprime et celui qui écoute, et protection des mineurs rendant nécessaire la diffusion des informations reçues.
Actuellement, s’appliquent les règles suivantes :
- l’obligation de dénoncer les crimes (art. 434-1 du Code pénal) ou les privations ou maltraitances dont sont victimes les mineurs de 15 ans (art. 434-3), sous peine de se voir infliger un emprisonnement ou une amende, n’est pas applicable aux personnes soumises au secret professionnel ;
- les personnes soumises au secret professionnel, et qui si elles ne le respectent pas risquent une peine de prison et d’amende (art. 226-13 du Code pénal), peuvent pourtant, si elles le souhaitent et sans violer la loi, d’une part avertir les autorités médicales, administratives ou judiciaires si elles ont eu connaissance de « privations ou de sévices » infligés à des mineurs, « y compris lorsqu’il s’agit d’atteintes ou de mutilations sexuelles », et d’autre part alerter le procureur de la République si elles ont constaté des « sévices ou privations sur le plan physique ou psychique » permettant de « présumer que des violences physiques, sexuelles ou psychiques de toute nature ont été commises » (art. 226-14 du Code pénal).
Dans le premier cas, il s’agit d’informations dont les professionnels ont « connaissance », avec la part d’incertitude qui subsiste. Leur interlocuteur sera naturellement le service départemental de l’enfance, qui collectera toutes les informations concernant la famille signalée. Dans le second, il s’agit de faits qu’ils ont eux-mêmes constatés, notamment des violences. Cela explique la saisine directe du procureur de la République, afin que son intervention puisse très rapidement mettre fin à l’éventuelle violence subie par le mineur (en déclenchant une procédure pénale et/ou en lançant une procédure de police).
Cela autorise donc les personnes soumises au secret professionnel dans le cadre de leur profession à transmettre aux autorités chargées de la protection de l’enfance toute information reçue concernant des actes de maltraitance au sens le plus large, la notion de privation permettant, par ailleurs, de signaler toute situation de carence parentale dans la prise en charge des enfants.
Le fait que la transmission des informations ne soit que facultative ne doit pas faire craindre une fréquente rétention d’informations importantes. Les personnes soumises au secret, et en premier lieu les médecins, n’hésitent pas à signaler les situations les plus préoccupantes. Par ailleurs, les placer dans une situation de choix plutôt que d’obligation, évite qu’ils agissent uniquement parce qu’ils y sont contraints. Obligés de dénoncer, dans une démarche qu’ils désapprouvent, ils peuvent être tentés de transmettre seulement des informations succinctes peu exploitables par les autorités. À l’inverse, en faisant le choix de transmettre des informations qui les préoccupent, ils seront plus aisément complets et précis. En ce sens, la législation actuelle semble opportune.
Par ailleurs, si l’article L. 221-6 du Code de l’action sociale et des familles indique que « toute personne participant aux missions du service de l’aide sociale à l’enfance est tenue au secret professionnel », il ajoute fort logiquement que tout travailleur social est tenu « de transmettre sans délai au président du conseil général ou au responsable désigné par lui toute information nécessaire pour déterminer les mesures dont les mineurs et leur famille peuvent bénéficier, et notamment toute information sur les situations de mineurs susceptibles de relever du chapitre VI du présent titre », ce chapitre VI étant intitulé « Protection des mineurs en danger et recueil des informations préoccupantes ».
Enfin, issus de la loi de mars 2007, les articles suivant prévoient la mise en commun des informations recueillies par « les personnes qui mettent en œuvre la politique de protection de l’enfance définie à l’article L. 112-3 ainsi que celles qui lui apportent leur concours ». Il est indiqué que :
« Les personnes qui mettent en œuvre la politique de protection de l’enfance définie à l’article L. 112-3 ainsi que celles qui lui apportent leur concours transmettent sans délai au président du conseil général ou au responsable désigné par lui, conformément à l’article L. 226-3, toute information préoccupante sur un mineur en danger ou risquant de l’être, au sens de l’article 375 du Code civil. Lorsque cette information est couverte par le secret professionnel, sa transmission est assurée dans le respect de l’article L. 226-2-2 du présent code. Cette transmission a pour but de permettre d’évaluer la situation du mineur et de déterminer les actions de protection et d’aide dont ce mineur et sa famille peuvent bénéficier. Sauf intérêt contraire de l’enfant, le père, la mère, toute autre personne exerçant l’autorité parentale ou le tuteur sont préalablement informés de cette transmission, selon des modalités adaptées » (art. L. 226-2-1) ;
et que :
« Par exception à l’article 226-13 du Code pénal, les personnes soumises au secret professionnel qui mettent en œuvre la politique de protection de l’enfance définie à l’article L. 112-3 ou qui lui apportent leur concours sont autorisées à partager entre elles des informations à caractère secret afin d’évaluer une situation individuelle, de déterminer et de mettre en œuvre les actions de protection et d’aide dont les mineurs et leur famille peuvent bénéficier. Le partage des informations relatives à une situation individuelle est strictement limité à ce qui est nécessaire à l’accomplissement de la mission de protection de l’enfance. Le père, la mère, toute autre personne exerçant l’autorité parentale, le tuteur, l’enfant en fonction de son âge et de sa maturité sont préalablement informés, selon des modalités adaptées, sauf si cette information est contraire à l’intérêt de l’enfant. »
Dans toutes ces hypothèses, parce que la protection des mineurs est la préoccupation première, il ne peut jamais être reproché aux professionnels qui y sont tenus une violation du secret professionnel.
La compétence territoriale
Comme tout magistrat, le juge des enfants n’est compétent, c’est-à-dire n’a le droit d’intervenir, que sur un secteur géographique très précisément délimité. C’est ce que l’on appelle la compétence territoriale.
En matière d’assistance éducative, l'article 1181 du Code de procédure civile indique :
« Les mesures d’assistance éducative sont prises par le juge des enfants du lieu où demeure, selon le cas, le père, la mère, le tuteur du mineur ou la personne ou le service à qui l’enfant a été confié ; à défaut par le juge du lieu où demeure le mineur. Si la personne mentionnée à l’alinéa précédent change de lieu de résidence, le juge se dessaisit au profit du lieu de la nouvelle résidence, sauf ordonnance motivée. Ainsi qu’il est dit à l’article L. 228-4 du Code de l’action sociale et des familles, en cas de changement de département, le président du conseil général de l’ancienne résidence et celui de la nouvelle résidence sont informés du dessaisissement. »
L’article L. 228-4 auquel il est renvoyé est le texte qui indique que les dépenses d’assistance éducative sont « prises en charge par le département du siège de la juridiction qui a prononcé la mesure en première instance, nonobstant tout recours éventuel contre cette décision », et qu’en cas de dessaisissement d’une juridiction à une autre le magistrat porte sa décision à la connaissance des deux présidents des conseils généraux successivement compétents, le second devenant obligatoirement le nouveau financeur, la tarification applicable étant toutefois celle du département où se trouve le lieu de placement.
La question s’est posée de la date à laquelle le département nouvellement saisi doit financer la mesure en cours. Prenant le contre-pied de la décision du tribunal administratif de Marseille , la cour administrative d’appel a indiqué dans une décision de 2005 que le transfert de la charge s’opère du jour de la décision du juge des enfants, et non de la date à laquelle la décision est portée à la connaissance du second conseil général.
Le décret de mars 2002 a modifié la notion de domicile ou résidence en « lieu de résidence », ce qui ne change rien, mais surtout supprime la faculté qui était offerte au juge initialement saisi pour lui substituer une obligation, en remplaçant l’expression « le juge peut » par l’expression « le juge se dessaisit ». Le texte est mal rédigé car le second alinéa prévoit pour le juge saisi l’obligation de se dessaisir si « la personne » mentionnée au premier alinéa change de résidence. Or cinq personnes sont mentionnées dans ce premier alinéa. On peut penser que « la » personne visée est celle qui justifie la compétence du magistrat, et que lorsqu’elle déménage celui-ci a l’obligation de se dessaisir. Il en sera ainsi notamment dans le cas, de plus en plus rare du fait de l’évolution des textes en la matière, d’un parent seul titulaire des prérogatives d’autorité parentale.
Mais si les deux parents se partagent l’autorité parentale et que l’un d’eux change de résidence pour cause de séparation, le juge dispose de fait d’une simple faculté de se dessaisir, sans que son refus puisse être sanctionné .
Quoi qu’il en soit, la nouvelle rédaction de ce texte prévoit la possibilité pour le juge initialement saisi de ne pas transmettre son dossier. Il doit alors rendre une « ordonnance motivée », dont le texte ne précise pas la nature juridique, simple mesure d’administration sans recours ou décision juridictionnelle pouvant être contestée. Mais du fait des conséquences du dessaisissement sur la situation géographique des parents par rapport à la juridiction, et sur le financement des mesures éducatives, on peut penser que la décision est de la seconde catégorie et peut faire l’objet d’un recours devant la chambre des mineurs de la cour d’appel. Cette position est confortée par la jurisprudence de la Cour de cassation. Puisque celle-ci a estimé devoir statuer sur les questions de compétence territoriale , c’est bien semble-t-il que la décision du juge est juridictionnelle.
La cour de cassation a, dans un arrêt de principe du 11 mars 2009 , tranché définitivement la question en jugeant que :
« En cas de changement de résidence du père, de la mère, du tuteur du mineur, de la personne ou du service à qui l'enfant a été confié ou du mineur, le juge des enfants se dessaisit au profit du juge du lieu de la nouvelle résidence, sauf ordonnance motivée ; que cette décision, qui ne constitue pas une mesure d'administration judiciaire, est susceptible d'appel ».
La conséquence procédurale est qu'avant de rendre une décision relative à la désignation du juge devant gérer le dossier, le juge des enfants doit convoquer tous les intéressés selon la procédure ordinaire, puis rendre un jugement motivé devant être notifié aux parties avec indication des délais de recours.
Notons par ailleurs que le texte comporte un alinéa qui prévoit une information obligatoire du président du conseil général du premier et du second département, par lettre simple.
Derrière un problème de compétence territoriale, se cache surtout en effet la question du financement des mesures. En effet, c’est le département dans lequel se situe le tribunal pour enfants qui prend la décision qui finance initialement les mesures ordonnées. En cas de dessaisissement, c’est le département de la nouvelle juridiction qui paie. Aussi, en cas de déménagement de certains des intéressés, les départements souhaitent ardemment que le juge se dessaisisse pour ne plus rien avoir à payer.
Finalement, ce qui est contestable, c’est l’application d’une même règle quel que soit celui qui déménage. Le texte nouveau, comme l’ancien, ne fait aucune distinction entre le déménagement du père ou de la mère, et celui de la personne à qui l’enfant est confié donc dans ce cas le déménagement du mineur. Or, parce que le contact entre le juge et les parents est essentiel, et que la distance géographique entre les deux ne doit jamais être un obstacle rendant difficile la présence des seconds à la convocation du premier, il est souhaitable que le tribunal pour enfants saisi soit celui dans le ressort duquel habitent les parents ou en cas de séparation celui qui exerce seul autorité parentale ou celui au domicile duquel la résidence de l’enfant a été fixée par le juge aux affaires familiales. Par contre, si c’est la personne à qui l’enfant a été confié qui déménage, alors que les parents restent dans le ressort du tribunal initialement saisi, il n’est pas du tout souhaitable de transférer le dossier. C’est à juste titre que le rapport Deschamps proposait de considérer « l’autorité parentale comme critère principal de compétence de l’assistance éducative ».
Mais la possibilité offerte au juge initialement saisi de ne pas transmettre son dossier dans ce dernier cas permettra probablement d’éviter une telle difficulté. Reste à s’interroger sur l’opportunité de contraindre les juges déjà surchargés à rendre encore d’autres sortes de décisions dont, au demeurant, on se demande quel sera le régime juridique.
Au-delà, en pratique les difficultés d’appréciation de la compétence territoriale sont rares. Mais la jurisprudence a apporté quelques précisions.
- Le juge saisi en premier a la possibilité d’instruire un dossier si l’un quelconque des membres de la famille réside sur son ressort, même s’il s’agit du mineur et alors que le texte a fixé ce critère de compétence « par défaut ».
- Plusieurs juges des enfants ne peuvent pas être en même temps compétents, même si la famille est éclatée et si ses membres habitent dans le ressort des tribunaux différents. C’est vers le juge initialement saisi que doivent converger toutes les demandes ou procédures .
- En cas de divorce, le juge des enfants territorialement compétent est à titre principal le juge du domicile de celui des père ou mère qui exerce l’autorité parentale ou en cas d’autorité parentale conjointe celui chez qui la résidence de l’enfant a été fixée .
- La règle interdit à un juge des enfants de poursuivre une procédure pour un mineur dont les parents sont en France mais qui habite à l’étranger .
Il faut aussi préciser que, contrairement à ce qui est souvent affirmé par les professionnels, le juge qui gère un dossier et qui estime devoir le transférer à un autre juge des enfants n’a pas besoin de l’accord préalable de celui-ci. Le second alinéa de l’article 1181 ne mentionne que la décision du juge qui envisage de se dessaisir .
Mais en pratique, lorsqu’il est indiqué que le ou les parents ont déménagé hors du ressort du tribunal pour enfants initialement saisi, il est utile de transmettre le dossier officieusement au magistrat susceptible d’en être le destinataire pour qu’il vérifie la nouvelle adresse du parent ou pour échanger les avis si plusieurs critères de compétence peuvent être retenus en même temps.
Ajoutons quelques précisions concernant le dessaisissement.
Lorsqu'un dessaisissement est prononcé, le Juge des Enfants doit se prononcer sur le sort de la mesure éducative qui s'exerçait sous son autorité.
A défaut de décharger le service éducatif du mandat qui lui était confié, la mesure continue de plein droit quelle que soit sa nature (AEMO ou placement). Ainsi, si les parents déménagent, leur enfant restera confié au même service. Si l'un des parents change de département, la mesure continuera à s'exercer au profit de l'autre parent resté sur place.
Le Juge des Enfants, nouvellement saisi, est bien évidemment libre de ré-apprécier la situation en organisant une nouvelle audience.
Mais, en l'absence de demande de la part des parties, il n'en a nulle obligation.
Ainsi, il peut donc, à réception de l'ordonnance de dessaisissement, désigner lui-même sans nouvelle audience un service pour mettre en œuvre la mesure déjà décidée. Le simple fait de désigner un service ne préjudicie en rien au droit des parties. Cette décision n'est qu'une modalité pratique d'une décision déjà prise et la conséquence automatique du déménagement de la famille. Au surplus, les parents ont bénéficié, avant, de voies de recours pour éventuellement contester la décision ordonnant la mesure éducative voire le dessaisissement lui-même.
Le Juge des Enfants, rappelons le encore, est donc libre d'organiser une audience (ce qui, dans la majorité des cas, n'a que peu d'intérêt) ou de simplement désigner un service pour poursuivre l'action éducative.
Pourtant, il n'est pas rare qu'un Juge des Enfants, qui envisage un dessaisissement ou y recourt, délègue compétence à son collègue pour désigner un nouveau service.
La délégation de compétence est en effet permise par l'article 1199 du Code de Procédure Civile :
«Le juge peut déléguer sa compétence au juge du lieu où le mineur a été placé soit volontairement, soit par décision de justice, à l'effet d'organiser l'une des mesures prévues aux articles 375-2 et 375-4 du Code Civil et d'en suivre l'application » (c'est à dire une mesure d'AEMO).
Ainsi, si l'enfant vit (ponctuellement ou durablement) dans le ressort d'un autre tribunal pour enfants, le Juge des Enfants peut déléguer compétence à un autre magistrat de la jeunesse pour mettre en œuvre une mesure d'AEMO.
Si cette délégation de compétence est ordonnée avant dessaisissement, elle est possible juridiquement mais révèle peu d'intérêt (surtout si elle précède de quelques jours le dessaisissement). Un dessaisissement sera tout aussi rapide puisque le nouveau juge, nous venons de le voir, pourra de suite désigner un nouveau service. Au surplus, si le Juge des Enfants (agissant en tant que délégataire) désigne un service, il devra rendre une nouvelle décision lorsque son collègue se sera finalement dessaisi. En effet, le cadre légal de son intervention aura changé, passant de la simple délégation à une compétence pleine et entière.
Si cette délégation de compétence est ordonnée en même temps que le dessaisissement (ce qui est encore pratiqué), elle n'est juridiquement pas possible à mettre en œuvre. En effet, un juge qui se dessaisit ne peut plus, par définition, déléguer des compétences qu'il ne détient plus. Le Juge des Enfants nouvellement saisi doit donc, en son nom propre, désigner un service.
Rappelons enfin que le juge des enfants français est compétent pour assurer la protection de tout mineur de nationalité étrangère qui a sa résidence habituelle sur le territoire national, ceci en application de la convention de La Haye .
Et la cour de cassation a précisé dans un arrêt du 24 mars 2009 que le juge des enfants est compétent pour intervenir au bénéfice des mineurs étrangers placés en zone d'attente, zone qui « se trouve sous contrôle administratif et juridictionnel national ».
La vérification de la minorité
L’assistance éducative concerne les « mineurs non émancipés » selon les termes de l’article 375 du Code civil. Les mineurs sont, en France, les enfants qui sont âgés de moins de 18 ans.
Par ailleurs, un mineur peut être émancipé à partir de ses 16 ans s’il y a de « justes motifs ». Il l’est aussi par le mariage. Si une telle émancipation est prononcée, le juge ne peut pas intervenir même en cas de danger. De la même façon, si en cours de procédure d’assistance éducative un mineur est émancipé, toutes les mesures ordonnées cessent de ce seul fait.
Pour ce qui concerne les mineurs étrangers, c’est la législation de leur pays qui s’applique, avec d’éventuelles variations quant à l’âge à laquelle arrive la majorité. Le juge des enfants doit donc vérifier ce que dit la législation étrangère en cas de doute.
Il arrive régulièrement que l’âge d’un mineur qui arrive de l’étranger ne soit pas connu, que l’intéressé ne parle pas français, qu’il tente de minorer son âge pour bénéficier de mesures de protection, que les papiers produits semblent pouvoir être des faux, bref qu’il existe un doute quand à son âge réel. Dans un tel cas, le juge des enfants peut utiliser tous les moyens à sa disposition pour arriver à une conclusion sur l’âge de l’intéressé, notamment par le biais d’une expertise osseuse . Notons que dans un avis du 11 juillet 2005, le Comité consultatif national d’éthique a émis des réserves sur la détermination de l’âge exclusivement à partir de l’expertise osseuse, estimant indispensable qu’une pluralité de moyens soit utilisée.
Le juge va également prendre en compte les documents administratifs en possession de l'intéressé.
Dans une affaire judiciaire, un département contestait l'âge retenu pour un jeune lui ayant été confié par le juge des enfants.
La cour de cassation a statué en ces termes :
« Attendu que X.. en possession d'une attestation de naissance le disant né le 3 mars 1989 à Kinshasa a fait l'objet d'une mesure de placement auprès de l'aide sociale à l'enfance (..) ; que le 10 octobre 2005 le même magistrat a refusé de renouveler cette mesure et dit n'y avoir lieu à assistance éducative au motif que X.. devait être considéré comme ayant plus de 18 ans, son acte de naissance n'étant pas probant ; Attendu que le département (..) fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir infirmé cette décision et décidé que le placement de X.. devait se poursuivre jusque sa majorité ; Attendu que c'est dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation que la cour d'appel a constaté d'une part que l'acte de naissance produit par X.. avait été établi en conformité avec les formes requises par la loi étrangère applicable, d'autre part qu'aucun élément extérieur à l'acte ne permettait de douter des énonciations y figurant, l'examen radiologique pratiqué sur X.. ne pouvant être retenu en raison de son imprécision, et qu'elle a déduit de ces constatations que l'acte d'Etat civil produit faisait foi de l'âge de l'intéressé, que la cour d'appel a (..) légalement justifié sa décision. »
Les premières formalités
Dès qu’il est constaté que le juge des enfants est effectivement saisi, avant tout débat au fond, plusieurs formalités très importantes doivent être effectuées. Le décret de 2002 a modifié les règles applicables, afin que dès l’ouverture du dossier les intéressés reçoivent des informations essentielles.
L’ avis d’ouverture du dossier
Lorsqu’un document saisissant le juge des enfants arrive au secrétariat du tribunal, le greffier doit aussitôt, en application du nouvel article 1182 du Code de procédure civile, transmettre diverses informations à certaines personnes énumérées à l’article 375 du Code civil et qui ne sont pas requérantes :
« Le juge donne avis de la procédure au procureur de la République ; quand ils ne sont pas requérants, il en donne également avis au père, à la mère, au tuteur, à la personne ou au représentant du service à qui l’enfant a été confié […]. L’avis d’ouverture de la procédure et les convocations adressées aux père et mère, au tuteur, à la personne ou au représentant du service à qui l’enfant a été confié et au mineur mentionnent les droits des parties de faire choix d’un conseil ou de demander qu’il leur en soit désigné un d’office conformément aux dispositions de l’article 1186. L’avis et les convocations informent les parties de la possibilité de consulter le dossier conformément aux dispositions de l’article 1187. »
Lorsqu’un dossier est ouvert à la requête du procureur de la République, ce qui correspond aux cas de loin les plus fréquents, la première démarche indispensable est l’information des intéressés. L’ancien article 1182 ne mentionnait que l’envoi d’un « avis de la procédure », aux père, mère, tuteur, personne ou service à qui l’enfant a été confié. Il s’agissait donc d’une information minimale, les familles ne sachant pas à la seule lecture de cette phrase quels sont leurs droits. Par ailleurs l’article 1186 mentionnait une information concernant le droit à l’assistance d’un avocat seulement lors de la première rencontre avec le juge.
Le premier courrier doit contenir, outre l’avis de l’ouverture d’un dossier, le rappel du droit d’être assisté d’un avocat, et du droit de consulter le dossier selon les modalités prévues à l’article 1187. Cela est très important. Se préparer à rencontrer le juge demande un minimum de temps. Il est donc indispensable que les intéressés soient informés le plus tôt possible, afin qu’ils disposent d’un délai maximal pour, s’ils le souhaitent, solliciter l’aide d’un avocat, prendre connaissance directement ou par son intermédiaire du contenu du dossier, et se préparer au débat avec le magistrat.
Notons toutefois que si les convocations successives doivent être envoyées aux mineurs et contenir un rappel de leurs droits, il n’en va pas de même de l’avis d’ouverture de la procédure qu’ils ne reçoivent pas. Cette divergence surprend et est difficilement justifiable. Le mineur étant juridiquement partie à l’instance, il doit être informé de l’ouverture d’un dossier qui le concerne autant que ses parents, et doit lui aussi pouvoir choisir un avocat s’il le souhaite, prendre connaissance du dossier, et se préparer à la première rencontre avec le juge. Et si l’on estime devoir et donc pouvoir lui envoyer une convocation, même s’il est relativement jeune, il n’y a pas plus de risque de le troubler en lui envoyant un avis d’ouverture. Le seul argument éventuellement susceptible de justifier cette règle est la méconnaissance par les magistrats, lors de l’ouverture d’un dossier, de la capacité d’un jeune enfant à recevoir avec « discernement » un avis en provenance du tribunal.
Ce n’est qu’à partir de la réception de ce courrier que les familles savent qu’elles font l’objet d’un dossier judiciaire de protection de l’enfance, le procureur n’ayant pas l’obligation de les avertir de la transmission d’une requête au tribunal pour enfants et en pratique ne le faisant pas. Les personnes et surtout les services (Éducation nationale, hôpitaux, municipalités, etc.) qui adressent un signalement au procureur de la République sur une famille n’ont aucune obligation légale générale d’informer préalablement cette famille de leur démarche.
Il existe par contre une obligation, qui ne concerne que l’aide sociale à l’enfance (ASE), et qui découle de l’article L. 226-5 (anc. 70) du Code de l’action sociale et des familles (CASF). Ce texte fait partie du chapitre VI « Protection des mineurs maltraités » du titre II « Enfance ». Le dernier alinéa de cet article précise que « en cas de saisine de l’autorité judiciaire il [le président du conseil général] en informe par écrit les parents de l’enfant ou son représentant légal ».
Sans doute, dans leur activité quotidienne, bien des travailleurs sociaux de nos jours indiquent oralement aux familles concernées qu’ils envisagent d’adresser un signalement au procureur de la République et de plus en plus souvent ils lisent tout ou partie de leur texte aux parents, ou au moins leur font connaître l’essentiel de ce qui y est écrit. Cela leur permet, disent-ils, de recueillir une fois encore l’avis des intéressés et éventuellement les incite à modifier tel ou tel paragraphe de leur rapport. La pratique qui consistait à saisir un tribunal en cachette des familles semble largement révolue, et c’est heureux. De plus en plus souvent on constate effectivement lors des audiences que la famille a déjà connaissance de l’existence du rapport et de tout ou partie de son contenu, soit parce qu’elle le dit soit parce que le travailleur social qui vient présenter lui-même les inquiétudes de son service le précise. Mais avant cette rencontre la famille ne sait pas exactement quand le signalement va être envoyé au procureur de la République, et elle ne sait pas si celui-ci va effectivement saisir le juge des enfants. Seul l’avis envoyé par le greffe l’informe de l’existence du dossier de protection de l’enfance et du moment à partir duquel il peut être consulté par un avocat.
Dans un arrêt en date du 18 septembre 1987 , la cour d’appel de Rennes a précisé que l’absence d’avis aux parents est un motif de nullité de la décision prise ensuite par le juge des enfants, ce qui est grave puisqu’une décision annulée est totalement anéantie et donc ne peut plus être exécutée. Dans ce remarquable arrêt qui ne peut être qu’approuvé, la cour, voulant sanctionner fermement de trop fréquentes irrégularités sur ce point, a rappelé, de façon cinglante :
« […] Considérant que les décisions susvisées ont été prises sans que les époux B. aient été avisés de l’ouverture d’une procédure les concernant comme l’exigent les dispositions de l’article 1182 du CPC […] ; Considérant que l’ensemble de ces dispositions destinées à protéger les droits fondamentaux des familles et les libertés individuelles sont d’ordre public ; que leur non-respect entache les décisions intervenues d’un vice de forme tel qu’elles doivent être purement et simplement annulées […]. »
Une autre Cour d’appel a plus récemment adopté une position identique .
L’avis du droit à l’aide d’un avocat
L’article 1186 du Code de procédure civile est rédigé ainsi :
« Le mineur capable de discernement, le père, la mère, le tuteur ou la personne ou le représentant du service à qui l’enfant est confié peuvent faire choix d’un conseil ou demander au juge que le bâtonnier leur en désigne un d’office. La désignation doit intervenir dans les huit jours de la demande. Ce droit est rappelé aux intéressés lors de leur première audition. »
On retrouve ici l’information indispensable sur les différentes possibilités de se présenter à une audience d’un tribunal, et particulièrement de se faire assister. Cette information est obligatoire au début de toute procédure devant le tribunal de grande instance (art. 752 du Code procédure civile, l’avocat est obligatoire) ou devant le tribunal d’instance (art. 836 du Code procédure civile, l’avocat est facultatif). Parce que devant le tribunal pour enfants il n’y a pas une partie qui en assigne une autre et qui lui doit cette information dans ses conclusions d’assignation, la loi a transféré au juge des enfants cette mission d’information.
Seul le mineur « capable de discernement » peut solliciter un avocat . Le discernement est ici la capacité à comprendre ce qu’est un avocat, son rôle, et, le mineur étant son client, à lui transmettre des instructions réfléchies, cohérentes et raisonnables.
Les juridictions avaient eu à statuer sur le sens d’une démarche effectuée par le conseil d’un enfant très jeune, et à s’interroger sur l’âge à partir duquel le mineur dispose des capacités intellectuelles suffisantes pour comprendre vraiment ce dont il s’agit. En effet, si un enfant trop jeune ne maîtrise pas réellement ce qui se passe, l’avocat ne peut pas intervenir en son nom puisque le mineur n’a pas de demande propre.
La Cour de cassation avait jugé , pour dire un appel irrecevable, que seul un mineur possédant un discernement suffisant peut exercer les prérogatives que la loi octroie au moins de dix-huit ans en assistance éducative, bien qu’il n’y ait légalement pas de limite inférieure d’âge.
« Attendu que […] l’administrateur légal représente le mineur dans tous les actes de la vie civile, sauf les cas dans lesquels la loi ou l’usage autorise les mineurs à agir eux-mêmes ; qu’il résulte (des articles 375, 1186 et 1191 du Code civil) qu’en matière d’assistance éducative le mineur peut lui-même saisir le juge des enfants pour lui demander d’ordonner des mesures et qu’il peut également lui-même interjeter appel des décisions de ce juge et faire choix d’un avocat ; qu’il incombe seulement aux juges du fond de vérifier qu’il possède un discernement suffisant pour exercer ces prérogatives. »
Sous l’empire des textes antérieurs il avait aussi été jugé :
« Si l’article 1186 du CPC permet au mineur de faire choix d’un conseil ou de demander au juge qu’il lui en soit désigné un d’office, la présence de ce conseil ne peut être que l’expression d’une manifestation de volonté. Tel n’est pas le cas pour un enfant de deux ans dépourvu de discernement pour lequel le juge, conformément à l’article 388-2 du Code civil, ne pouvait que désigner un administrateur ad hoc seul habilité pour choisir un conseil . »
« Malgré le choix initial du conseil par la mère et le risque de conflit d’intérêts, on doit considérer comme valable le mandat de représentation donné par un enfant de sept ans doué d’une intelligence fine et pertinente étroitement mêlé au conflit de ses parents ; en effet la désignation de ce conseil par le bâtonnier de l’ordre des avocats garantit l’absence de lien économique entre le conseil de la mineure et le représentant légal . »
C’est cette jurisprudence qui a été opportunément consacrée par le décret. Le mineur ne possédant pas les capacités pour maîtriser les enjeux de la procédure n’a pas à être informé du droit à l’assistance d’un avocat puisqu’il n’est pas capable de dialoguer raisonnablement avec ce conseil ni de lui transmettre ses propres souhaits. À défaut, l’avocat ne serait pas réellement voulu ni choisi par lui mais par un tiers souhaitant s’appuyer sur un pseudo-avis personnel du mineur pour faire passer ses arguments.
D’autre part, alors que l’ancien article 1186 laissait au juge le choix d’aviser ou non le mineur de ce droit à l’audience, le seul critère étant « l’intérêt » de ce mineur, dorénavant l’information doit être systématique pour tout mineur capable de discernement .
En pratique les intéressés recevront plusieurs avis successifs du droit à l’assistance d’un avocat, les parents dans l’avis d’ouverture de la procédure, dans toutes les convocations écrites et à l’audience, et les mineurs dans ces deux derniers cas, l’avis d’ouverture ne leur étant pas envoyé. L’important est que dorénavant le mineur connaîtra ce droit avant de se présenter devant le juge.
Au demeurant, au-delà de ces prescriptions formelles, les familles entendent aussi parler des avocats dans leur entourage, ou par le biais des travailleurs sociaux. Et la présence de conseils est de plus en plus fréquente, notamment devant les chambres des mineurs des cours d’appel. C’est une évolution à poursuivre, tant les familles ont encore besoin d’un professionnel à leurs côtés pour connaître, maîtriser et faire respecter leurs droits.
Ces textes étant de grande importance, la sanction du non-respect doit être ferme. Dans un arrêt en date du 25 janvier 1991 (non publié), la cour d’appel de Rennes a précisé que la sanction de l’inobservation d’une formalité essentielle est la nullité du jugement :
« […] Considérant qu’aucune pièce du dossier ne fait état de ce que les parents aient été avisés à un quelconque moment de la procédure de leur droit à être assistés d’un conseil ; qu’il convient d’annuler le jugement […]. »
Cette sanction semble logique. À défaut, les textes perdraient leur raison d’être et leur efficacité.
La question de l'administrateur ad'hoc
La présence dans la procédure de mineurs non dotés d’un discernement suffisant, que l’on estime en conséquence incapables de faire la démarche suffisamment réfléchie et consciente de prendre un avocat, pose la question de la désignation d’un administrateur ad hoc pour les représenter et les défendre. L’article 388-2 du Code civil prévoit :
« Lorsque dans une procédure, les intérêts d’un mineur apparaissent en opposition avec ceux de ses représentants légaux, le juge des tutelles […] ou, à défaut, le juge saisi de l’instance lui désigne un administrateur ad hoc chargé de le représenter. »
Mais la désignation d’un administrateur ad hoc n’est pas appropriée en assistance éducative. En effet, par principe, un administrateur est désigné lorsqu’un enfant mineur, qui dispose de droits mais ne peut pas les exercer autrement que par l’intermédiaire d’un adulte, se trouve dans une situation délicate du fait de l’inaction de cet adulte. Autrement dit, un administrateur est habituellement désigné lorsque l’action en justice d’un mineur se heurte à la passivité ou au refus de ses parents d’engager une action en son nom. C’est alors que, selon les termes du texte, il existe un conflit entre le mineur et ses représentants légaux.
En pratique, les cas rencontrés le plus souvent concernent les mineurs victimes de violences d’adultes proches, qui peuvent réclamer des dommages-intérêts, mais qui se trouvent par exemple en présence d’une femme, leur mère, qui ne veut pas agir contre son mari, leur père auteur de l’agression.
Mais ce texte n’existe que parce que le mineur est alors légalement incapable d’engager seul l’action souhaitable. Pour reprendre le même exemple, si le parent du mineur victime d’une agression ne se constitue pas partie civile pour lui au cours de la procédure pénale, le mineur n’a pas le droit de se constituer partie civile lui-même du fait de sa minorité. Il est donc indispensable qu’un autre adulte, à qui est octroyé le droit d’engager une action à la place du représentant légal, fasse valoir les droits de ce mineur.
Or il en est tout autrement en assistance éducative. Le mineur capable de discernement dispose d’un droit propre d’agir pour sa protection. Il peut juridiquement saisir le juge des enfants, et lui présenter toute demande. Il peut contester devant la juridiction supérieure les décisions prises. En conséquence, puisqu’il peut agir seul, dès qu’il est doté de discernement il n’a besoin de personne pour le représenter. La raison d’être de l’administrateur disparaît.
A l'inverse, si le mineur est trop jeune pour élaborer et exprimer son propre point de vue, donc n'a pas le discernement suffisant pour participer à une procédure judiciaire, l'administrateur intervenant devant le juge des enfants ne présenterait pas le point de vue de ce dernier, mais le sien propre. Or on voit mal à quel titre un adulte aurait le droit de venir développer devant le juge des enfants un avis personnel, élaboré sur des critères subjectifs et incertains. Cela d'autant plus que pour argumenter en faveur de la protection des mineurs il y a déjà les travailleurs sociaux et le procureur de la République.
Il n’existe donc que deux options. Soit le mineur possède un discernement suffisant pour agir et il participe pleinement à la procédure, éventuellement en se faisant accompagner mais sans avoir besoin d’un adulte pour agir à sa place, soit il est trop jeune pour posséder le discernement suffisant et il ne dispose d’aucun droit, ce qui fait qu’il ne peut pas y avoir d’adulte pour exercer à sa place une prérogative dont il ne dispose pas. L’administrateur ad hoc n’a donc pas de raison d’être en assistance éducative .
La demande d’informations au département
Lorsque le signalement ne provient pas du service social départemental, par exemple lorsqu’il est envoyé par un membre de la famille, une école, un hôpital, il est indispensable de demander au service social ce qu’il connaît de la famille concernée, afin de disposer d’un maximum d’informations. Cette demande s’effectue dans le cadre de L. 221-4 du Code de l’action sociale et des familles ainsi rédigé :
« Lorsqu’il est avisé par le juge des enfants d’une mesure d’assistance éducative prise en application des articles 375 à 375-8 du Code civil, le président du conseil général lui communique les informations dont il dispose sur le mineur et sa situation familiale. »
La rédaction de cet article, dans ces termes : « une mesure […] prise […] », pourrait laisser penser que la demande d’informations peut être faite seulement postérieurement au prononcé d’une mesure de protection par le juge des enfants. Mais cela serait absurde puisque l’envoi d’informations n’est utile que s’il précède l’audience, afin que le magistrat puisse si nécessaire inclure dans le débat les éléments transmis par le département. Il faut donc considérer cette rédaction comme une maladresse. L’avis au département concerne l’ouverture d’une procédure, non l’instauration d’une mesure.
Le greffe doit donc dès l’ouverture de la procédure, si à la requête du procureur de la République n’est pas joint un rapport du service social départemental, adresser à ce service, systématiquement, dans tous les dossiers, une demande de transmission d’informations et d’avis.
De fait, il est fréquent que le service départemental dispose d’informations intéressantes, qui viennent utilement compléter les autres et permettent une approche encore plus précise de la situation de la famille. Il n’y a jamais trop de demandes d’informations vers tous ceux qui sont susceptibles de connaître la famille. Seule la multiplication des sources permet de se rapprocher de la réalité.
Si le département a envoyé un rapport contenant des informations essentielles, le juge des enfants trouvera souvent utile si ce n’est indispensable de convoquer pour l’audience un représentant de ce service (cf. chap. 3, « L’audience »).
LA PREMIERE RENCONTRE AVEC LA FAMILLE
L’article 1182 modifié par le décret de 2002 comporte, en plus de l’obligation d’informer les intéressés quant à leurs droits, cette injonction au juge des enfants (alinéa 2) :
« […] Il entend le père, la mère, le tuteur, la personne ou le représentant du service à qui l’enfant a été confié et le mineur capable de discernement et porte à leur connaissance les motifs de sa saisine. […] »
Dorénavant donc, il doit y avoir obligatoirement une première rencontre avec le juge, avant toute audience de jugement, que le juge estime le signalement reçu suffisamment complet ou non, et même s’il n’envisage pas de mesure d’investigation. L’usage du terme impératif « entend » signifie qu’aucun motif ne peut justifier le non respect de cette formalité.
Cette rencontre a un double objet :
- Le magistrat doit d’abord, selon le texte, informer les intéressés sur le contenu des documents ayant entraîné l’ouverture de la procédure — le « motif de la saisine ». Il s’agira dans la majorité des cas du rapport de signalement en provenance d’un service social. Ainsi les familles recevront-elles une première information au moins sur ce qui constitue l’essentiel des rapports reçus. Les magistrats ne liront probablement pas intégralement les rapports, cela ne présentant pas d’intérêt à ce stade d’autant plus que maintenant les familles ont accès à leur dossier et que leurs avocats peuvent en avoir une copie (cf. chapitre 3).
- Il s’agit ensuite de bien expliquer aux familles comment se déroule une procédure et quelle place va être la leur au fil du temps. Parents et mineurs doivent dès leur premier déplacement au tribunal recevoir toutes les explications indispensables sur le droit et la façon d’accéder au dossier, sur la façon d’obtenir l’assistance d’un avocat, et surtout sur le débat judiciaire et les moyens de préparer l’audience (nature et contenu des débats, droit d’apporter des documents, façon de préparer son argumentaire oral ou écrit etc.).
En rupture avec ce qui s’est pratiqué pendant des décennies, le déroulement d’une procédure d’assistance éducative doit maintenant être parfaitement et clairement expliqué aux intéressés le plus tôt possible. Par la suite, au moins en ce qui concerne la forme et le droit, il ne doit y avoir ni surprise ni chausse-trappe.
Cette nouveauté légale participe de la même idée que l’on retrouve à propos de l’accès au dossier. L’objectif recherché est de permettre autant que possible aux familles de participer pleinement à la procédure qui les concerne principalement. Mais pour prendre une véritable place, elles doivent en connaître les modalités, les règles, et être en mesure de se préparer au débat judiciaire.
Jusqu’ici, les familles faisant l’objet d’un signalement étaient très souvent convoquées directement à l’audience de jugement. Elles se retrouvaient alors irrémédiablement dans une situation très désavantageuse qui interdisait tout débat équitable. L’existence d’une rencontre préalable avec le juge est un progrès réel, à condition toutefois qu’au cours de cette rencontre les explications données soient complètes et loyales.
CHAPITRE 2 : Les mesures d’investigation
LE JUGE des enfants, une fois saisi, va devoir rendre une décision dont les conséquences peuvent avoir un très fort retentissement au sein des familles concernées. Il va décrire des incapacités, il va sanctionner des dysfonctionnements, il va envoyer des travailleurs sociaux pénétrer l’intimité des familles, il va séparer des enfants et leurs parents. Aussi, étant donné la gravité des décisions à prendre, qui toutes bouleversent profondément les intéressés, il est indispensable que le juge prenne de multiples précautions avant de statuer.
En effet, au-delà de quelques faits apparents pouvant dans un premier temps paraître aisés à expliquer, mais qui peuvent malgré tout être trompeurs, une réalité familiale est extrêmement complexe. Pour ne pas aller trop rapidement vers une décision inadaptée à la problématique, il faut impérativement, en début de dossier, avant la première décision au fond, à chaque fois que cela est possible, prendre son temps et utiliser tous les moyens nécessaires pour recueillir un maximum d’informations, solliciter plusieurs avis, confronter les opinions, faire appel aux spécialistes (psychologues, psychiatres, médecins, etc.). Il y a rarement investigation inutile et l’un des reproches majeurs que l’on peut faire à l’institution judiciaire est de statuer en la matière souvent trop hâtivement, au vu de quelques éléments écrits transmis en début de procédure mais non complétés par d’amples investigations.
Car même si les travailleurs sociaux du département envoient un rapport de signalement apparemment détaillé, il est parfois sinon toujours intéressant, étant donné la place importante de la subjectivité dans l’appréciation des situations, de solliciter des investigations complémentaires qui seront faites par des travailleurs sociaux qui ne connaissent pas la famille et donc conduiront a priori leurs recherches avec un moindre parti pris.
Les travailleurs sociaux sont parfois étonnés, voire choqués, que le juge ne se contente pas de leur appréciation initiale. Ils considèrent cela, à tort, comme un manque de confiance à leur égard, surtout lorsqu’ils ont envoyé au tribunal un document longuement argumenté. Il faut alors leur expliquer que ce n’est pas parce que le dossier contiendra d’autres avis que le leur y prendra une place secondaire et tenter de les convaincre que, s’agissant d’apprécier la façon dont évoluent des enfants et leur famille, l’absence de repères scientifiques identiquement admis par tous nécessite une grande prudence de la part du juge et, avant la prise de décision, la recherche d’avis multiples, la multiplicité, source apparente de complexité, étant surtout une garantie partielle mais réelle contre le risque d’erreur d’appréciation présent à chaque instant.
Le recours à des investigations approfondies est d’autant plus important en tout début de dossier que c’est en début de procédure que parents et mineurs constateront que le juge connaît bien ou connaît mal leur situation, qu’ils verront, et ils ont pour cela une subtile intuition, que le juge est ou non facile à manipuler selon qu’il sait apprécier ou non la véracité de leurs propos en fonction des informations dont il dispose déjà ; autrement dit, c’est en tout début de dossier que s’installe une relation de confiance ou de méfiance entre le juge et la famille, selon la réalité de la crédibilité du magistrat. C’est aussi lors de la première rencontre au tribunal que les premiers commentaires du juge à la famille, la première décision, vont avoir des conséquences pour toute la suite du dossier. Or pour mener son action, s’il veut mettre en place des mesures efficaces, le magistrat doit tout de suite paraître crédible, convaincant, et il ne peut l’être que s’il est complètement informé.
Il faut ajouter que, si les mesures d’investigation sont la plupart du temps utilisées en début de procédure, elles peuvent être tout autant ordonnées en même temps qu’une mesure de protection. Par exemple, le juge des enfants peut ordonner une mesure de consultation afin de disposer d’un avis supplémentaire à celui du service à qui des mineurs ont été confiés avant de statuer sur la demande de restitution des parents.
Le cadre juridique
Pour collecter les informations dont il a besoin, le juge des enfants dispose de moyens divers dont la liste est donnée par l’article 1183 du Code de procédure civile :
« Le juge peut, soit d’office, soit à la requête des parties ou du ministère public, ordonner toute mesure d’information concernant la personnalité et les conditions de vie du mineur et de ses parents, en particulier par le moyen d’une enquête sociale, d’examens médicaux, d’expertises psychiatriques et psychologiques ou d’une mesure d’investigation et d’orientation éducative. »
L’expression « en particulier » indique que la liste n’est pas limitative et que le juge peut recourir à d’autres moyens d’investigation. Citons, par exemple, les enquêtes demandées aux services de police ou de gendarmerie.
S’agissant de l’audition des membres de la famille, l’article 1184 prévoit :
« Les mesures provisoires [...], ainsi que les mesures d’information prévues à l’article 1183 du présent code, ne peuvent être prises, hors le cas d’urgence spécialement motivée, que s’il a été procédé à l’audition prescrite par l’article 1182 du père, de la mère, du tuteur, de la personne ou du représentant du service à qui l’enfant a été confié et du mineur capable de discernement. »
Le principe est donc clair : le juge des enfants a l’obligation de convoquer tous les intéressés, y compris les mineurs, avant d’ordonner une quelconque investigation. Notons que si le texte mentionne « l’audition » des intéressés, c’est comme à tous les stades de la procédure la convocation qui seule s’impose, ceux-ci étant ensuite libres de se présenter ou non devant le juge, leur absence n’étant alors pas un obstacle au prononcé d’une décision.
Le texte permet au juge de ne pas convoquer les intéressés en cas d’urgence. Mais si l’urgence peut parfois être constatée pour ce qui concerne les mesures de protection, elle ne se rencontre pas lorsqu’il s’agit d’ordonner une mesure d’investigation, ou de façon vraiment très exceptionnelle.
En début de dossier, si le magistrat peut ordonner une investigation avant de se prononcer quant à l’existence d’un danger, c’est par hypothèse qu’il n’y a aucune urgence à ordonner une mesure éducative. Par la suite, en cours d’exercice de mesure éducative, il n’est jamais impossible d’organiser une audience avant de prononcer une nouvelle investigation.
Enfin si en cours de dossier une mesure éducative est prononcée en urgence (ce ne peut être qu’un mineur confié à un tiers), rien n’empêche le juge d’attendre la rencontre avec les parents, qui suivra à bref délai, pour ordonner une investigation devenue indispensable du fait des nouveaux éléments.
En plus, il faut bien avoir en tête ici que si l’article 1188 impose de convoquer parents et mineurs 8 jours au moins avant l’audience, ceux-ci peuvent être entendus dans un délai plus court s’ils renoncent expressément à ce délai de huit jours.
Il a été jugé qu'un mineur de 7 ans n'est pas en état d'exprimer un point de vue avec discernement et dès lors qu'il n'y avait pas à procéder à son audition . Il en a été de même pour un enfant de 6 ans , de 5 ans , de 4 ans . Il a été jugé, implicitement mais de façon plus que discutable, que des mineurs âgés de 5, 6 et 9 ans peuvent être dotés du discernement suffisant .
LES DIFFERENTES MESURES
Les auditions
Si les mesures d’investigation sont la plupart du temps confiées à des professionnels, il peut parfois être utile, avant l’audience de jugement, d’entendre des personnes physiques, dans et hors de la famille.
L’ audition des parents et des mineurs
Pour construire son dossier et récolter un maximum d’informations avant d’organiser le débat susceptible d’aboutir à une décision judiciaire sur le fond, le juge des enfants peut à titre de mesure d’investigation procéder à l’audition des membres de la famille concernée, parents et mineurs.
Même si l’article 1182 ne le mentionne pas, cette possibilité ne fait aucun doute puisque comme indiqué plus haut la liste n’est pas limitative. Toutefois, elle est peu utilisée en pratique, les intéressés étant la plupart du temps, sauf en tout début de dossier (cf. chap. 1), convoqués uniquement à l’audience de jugement.
Il n’existe aucun critère légal, cette faculté est laissée à la libre appréciation du magistrat.
L’audition d’autres personnes
L’article 1182 comporte cet autre alinéa :
« Il [le juge] entend toute personne dont l’audition lui paraît utile. »
Ce texte permet au magistrat de convoquer et d’entendre toutes les personnes susceptibles de lui apporter des informations utiles sur la situation de la famille concernée. Il peut s’agir de particuliers, tels des membres de la famille élargie, des personnes de l’entourage, ou des professionnels.
L’ enquête sociale
L’enquête sociale est le moyen d’investigation le plus fréquemment utilisé. C’est dans l’article 373-2-12 du Code civil, relatif au divorce, que l’on en trouve une définition qui correspond, mais pour partie seulement, à ce que l’on attend d’une telle investigation en assistance éducative :
« Celle-ci a pour but de recueillir des renseignements sur la situation de la famille et les conditions dans lesquelles vivent et sont élevés les enfants. »
Cette définition peut tout autant être retenue pour les enquêtes ordonnées par le juge des enfants. C’est donc d’abord, mais pas seulement, la mission, donnée à un service spécialisé, de recueillir les informations le plus large possible sur une famille. À cette fin, l’enquêteur doit s’entretenir avec les parents, les mineurs, au domicile ou à l’extérieur pour éviter que ces derniers ne soient entendus en présence de leurs parents, et selon les nécessités avec les membres de la famille élargie, ainsi qu’avec les enseignants, les médecins, et toutes les personnes qui connaissent la famille et peuvent transmettre des informations intéressantes. L’enquête peut se conclure par une proposition argumentée d’intervention ou de non-intervention du tribunal pour enfants.
Mais une enquête sociale effectuée dans le domaine de la protection de l’enfance présente toutefois des particularités qu’il faut souligner avec force parce qu’elles ne sont pas assez prises en compte.
Lorsque dans une famille des dysfonctionnements apparaissent, les origines peuvent en être multiples, et ne se trouvent jamais uniquement au sein de cette famille. Les intéressés vivent dans un environnement géographique, économique, social et institutionnel particulier sur lequel ils ont peu ou pas d’impact. Les enfants passent autant de temps hors du domicile familial qu’à l’intérieur du fait des périodes de scolarisation et de loisirs, et y rencontrent d’autres enfants et adultes dont le comportement qui influence grandement le leur est souvent ignoré de leurs parents, soit autant de paramètres que ces derniers ne maîtrisent pas.
Considérer dès lors qu’en cas de dysfonctionnement familial une investigation doit être menée principalement à propos des parents et des mineurs, c’est passer à côté d’une grande partie de la problématique et, surtout, c’est par ricochet faire peser sur les épaules des intéressés des responsabilités qui, pour certaines, ne sont pas les leurs.
À titre d’exemple, en cas de difficultés d’apprentissage d’un enfant, il s’agit non seulement de s’interroger sur les comportements des parents et l’ambiance à la maison, mais autant sur le fonctionnement de l’école, les attitudes des enseignants avec l’enfant et avec ses parents, de rechercher quels réseaux d’aide existent sur le secteur, s’ils ont été mis à contribution, comment les possibilités de soutien ont été présentées à la famille, si celle-ci pouvait aisément les accepter financièrement et matériellement, si des solutions existantes n’ont pas été mises en œuvre et pourquoi, etc.
Et va-t-on apprécier de la même façon le désinvestissement scolaire dans une famille où pourtant les moyens sont disponibles pour un apprentissage de qualité, et dans celle au sein de laquelle, malgré les efforts et la bonne volonté des parents, les plus jeunes se démobilisent très tôt et se révoltent parce que leurs aînés, les uns après les autres, voient leurs demandes d’emploi ignorées au seul motif que leur nom, à consonance manifestement étrangère, entraîne un rejet implicite à toute demande d’emploi et même d’entretien d’embauche ?
Au-delà, chacun sait combien la situation économique d’une famille, l’endroit où elle vit, son origine sociale et géographique, au milieu d’autres facteurs extérieurs, influent sur sa capacité à évoluer avec aisance et de façon sécurisante pour les mineurs. D’innombrables rapports successifs ont mis en lumière les liens négatifs entre l’histoire et l’environnement des familles d’une part, et leur évolution d’autre part.
Or dans la plupart des cas, l’enquête sociale est complètement centrée sur la famille et sur l’environnement très proche, et le travailleur social ne va pas au-delà de quelques rencontres avec les tiers, toujours pour avoir un avis sur parents et enfants. Cela est extrêmement réducteur.
Le résultat est alors, malgré la bonne foi du rédacteur du rapport d’enquête, un compte rendu écrit partiel, silencieux sur une part importante de la problématique, non conforme à la réalité la plus profonde, et de ce fait très injuste pour les intéressés sur qui, inconsciemment, ont fait peser toutes les responsabilités.
L’enquête sociale doit donc aller bien au-delà du seul fonctionnement intra-familial. En protection de l’enfance cette vision de l’investigation est aujourd’hui totalement inadaptée à la réalité de l’environnement dans lequel une famille évolue, et qui a autant d’incidence que le comportement de ses membres. Cette enquête doit donc obligatoirement être élargie à tout ce qui a une conséquence directe ou indirecte sur l’évolution de la famille concernée.
* * *
Les enquêtes sont effectuées, selon les services, publics ou privés, par des éducateurs ou par des assistants sociaux. Elles sont toujours formalisées par une décision judiciaire, une ordonnance d’enquête, qui est notifiée à la famille (l’article 1190 du Code procédure civile qui concerne les règles de notification indique que ces règles s’appliquent à toute décision du juge).
La décision (une ordonnance) prévoyant une enquête sociale, rendue dorénavant après convocation des intéressés, doit être motivée, et cela bien que la famille ait été entendue, si du moins elle a répondu à la convocation du magistrat.
La motivation de la décision est en effet le moyen par lequel le juge attire éventuellement l’attention du service d’enquête, non présent à l’audience, sur tel ou tel aspect de la situation qu’il souhaite voir particulièrement étudié, parce qu’il estime qu’il y a sur ce point une source importante de danger.
C’est aussi à travers la motivation que la famille pourra commencer à réagir et pourra préparer ses arguments en réponse. Par exemple, s’il est indiqué que le signalement affirme qu’il y a alcoolisme, le parent concerné pourra avant de recevoir l’enquêteur chercher à obtenir de son médecin traitant un certificat concernant sa santé, ou faire procéder à une analyse de sang pour faire rejeter l’hypothèse d’un alcoolisme chronique.
Contre une décision ordonnant une enquête sociale, parce qu’il s’agit d’une mesure d’instruction au sens de l’article 150 du Code de procédure civile, il n’existe aucune possibilité ni d’appel ni de pourvoi en cassation , l’appréciation du bien-fondé d’une telle mesure n’étant donc pas contrôlée par cette dernière .
La Cour de cassation a précisé que le service éducatif désigné par le juge des enfants pour diligenter une mesure d’investigation est un « technicien » au sens du nouveau Code de procédure civile et qu’à ce titre il peut être « récusé » .
La Cour de cassation décide donc d’appliquer aux mesures d’investigation les règles civiles générales concernant les « mesures d’instruction exécutées par un technicien » prévues au nouveau Code de procédure civile (art. 232 et sqq.). C’est l’article 234 qui prévoit que « les techniciens peuvent être récusés pour les mêmes causes que les juges », et ce texte précise :
« La partie qui entend récuser le technicien doit le faire devant le juge qui l’a commis ou devant le juge chargé du contrôle avant le début des opérations ou dès la révélation de la cause de récusation. »
Les causes de récusation d’un juge, et donc d’un technicien, sont énumérées limitativement à l’article 341 du Code de procédure civile ; citons entre autres : intérêt personnel ou intérêt du conjoint dans le litige, lien de famille, procès, lien de subordination, ou amitié ou inimitié notoire avec une partie.
De fait, on imagine mal que l’une de ces causes de récusation soit admissible, étant donné dans la quasi-totalité des cas l’absence de tout lien personnel entre la famille concernée et le service éducatif désigné. Le fait qu’une précédente mesure aurait déjà été exercée par ce même service et aurait conclu à une mesure de protection refusée par la famille ne pourrait pas être considéré comme une inimitié.
L’enquête sociale est une pièce vraiment essentielle des dossiers judiciaires, notamment si c’est la première mesure ordonnée, avant toute décision au fond. Car c’est le rapport d’enquête, à côté du document de signalement, qui va orienter la première appréciation de la dynamique familiale par le juge des enfants et donc sa première décision. Il faut absolument que le magistrat dispose d’un maximum d’informations crédibles le jour de la première convocation de la famille. C’est aussi la qualité de la première rencontre, notamment à travers la précision des informations débattues, qui va conditionner la crédibilité des professionnels, par ricochet la confiance de la famille, et ensuite l’efficacité des interventions.
Le rapport d’enquête doit pour cela être complet, détaillé, argumenté. Il doit comprendre deux parties : l’une descriptive, contenant une énumération de faits, l’autre analytique, proposant une interprétation de ces faits et éventuellement une proposition de mesure judiciaire.
Les descriptions et affirmations doivent être étayées par des exemples concrets, des illustrations. Les propos des tiers (enseignants, médecins, etc.) doivent être fidèlement et minutieusement rapportés. Le juge des enfants doit veiller à ce qu’aucun point d’ombre ne subsiste dans le rapport, et ne pas hésiter à demander des éclaircissements par écrit sur une phrase ou un paragraphe mal rédigé, avant de recevoir la famille. L’insuffisance des précisions de détails qui soutiennent les affirmations générales est, comme pour tous les rapports écrits adressés au juge des enfants, une critique majeure que l’on peut formuler contre les rapports d’enquête sociale. Cette question du contenu des écrits sera réabordée ultérieurement plus à fond.
Procéder à une enquête sociale et rédiger le rapport est un exercice difficile, qui demande des capacités de recul, d’analyse et de retranscription.
Les examens médicaux, les expertises psychologiques et psychiatriques
Lorsque les enfants ou les parents présentent apparemment des troubles de la santé physique ou mentale que les travailleurs sociaux ou le juge n’ont pas compétence pour apprécier, le recours au spécialiste est indispensable. Il s’agit alors d’expertises judiciaires.
Auprès de chaque tribunal de grande instance, dont fait partie le tribunal pour enfants, travaillent de nombreux experts, sélectionnés pour leur compétence professionnelle, et qui sont répertoriés sur une liste officielle. La liste est régulièrement révisée et ceux qui ne donnent pas satisfaction peuvent en être rayés. Le juge des enfants peut donc désigner aisément un médecin généraliste ou spécialiste, un psychologue, un psychiatre ou pédopsychiatre, etc. Toutes les spécialités figurent sur la liste.
Si le juge veut connaître l’avis d’un expert, il le désigne par une ordonnance d’expertise, notifiée à la famille, après que celle-ci a été entendue. Une fois l’examen terminé, l’expert adresse au juge mandant un rapport écrit argumenté, versé au dossier, et qui peut être consulté à tout moment par l’avocat des intéressés. L’expertise peut concerner un mineur ou un parent.
Si l’examen concerne l’un des parents, celui-ci peut évidemment refuser de s’y soumettre, tout simplement en ne se rendant pas à la convocation de l’expert. Dans ce cas, le juge ne dispose d’aucun moyen de contrainte, la législation et autant le bon sens ne permettant pas que l’on oblige par la force physique un individu à se soumettre à un examen de sa personne. Mais le juge peut tout à fait, dans sa décision ultérieure, tenir compte de cette passivité et considérer, par exemple, que le refus par un parent de se soumettre à des vérifications indispensables concernant son état de santé fait obstacle à la restitution sollicitée de son enfant, faute de garanties suffisantes. Le parent doit donc être clairement avisé du risque que peut représenter pour lui le refus de se présenter à la convocation de l’expert. On retrouve ici pleinement l’utilité de la convocation obligatoire des intéressés avant la prise de décision.
S’il s’agit d’examiner un enfant qui demeure chez ses parents et que ceux-ci refusent de le conduire chez le spécialiste, le juge, à condition que l’examen soit indispensable avant la décision au fond et avant de motiver minutieusement sa décision, peut recourir à la mesure de retrait provisoire, cette mesure pouvant être motivée par la nécessité d’investigations. Dans ce cas, le mineur est confié pour quelques jours ou semaines à un service éducatif dont le responsable exécute la décision en conduisant le mineur chez l’expert. Cela est indispensable, par exemple lorsqu’il existe un doute sur l’existence d’une maladie non prise en compte par les parents et que ceux-ci s’opposent à toute consultation médicale. Là encore, un avertissement aux parents sur les conséquences de leur refus de conduire leur enfant chez l’expert est dans presque toutes les situations suffisant pour éviter le recours à cette extrémité.
La Cour de cassation a précisé que l’examen ordonné par le juge peut, en assistance éducative, se dérouler sans la présence des parents ni celle d’une personne mandatée par eux pour y assister .
Parfois, des spécialistes qui interviennent à titre privé, notamment les médecins généralistes, ou à titre public dans le cadre des services de prévention départementaux ou étatiques (Protection maternelle et infantile, centres médicaux psycho-pédagogiques, intersecteur de psychiatrie infanto-juvénile, services hospitaliers, etc.) acceptent de répondre à la demande d’information qui leur est adressée par le juge des enfants ou prennent eux-mêmes l’initiative d’adresser des informations au tribunal.
Une difficulté apparaît lorsque leurs écrits portent, comme cela a été vu, un cachet de type « confidentiel », « secret médical », ou bien lorsqu’il est écrit clairement par le rédacteur qu’il ne veut pas que les informations transmises soient communiquées à la famille, ou qu’au moins il ne souhaite pas que la famille connaisse son nom. Parfois le spécialiste téléphone au tribunal, demande au greffier ou au juge de prendre note des informations qu’il est prêt à transmettre mais demande que la famille ignore tout de sa démarche, par exemple pour, selon lui, ne pas se retrouver en situation délicate s’il doit continuer un travail thérapeutique avec un ou plusieurs membres de la famille.
Dans ce cas, la façon de procéder du juge est clairement conditionnée par les textes. Ce point, d’une grande importance, sera plus longuement abordé dans le chapitre relatif au déroulement de l’audience mais il faut préciser tout de suite que l’existence même d’une procédure judiciaire est par hypothèse inconciliable avec les notions de secret et de confidentialité. Tout document, toute information qui parvient au greffe du tribunal et qui concerne un dossier en cours doit obligatoirement, sans la moindre exception, être versé au dossier et peut être lu par la famille qui a maintenant accès à son dossier, directement ou par le biais de son avocat. Deux hypothèses se présentent alors :
- soit le spécialiste, informé du cadre juridique, renonce à transmettre les informations qu’il possède, puis le juge fait appel s’il y a lieu à un expert judiciaire qui recueillera et analysera les mêmes informations, ce qui peut éviter que le spécialiste soit en difficulté avec la famille ;
- soit le spécialiste, bien que sachant que l’intégralité du document qu’il adressera au tribunal et son origine seront connues de la famille, décide de faire cet envoi, estimant essentiel que la décision à venir protège efficacement l’enfant en cause.
Entre ces deux possibilités, il n’y a aucune place juridique pour un quelconque compromis. Il n’appartient pas aux juges de suggérer tel choix plutôt que tel autre, chaque professionnel qui intervient en marge d’une procédure judiciaire devant apprécier lui-même l’opportunité de s’associer officiellement à cette procédure.
L’investigation d’orientation éducative (IOE)
Avec cette mesure, exercée uniquement par la protection judiciaire de la jeunesse, le ministère de la Justice a souhaité dans les années 1990 proposer des « services d’investigation, constitués d’équipes pluridisciplinaires, capables de mettre en œuvre l’ensemble des techniques permettant d’apporter au magistrat les renseignements nécessaires à former sa décision ». Saisie d’une IOE, la PJJ diligente une enquête sociale, plus un examen médical, psychologique et psychiatrique.
Le décret de mars 2002 a entériné cette nouvelle dénomination qui apparaît maintenant officiellement dans le nouvel article 1183. Ces mesures sont exercées soit par la protection judiciaire de la jeunesse (la PJJ) soit par des services privés habilités.
Si la pluralité des approches est utile pour appréhender une problématique familiale sous ses différents aspects, il n’en reste pas moins qu’il est indispensable que le juge écrive précisément dans sa décision, après l’avoir expliqué oralement à l’audience, en quoi l’intervention d’un médecin, d’un psychologue ou d’un psychiatre est nécessaire au-delà d’une simple enquête sociale, tant la désignation de ces spécialistes est lourde de sens et parfois mal vécue car mal comprise par les intéressés. Pour les familles concernées, l’intervention des spécialistes, psychologue et psychiatre, est souvent beaucoup plus difficilement acceptée que celle d’éducateurs, parce qu’elle sous-entend qu’il pourrait y avoir chez eux des troubles graves, ce qui est une considérable remise en cause. Le recours aux spécialistes, s’il est d’une utilité essentielle dans certains dossiers qui ne peuvent pas être conduits sans leur indispensable avis, ne doit pas être pour cela systématique, contrairement à ce qui semble être voulu dans le cadre de cette nouvelle IOE.
La mesure judiciaire d'investigation éducative (MJIE)
Par un arrêté du 2 février 2011 , la direction de la PJJ du ministère de la justice a créé une nouvelle mesure d'investigation, qualifiée « mesure judiciaire d'investigation éducative » (MJIE).
Il y est précisé que : « La mesure judiciaire d'investigation éducative est destinée à fournir au magistrat des informations quant à la personnalité et aux conditions d'éducation et de vie du mineur et de ses parents. A ce titre, cette mesure est interdisciplinaire et modulable tant dans son contenu que dans sa durée, en fonction de son cadre d'exercice civil ou pénal, de la situation particulière du mineur et de la prescription du magistrat. », et que « La mesure judiciaire d'investigation éducative peut être mise en œuvre par les services du secteur public de la protection judiciaire de la jeunesse. Les services gérés par le secteur associatif peuvent être autorisés et habilités à mettre en œuvre cette mesure. ».
Sous ce nouvel intitulé il n'apparaît concrètement aucune investigation qui n'était pas déjà envisageable.
Ce qui a troublé les professionnels lors de la parution de cet arrêté, c'est que l'article 1183 du code de procédure civile qui prévoit l'IOE n'a pas été modifié. Les praticiens peuvent donc, en théorie, ordonner une IOE et/ou une MJIE. Cela d'autant plus que dans certains départements la PJJ accepte de financer certaines mesures et non les autres. Quand bien même, de fait, les IOE et les MJIE ont quasiment le même contenu.
Ceci est parfois difficile à comprendre....
Dans une circulaire datée du 31 décembre 2010 entrant en vigueur le 2 janvier 2011, il est écrit que l'objet de la MJIE est de « vérifier si les conditions d'une intervention judiciaire sont réunies et de proposer si nécessaire des réponses en termes de protection et d'éducation adaptées à la situation des intéressés ».
Or il s'agit là de l'objectif de toutes les investigations ordonnées en assistance éducative, soit par le biais d'une enquête sociale soit par le biais d'une IOE.
Il est également indiqué dans cette circulaire que les caractéristiques de la MJIE sont l'interdisciplinarité (recours selon les besoins à un cadre de direction, un éducateur, un psychologue, un assistant de service social, un médecin, un psychiatre, un conseiller d'orientation etc..), la modularité (intervention de plus ou moins de professionnels selon les situations, le périmètre de l'investigation étant défini par le juge des enfants).
Les autres investigations utiles
En complément de toutes ces investigations exécutées par des services travaillant habituellement pour l’autorité judiciaire, il est souvent utile si ce n’est indispensable d’interroger diverses administrations ou services publics, notamment ceux qui ont envoyé des courriers au tribunal pour enfants ou dont les propos sont rapportés dans les rapports d’investigation, ou qui sont susceptibles d’intervenir également auprès des familles en difficulté.
Comme cela a été indiqué plus haut à propos des enquêtes sociales, les investigations sont actuellement beaucoup trop centrées sur les familles. Pourtant leur évolution ne dépend pas que du comportement de chacun de leurs membres, mais aussi et parfois autant de l’attitude de tiers : services sociaux de prévention, services octroyant des aides financières, services responsables de l’attribution d’un logement, éducation nationale, services de santé etc. Ceux-ci ont parfois des obligations d’aider les familles qui n’ont pas été ou ont été très mal mises en œuvre, ou se montrent anormalement réticents, ou maladroits.
Or trop souvent il est fait état dans le dossier judiciaire d’une difficulté impliquant l’intervention d’un service tiers, mais sans que l’on sache très précisément ce que ce service aurait pu ou aurait dû faire, comment s’est établi le contact avec la famille, ce qui explique les décisions positives ou négatives prises. Autrement dit, la plupart du temps on ne peut pas mesurer la part de ces services dans l’évolution de la situation familiale, alors pourtant qu’il s’agit d’apprécier l’ampleur d’éventuelles défaillances internes susceptibles d’être minorées par celles de l’extérieur. Or la vision de la famille concernée ne sera pas du tout la même si elle a fait obstacle à une intervention positive de tiers, ou si ce sont ces tiers qui n’ont pas proposé ou mis en place tout ce qui était possible et qui relevait pourtant de leur mission.
Si l’on veut connaître aussi exactement que possible chaque situation, avec comme objectif de ne pas faire peser sur les seules épaules des membres d’une famille le poids d’une responsabilité pourtant parfois partagée, ce qui est profondément injuste et peut entraîner de compréhensibles réactions de révolte, il est indispensable de mener des investigations complémentaires vers ces services tiers.
Cela doit en partie être fait dans le cadre des investigations menées par les services désignés par le juge des enfants, notamment en cas d’enquête sociale. Mais cela peut être parfois délicat pour l’enquêteur qui peut aussi se voir opposer un refus de répondre.
C’est pourquoi il sera souvent indispensable que le juge des enfants interroge lui-même, officiellement, ces services tiers pour qu’ils expliquent leurs choix et leurs actes. Dans de tels cas le juge ne doit pas se contenter de réponses fuyantes et insister si le service interrogé cherche à éluder les questions par des réponses au contenu insignifiant.
Conclusion
Ce qui apparaissait fréquemment dans les dossiers, et qui était très regrettable, c’est que de nombreuses familles qui n’ont jamais été entendues par un juge des enfants, qui n’ont donc pas eu connaissance des documents adressés au tribunal, qui n’ont pas été en mesure de s’expliquer, de faire connaître leurs souhaits, trouvaient ensuite dans leur boîte aux lettres une décision qui n’explique rien, faute de motivation détaillée par le juge, et voyaient arriver des éducateurs qui interviendront pendant des mois, sans que jamais elles aient eu le sentiment, à un moment ou un autre, d’être associées à la procédure. Certains parents et mineurs ne rencontraient parfois le juge des enfants pour la première fois que de nombreux mois après l’ouverture de la procédure et après des mois d’interventions effectives chez eux sans jamais avoir été informés, avoir pu questionner ou argumenter.
Il s’agissait là, dès le début de la procédure, de violations graves de la législation, d’une réelle atteinte à la dignité des familles, à leurs droits fondamentaux, et celles-ci devaient ressentir de façon péjorative sinon humiliante une façon de procéder de l’institution judiciaire qui ne leur donne pas droit à la parole ni à l’explication.
La nouvelle procédure a mis un terme à ces pratiques en rendant obligatoire une rencontre famille-juge avant toute décision, même d’investigation.
Cette rencontre initiale va certainement non seulement permettre aux intéressés d’obtenir des explications précises sur les raisons d’être d’une mesure d’enquête, mais aussi sur le déroulement d’une procédure. Elle va donc modifier sur la durée l’ensemble de la relation entre parents, mineurs et professionnels.
Il s’agit là d’un important progrès. Malgré cela, subsiste le problème des dossiers trop souvent incomplets, ne présentant que des fragments d’éléments de l’histoire de la famille concernée.
Les investigations doivent être plus vastes, plus complètes, et notamment s’orienter beaucoup plus qu’avant vers l’environnement institutionnel de cette famille. Se concentrer sur le noyau familial est toujours très réducteur. Et cela conduit à une image déformée et injuste de la famille signalée.
CHAPITRE 3 :L’audience
LORSQUE LE juge estime qu’il dispose de suffisamment d’informations pour organiser une audience et prendre une décision au fond, il en fixe la date. Mais il doit d’abord décider quelles sont les personnes qu’il convoque. Certaines auditions sont obligatoires, d’autres ne sont que facultatives. Ensuite, il doit mener les débats puis, s’il estime possible de le faire sur le champ, annoncer oralement sa décision, dont les intéressés recevront ensuite une confirmation écrite.
L’audience est sans doute le moment essentiel de toute la procédure de protection judiciaire de l’enfance. Au-delà de l’appréciation du danger et de la nécessité d’une mesure d’assistance éducative, c’est la crédibilité des professionnels qui est en jeu, dont découle l’efficacité de leurs interventions. Or cette crédibilité dépend de la façon dont se déroule cette audience, c’est-à-dire des modalités d’accueil des intéressés, de la qualité des débats, du sérieux de la décision rendue et de la façon dont elle est explicitée. Chez tous les professionnels qui interviennent, cela impose une très grande rigueur et un niveau d’exigences élevé.
Le décret de mars 2002 a considérablement modifié les règles applicables en ce qui concerne, surtout, le caractère contradictoire du débat, en prévoyant un accès de la famille au dossier judiciaire avant l’audience. Mais, l’audience étant le moment essentiel de la procédure, il faut en analyser minutieusement tous les aspects.
Les personnes auditionnées
La règle est énoncée à l’article 1189 du Code de procédure civile, texte non modifié par le décret de mars 2002 :
« À l’audience, le juge entend le mineur, ses père et mère, tuteur ou personne ou représentant du service à qui l’enfant a été confié, ainsi que toute personne dont l’audition lui paraît utile. Il peut dispenser le mineur de se présenter ou ordonner qu’il se retire pendant tout ou partie des débats. Les conseils des parties sont entendus en leurs observations. L’affaire est instruite et jugée en chambre du conseil, après avis du ministère public. »
Il est nécessaire de reprendre la liste des personnes qui doivent ou peuvent être auditionnées, chaque cas suscitant une ou plusieurs difficultés à commenter.
Le mineur
La réflexion sur l’audition des mineurs doit permettre de répondre à trois questions : est-elle obligatoire ? est-elle opportune ? comment y procéder ?
Le cadre juridique
Le mineur est le premier cité par le texte. Faut-il y voir l’importance de son audition soulignée par le législateur ou un hasard de rédaction du texte ? En tout cas, le principe de son audition est affirmé sans ambiguïté. La législation française de l’assistance éducative est sur ce point conforme aux exigences de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant, adoptée par l’assemblée générale des Nations Unies le 20 novembre 1989 et entrée en vigueur en France le 2 septembre 1990 .
L’article 9 de la Convention indique que :
« Les États parties veillent à ce que l’enfant ne soit pas séparé de ses parents contre leur gré, à moins que les autorités compétentes ne décident, sous réserve de révision judiciaire et conformément aux lois et procédures applicables, que cette séparation est nécessaire dans l’intérêt supérieur de l’enfant. [...] Dans tous les cas prévus au paragraphe 1 du présent article, toutes les parties intéressées doivent avoir la possibilité de participer aux délibérations et de faire connaître leurs vues. »
L’article 12 de la Convention prévoit en des termes plus généraux que :
« Les États parties garantissent à l’enfant qui est capable de discernement le droit d’exprimer librement son opinion sur toute question l’intéressant, les opinions de l’enfant étant dûment prises en considération eu égard à son âge et à son degré de maturité. À cette fin, on donnera notamment à l’enfant la possibilité d’être entendu dans toute procédure judiciaire ou administrative l’intéressant, soit directement, soit par l’intermédiaire d’un représentant ou d’un organisme approprié, de façon compatible avec les règles de procédure de la législation nationale. »
Le discernement
En application de cette convention, il a été créé dans notre législation un article 388-1 du Code civil reprenant le principe d’une audition du mineur capable de discernement dans « toute procédure le concernant ». Mais les dispositions propres à l’assistance éducative existaient déjà (la loi actuelle date de 1970) et elles sont plus contraignantes. Cela s’explique par le fait que le mineur y est juridiquement partie à l’instance. Il peut saisir le juge des enfants, demander une mesure, contester les décisions rendues (appel et pourvoi en cassation). Étant partie, il doit nécessairement être entendu.
On remarquera que dans l’article 1189 il n’est pas indiqué que sont concernés les mineurs « capables de discernement ». Il s’agit sans doute d’un oubli lors de la rédaction du décret de mars 2002, la règle posée par ce texte n’ayant pas été modifiée, mais cela n’a pas d’importance, le principe de l’absence d’obligation d’entendre les mineurs qui ne sont pas aptes à participer au débat étant acquis.
Il a déjà été mentionné plus haut les contours de la notion de discernement.
S'agissant de l'audience, la cour de cassation, dans un arrêt d'avril 2012 , alors qu'un parent contestait l'absence d'audition des enfants dans une procédure de divorce (mais les critères sont les mêmes en assistance éducative) a jugé :
« Attendu que la cour d'appel, après avoir exactement relevé que l'audition du mineur était subordonnée à sa capacité de discernement, a souverainement estimé, eu égard au contenu de leurs courriers annexés à celui de leur mère, que les enfants, âgés respectivement de 9 ans et demi et 6 ans et demi, ne disposaient pas du discernement nécessaire pour exprimer devant la cour leur sentiment sur l'opportunité de leur retour au Mexique ; que le moyen n'est pas fondé. »
L'absence de discernement peut apparaître à travers des propos variables et contradictoires d'un mineur. C'est ce qu'a jugé la cour de cassation dans un arrêt de novembre 2011 :
« Attendu qu'ayant relevé que, par l'intermédiaire de son administrateur ad hoc, Nicolas exprimait le souhait de rester placé, ce qui correspondait en outre à ses propres déclarations faites devant le juge des enfants, alors que, par l'intermédiaire de l'avocat choisi, qui est par ailleurs celui de son père, il demandait au contraire à aller vivre chez les époux Y..., la cour d'appel, constatant sur cet enfant très jeune l'existence de pressions le plaçant au centre de conflits d'intérêts ne lui laissant pas la possibilité de faire librement choix d'un avocat, a ainsi fait ressortir son absence de discernement. »
L'absence du mineur
L’article 1189 prévoit toutefois une possibilité d’absence du mineur à l’audience de jugement, puisque le juge des enfants peut « dispenser le mineur de se présenter ou ordonner qu’il se retire pendant tout ou partie de la suite des débats ». Cet article n’indique pas les cas concrets dans lesquels le juge des enfants peut décider que le mineur n’assistera pas aux débats. Le pouvoir discrétionnaire du magistrat est total.
C’est donc sans surprise que la Cour de cassation juge que « l’audition du mineur à l’audience n’étant que facultative, il ne peut être reproché à l’arrêt de ne comporter aucune mention à ce sujet ».
En conséquence, la décision rendue non seulement sans la présence du mineur aux débats et donc sans son audition, mais même sans sa convocation, est sur ce point inattaquable.
La Cour de cassation a par ailleurs précisé que, si le mineur a choisi un avocat pour le représenter ou l’assister, « l’absence à l’audience de l’avocat désigné pour assister le mineur est sans effet sur la régularité de la procédure », à condition bien sûr que l’avocat ait été avisé de la date de l’audience .
Il ne faut surtout pas se tromper sur le sens de ce texte. L’obligation d’entendre tout mineur en assistance éducative étant un principe fondamental, l’article 1189, qui n’a pas pour objet de réduire la portée de ce principe, permet uniquement au juge des enfants de choisir un autre moment que l’audience de jugement pour procéder à cette audition. Si le magistrat estime préférable que le mineur ne participe pas au débat avec tous les autres intéressés, parents et professionnels, il a l’obligation impérative de le convoquer antérieurement à une date de son choix.
Cette audition est rendue obligatoire par l’article 1182 qui prévoit que le juge « entend » le père, la mère, le tuteur, la personne ou le représentant du service à qui l’enfant a été confié et le mineur capable de discernement. Le verbe « entend » définit sans doute possible une démarche impérative. Le fait que cet article, qui définit les modalités procédurales en début de dossier, précise aussi que, lors de l’audience, le juge doit informer les intéressés des motifs de sa saisine ne doit pas être mal interprété. L’audition du mineur n’est pas obligatoire uniquement en tout début de procédure. Le mineur, comme tous les autres participants, doit surtout être entendu afin qu’il puisse donner son avis sur la décision au fond que le juge envisage de prendre, que ce soit la décision initiale après ouverture du dossier, ou la décision à l’échéance d’une mesure en cours. Dès lors, le mineur entendu à l’ouverture du dossier, par exemple avant la mise en œuvre de mesures d’investigation, sera obligatoirement entendu une autre fois, soit à l’audience avec les autres membres de la famille, soit quelques jours avant cette audience si le juge estime préférable de ne pas l’inviter à y assister.
Notons que cette audition du mineur est obligatoire même s’il s’agit d’une décision de non-lieu à assistance éducative . Bien sûr, si le mineur convoqué refuse de se présenter devant le magistrat, l’absence d’audition ne rend pas la procédure irrégulière .
Alors que l’ancien article 1183 mentionnait que le juge n’a plus l’obligation de procéder à l’audition d’un mineur lorsque « l’âge ou l’état de celui-ci » ne le permet pas, l’article 1182 issu du décret de 2002 retient la notion de discernement. Sous des termes différents, il s’agit du même critère, aujourd’hui unifié. La jurisprudence antérieure reste donc une référence.
Il a ainsi été jugé que peut ne pas être auditionné un mineur de 6 ans , de 7 ans , et de 8 ans , et qu’il en est de même pour un mineur dont « l’anxiété » a été relevée , ou dont « l’évolution psychologique est particulièrement perturbée ».
En tout cas, si le juge estime ne pas devoir entendre un mineur, ni à l’audience ni antérieurement, il doit obligatoirement motiver spécialement sa décision sur ce point, afin que les juridictions supérieures puissent vérifier l’existence d’un motif légitime à ce choix. Concrètement, le juge doit écrire en quoi, à cause de son âge ou de son état, le mineur concerné ne possède pas le discernement suffisant pour être entendu puisqu’il s’agit aujourd’hui du seul critère légal permettant au magistrat d’écarter cette audition.
Sous l’empire des textes antérieurs visant l’âge et l’état du mineur, la Cour de cassation, après avoir indiqué que l’absence d’audition du mineur et de motivation du juge entraîne la nullité de la décision rendue , a exercé un contrôle ferme des motivations de la décision judiciaire au regard des critères légaux , mais aussi estimé, à propos de très jeunes enfants, qu’il existait une présomption d’impossibilité d’audition par le juge même en l’absence de motivation en ce sens dans la décision contestée . Cette jurisprudence reste sans doute d’actualité.
Finalement, l’audition étant obligatoire sauf pour les très jeunes enfants, et ceux, de fait très peu nombreux, dont l’état fait obstacle à une rencontre avec le juge, la seule question qui se pose véritablement est celle de l’opportunité de faire participer les mineurs à l’audience de jugement. Car si le juge des enfants a la faculté d’écarter le mineur des débats, il a tout autant la possibilité de l’y associer. Il faut donc tenter de définir des critères de choix, selon ce qui est opportun.
L’opportunité
Il faut maintenant s’interroger sur l’opportunité de l’audition des mineurs à l’audience de jugement, pour rechercher dans quels cas il est préférable de l’écarter. De fait, l’expérience incite à affirmer sans hésitation que leur audition est non seulement utile, elle leur crée rarement de difficulté majeure, mais que c’est souvent en plus une des conditions indispensables pour que les mesures ordonnées soient réellement efficaces. Il est indispensable que la plupart des mineurs soient entendus le jour des débats au fond, et cela pour plusieurs raisons.
Tout d’abord, il est nécessaire qu’ils identifient et connaissent bien celui qui va prendre les décisions les plus importantes les concernant : le juge des enfants. Les mineurs les plus jeunes peuvent imaginer tout et n’importe quoi sur ce personnage qu’ils n’ont jamais rencontré avant l’ouverture de la procédure mais dont ils entendront parler constamment par leurs parents et les travailleurs sociaux. Or la méconnaissance du juge par le mineur permet aux autres de lui faire croire ce qu’ils veulent, sur ce qu’il est, sur sa façon de travailler, quitte à tronquer la réalité. La rencontre avec le juge met un visage sur un titre, dédramatise la fonction judiciaire, lui redonne sa dimension humaine. Elle permet plus largement au mineur de voir ce qu’est un tribunal, comment il fonctionne. C’est une sorte de leçon d’instruction civique.
Cette connaissance du juge et du fonctionnement de la juridiction aura pu être ébauchée s’il y a eu audition avant l’audience. Mais il faut rappeler que dans la pratique les juges des enfants, faute de temps suffisant et/ou de volonté de procéder ainsi, ne reçoivent pas souvent deux fois de suite les mineurs, une fois pour audition et une fois à l’audience de jugement. Et puis, même si un mineur a fait connaissance avec le juge des enfants lors d’une audition simple, il reste important qu’il constate par lui-même comment il agit le jour des débats. Le mineur qui n’a pas assisté à l’audience ne peut pas savoir si ce que disent ses parents est exact quand ils lui affirment, par exemple, que le juge n’a pas voulu les écouter, ou qu’il s’est comporté comme ceci ou comme cela.
Ensuite et plus important, la présence du mineur pendant les débats, et non lors d’une audition séparée, interdira aux adultes de lui mentir sur ce qui s’y est dit, de travestir la réalité de la discussion. Prenons un seul exemple simplifié. Si au cours d’une audience, des parents déclarent ne pas souhaiter le retour de leur enfant accueilli en foyer, ils pourront être tentés, parfois, de lui dire que c’est le juge qui a refusé son retour au domicile parental en passant sous silence leur réticence à ce retour, pour réduire leur malaise. Et le mineur n’aura peut-être pas la possibilité de lire la décision du juge, et même s’il la lit ses parents pourront continuer à affirmer que ce qui y est écrit n’est pas conforme à ce qui a été dit. Si tel est le cas, c’est tout le travail à venir des éducateurs, tout ce qui sera dit par la suite qui sera faussé et parasité par ce mensonge initial. Un mineur qui sait que ses parents ne veulent pas le reprendre vivra avec cette vérité, même si elle est douloureuse. Celui qui croit que les professionnels font obstacle au désir de ses parents de l’avoir auprès d’eux sera tenté de fuguer ou de s’opposer pour les rejoindre. Il est donc extrêmement important que les mineurs, pour leur équilibre personnel, sachent précisément ce qui est dit, qui a demandé quoi, qu’est ce que les autres ont répondu, et en l’entendant de leurs propres oreilles, sans intermédiaires susceptibles de transformer la réalité, volontairement ou non.
Également, la présence des mineurs est indispensable pour qu’ils puissent donner leur avis sur la mesure à prendre. Il est vraiment étonnant que des magistrats (ou des travailleurs sociaux mais c’est le juge qui décide de la façon de procéder) pensent qu’une décision peut être prise sans que l’un des principaux intéressés, le mineur, ait été en mesure de donner son opinion s’il a l’âge suffisant pour comprendre et s’exprimer.
Que les mineurs participent aux débats pour écouter, argumenter, contredire, contester, demander, est une nécessité d’une telle évidence qu’il semble inutile de l’argumenter. Comment le juge peut-il apprécier le danger encouru par un mineur s’il ne sait pas, de la bouche du mineur lui-même, ce qu’il supporte bien ou mal dans sa vie quotidienne ? Il est impossible d’apprécier la façon dont évoluent les mineurs sans qu’ils disent eux-mêmes, s’ils le souhaitent, dans quelle mesure leur mode de vie actuel est pénible, car derrière des faits identiques, les réactions des enfants, parfois au sein d’une même fratrie, sont souvent très diverses, certains étant plus forts, s’en sortant mieux, d’autres étant plus fragiles, plus rapidement en danger réel.
Et que peut bien penser ou ressentir un mineur dont on décide le départ de la maison familiale, qui, à aucun moment, n’a été autorisé à exprimer au juge ce qu’il ressent chez ses parents, à dire si lui souhaite en partir et qui, écarté de la procédure, peut légitimement en vouloir au magistrat qui l’a délibérément exclu du débat ?
Enfin et peut-être surtout, il faut que le mineur entende de la bouche du juge lui-même, sans intermédiaire, l’explication sur la décision prise, notamment s’il s’agit d’un éloignement. C’est là encore le seul moyen d’éviter que la réalité ne lui soit travestie et d’éviter qu’il n’imagine n’importe quoi sur les motifs de la décision. C’est seulement parce que le juge lui aura indiqué sans détour pourquoi il décide son départ que le mineur pourra, la plupart du temps, si la décision lui est sérieusement argumentée et clairement explicitée, l’accepter plus aisément, quelle que soit sa douleur, parfois, à l’annonce de cette décision. Il est extrêmement regrettable que des magistrats fassent partir des mineurs dans des services éducatifs d’accueil sans avoir jamais donné aux jeunes concernés la moindre explication directe sur le pourquoi de la décision, sur sa durée, sur la date de la première révision donc de la prochaine rencontre, sur le rythme des retours en famille durant les fins de semaine ou les vacances scolaires, sur les conditions d’un retour définitif en famille, et sans que ces mineurs aient pu poser toutes les questions ou faire connaître les inquiétudes qui les préoccupent. C’est au moment de l’audience que le juge peut dédramatiser, rassurer en donnant des garanties pour l’avenir, créer une relation de confiance avec le mineur qui fait que dans les mois suivants celui-ci n’hésitera pas à contacter le magistrat en cas de demande, de question ou de difficulté majeure.
Ne pas recevoir un mineur, ne pas l’écouter, ne rien lui expliquer, c’est directement l’inciter à l’opposition, à la révolte. Lorsqu’une décision de départ en service éducatif va devoir être prise, laisser l’enfant dans le doute le plus total, ne pas l’informer du calendrier des prochaines rencontres, le laisser dans l’ignorance de la durée de l’accueil, des raisons de cette durée, des conditions dans lesquelles une décision différente pourra être prise, c’est être à l’origine de futurs troubles du comportement chez certains suscités par la souffrance découlant de l’incertitude, qui ouvre la voie à tous les fantasmes, c’est inciter à la confrontation avec le personnel éducatif, c’est aussi parfois conduire à la fugue, seul moyen qui reste parfois à des mineurs pour se mettre à l’abri d’une pression intérieure devenue insupportable.
Pour toutes ces raisons, un grand nombre de mineurs doivent être auditionnés par le juge, et être présents au moins pendant une partie des débats et en tout cas au moment de l’annonce de la décision. Mais le principe, bien sûr, supporte certaines exceptions.
Il n’est pas question, pour des raisons qu’il est inutile de détailler, d’interroger des bébés ou des enfants âgés seulement de quelques mois ! À quel âge faut-il alors commencer les auditions ? Le bon sens et la pratique suggèrent de commencer à convoquer les mineurs qui sont capables de comprendre un raisonnement d’adultes expliqué simplement, soit dès l’âge d’environ six/sept ans. Le juge doit tenir compte des observations sur chaque enfant contenues dans les rapports sociaux écrits, les éducateurs précisant, par exemple, que tel enfant semble effrayé et opposé à l’idée d’aller au tribunal et qu’il est préférable de lui éviter cette épreuve, ou qu’un autre présente de tels troubles du comportement que les spécialistes souhaitent qu’aucun événement inhabituel ne vienne rompre un cycle de vie aux repères stables, ou au contraire que tel autre encore bien jeune est étonnamment intelligent et revendique sa présence lors de l’audience. Chaque juge doit apprécier au cas par cas si les inconvénients de l’audition l’emportent sur ses avantages, ce temps de l’audition ne devant surtout pas contrarier la stabilité des mineurs.
En pratique, il est finalement rare que la présence des mineurs âgés de plus de six/sept ans soit à écarter et l’expérience démontre que ce qu’elle apporte de positif, entre autres aux mineurs eux-mêmes, est sans commune mesure avec les inconvénients qu’elle peut générer. Ces inconvénients sont également fortement minorés si les travailleurs sociaux, en amont, informent le mineur qu’il va sans doute être entendu par le juge, lui expliquent la façon dont ça va se passer, et éventuellement l’aident à préparer ses questions et à présenter son opinion. S’ils sentent que le mineur aura du mal à s’exprimer oralement, ils peuvent lui proposer de préparer ses observations par écrit. Il n’est pas rare que des enfants à qui cela a été proposé avant l’audience arrivent le jour des débats avec quelques paragraphes rédigés par eux et qu’ils remettent alors au magistrat. Ils ont par cette autre voie le sentiment d’avoir pu exprimer leur opinion malgré leur timidité ou leur gêne.
En résumé, peuvent et doivent être entendus les mineurs en âge de comprendre des réflexions simples d’adultes et d’exprimer un avis, ce qui suggère de situer le seuil d’âge vers six ou sept ans, et il est souhaitable, sauf exceptions, même s’ils ont été entendus séparément lors de la phase d’instruction, qu’ils soient présents à l’audience pour entendre ce qui s’y dit et intervenir s’ils le souhaitent.
Notons pour finir sur cette question que 4si l’audition des mineurs très jeunes, et donc juridiquement non doués de discernement suffisant, n’est pas exigée par les textes, elle n’est pas forcément non plus inopportune en soi ou sans aucun intérêt. Simplement, libre au juge des enfants d’entendre ou non ces enfants. Certains magistrats peuvent en effet estimer important, a minima, de voir l’enfant et si cela est possible de parler un peu avec cet enfant faisant l’objet d’un signalement ou d’une mesure d’assistance éducative. C’est le principal intéressé, celui vers lequel l’attention de tous est dirigée. Il n’est donc pas exclu que le magistrat (celui qui va prendre une décision sur l’enfant) ait le souhait de le visualiser, tout comme l’enfant quel que soit son âge à ce même besoin de représentation. Sans compter qu’il arrive qu’un jeune enfant fasse au magistrat des révélations importantes touchant à son quotidien.
La façon de procéder
Les quelques réflexions qui suivent sont avant tout le résultat d’une longue pratique, sans préjugé théorique d’aucune sorte. Une fois le principe de l’audition définitivement admis, il reste au juge à choisir la façon de procéder. Plusieurs possibilités se présentent, entre lesquelles le choix ne doit pas être laissé au hasard. Le juge peut soit faire assister le mineur à l’intégralité de l’entretien, soit à une partie seulement des débats, soit l’entendre séparément, hors de la présence de ses parents.
Ceux qui tiennent longtemps les mineurs à l’écart du débat prétendent notamment que ce qui s’y dit est par hypothèse grave, le signalement d’une famille au tribunal supposant qu’il s’y déroule des incidents qui mettent les enfants en danger, et qu’il est préférable que l’enfant n’entende pas les adultes parler de violence, d’alcoolisme, de crise conjugale, de maladie mentale, de troubles du comportement, etc., sa présence lorsque ces sujets sont abordés pouvant le perturber inutilement.
Or il s’agit là en grande partie d’une vue de l’esprit. D’une part parce que les mineurs concernés vivent ces événements au quotidien et les connaissent, en détail, infiniment mieux que le juge, ce que l’on oublie trop souvent. Les phrases prononcées par le juge ou les travailleurs sociaux sont souvent très en deçà de la réalité quotidienne, par manque d’informations détaillées ou par pudeur ou gêne des professionnels, et incomparablement moins perturbantes que les faits eux-mêmes. Par exemple, dire devant un mineur que l’un de ses parents est alcoolique et ne contrôle pas toujours ses actes est certainement bien moins traumatisant pour lui qu’assister à la maison en pleine nuit à une scène de violences verbales ou physiques. D’autre part, l’expérience des auditions montre que, si l’on sait les mettre en confiance, les mineurs eux-mêmes racontent ce qui se passe chez eux, avec la plupart du temps moins de prudence verbale que le magistrat ou les éducateurs. À l’audience, il n’y a pour les mineurs ni surprise ni révélation fracassante traumatisante. Il n’y a que le reflet, souvent édulcoré, de ce qu’ils vivent tous les jours.
Ce n’est donc pas en général ce qu’ils risquent d’entendre qui justifie que les mineurs n’assistent pas au débat. Une limite toutefois doit être apportée. Il est inopportun que les mineurs soient présents lorsque le juge va aborder avec les parents, si c’est indispensable, des questions relatives à leur vie intime, les réponses n’ayant pas à être connues des enfants. Si de telles questions apparaissent, ce qui est rare car même à l’audience la vie la plus privée n’a pas forcément à être dévoilée au juge et aux éducateurs, le magistrat doit inviter le mineur à sortir provisoirement de son bureau, à condition de lui expliquer clairement qu’il n’a pas à tout savoir de la vie de ses parents et que ce qui sera dit pendant son absence ne le concernera pas en premier lieu. Les mineurs le comprennent toujours très bien.
En tout cas, si les adultes et surtout le juge des enfants estiment que les mineurs ne doivent pas assister à une part des débats, quelle que soit la raison (il peut y en avoir d’autres bien sûr) le plus important est de leur en expliquer les motifs, qui seront facilement acceptés s’ils sont logiques et convaincants.
En revanche, des enfants sachant qu’ils vont décrire des actes de leur père ou de leur mère ou donner leur avis sur la vie familiale peuvent souhaiter s’exprimer hors de la présence de leurs parents, faute de quoi ils n’arriveront pas à donner leur avis. Le juge ne doit pas hésiter, lorsque vient le moment de les solliciter, à leur proposer, en présence de tous, cette audition séparée. En général les mineurs savent dire ce qu’ils préfèrent. En cas de doute, le juge peut faire sortir les adultes pour vérifier si l’enfant n’a pas osé demander son audition séparée mais la souhaite.
Mais se pose alors une nouvelle question, délicate à trancher : faut-il restituer intégralement aux adultes ce qu’a dit l’enfant en leur absence, ce qui, techniquement, impose de s’interroger sur l’opportunité de noter sur la feuille d’audience ce qu’a déclaré le mineur (la feuille d’audience est le papier sur lequel est retranscrit en résumé tout ce qui se dit pendant les débats, ce document étant ensuite versé au dossier) ?
Faut-il au contraire, pour mettre l’enfant à l’aise et obtenir d’éventuelles informations jusque-là inconnues, lui garantir que ce qu’il dira restera connu du seul juge, et que donc il peut lui confier tous ses « secrets » ? Mais alors, dans l’affirmative, que répondre aux parents qui exigent ensuite de savoir ce qu’a dit leur fille ou leur fils ou qui sous-entendent que leur enfant a certainement dit ceci ou cela, quitte à prêcher le faux afin d’obtenir du juge une rectification et donc la restitution des propos de leur enfant ?
La réponse doit être logique, sans a priori idéologique. Il faut concilier la nécessité de favoriser l’expression du mineur, de connaître son avis, avec le droit des parents de savoir tout ce qui est dit en cours de procédure, en application de ce que l’on appelle la règle du contradictoire (cette notion sera réabordée plus loin). Le principe du débat contradictoire, imposé par l’article 16 du Code de procédure civile, interdit à tous les juges de tenir compte dans leur décision d’arguments ou de faits qui n’ont pas été portés à la connaissance de toutes les parties en présence pour qu’elles puissent en débattre et donner leur avis sur chacun d’eux.
Un seul moyen permet d’éviter le piège du secret, du non-dit ou du mensonge : poser la règle avant les auditions. Le juge doit clairement expliquer au mineur, juste avant de le questionner, que dans une procédure de justice il ne peut y avoir de secret parce que lui, le juge des enfants, a l’obligation légale d’assurer un vrai débat, d’organiser la confrontation des opinions pour que chacun puisse donner son avis sur ce que les autres ont dit, et enfin d’écrire dans son jugement les raisons de sa décision. En pratique, tous les mineurs comprennent parfaitement cette explication et l’acceptent sans réserves.
Si nécessaire, un autre argument suffit à les convaincre totalement et à interdire au juge d’accepter le secret, la confidence. Si le mineur, seul avec le juge, lui transmet une information apparemment d’importance sur un fait non connu du magistrat par ailleurs (acte de violence parentale par exemple) et qui est susceptible d’influencer la décision, le juge n’a aucune garantie de la véracité du propos du mineur, qui a peut-être habilement compris que la non-restitution de ses paroles lui permet de mentir sans risque que ses déclarations, qu’il sait mensongères, soient soumises à ses parents, qui aussitôt dénonceraient le stratagème et le mettraient en demeure de s’expliquer. Or il n’y a pas plus faux dicton que celui qui affirme que la vérité sort de la bouche des enfants, notamment lorsqu’ils approchent de l’adolescence !
Exemple
Éloïse a 8 ans. Ses parents sont en conflit. Son père, à l’occasion d’une audience, affirme qu’elle a été violentée sévèrement par sa mère lors d’un droit de visite. Il produit une photographie imprimée par ordinateur montrant le visage tuméfié de sa fille. Il demande donc en urgence le placement de son enfant à ses côtés pour la protéger. Éloïse est entendue seule. Elle confirme spontanément la violence de sa mère et donne des détails de la scène. Elle apparaît sincère. Pour autant, devant les éléments troublants rapportés, le juge des enfants rejettera la demande du père et ne prendra aucune décision touchant au lieu de vie d’Éloïse. Quelques jours plus tard, Éloïse écrira au juge des enfants pour dire qu’elle a menti. La photographie n’était qu’un montage fait par son père sur ordinateur.
Les mineurs comprennent toujours très bien que le juge doit vérifier si ce qu’ils disent est vrai. Ils se connaissent, ils savent ce dont ils sont capables à leur âge, et acceptent la méfiance du magistrat d’autant plus qu’ils savent que le juge est tout aussi prudent avec leurs parents et les travailleurs sociaux. Et puis, pour les convaincre encore plus, il suffit de leur demander ce qu’ils penseraient s’ils étaient informés que leurs parents parlent d’eux dans le bureau du juge sans jamais pouvoir savoir ce qui s’y dit… Une fois l’explication et l’avertissement donnés, c’est au mineur et à lui seul de choisir de dire ou de ne pas dire.
Le juge qui accepte le secret est totalement et définitivement piégé car il aura peut-être été remarquablement manipulé par le mineur, et il aura toujours à faire face au doute sur ce que le mineur lui a affirmé et à la défiance des parents qui se demanderont longtemps ce qui a été dit pendant leur absence par leur enfant. De plus, le juge qui voudra tenir compte des propos de l’enfant dans sa décision mais aura promis de ne pas en faire état sera dans une impasse au moment de la rédiger et devra choisir entre tronquer la réalité ou trahir sa promesse envers le mineur.
Mais surtout, si l’audition de l’enfant est suivie d’une décision de départ en service éducatif et que le jugement écrit est faiblement motivé, et notamment ne fait pas du tout référence aux propos du mineur entendu séparément, les parents pourront penser que ce sont essentiellement les dires de leur enfant qui ont entraîné la décision du magistrat plus que les rapports écrits versés au dossier ou les débats avec eux à l’audience, notamment si eux ont cherché à minorer les difficultés. Le mineur pourra alors avoir à supporter tout le poids du ressentiment de ses parents, s’ils n’acceptent pas cette décision dont ils l’accuseront, peut-être à tort, d’être responsable. C’est alors le juge qui sera directement à l’origine d’une souffrance supplémentaire de l’enfant.
Donc, même si la Cour de cassation considère qu’en assistance éducative, « aucune disposition légale n’impose de rapporter dans [la décision] les propos que l’enfant, qui a été entendu [...], a tenus à l’audience » c’est la clarté et le souhait d’écarter tout risque de malentendu ou de manipulation qui doivent guider la pratique des professionnels .
Lorsque les précautions nécessaires sont prises, lorsque les mineurs sentent qu’ils ont en face d’eux des adultes qui souhaitent vraiment connaître la réalité et leur avis, qu’ils sont clairement informés sur les raisons de la façon de procéder du juge, qu’ils ont acquis la certitude de ne pas risquer d’être trahis, ils s’expriment, ils s’expriment énormément, la plupart du temps de façon intelligente, raisonnée, pondérée. L’audition des mineurs, au-delà d’un acte technique, devient alors un temps véritablement éducatif, voire thérapeutique en ce sens que c’est le point de départ d’un travail éducatif balisé par des repères clairs et permanents. Cela n’est possible toutefois que si le cabinet du juge est un lieu où ils se sentent pleinement reconnus, où ils peuvent s’exprimer hors des conflits, en confiance, sans pression aucune, où ils sentent qu’ils ont une place entière, au même titre que tous les autres intéressés. Bien comprise, bien conduite, l’audition d’un mineur est toujours un moment fort. C’est souvent l’un des temps les plus émouvants de toute la procédure judiciaire.
Au-delà de toutes ces explications juridiques, le constat est malheureusement fait dans la pratique que d’innombrables décisions ne mentionnent sous aucune forme l’intervention des mineurs à l’audience et un résumé de leurs avis et demandes. Mais cela n’est qu’un aspect de l’inconsistance fréquente de la motivation des décisions d’assistance éducative, de façon générale (cf. chap. 6, « La décision »).
Le père et la mère
Le juge des enfants a l’obligation de convoquer les parents. Cette obligation impérative découle de l’emploi du verbe « entend » qui figure dans le premier alinéa de l’article 1189. Il s’agit sans discussion possible d’un impératif et le texte ne prévoit aucune exception d’aucune sorte. Il faut aborder deux questions essentielles : le principe de la convocation, puis ses modalités pratiques.
Le principe de la convocation
La rédaction du texte impose au juge de convoquer systématiquement les deux parents, si tous deux ont reconnu l’enfant, et sans qu’il puisse être tenu compte de l’intérêt passé ou présent porté à l’enfant par l’un ou l’autre de ses parents. Or, parfois, alors que les deux adresses sont connues ou pourraient aisément l’être (en interrogeant l’autre parent, des membres de la famille, l’employeur, en consultant l’annuaire téléphonique, etc.), n’est convoqué que le parent qui de fait s’occupe de l’enfant, notamment quand l’autre a pris ses distances depuis des mois ou des années, après divorce ou séparation de fait du couple parental. Or la non-audition des deux parents est à l’évidence une cause essentielle de nullité de la décision .
Et cette convocation est obligatoire quelle que soit la décision susceptible d’être prise, et même si le juge envisage de mettre fin à une mesure en cours avant son échéance, par exemple de donner mainlevée d’une mesure en milieu ouvert .
Par exception, il n’y a pas de sanction si l’absence d’audition de l’un des parents est la conséquence de l’absence d’adresse connue et vérifiée à la date d’envoi des convocations . La convocation doit toutefois obligatoirement être envoyée par le greffe à la dernière adresse connue même si selon les travailleurs sociaux les intéressés n’y demeurent plus. La procédure est tout aussi régulière si l’absence d’un parent résulte de son refus de comparaître .
Une cour d’appel a décidé à juste titre que l’incarcération d’un parent ne peut être considérée comme un obstacle à son audition. Le juge doit donc le faire extraire et conduire sous escorte à son cabinet pour l’interroger. Si le parent est emprisonné loin de la juridiction, le juge peut, pour éviter un transfèrement inopportun, le faire entendre par un juge des enfants du tribunal dans le ressort duquel se trouve la prison .
• Lorsqu’un parent pourtant avisé de la date de l’audience ne se présente pas, c’est au juge des enfants d’apprécier l’opportunité de le reconvoquer, soit en fonction de l’excuse avancée par lettre avant l’audience, soit en fonction des éléments éventuellement apportés à l’audience par les travailleurs sociaux convoqués en même temps (par exemple une réelle difficulté de déplacement de dernière minute telle qu’une grève des transports en commun, un accident, etc.). Ce choix dépendra bien sûr de la nécessité ou non de statuer à bref délai selon l’importance du danger estimé pour les mineurs concernés.
Parfois, lorsque les parents semblent ne pas vouloir vraiment se déplacer, sans raisons valables, il est efficace de leur faire remettre la deuxième convocation par la police ou la gendarmerie et de faire procéder en même temps à leur audition pour qu’ils s’expliquent sur les motifs de leur absence la première fois, s’ils n’ont envoyé aucune explication au tribunal pour enfants. Bien souvent les parents réticents, qui n’éprouvent aucune joie à être convoqués dans un commissariat ou une gendarmerie, font un effort supplémentaire pour se déplacer à la seconde convocation ! La gravité de certaines situations, l’importance essentielle de ce que va dire le juge des enfants quand il va annoncer et justifier sa décision, incitent à reconvoquer plutôt qu’à statuer sans débat avec les intéressés, ce qui minore beaucoup l’impact de l’intervention judiciaire. Mais à l’inverse les familles ne doivent pas avoir longtemps le sentiment qu’il suffit de ne pas répondre aux convocations du juge pour éviter les possibles interventions éducatives.
On peut toutefois considérer tout autant que le refus de se présenter est un choix de leur part, un geste qui a un sens, et qu’il faut l’accepter et le traiter comme un paramètre de l’action judiciaire et éducative. Chaque cas est un cas d’espèce.
La carence du juge qui ne recherche pas le domicile des deux parents et n’en convoque qu’un seul risque aussi d’avoir des conséquences directes sur l’évolution de la mesure éducative ordonnée et sur l’évolution du mineur.
- D’abord, n’ayant pas entendu l’un des deux parents (en réalité il s’agit presque toujours des pères), le juge s’interdit l’accès à des informations complémentaires. Or, dans la vie du mineur concerné, ce père a existé, et pourrait probablement fournir des informations intéressantes sur le passé familial, par exemple sur les raisons de la rupture de couple, qui peut-être éclaireraient des difficultés présentes.
- D’autre part, les contacts actuels entre père et enfant ne sont pas forcément totalement inexistants, contrairement à ce que le juge croit d’après ce que les autres membres de la famille affirment. Dans ce cas, s’il laisse le premier de côté, le juge va statuer à partir d’une appréciation faussée de la situation réelle, ce qui peut conduire à des décisions en tout ou partie inopportunes.
Également, le père est peut-être tenu à l’écart en partie contre son gré, et au regret du mineur qui peut ne pas savoir comment exprimer son souhait de rencontrer son père et comment contourner l’opposition de sa mère. La convocation au tribunal et la participation au débat des deux parents les remettent au moins symboliquement sur un pied d’égalité vis-à-vis de l’enfant et le père peut les ressentir comme un encouragement, le début d’une nouvelle étape dans la relation avec son enfant. Si par la suite le père continue de se maintenir à l’écart, le mineur aura constaté qu’aucun autre adulte ne s’est interposé et que la responsabilité de la distance vient bien de son père. Là encore la réalité est toujours moins déstabilisante que le doute ou le fantasme.
Il est arrivé bien des fois que la convocation d’un père resté quelque peu à l’écart bouleverse profondément la dynamique familiale.
• Aussi étonnant que cela puisse paraître, il faut préciser ce que recouvre la notion de « père et mère ». En effet, de nombreuses irrégularités procédurales sont aussi commises à ce stade des dossiers. Sont juridiquement père et mère dans une procédure d’assistance éducative, et doivent uniquement être convoqués, ceux qui ont un lien juridique de filiation préalablement établi avec l’enfant objet de l’intervention . Pour les connaître il faut se reporter à l’acte de naissance de chaque mineur, que le greffe doit systématiquement demander à la mairie du lieu de naissance et joindre au dossier, le juge devant faire savoir aux rédacteurs des rapports sociaux que la mention du lieu de naissance est pour cette raison indispensable.
Cela signifie que le juge n’a l’obligation de convoquer que les adultes dont le nom apparaît sur l’acte de naissance de l’enfant. A contrario, les autres adultes, parent prétendument biologique qui n’a pas reconnu le mineur, nouveau conjoint de l’un des parents, etc., ne peuvent être entendus que si le juge l’estime opportun et l’absence d’une telle audition n’est susceptible d’aucune sanction.
De fréquentes erreurs dans le traitement des dossiers découlent de la présence auprès de la même mère de pères différents, la mère ayant eu successivement plusieurs compagnons. Or si dans un signalement il est mentionné dans un unique rapport la présence de plusieurs enfants n’étant pas tous des mêmes parents, et notamment des mêmes pères, il faut impérativement procéder à l’ouverture d’autant de dossiers qu’il y a de couples parentaux différents afin que la situation juridique réelle de chaque mineur apparaisse clairement, que tous les couples parentaux soient entendus séparément, et que les décisions concernant certains des mineurs seulement ne soient pas notifiées à des adultes qui n’ont aucun lien de parenté avec eux. Il ne doit pas y avoir de notification à un homme de décision dans laquelle sont concernés des enfants qui ne sont pas les siens.
Ce découpage est également indispensable pour éviter une confusion en cas d’appel. Par exemple, si une femme a des enfants de trois hommes différents et qu’il est ouvert un seul dossier, si le premier de ces trois pères interjette appel du jugement, c’est tout le dossier qui va être transmis à la cour et toute la décision qui va être réexaminée, et donc seront appelés inutilement devant la cour les deux autres pères qui par hypothèse ont accepté la décision puisqu’eux n’ont pas interjeté appel.
Notons pour finir que pour mettre les juridictions supérieures et notamment la Cour de cassation en mesure de vérifier si un parent était bien présent à l’audience il doit en être fait état sur un procès-verbal ou un registre d’audience tenu par le greffier .
Dans un autre domaine, la Cour de cassation a jugé que la présence d’un parent à l’audience du juge des enfants ayant un caractère « impératif » au sens de certaines conventions collectives, l’employeur doit si tel est le cadre applicable rémunérer le parent-salarié pendant son temps d’absence .
Les modalités de la convocation
En application de l’article 1195 du Code de procédure civile :
« Les convocations […] sont faites par le greffe par lettre recommandée avec demande d’avis de réception et par lettre simple. Le juge peut, toutefois, décider qu’elles auront lieu par acte d’huissier de justice, le cas échéant, à la diligence du greffe, ou par la voie administrative. »
Le décret de mars 2002 a ajouté l’envoi de la lettre simple en double de la lettre recommandée. Ainsi même les familles qui ne vont pas chercher la lettre recommandée au bureau de poste ont un exemplaire de la convocation dans leur boîte aux lettres.
Ce texte permet donc de convoquer les intéressés selon plusieurs modalités différentes (lettres recommandées et simple, huissier, police ou gendarmerie). En pratique, parce qu’il est indispensable de savoir si le destinataire a bien reçu la convocation ou si pour une raison ou une autre qui peut ne pas être de son fait il n’en a pas eu connaissance avant de décider de statuer ou de le reconvoquer, il faut utiliser prioritairement la lettre recommandée doublée de la lettre simple.
Il est important de repérer sur la lettre non remise et retournée au tribunal pour enfants car non distribuée s’il est écrit « non réclamé » ou « n’habite pas à l’adresse indiquée » ou « pas de rue à ce nom ». Dans le deuxième cas, il faudra entamer de nouvelles recherches d’adresse. Dans le troisième, il faudra vérifier s’il s’agit d’une erreur de rédaction du greffier, ou d’une erreur de retranscription d’un travailleur social. Dans le premier cas, c’est le destinataire qui est fautif en refusant de recevoir sa convocation, et il ne peut pas ensuite se servir du prétexte de son absence de connaissance de la date d’audience pour contester la décision prise lors de celle-ci et à laquelle il a délibérément refusé de se présenter .
Si telle n’était pas la règle, il suffirait aux parents opposants de ne jamais aller chercher leurs lettres recommandées pour faire obstacle à l’instauration des mesures judiciaires de protection.
La Cour de cassation a également précisé que, même si le destinataire n’a pas reçu sa convocation pour un motif qui n’est pas de son fait, il peut être statué par le magistrat si l’accusé de réception est rentré au greffe, que celui-ci porte ou non la signature des parents, et même si c’est un autre membre de la famille ou un tiers qui l’a signé .
Une telle jurisprudence, qui peut sembler sévère pour le destinataire s’explique par la quasi-impossibilité qu’ont les juges de vérifier la réalité de la signature. On peut noter au passage que si un tiers récupère une lettre recommandée qui ne lui est pas destinée, il y a faute de la Poste. Encore faut-il que l’accusé de réception comporte bien une signature et non seulement le cachet de la poste même s’il démontre la remise de la lettre .
Par ailleurs, pour que la procédure soit régulière, il faut que la convocation à l’audience soit envoyée à l’adresse figurant dans le dernier document adressé par les intéressés . Cela signifie que le greffe doit être vigilant et bien tenir à jour les coordonnées domiciliaires de chaque membre de la famille.
Délai entre convocation et audience
Un délai minimal de huit jours doit être respecté entre la présentation de la convocation et l’audience, afin que les intéressés disposent d’un temps minimal pour s’y préparer (art. 1188 alinéa 2 du Code procédure civile).
Le non-respect de ce délai entraîne la nullité de la décision rendue .
La cour d'appel d'Aix en Provence, dans une décision du 1er juin 2012 , a rappelé avec vigeur, après avoir constaté qu'en prévision d'une audience un 26 mars 2012 le juge des enfants avait fait partir les convocations le 21 mars, que le courrier avait été présenté au père par la Poste le 26 mars et récupéré de fait le 29 mars, en même temps que l'avis à l'avocat avait été envoyé le 21 mars, que cette façon de procéder, contraire aux textes, « porte atteinte aux droits de la défense et au droit au procès équitable ».
Cela ne fait aucun doute.
Il n'empêche qu'il n'est pas juridiquement exclu qu'un parent, convoqué tardivement mais malgré tout présent devant le juge, indique renoncer expressément et en connaissance de cause au délai de huit jours. Mais le juge des enfants ne doit accepter une telle renonciation que s'il est absolument certain qu'elle n'est pas de nature à rendre plus difficile la participation de l'intéressé au débat.
Le tuteur
Une précision s’impose d’emblée, afin d’éviter une possible confusion. Le tuteur mentionné à l’article 1189 est le tuteur du mineur, non celui de l’un ou des deux parents. L’article 1181 concernant la compétence géographique du juge des enfants mentionne clairement le domicile du « tuteur du mineur ». Il y a donc eu, dans l’article 1189, oubli des mots « du mineur » par les rédacteurs ou sentiment d’évidence ne justifiant pas une précision de texte. Il ne s’agira donc ici que du tuteur du mineur. La question du rôle du tuteur du parent, dont l’audition n’est pas de celles qui sont obligatoires, sera abordée principalement dans le chapitre 15 « Les voies de recours ».
Lorsqu’une procédure de tutelle a été ouverte par le tribunal d’instance et un tuteur désigné pour le mineur, celui-ci doit être convoqué et entendu avant chaque décision. Le tuteur étant alors partie à la procédure, il dispose du droit de solliciter une décision initiale ou modificative et du droit d’interjeter appel. Si le tuteur est une personne physique, l’application de ce principe ne pose aucune difficulté.
Une question délicate est apparue en pratique et a dû être résolue : lorsque la tutelle d’un mineur a été confiée à l’État ou au conseil général, et est exercée par le service de l’Aide sociale à l’enfance, service à qui le juge des enfants confie habituellement des mineurs, la mesure de tutelle rend-elle inéluctablement inutile toute mesure d’assistance éducative ? Autrement dit, un mineur dont la tutelle est exercée par l’Aide sociale à l’enfance peut-il être encore considéré comme en danger et faire l’objet de mesures d’assistance éducative ?
Dans un arrêt en date du 3 décembre 1991, s’agissant d’une enfant qui avait été confiée par le juge des enfants à l’Aide sociale à l’enfance pour être accueillie dans un centre maternel nominativement désigné par le juge, puis ensuite avait fait l’objet d’une mesure de tutelle confiée au préfet avec faculté de délégation à l’Aide sociale à l’enfance, la Cour de cassation a répondu par l’affirmative .
La Cour de cassation a ainsi approuvé la cour d’appel qui avait refusé, contre la demande et l’avis du représentant de l’Aide sociale à l’enfance qui argumentait de la disparition du danger du fait même que l’enfant lui était confiée, de donner mainlevée des mesures d’assistance éducative précédemment énoncées.
En droit, cette jurisprudence est incontestable. L’article 375 du Code civil, qui fixe le critère de compétence, le danger, ne contient aucune limite relative à la personne qui exerce les prérogatives d’autorité parentale. De plus, quel que soit l’adulte qui exerce cette autorité, personne physique unique ou responsable d’un service privé ou public, rien ne permet d’exclure que des décisions contraires à l’intérêt de l’enfant soient prises ou au contraire que les mesures indispensables à sa bonne évolution ne soient pas mises en place. Un préfet, un président de conseil général, un directeur de service éducatif, peuvent comme tout autre individu se voir éventuellement reprocher une passivité nuisible ou un acte préjudiciable à un enfant.
Mais l’arrêt de la Cour de cassation n’est quand même pas exempt de critiques. En effet, pour que le juge des enfants soit ou reste compétent, il faut qu’il y ait à la fois des faits dangereux pour le mineur et carence du détenteur de l’autorité parentale à tel point qu’il devienne nécessaire d’imposer une intervention ou une orientation particulière pour le mineur (cf. chapitre 4, « Le critère de l’intervention du juge des enfants »). Or la Cour de cassation semble oublier ce second critère en ne reprochant pas à la cour d’appel de n’avoir pas recherché si les décisions prises ou envisagées par le président du conseil général étaient suffisantes pour faire obstacle au danger encouru par l’enfant. En l’espèce, si le responsable de l’ASE était d’accord pour que la mineure reste au foyer maternel, l’intervention du juge pour la lui confier ne se justifiait plus ni en droit, ni en fait.
En pratique, ce n’est que très exceptionnellement que le juge des enfants aura à intervenir après que la tutelle sur un mineur a été confiée à l’Aide sociale à l’enfance, et à condition de bien préciser au préalable où se situe la carence du service.
La personne ou le représentant du service à qui l’enfant a été confié
Cet intitulé est issu de la nouvelle rédaction des textes après le vote de la loi de juillet 1987 qui, entre autres dispositions, a supprimé la notion de « garde » pour la remplacer par celle d’exercice de l’autorité parentale, juridiquement plus claire. Auparavant, les textes mentionnaient l’audition des « père, mère, tuteur ou gardien ».
La nouvelle rédaction de ces articles, et notamment de l’article 1189 relatif aux personnes qui doivent être auditionnées le jour de l’audience, n’a pas supprimé l’interrogation ancienne : s’agit-il uniquement des personnes et services à qui des mineurs ont été confiés par décision de justice ou de tous ceux qui, de fait, hébergent les mineurs concernés, même sans qu’aucune décision ne soit intervenue ?
Dans une jurisprudence constante, la Cour de cassation a toujours affirmé que « la loi ne distingue pas entre le gardien de droit et de fait » et ce qui vaut pour la saisine du juge des enfants vaut de la même façon pour l’audience, la rédaction des articles 375 du Code civil et de l’article 1189 du Code de procédure civile étant similaire.
En conséquence, la notion d’enfant confié ne supposant pas a priori un statut juridique particulier, il est logique de conclure que la jurisprudence antérieure à 1987 est toujours applicable et que doivent être convoqué(e)s les personnes privées ou les services qui de fait hébergent les mineurs, même si cet accueil ne se fait que dans un cadre amiable. De telles situations ne sont pas rares, des signalements font état d’enfants accueillis par leurs grands-parents ou par d’autres membres de leur famille. Il est par contre peu fréquent que des services reçoivent des mineurs sans décision de justice.
Il s’agit la plupart du temps du service de l’ASE à qui les parents ont volontairement confié leur enfant dans le cadre de ce qui est souvent appelé « accueil provisoire » et ce en application des articles L. 222-4-2 et L. 222-5 du CASF. Il peut s’agir également du service de l’ASE qui a « recueilli provisoirement » un mineur sur le fondement de l’article L. 223-2 du CASF, parce qu’il y a eu urgence et que le représentant légal s’est trouvé dans l’impossibilité de donner son accord. L’enfant est recueilli provisoirement par le service qui en avise immédiatement le procureur de la République.
Toutefois, le juge ne doit convoquer que les personnes qui hébergent l’enfant depuis une durée relativement longue et en permanence. En cas de parents instables, il n’est évidemment pas question de convoquer tous ceux qui, ponctuellement, les ont remplacés et ont accueilli provisoirement leurs enfants.
La raison d’être de cette convocation obligatoire de tiers tient au fait que ceux qui déjà hébergent un mineur à la demande des parents sont susceptibles de demander qu’il leur reste confié si le juge des enfants envisage de décider que les parents sont provisoirement inaptes. Mais si ceux qui hébergent les mineurs ne sont pas convoqués sur le fondement de l’article 1189, ils peuvent toujours utiliser la procédure d’intervention volontaire décrite plus loin.
La convocation et l’audition de ces personnes autres que les parents ont pour conséquence juridique très importante qu’elles deviennent « partie à l’instance », ceci étant une notion juridique, et elles ont alors le droit d’interjeter appel de la décision prise, qui doit leur être notifiée. Par contre, si par la suite le juge confie le mineur à un service éducatif et que donc ces personnes ne l’hébergent plus, leur audition lors de la révision de situation à l’échéance du premier jugement n’est plus que facultative.
Lors des audiences organisées à l’échéance des mesures en cours, les services éducatifs à qui les mineurs sont confiés doivent de la même façon obligatoirement être convoqués, sur le fondement du même texte. C’est ce qui fait la différence avec les services d’action éducative en milieu ouvert, dont la convocation n’est juridiquement que facultative parce qu’ils ne sont pas cités à l’article 1189. Les services d’accueil ne disposent donc d’aucune liberté d’appréciation dans l’opportunité de se rendre à la convocation du juge des enfants. Elle s’impose à eux. Il a même été jugé qu’un mouvement de grève à l’intérieur d’un service de l’ASE ne décharge pas le service de l’obligation de comparaître, en tout cas que cela justifie le renvoi de l’affaire, indispensable pour qu’existe un véritable débat contradictoire (cf. plus loin) :
« La DAS de… a interjeté appel le 25 novembre 1991 d’un jugement rendu le 6 novembre 1991 (notifié le 8 novembre 1991) par le juge des enfants de…, qui a confié J. D. à l’Aide sociale à l’enfance de… ; Considérant que l’appel est régulier et recevable en la forme ; Considérant que la DAS demande que les mesures prises dans le jugement du 6 novembre 1991 prendront effet à compter du 17 octobre 1991 ou, à titre subsidiaire, à compter du 24 octobre 1991 ; Considérant que par jugement en date du 6 novembre 1991 le juge des enfants de… a confié le mineur J. D. à l’Aide sociale à l’enfance et ce avec exécution provisoire ; Considérant que la DAS fait valoir que J. D. lui a été confié à compter de juin 1986 ; que par jugement en date du 24 octobre 1989, le maintien de la mesure avait été ordonné et expirait donc le 24 octobre 1991 ; qu’un rapport de situation avait été préalablement déposé ; qu’en raison d’un mouvement de grève, les services de l’Aide sociale à l’enfance ne se sont pas présentés devant le juge des enfants le 17 octobre ; que le juge des enfants a renvoyé l’examen de l’affaire au 6 novembre alors que la mesure expirait le 24 octobre ; Considérant qu’il n’est pas contesté que le service de l’Aide sociale à l’enfance avait reçu convocation pour l’audience du 17 octobre et ne s’est pas présenté devant le juge des enfants ; que la cour n’a pas à se prononcer sur la légitimité de cette absence ; que le juge des enfants a estimé opportun d’entendre le service gardien avant de prendre sa décision ; qu’il ne saurait lui en être fait grief . »
Dans cette affaire deux arguments imposaient de conclure en ce sens :
- D’une part, il n’y a aucun débat réel si les éducateurs ne sont pas présents. En l’absence des professionnels, le juge des enfants ne peut que lire leur rapport écrit. Et si un parent demande pourquoi telle affirmation est énoncée, ou la conteste, il est impossible d’apprécier la valeur des arguments échangés faute d’explications complémentaires des rédacteurs du rapport et de débat contradictoire approfondi. Il est donc impossible de statuer. Or, quelles que soient les circonstances, il est absolument inadmissible de prolonger l’accueil d’un mineur hors de sa famille sans un débat préalable entre tous les intéressés. Et les familles ne peuvent pas accepter une justice expéditive.
- D’autre part, s’agissant d’un service éducatif, ici de l’Aide sociale à l’enfance, il n’arrive jamais que tous les professionnels du service soient en même temps en grève ou malades, ou en congés. Dans le cas étudié, il s’agissait d’une grève des travailleurs sociaux de terrain, en tout cas de certains d’entre eux. Or les responsables de circonscription et les inspecteurs de l’ASE n’étaient pas en grève. Ils auraient très bien pu se rendre à l’audience du tribunal, comme ils le font parfois. Il est fort possible que ce jour-là la consigne interne ait été donnée par la hiérarchie de ne pas contrecarrer la grève par le remplacement des grévistes dans leurs activités prévues ce jour-là. Mais la comparution dans une instance judiciaire est une priorité supérieure qui impose une telle présence.
Si des professionnels refusent de comparaître, quelles qu’en soient les raisons, le magistrat, qui ne doit jamais accepter de statuer après un simulacre de débat, doit renvoyer l’affaire, et les professionnels des services éducatifs assumer les éventuelles conséquences de ce retard, par exemple la possibilité pour des parents de reprendre leur enfant parce que l’échéance de la dernière décision est dépassée.
Les personnes dont l’audition paraît utile
Ce fragment de texte laisse au juge des enfants la possibilité de convoquer pour audition toutes les personnes qu’il pense susceptibles de lui fournir des informations utiles. Pour faire son choix, le juge doit concilier la nécessité de s’informer et le temps dont il dispose. En pratique, si le signalement adressé au tribunal ou le rapport d’enquête sociale ont été sérieusement rédigés, il sera rarement utile d’entendre les tiers qui ont déjà transmis leurs avis aux travailleurs sociaux.
Ceux qui sont soumis au secret professionnel, par exemple médical, peuvent parfaitement refuser de répondre aux questions du magistrat en ne se présentant pas, mais le juge ne prendra pas l’initiative de les convoquer, en tout cas pas sans leur accord préalable.
Les personnes qui sont convoquées à l’audience pour audition sur le fondement de ce fragment de phrase de l’article 1189, « toute personne dont l’audition paraît utile », à la différence des précédentes, ne deviennent pas automatiquement partie à la procédure. Il est certain que, si le juge des enfants veut par exemple entendre un enseignant, celui-ci ne recevra pas d’exemplaire du jugement rendu après l’audience et ne pourra pas le contester devant la cour d’appel. Il n’a pas d’intérêt personnel à la procédure.
On retrouve ici la possibilité offerte au juge civil d’entendre dans le cadre de ses investigations et à l’audience toutes les personnes dont l’audition peut lui permettre de mieux statuer (art. 181 du Code procédure civile). Mais il faut insister sur un point très important. Si l’une des personnes dont l’audition paraît utile au juge des enfants ne se contente pas de lui fournir des informations sur la situation de la famille mais lui présente à l’audience une requête, par exemple pour se voir confier le mineur en question, et si le juge ne conteste pas la recevabilité de cette requête, la personne devient alors juridiquement partie à la procédure. Le jugement doit alors répondre à sa demande, il doit lui être notifié, et elle peut en interjeter appel (cf. chap. 15) :
« Vu l’article 888-12 [aujourd’hui l’article 1191] du Code de procédure civile, ensemble l’article 546 du nouveau Code de procédure civile ; Attendu que le premier de ces textes qui détermine les personnes ayant toujours qualité pour faire appel en matière d’assistance éducative ne déroge pas au principe posé par le second d’après lequel le droit d’appel appartient à toute personne qui a été partie en première instance et qui y a intérêt ; Attendu, selon les énonciations des juges du fond, qu’à la suite du décès accidentel de madame P., mère naturelle de la jeune N. P., le juge des enfants a été saisi par le procureur de la République d’une procédure aux fins d’assistance éducative ; que J. P. oncle de la mineure, dame veuve P. sa grand-mère et G. M., son père naturel, ont présenté chacun une “requête” tendant à ce que la fillette leur soit judiciairement confiée ; qu’après avoir fait procéder à plusieurs enquêtes sociales le juge des enfants, qui n’a pas contesté la recevabilité d’aucune des requêtes qui lui étaient soumises, a décidé de confier la mineure à sa grand-mère ; que J. P. dont la prétention se trouvait ainsi écartée a relevé appel de cette décision ;
Attendu que, pour déclarer cet appel irrecevable, l’arrêt attaqué énonce que l’article 888-12 du Code de procédure civile “n’ouvre le droit d’interjeter appel” qu’aux personnes qui y sont énumérées et qu’il est constant que J. P. n’est ni gardien, ni tuteur de sa nièce ; qu’en se prononçant ainsi, alors que, d’après l’article 375-1 du Code civil, les décisions du juge des enfants sont toujours susceptibles d’appel, et que, devant ce magistrat, l’appelant avait eu la qualité de partie à la procédure, la cour d’appel, en le privant du double degré de juridiction, a violé les textes susvisés [...] . »
Dans cette affaire, le juge des enfants disposait d’un choix. Au départ il était saisi par le procureur de la République. L’oncle ne figurait donc pas parmi ceux dont la convocation est obligatoire. Après avoir ordonné une enquête sociale dans le but de connaître la situation familiale dans son ensemble, et pas spécialement pour apprécier la réponse à donner à l’oncle, le juge, s’il considérait déjà comme probable qu’il allait confier la mineure à la grand-mère, pouvait se contenter de convoquer le père (le père est de ceux dont la convocation est obligatoire), la grand-mère, et éventuellement la mineure, sans convoquer l’oncle. Celui-ci n’aurait pas pu alors être considéré comme une partie à l’instance. Mais en ordonnant une enquête sociale afin de connaître la capacité de l’oncle à accueillir la mineure, puis en le convoquant à l’audience, il a donné à sa demande le caractère juridique d’une « requête », avec inéluctablement les conséquences en droit soulignées par la Cour de cassation .
Au-delà des conséquences juridiques possibles de la présence d’un tiers, il reste à définir qui le juge des enfants a intérêt à entendre. Nous n’insisterons pas sur les personnes qui ont comme il vient d’être dit une demande à formuler.
Ce texte permet surtout au juge, en tout début de procédure, avant de prendre sa première décision, de convoquer le rédacteur du rapport, essentiellement le travailleur social de prévention du département qui connaît la famille, ou le représentant du groupe de travailleurs sociaux qui ont décidé de signaler. En théorie comme en pratique, une telle façon de procéder est controversée. Pourtant il semble absolument indispensable de procéder ainsi.
Pourquoi convoquer le travailleur social auteur du signalement ?
Cette convocation est indispensable pour plusieurs raisons qui s’additionnent. Entre le jour de la rédaction du rapport et celui de l’audience, il se sera la plupart du temps écoulé plusieurs semaines, voire un mois ou deux. Dans un tribunal pour enfants normalement chargé, un délai de deux mois entre la réception de la requête du procureur et l’audience est tout à fait habituel et raisonnable. Or, au cours de cette période, il a pu se passer bien des événements, connus par le travailleur social de terrain mais par hypothèse non rapportés dans son écrit. Si la famille n’en fait pas état ou ne vient pas, et si les travailleurs sociaux n’ont pas envoyé d’écrit complémentaire, ce qu’ils ne peuvent pas faire jour après jour à chaque nouvel incident, le juge les ignorera. Ces événements récents sont pourtant susceptibles de changer radicalement les conclusions du signalement et la décision du juge.
Parce que les services sociaux ne peuvent jamais jusqu’à la veille de l’audience envoyer des rapports complémentaires pour relater tout ce qui se passe et évolue dans une famille, seule la présence à l’audience d’un travailleur social qui a continué à suivre cette famille après le signalement peut permettre au juge d’être exactement informé de la situation au jour où il statue.
Même s’il fait plusieurs pages, un rapport n’est qu’un résumé de la vie complexe de toute une famille. Sauf à rédiger un véritable livre, le rédacteur doit simplifier, résumer. Il doit en quelques feuillets décrire parfois des années et de multiples incidents de la vie de parents et d’enfants. Or à l’audience, le juge a presque toujours besoin de précisions, de détails, que seul le rédacteur peut apporter. Lui seul peut compléter un paragraphe trop succinct, expliciter un mot ambigu ou une phrase peu claire. Lorsque l’on sait la gravité de ce qui est écrit et qui figure officiellement dans un document devenu pièce judiciaire, il est absolument indispensable que les allégations contenues dans le rapport écrit soient si nécessaire complétées, précisées et clarifiées à l’audience.
En application du principe du contradictoire (voir plus loin), le juge doit indiquer à la famille tout ce qui est écrit dans la procédure. Si le juge lit un paragraphe du rapport de signalement et que les parents affirment que ce qui est écrit est inexact, que peut-il faire de plus ? Soit il indique à la famille qu’il tient toujours pour exact ce qui est écrit et alors la famille peut penser qu’aux yeux du juge ses propos ont moins de valeur que ceux des travailleurs sociaux et qu’il est inutile qu’elle se présente à l’avenir puisqu’on ne tient pas compte de ce qu’elle dit, et elle aurait raison de raisonner ainsi. Soit le juge retient qu’il y a un doute et va, par exemple, demander des explications complémentaires écrites au service signalant mais avec le même risque de contestation à l’audience suivante. Ou il va demander des mesures d’investigation qui vont inutilement retarder la prise de décision de plusieurs semaines ou mois alors que le signalant aurait pu sur-le-champ apporter la repartie nécessaire. Aucune de ces solutions n’est acceptable.
Le seul moyen d’éviter ce jeu permanent de c’est-vrai/c’est-pas-vrai est d’assurer la présence du rédacteur à côté de la famille. Lorsque les parents ont auprès d’eux celui qui les connaît, la plupart du temps ils n’essaient même pas de leurrer le juge, car ils savent très bien que le travailleur social donnera certainement les éléments concrets, les détails, les arguments qui confirmeront souvent ce qu’il a écrit, notamment en ce qui concerne les constats objectifs. Et pour ne pas paraître menteurs devant le juge, ils ne contrediront pas les points sérieusement présentés et argumentés dans le signalement.
Parce que l’appréciation d’une problématique n’est pas une science exacte, parce que la subjectivité du professionnel qui intervient est toujours présente, dans une proportion variable de l’un à l’autre, un rapport de signalement n’est jamais le descriptif conforme de faits simples et aisément rapportables. Le risque d’erreur d’appréciation est permanent. L’écrit doit donc être nuancé par les débats à l’audience et cela impose la présence du rédacteur. Il n’est d’ailleurs pas rare que le travailleur social présent à l’audience relativise son écrit de sa propre initiative, en le nuançant, en lui apportant des inflexions.
En pratique, la présence du travailleur social dont le service est à l’origine du signalement modifie considérablement le contenu des débats, en interdisant d’emblée des contestations multiples et des discussions stériles. En présence de tous, le débat démarre immédiatement sur la réalité familiale et est à la fois plus vrai et plus efficace.
Les conséquences
Lorsque le travailleur social qui a rédigé le rapport de signalement, ou qui représente l’équipe pluridisciplinaire ayant apprécié la situation familiale, est présent, le débat va directement aux faits, est nuancé, la place du mensonge est réduite, le juge est plus complètement informé et statue en bien meilleure connaissance de cause.
Mais au-delà de l’aide à la décision considérable qu’apporte un débat minutieux et approfondi, cette présence a un sens symbolique qui va, dès la première rencontre famille/juge, poser le cadre de toute la procédure à venir, d’une façon qui va favoriser et l’intervention judiciaire et le travail éducatif.
Parce qu’il y a vrai débat, parce que la famille constate que le propos du travailleur social n’a pas a priori plus de poids que le sien, autrement dit parce qu’elle ressent qu’aux yeux du juge elle est d’égale valeur, parce que chacun peut librement donner son avis, contester les affirmations de l’autre, parce que chaque point abordé va être nuancé, parce que la décision ne sera prise qu’après confrontation des opinions, la famille va savoir, dès la première rencontre avec le juge, que l’institution judiciaire la respecte, que dans la procédure à venir elle aura une vraie place, une place entière, qu’elle sera écoutée chaque fois qu’elle le souhaitera. C’est notamment à cette condition que les parents et les mineurs seront en confiance, présents à toutes les convocations successives, qu’en cas d’incident ils n’hésiteront pas à écrire au juge, ce qui évitera souvent des comportements désordonnés, qu’ils respecteront les propos et les actes des professionnels, qui seront donc plus efficaces.
Sans exagérer, il est possible d’affirmer que c’est toute l’ambiance de la procédure judiciaire qui est conditionnée par la façon dont se déroule la première audience au tribunal. Seule la présence de tous les intéressés, pour les raisons qui viennent d’être explicitées, peut éviter que d’emblée la famille ne se sente malmenée, déconsidérée, voire parfois humiliée, et n’ait déjà plus envie, selon le terme souvent utilisé par les professionnels, de « collaborer » avec ceux qui la maltraitent, ce qui se comprend aisément.
Mais cette présence a aussi des conséquences indirectes. Sachant qu’ils vont certainement être convoqués, qu’ils vont être sollicités pour expliquer et justifier telle phrase ou tel mot, les rédacteurs des signalements sont plus prudents, plus nuancés dans leurs écrits. Eux-mêmes admettent que, lorsqu’ils savent qu’ils vont être convoqués, ils ne rédigent plus tout à fait de la même façon. Et l’on voit alors progressivement (mais pas encore suffisamment, loin s’en faut) disparaître des rapports des phrases caricaturales, des affirmations hâtives, des mots blessants qui n’avaient pas lieu d’être, le travailleur social sachant bien qu’il lui sera impossible de les justifier dans le bureau du juge. Cette question de la rédaction des rapports sera plus longuement abordée au chapitre 13 « Le contenu des écrits ».
Leur présence a aussi des conséquences sur leur travail en amont. Leur future convocation leur interdit de taire à la famille le prochain signalement et les oblige à faire connaître, au moins dans l’essentiel, le contenu aux parents. C’est le seul moyen pour que le travailleur social n’apparaisse pas comme un « traître » à l’audience si les parents découvrent seulement là que l’appréciation qui est donnée sur eux est beaucoup plus sévère que ce qui leur avait été indiqué avant.
Au-delà du cadre juridique indiscutable, l’expérience de nombreuses années de présence systématique à l’audience des rédacteurs des signalements (sauf cas rarissime de menace directe d’un adulte contre un travailleur social qui justifie que ce dernier ne soit pas mis en sa présence dans le bureau du juge), permet d’affirmer, sans la moindre réserve, que cela n’est en soi jamais générateur d’incidents liés à cette seule présence. Si un parent est d’un tempérament agressif, il le sera avant et après l’audience. Au contraire, pour la famille qui réagit vivement au signalement, découvrir et constater à l’audience qu’il ne s’agit pas d’une suite d’accusations assassines mais d’interrogations nuancées émises par des professionnels respectueux qui acceptent d’en discuter calmement est de nature à apaiser l’excitation de surface. Autrement dit, au-delà des réactions épidermiques passagères, les parents ne peuvent avoir du travailleur social présent et du service qu’il représente qu’une image positive après un débat clair, nuancé et non agressif.
Une précision doit être ajoutée. Les signalements en provenance des services départementaux sont de moins en moins l’œuvre d’un seul travailleur social. Il y a souvent avant la rédaction de l’écrit réunion de professionnels aux compétences complémentaires (assistant social, conseiller en économie, puéricultrice, médecin, psychologue, etc.) qui échangent tant sur l’opportunité que sur le contenu d’un signalement au procureur de la République. Dès lors, même si le nom du rédacteur principal figure sur le rapport, la convocation doit être adressée au service, afin que le travailleur social apparaisse officiellement à l’audience comme le porte-parole d’un groupe et non comme celui qui énonce un avis strictement personnel. C’est plus conforme à la réalité et c’est une protection pour lui. Cela laisse aussi le choix au service de déléguer qui il veut, ou plusieurs personnes comme cela arrive régulièrement, à condition bien sûr que la personne qui se présente connaisse parfaitement la situation.
Rappelons enfin que, si le service signalant, supposons ici l’ASE, non seulement expose ses inquiétudes concernant les enfants mineurs mais aussi demande au juge des enfants de lui confier les mineurs, ce service, comme il a été indiqué au paragraphe précédent, devient, si le juge des enfants reçoit sa requête et l’étudie, une partie à l’instance, avec tous les droits qui en découlent, et notamment la possibilité d’interjeter appel .
Le choix des professionnels à l’échéance de la mesure
Comme nous venons de le voir, un certain nombre de personnes doivent et peuvent être entendues par le magistrat sachant que la loi n’en fixe pas une liste exhaustive. Toutefois, la pratique montre malheureusement que, sous couvert de connaître la situation de l’enfant à un titre ou à un autre, beaucoup de professionnels ont tendance à « s’inviter » à l’audience, c’est-à-dire à y venir sans avoir personnellement reçu de convocation.
Le magistrat apprécie, bien entendu, s’il doit entendre ou non ces professionnels qui se présentent. Pour autant, mieux vaut poser des règles dès le départ aux services afin d’éviter de devoir, ce qui est toujours délicat le jour de l’audience, refuser l’accès à des personnes venues spécialement.
Ces règles, à notre sens, doivent être fixées de façon à garantir un équilibre des « forces » en présence. Donnons un exemple typique : Laurine, Pauline, Aline et Cécile sont confiées à l’Aide sociale à l’enfance. Le service gardien leur a désigné deux référents. L’une est prise en charge la semaine dans un institut médico-éducatif et le week-end par une famille d’accueil Les trois autres sont prises en charge par une maison d’enfants dépendant d’une association. Virginie, elle, est suivie dans le cadre d’une mesure d’action éducative en milieu ouvert exercée par un service éducatif habilité. Le juge des enfants organise une audience et convoque l’Aide sociale à l’enfance, service gardien, et le service habilité exerçant le suivi en milieu ouvert.
Il est fréquent dans ce genre de situations, à défaut de poser des règles, de voir spontanément se présenter :
- les deux éducateurs référents des enfants ;
- le directeur de l’institut médico-éducatif ou un éducateur de l’établissement ;
-l’éducateur de la maison d’enfants ;
-un stagiaire qui accompagne un éducateur ;
-l’éducateur de milieu ouvert.
Toutes ces personnes, qui n’ont pas toutes reçu de convocation, sont persuadées (souvent par habitude) d’avoir leur place à l’audience. Or, bien souvent, ces professionnels (qui mènent un travail de qualité au quotidien) n’ont que peu de choses à apporter à l’audience où le magistrat a besoin de synthétiser la situation familiale et d’organiser un débat contradictoire à partir des éléments qui lui sont fournis.
Dans l’exemple cité, il apparaît bien plus préférable de n’entendre, au maximum, qu’un représentant du service gardien (ici l’Aide sociale à l’enfance) qui doit, par sa fonction même, retranscrire au magistrat les renseignements les plus pertinents sur la situation de la famille (ce qui échappe par définition aux autres intervenants qui n’ont qu’une vision parcellaire de la famille) et, éventuellement, l’éducateur de milieu ouvert.
S’imagine-t-on personnellement parler librement devant un juge avec autour de soi ou derrière soi une kyrielle de professionnels de l’enfance comme on peut parfois le voir ?
Bien sûr que non. C’est pour cette raison que le magistrat doit veiller, même s’il a toute liberté pour choisir les personnes dont l’audition lui apparaît utile, à limiter la présence des professionnels.
Lorsque cette règle est expliquée dès le départ aux services, elle est comprise et rapidement admise. Peu importe que certains services (ex : une Maison d’Enfants) se plaignent de n’avoir pas assez de liens avec tel ou tel autre intervenant (ex : l’Aide sociale à l’enfance). Il appartient aux services concernés de mieux se coordonner, se réunir et échanger entre eux avant la rédaction du rapport de fin de mesure transmis au juge et donc avant l’audience. Le magistrat n’a pas à pallier cette carence ou difficulté lors de son audience.
L’ intervenant volontaire
Il s’agit là d’un point de droit particulièrement méconnu, ce qui est dommage en assistance éducative. En pratique, les juges des enfants n’entendent la plupart du temps que les personnes qui viennent d’être mentionnées dans les paragraphes précédents. En dehors des membres de la famille, de ceux à qui les mineurs sont confiés et des travailleurs sociaux, ils ont le libre choix d’entendre ou de refuser d’entendre ceux qui leur demandent à participer à la procédure. Ils décident de l’utilité de leur audition. Et il n’y a aucun recours contre un refus du juge des enfants de convoquer telle personne non désignée par les textes. Ce refus n’est d’ailleurs nullement formalisé dans le dossier.
C’est ici que se pose une question délicate, celle du choix des personnes que le juge convoque à l’audience en plus de celles dont la convocation est de droit obligatoire. En effet, les juges reçoivent de nombreux courriers de tiers, qui demandent des informations, donnent un avis, ou sollicitent quelque chose.
Pour prendre un exemple, il peut arriver qu’un oncle et une tante écrivent au tribunal pour enfants pour solliciter que leur neveu leur soit confié au titre de l’assistance éducative, et exposent leur demande par lettre simple et dans un langage ordinaire, pour simplement proposer leurs services, sans indiquer qu’il s’agit d’une requête officielle en application de l’article 375-3 du Code civil. Si à tort ou à raison le juge des enfants envisage de confier le mineur à l’Aide sociale à l’enfance et non à eux, et soit rend sa décision en ignorant le courrier des oncle et tante, soit leur répond par une simple lettre, sans jamais les recevoir, qu’il confie le mineur à l’Aide sociale à l’enfance et qu’ils pourront le rencontrer, ces oncle et tante ne sont pas présents le jour de l’audience. Ils n’auront donc pas, au sens strict, présenté de requête au juge lors d’une audience. Ils n’auront pas participé aux débats et la décision ne leur sera donc pas notifiée. Leur situation sera encore plus précaire si ce sont les parents ou le mineur qui se contentent de mentionner cette possibilité d’accueil devant le juge des enfants, sans aucune démarche personnelle directe des oncle et tante. Il a été ainsi classiquement statué, à propos de grands-parents qui n’avaient pas été présents à l’audience :
« Considérant que monsieur et madame F. ont interjeté appel d’un jugement rendu le 4 mars 1993 par le juge pour enfants de [...] qui a confié leur petit-fils C. à l’Aide sociale à l’enfance d’Ille-et-Vilaine, a autorisé la mère à rendre visite à son enfant et a suspendu le droit de visite du père ;
« Considérant que monsieur et madame F. n’étaient pas parties en première instance ; qu’ils n’avaient formulé à cette date aucune demande auprès du juge des enfants ; qu’ils ne sont ni gardiens ni titulaires de l’autorité parentale ; Considérant que leur appel est donc irrecevable [...]. »
Alors qu’à l’inverse, si le juge prend en compte leur démarche, les convoque, il statue entre autres sur leur demande, qui prend alors officiellement le caractère juridique de « requête ». La décision doit alors obligatoirement répondre à leur argumentaire, le rejet de leur demande doit être motivé, la décision doit leur être notifiée et ils peuvent directement en interjeter appel. Dans ce cas, la notification n’est même pas la condition d’octroi du droit d’appel, puisque l’erreur du greffe qui consisterait en l’absence de notification à l’une des personnes présentes à l’audience et dont la demande a pourtant été étudiée dans le jugement n’aurait pour effet que de différer le point de départ du délai d’appel, comme cela a été précisé s’agissant du tuteur d’un majeur sous protection à qui la décision n’a pas été notifiée.
On constate donc que c’est le juge, en choisissant de convoquer ou non à l’audience, qui va ouvrir ou fermer la porte à la participation d’autres personnes que les parents et les mineurs. C’est lui qui va ou non faire de ceux qui lui écrivent, sans avoir participé auparavant à une audience, une « partie à l’instance », ce qui automatiquement leur conférera les mêmes droits qu’aux parents.
On pourrait s’étonner de cette latitude extraordinaire laissée au juge des enfants et se demander s’il est acceptable qu’il fasse un véritable tri préalable, discrétionnaire et arbitraire, dans les demandes qui lui sont adressées. On pourrait envisager que le juge des enfants soit obligé de répondre à toutes les demandes, notamment celles des personnes qui demandent qu’un mineur leur soit confié, et donc de convoquer auparavant, à l’audience, tous ceux qui lui adressent une demande. Mais un tel système comporterait certainement plus d’inconvénients que d’avantages.
Il pourrait d’abord y avoir, contre leur gré, une atteinte trop forte à la vie privée des parents et des mineurs. Ceux-ci peuvent ne pas souhaiter du tout que telle personne extérieure assiste aux débats au cours desquels on va examiner leur intimité. Ensuite, faire intervenir d’autres membres de la famille peut attiser les conflits au lieu de les apaiser. Et puis, comme la liste de ceux qui peuvent revendiquer une décision leur confiant un mineur est quasiment illimitée en application de l’article 375-3 du Code civil, ce texte favorisant les membres de la famille, mais sans limite de parenté, et permettant aussi qu’un mineur soit confié à un « tiers digne de confiance », qui peut dès lors être n’importe qui, cela ouvrirait en théorie au moins la porte à une quantité excessive de requêtes peu fondées et parfois motivées par des intérêts moins louables que l’avenir d’un mineur.
Il n’en reste pas moins que le choix du juge des enfants peut a priori tenir à l’écart de la procédure un tiers qui pourtant pourrait positivement y participer. Toutefois sous certaines conditions, des tiers peuvent utiliser un autre moyen pour faire valoir leur avis, présenter leur demande, et cette fois-ci imposer au juge des enfants de les convoquer et d’en faire une partie à la procédure. Il s’agit de l’intervention volontaire.
L’intervention est « l’acte par lequel un tiers, c’est-à-dire une personne qui jusque-là n’était ni partie ni représentée à l’instance, devient désormais partie à la procédure avec toutes les conséquences qui s’attachent à cette qualité ; le tiers devenu partie à l’instance pourra faire valoir ses droits, il devra accomplir les actes de la procédure, et surtout l’autorité du jugement qui sera rendu pourra être invoquée par lui ou contre lui . » En effet l’article 66 du Code de procédure civile indique :
« Constitue une intervention la demande dont l’objet est de rendre un tiers partie au procès engagé entre les parties originaires. Lorsque la demande émane du tiers, l’intervention est volontaire. »
Les articles 328 à 330 du Code de procédure civile relatifs à l’intervention volontaire précisent :
« L’intervention volontaire est principale ou accessoire. » (Art. 328.)
« L’intervention est principale lorsqu’elle est une prétention au profit de celui qui la forme. Elle n’est recevable que si son auteur a le droit d’agir relativement à cette prétention. » (Art. 329.)
« L’intervention est accessoire lorsqu’elle appuie les prétentions d’une partie. » (Art. 320.)
Il s’est agi une fois encore d’apprécier l’applicabilité de ces textes généraux à l’assistance éducative.
Dans un arrêt en date du 6 juin 1990 , la Cour de cassation a explicitement admis cette applicabilité de l’intervention volontaire en assistance éducative :
« Attendu que pour déclarer irrecevable en son intervention volontaire principale l’association X. qui sollicitait la désignation d’un pédiatre afin d’examiner D. G., née le 4 juin 1979, qui venait d’être confiée provisoirement à la direction de la solidarité départementale de l’Yonne, la cour d’appel a énoncé que les textes relatifs à l’assistance éducative étaient dérogatoires au droit commun, que l’article 1189 du nouveau Code de procédure civile énumérait limitativement les personnes susceptibles d’être entendues lors des débats et qu’en l’espèce l’association X. ne justifiait d’aucune des qualités exigées des personnes visées par ce texte ;
Qu’en se déterminant par ces seuls motifs alors que le domaine d’application de l’article 329 du nouveau Code de procédure civile est distinct de celui de l’article 1189, la cour d’appel, qui ne s’est pas prononcée sur l’intérêt à intervenir et qui n’a pas recherché si les demandes de l’association tendaient aux mêmes fins que la demande originaire, n’a pas donné de base légale à sa décision [...]. »
Elle a été suivie en ce sens par d’autres juridictions .
Puisque la Cour de cassation reproche à la cour d’appel de n’avoir pas recherché si les critères de l’intervention volontaire étaient réunis, c’est bien qu’elle en admet le principe dans le domaine de l’assistance éducative. En précisant juridiquement que le domaine d’application de l’article 329 est distinct de celui de l’article 1189, elle indique clairement que les deux textes reçoivent application.
L’applicabilité à toutes les matières avait déjà été soutenue en doctrine :
« L’intervention volontaire est possible devant toutes les juridictions de l’ordre judiciaire statuant en matière civile, commerciale, sociale, rurale ou prud’homale, sans qu’il y ait lieu de distinguer entre les juridictions de droit commun et les juridictions d’exception. Cette solution est imposée par la place des articles 328 à 330 qui figurent dans le nouveau Code de procédure civile au titre des dispositions communes à toutes les juridictions . »
Encore faut-il, pour que l’intervention soit fondée, que le tiers ait une demande à formuler et un intérêt réel à se présenter à la procédure. Or un membre de la famille qui est susceptible de se voir confier un mineur en application de l’article 375-3 du Code civil a bien un intérêt à défendre, et sera donc obligatoirement autorisé à intervenir volontairement à la procédure d’assistance éducative. Encore faudra-t-il que son intervention ait pour objectif de défendre un de ses droits propres. Un cousin ou un grand-parent par exemple ne sera pas admis à intervenir pour soutenir qu’une mesure d’action éducative en milieu ouvert chez les parents concernés est ou n’est pas nécessaire, puisque l’existence ou l’absence d’AEMO chez eux n’a aucune conséquence personnelle pour lui.
Il suffira à celui qui veut intervenir de le faire savoir officiellement au juge, qui aura l’obligation de le convoquer à l’audience, à condition de prendre grand soin de préciser dans sa demande qu’il s’agit d’une intervention volontaire en application des articles précités du Code de procédure civile, et non d’une simple demande d’audition, faute de quoi sa demande ne sera que facultativement traitée par le juge des enfants. Après avoir examiné l’admissibilité juridique de l’intervention, le juge décidera de la participation à l’audience, de droit en cas d’admission de la requête. Au cours des débats l’intervenant exposera sa demande comme les autres présents.
Le jugement qui devra répondre à ses arguments lui sera obligatoirement notifié et il disposera des mêmes droits de recours que les parents, le mineur ou les services éducatifs (cf. chapitre 15).
Précisons pour finir que dans une récente et importante décision la Cour de cassation, revenant sur sa jurisprudence antérieure contrôlant si les conditions de l’intervention volontaire sont réunies, a décidé que dorénavant « l’appréciation de l’intérêt à agir de l’intervenant volontaire et du lien suffisant qui doit exister entre ses demandes et les prétentions originaires relève du pouvoir souverain des juges du fond ».
Le juge des enfants reste bien sûr tenu de motiver sa décision sur ce point.
L’AVIS DU PROCUREUR DE LA REPUBLIQUE
L’article 1187 du Code procédure civile est rédigé ainsi :
« L’instruction terminée, le dossier est transmis au procureur de la République qui le renvoie dans les quinze jours au juge, accompagné de son avis écrit sur la suite à donner ou de l’indication qu’il entend formuler cet avis à l’audience. »
En pratique, les cas de présence effective du substitut chargé des affaires de mineurs dans le bureau du juge des enfants sont rares. Cela ne signifie pas que ce magistrat ne s’y intéresse pas, mais comme son service comprend souvent le traitement d’autres affaires que celles des mineurs et qu’en plus il y a parfois plusieurs juges des enfants qui tiennent des audiences en même temps, il lui est impossible d’être partout à la fois. Aussi l’avis figure-t-il souvent sur un formulaire écrit, de façon laconique telle que : « s’en rapporte », « favorable à une AEMO », « le placement semble nécessaire », etc.
L’avis du procureur n’est pourtant pas secondaire. D’abord parce qu’il dispose du droit d’interjeter appel des décisions rendues par le juge des enfants et que l’utilisation de son droit dépendra de la suite donnée à son avis ; ensuite parce qu’il intervient, nous le verrons plus loin de façon essentielle lors de l’exécution du jugement, son rôle étant même prépondérant en cas d’incident. Enfin, le fait qu’un autre magistrat donne son avis et sollicite une mesure dépersonnalise l’action du juge des enfants, qui n’est plus tout à fait le seul interlocuteur de la famille.
Rappelons comme cela a été mentionné au chapitre « Les mesures d’investigation » qu’en principe il devrait y avoir après la réception de la requête du procureur de la République une première audition des intéressés avant la transmission du dossier de nouveau au procureur de la République, pour avis sur la mesure à prendre, puis une nouvelle convocation pour audience de jugement, mais qu’en raison des pratiques des parquets, qui bien souvent faute de temps ne donnent pas d’avis motivé, il est procédé en une seule fois à l’audition et au jugement s’il n’y a pas au préalable de mesure d’investigation ordonnée.
Le déroulement de l’audience
Les textes n’imposent pas une façon particulière de mener une audience. Il suffit de procéder à toutes les auditions obligatoires pour respecter les textes. Toutefois, là encore, la façon de procéder du juge va être autant de messages à l’égard de toutes les personnes présentes. Aussi est-il nécessaire de mettre en garde contre de possibles sources de difficultés et de faire certaines observations sur le déroulement d’une audience.
L’ordre des auditions
Le juge a le choix entre recevoir les intéressés ensemble ou successivement. Cela a déjà été souligné, si les questions abordées concernent la vie intime d’un adulte, il peut ne pas être opportun d’en débattre avec lui en présence des autres adultes ou des enfants. Mais cela est rare.
En règle générale, l’audition en même temps de tous les intéressés est le seul moyen d’avoir une vision aussi complète que possible de la réalité familiale et surtout de favoriser la contradiction, condition pour bien comprendre les enjeux et réduire la part du mensonge. De plus, la façon de se comporter des parents et des enfants, les uns vis-à-vis des autres, est une source précieuse d’informations, parfois plus apparentes que des écrits laconiques. C’est une chose que de lire que telles personnes ne s’entendent pas ; c’en est une autre que d’entendre le vocabulaire qu’elles utilisent quand elles sont ensemble !
S’il reçoit en même temps plusieurs personnes, le juge doit user de son autorité pour conduire les débats sans prise de parole intempestive, sans interruptions permanentes, en assurant chacun qu’il aura tout loisir de s’exprimer quand son tour viendra. Un peu d’expérience et de caractère suffit pour ne pas se laisser déborder sans réduire l’envie de s’exprimer des présents.
Dans certains cas, il est plus utile d’interroger en premier les travailleurs sociaux, et de donner ensuite la parole à la famille. Cela permet de centrer tout de suite le débat sur l’essentiel. Les parents, impressionnés ou inquiets, interviennent souvent à tort et à travers, ne savent pas bien par quoi commencer. Il leur faut un temps pour se décontracter, réfléchir à ce qu’ils vont dire. Le temps de parole des travailleurs sociaux peut leur permettre aussi cela.
Mais il faut que le juge impose un exposé clair et détaillé des inquiétudes du service signaleur. L’apport de précisions indiscutables dès le début de l’entretien permet d’éviter que le débat ne s’enlise dans des approximations successives qui ne permettent pas de statuer finement. Le juge a un rôle essentiel pour imposer que les points importants soient abordés les uns après les autres, à fond, des familles étant parfois très habiles pour détourner la conversation dès qu’elle devient dangereuse pour elles.
Faire entrer les travailleurs sociaux avant la famille qui reste dans la salle d’attente quelques minutes de plus est à exclure formellement. D’abord parce que c’est une perte de temps. Il est inutile que les professionnels disent une première fois ce qu’ils pensent au juge pour recommencer à l’identique en présence de la famille. Ensuite et surtout parce que la famille doit probablement penser qu’elle est momentanément exclue du débat, car si elle constate que le juge discute sans elle avec les travailleurs sociaux, elle va penser qu’il y a des choses dites qu’on ne veut pas qu’elle entende, sinon cette audition séparée des éducateurs n’aurait aucun sens.
Si telle est sa première impression, c’est avant même son entrée dans le bureau du juge la qualité de toute la procédure qui est atteinte du fait de la compréhensible méfiance de la famille dès la première convocation. On pourra alors l’entendre dire : « De toute façon vous vous êtes déjà arrangés sans nous, il ne sert à rien qu’on dise ce qu’on pense. » Ce genre de propos, sauf s’il ne repose sur rien de réel, est un constat d’échec de la façon de conduire les débats. Et pour la suite de la procédure, on peut très bien comprendre qu’une famille qui a eu l’impression d’être partiellement exclue du débat fondamental au tribunal ne se présente pas à la seconde audience afin de ne pas ressentir une fois encore ce qui ressemble à une vexation ou une humiliation.
De surcroît, cette audition séparée des travailleurs sociaux, en termes juridiques, signifie que la règle du contradictoire est probablement violée. Il est nécessaire de s’arrêter sur ce point fondamental.
Le respect du contradictoire
« Dominées jusque dans la production de leur propre image, les classes populaires ne parlent pas ; elles sont parlées . »
La question abordée ici est la plus importante de toutes. C’est celle qui est au cœur du débat, celle qui crée véritablement l’état d’esprit de toute la procédure judiciaire et doit servir de référence à chaque instant. Elle a donné lieu a d’intenses débats au cours des dernières années, et est à l’origine de l’évolution de la procédure française d’assistance éducative.
On a trop souvent oublié, dans les tribunaux pour enfants et les services éducatifs, que si l’on a fait de la protection de l’enfance une procédure de justice, ce n’est pas par hasard, c’est pour la différencier des procédures administratives.
Dans tous les domaines où il est permis de porter atteinte aux libertés individuelles essentielles, le législateur a fixé des règles précises et strictes pour permettre à la fois de sanctionner des comportements critiquables tout en garantissant aux personnes qui comparaissent devant un tribunal le respect de leurs droits fondamentaux.
Et lorsqu’une procédure judiciaire est engagée, le droit le plus important, c’est celui de pouvoir savoir exactement ce qui est dit contre soi afin de pouvoir, et c’est le second droit de même nature, se défendre efficacement. Quelqu’un qui ne sait pas ce qu’on lui reproche est dans une situation vouée à l’échec.
Le principe juridique fondamental
C’est bien pour cela que le Code de procédure civile énonce des principes fondamentaux indiscutables et qui ne supportent d’exception que figurant dans d’autres textes particuliers. Ces principes doivent être parfaitement connus de tous.
Article 7 : « Le juge ne peut fonder sa décision sur des faits qui ne sont pas dans le débat [...]. »
Article 14 : « Nulle partie ne peut être jugée sans avoir été entendue ou appelée. »
Article 16 : « Le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction. Il ne peut retenir dans sa décision les moyens, les explications et les documents invoqués ou produits par les parties que si celles-ci ont été à même d’en débattre contradictoirement [...]. »
Article 455 : « Le jugement doit exposer succinctement les prétentions respectives des parties et leurs moyens, il doit être motivé. »
La législation fondamentale est donc limpide et ne supporte aucun bémol : les intéressés qui font l’objet d’un dossier judiciaire doivent avoir connaissance, de la première à la dernière ligne, de l’intégralité des pièces écrites figurant dans ce dossier, et qui doivent toutes être contradictoirement débattues, faute de quoi elles ne peuvent pas être reprises par le juge dans sa décision.
S’ajoutait à ces textes généraux applicables à toutes les matières du droit civil l’ancien article 1187 du Code procédure civile, propre à l’assistance éducative et qui, dans son second alinéa, indiquait :
« Le dossier peut être consulté au secrétariat du greffe par le conseil du mineur et celui de ses père, mère, tuteur ou personnes ou service à qui l’enfant a été confié, jusqu’à la veille de l’audience. »
La difficulté apparaissait immédiatement. Si les intéressés ont un avocat, le principe sera respecté puisque c’est leur conseil qui se déplacera au secrétariat du tribunal pour lire le dossier dans sa totalité, sans contrôle de quiconque, et leur en retransmettra le contenu intégral.
Mais, en assistance éducative, la présence de l’avocat n’est que facultative. Dès lors, s’il n’y a pas d’avocat, le risque de violation de la règle devient grand car la famille n’a pas accès au dossier et n’en connaîtra, oralement, que ce que le juge ou les travailleurs sociaux lui diront.
Ensuite, le décret de mars 2002 est venu modifier les règles applicables pour tenir compte de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. Mais pour bien comprendre l’enjeu de la question, il faut revenir en arrière et en analyser les aspects les plus importants.
Les pratiques antérieures contestables
On a beaucoup entendu parler de confidentialité, de secret, de gêne à faire connaître toutes les pièces du dossier aux familles. On débat à perte de vue pour savoir s’il est opportun de tout leur dire. Certains travailleurs sociaux désapprouvent vigoureusement la lecture par le juge d’extraits des rapports écrits en présence de la famille. D’autres ornementent leurs rapports de mentions en gros caractères telles que « confidentiel », « à ne pas communiquer à la famille ». Certains magistrats indiquent eux-mêmes ouvertement qu’ils refusent de transmettre à la famille certaines informations du dossier ou d’en préciser l’origine. De telles pratiques doivent être très fermement condamnées et proscrites, pour plusieurs raisons.
- Tout d’abord, elles violent toutes les règles précitées de la procédure civile qui ont pour objet essentiel d’interdire le secret dans les procédures judiciaires et qu’aucun argument d’opportunité n’autorise à écarter. C’est pour faire obstacle au secret que l’on a créé une procédure judiciaire. Réintroduire ce secret, c’est ôter à cette procédure particulière sa raison d’être fondamentale. Cela suffit pour exiger qu’il soit procédé autrement.
- Ensuite, même si l’on écartait le critère légal le temps d’une réflexion théorique, elles ne reposent sur aucun argument d’opportunité convaincant. Il est impossible de saisir ce qui peut justifier qu’une famille ne connaisse pas le contenu d’une procédure de police ou de gendarmerie, d’un rapport de travailleurs sociaux, d’un médecin ou d’un psychiatre, etc., si le document versé au dossier concerne ses propres membres. Leur retransmettre ce qui est dit sur eux et le nom du rédacteur n’est pas révolutionnaire, cela ne viole aucun secret absolu, c’est tout simplement, la plupart du temps, redire ce qu’ils connaissent déjà parfaitement bien. Après avoir posé la question de multiples fois aux tenants du secret ou d’un certain secret, j’attends toujours que l’on me propose un exemple déterminant. Lorsqu’on dit par exemple à un parent qu’un médecin, dont on ne donne pas le nom, a constaté sur son enfant des traces suspectes, même le moins intelligent sait parfaitement quel est le dernier médecin qui a vu son enfant parce que la plupart du temps c’est lui-même qui a pris le rendez-vous et l’a conduit !
S’il y a eu une mesure de consultation ou une expertise psychiatrique d’un parent maltraitant dans la procédure d’assistance éducative, il y a certainement eu une procédure pénale, la maltraitance étant une infraction pénale grave. Et il faut bien avoir en tête que lors du procès devant le tribunal correctionnel ou la cour d’assises les rapports des expertises ordonnées par le juge d’instruction seront lus intégralement et disséqués par les médecins, magistrats et avocats. L’hésitation à lire les mêmes éléments aux parents dans le bureau du juge des enfants perd alors son sens.
- S’il y a une procédure de divorce, le rapport d’enquête sociale sera connu intégralement des deux parents, qui en ont un exemplaire chez eux. Et on y trouve bien des éléments en commun avec les rapports éducatifs ou d’enquête remis au juge des enfants. On ne peut dès lors pas sérieusement refuser de dire à un parent que telle personne, dont on ne donne pas le nom, a dit telle chose à l’éducateur envoyé par le juge des enfants, alors que ce parent lira dans le rapport d’enquête sociale les mêmes propos mais avec en plus le nom de la personne qui a lancé les affirmations à l’enquêteur mandaté par le juge aux affaires familiales.
C’est donc une illusion que d’imaginer qu’il y a des choses toutes particulières qui apparaissent lors des procédures devant un juge des enfants, des éléments mystérieux qu’il faut cacher totalement ou partiellement, alors que devant toutes les autres juridictions, où la question du secret n’est soulevée par personne, les mêmes éléments sont ouvertement débattus.
- Enfin, vouloir une part de secret n’est qu’un leurre provisoire car il suffit à la famille qui sent intuitivement qu’on ne lui dit pas tout et qui veut connaître le contenu du dossier qu’on lui cache de s’adresser à un avocat qui viendra le consulter. Le débat des professionnels est totalement anachronique puisque la loi interdit de se poser la question de la confidentialité de certaines pièces. Et quelle opinion se fera la famille, du juge et des travailleurs sociaux, quand son avocat lui expliquera que bien sûr elle est en droit de tout savoir et que le juge viole la législation en ne l’informant pas complètement sur le contenu de la procédure ? Comment pourra-t-elle avoir confiance en ceux qui la tiennent intentionnellement en partie hors du débat ? Et en l’absence de confiance, comment peut-il y avoir travail éducatif de qualité ? Or il est absolument évident qu’à la suite d’une interrogation sur le contenu exact d’une pièce ou sur le nom de son rédacteur, s’entendre répondre que tous les renseignements ne seront pas donnés peut-être ressenti comme profondément blessant et vexant. C’est aussi la porte ouverte aux plus délirantes imaginations sur ce qui est dans le dossier et qui n’est pas communiqué. Une famille qui a entendu qu’une partie des informations ne lui est pas transmise peut tout imaginer, même à tort, sur ce qu’on ne veut pas lui dire. Tout retranscrire, c’est faire obstacle à ces dérapages graves et qui parasitent ensuite le travail éducatif parce qu’ils sapent l’indispensable confiance préalable.
Dans aucune autre juridiction on ne s’interroge sur le droit des justiciables à connaître les pièces de leur dossier. Cette possibilité est depuis des décennies tellement admise que personne ne débat plus de son bien-fondé. Pourquoi alors est-ce différent dans les tribunaux pour enfants et les services sociaux ? Sans doute faut-il y voir, entre autres raisons qui varient de l’un à l’autre, le poids des habitudes ; le malaise à dire en face des familles ce que l’on pense d’elles et qui incite parfois certains professionnels gênés à ne dire que par bribes pourquoi ils sont critiques ; la tentation d’abuser de cette facilité face à des familles souvent issues de milieux modestes et/ou déroutées et fragilisées par les conflits qu’elles traversent, pour éviter des débats parfois délicats ; le moyen d’imposer des décisions quand l’argumentation est incertaine ; le mirage d’un sentiment inconsciemment attrayant de toute-puissance…
Quoi qu’il en soit, l’absence d’un débat contradictoire, que la famille ressentira certainement comme une défiance à son égard, voire comme un geste de mépris, ne pourra que nuire à la qualité du travail éducatif de professionnels qui risquent le discrédit et le rejet justifié de la part des intéressés.
Au contraire, la pratique démontre de façon flagrante que tout retransmettre, avec un minimum de tact et de délicatesse, ne crée aucune difficulté pour les rédacteurs ou le magistrat s’ils ont auparavant pris l’habitude de travailler dans la clarté, que cela permet un débat à l’audience beaucoup moins agressif car la famille ressent qu’elle a pleinement sa place, et que cela permet au juge d’avoir une vision complète de la situation.
Pour toutes ces raisons, le juge doit veiller à ne pas tomber dans le piège du secret, qu’il soit sollicité par les parents, les mineurs ou les professionnels. Pris dans ce piège, il ne peut s’en sortir sans être obligé de prolonger sans fin le stratagème ou sans trahir et perdre la confiance de celui à qui il a promis la confidentialité. Le seul moyen dont dispose le juge pour écarter toutes ces dérives, c’est d’informer ses interlocuteurs des règles légales applicables et de les laisser choisir de dire ou de ne pas dire. C’est pour cela qu’on le fait intervenir. Il n’a pas le droit de faire autrement.
Ainsi donc l’opportunité imposait de rendre les dossiers judiciaires totalement accessibles et transparents. Cela explique pourquoi le droit est allé dans ce sens.
L’apport de la Cour européenne des droits de l’homme
Dans un arrêt en date du 24 février 1995, la Cour européenne des droits de l’homme a bouleversé toutes les considérations qui viennent d’être développées. Les faits étaient simples. Madame McMichael a eu un fils dont les services sociaux ont estimé indispensable de le lui retirer à cause de graves troubles psychiatriques supposés la rendre incapable d’élever son fils correctement. Madame McMichael, voulant contester cet éloignement imposé de son enfant, a saisi la juridiction du premier degré, appelée « commission de l’enfance », puis la juridiction d’appel, appelée sheriff court. Elle n’a pas obtenu gain de cause, les deux juridictions confirmant la nécessité de confier son fils à une famille d’accueil. Il a même été ensuite jugé qu’il était préférable pour l’enfant d’être adopté. Madame McMichael a saisi la Cour européenne des droits de l’homme au motif principal qu’elle n’avait pas eu le droit de consulter elle-même les pièces du dossier judiciaire.
La Cour européenne a écrit dans son arrêt :
« [...] Le 4 février 1988, une commission de l’enfance se réunit pour déterminer si des mesures obligatoires de placement s’imposaient pour l’enfant. La requérante assista à l’audience. La commission de l’enfance avait en sa possession un certain nombre de pièces, notamment un rapport du 28 janvier sur l’enfant, retraçant l’historique de l’affaire et proposant que l’enfant demeurât au foyer d’accueil. Conformément aux règles procédurales, les pièces ne furent pas remises à la requérante mais le président informa celle-ci de leur substance. [...] La requérante se pourvut devant la sheriff court contre la décision de la commission de l’enfance. L’ensemble du dossier dont avait disposé celle-ci fut communiqué à la sheriff court. Il semble que conformément à la procédure il n’ait pas été communiqué à la requérante. [...] Le 11 octobre 1988 la commission de l’enfance réexamina l’ordonnance de placement sous tutelle. La requérante assista à la réunion. La commission avait en sa possession un rapport du département des services sociaux daté du 20 septembre et renfermant des informations récentes sur l’enfant. Ce document contenait aussi une déclaration selon laquelle la requérante refusait de suivre le traitement qui lui avait été prescrit, ainsi qu’un exposé des modalités envisagées pour les visites et une recommandation tendant au maintien de la tutelle en attendant l’évaluation des visites suggérées pour les trois mois suivants. En conformité avec les règles procédurales, ce rapport ne fut pas remis à la requérante mais le président l’informa de sa teneur. [...] Dans le délai de trois semaines à compter de la décision d’une commission, l’enfant, le parent peuvent l’attaquer devant la sheriff court. Le rapporteur est tenu de veiller à ce que tous les rapports et déclarations dont est saisie la commission ainsi que les comptes rendus de ses débats et la motivation de ses décisions soient déposés auprès du greffier de la sheriff court. En pratique, ces pièces ne sont pas communiquées aux parents. [...] Mme McMichael a saisi la commission des droits de l’homme en se plaignant d’avoir été privée des soins et de la garde de son fils, et partant de son droit à fonder une famille ainsi que de celui de rendre visite à l’enfant qui avait pour finir été déclaré adoptable. Elle prétendait n’avoir pas été entendue équitablement devant la commission de l’enfance et n’avoir pas eu accès aux rapports confidentiels et autres pièces qui lui avaient été communiquées. [...] La commission des droits de l’homme a retenu à l’unanimité qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l’homme. [...] À l’audience du 20 septembre 1994, le gouvernement a maintenu en substance les conclusions de son mémoire, par lesquelles il admettait qu’il y avait eu violation de l’article 6 § 1 dans le chef de la requérante. [...]
Sur la violation alléguée de l’article 6 § 1 de la Convention : Selon les requérants, l’impossibilité pour eux de consulter certains rapports confidentiels et autres documents produits à la commission de l’enfance puis à la sheriff court s’analyse en un manquement à l’article 6 § 1 de la Convention, dont les passages pertinents sont ainsi libellés : “Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement [...] par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera [...] des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil [...].” Le gouvernement admet que l’article 6 § 1 s’appliquait à la procédure de placement devant la commission de l’enfance et la sheriff court. [...] Le gouvernement concède que, à deux reprises, la procédure n’a pas assuré un procès équitable comme l’eût voulu l’article 6 § 1, la requérante n’ayant pu consulter certains documents examinés par ladite commission. La cour note qu’à ses deux dates, en application des dispositions procédurales pertinentes, des documents produits à la commission, en particulier des rapports des services sociaux mettant à jour des renseignements sur l’enfant, retraçant l’historique de l’affaire et formulant des recommandations, ne furent pas communiqués à la requérante, encore que le président de la commission lui en ait révélé la teneur. [...]
Le droit à un procès équitable contradictoire implique par principe, pour une partie, la faculté de prendre connaissance des observations ou des pièces produites par l’autre, ainsi que de les discuter. Dans la présente affaire, la circonstance que des documents aussi essentiels que les rapports sociaux n’ont pas été communiqués est propre à affecter la capacité des parents participants d’influer sur l’issue de l’audience de la commission dont il s’agit et aussi celle d’apprécier leurs perspectives d’appel à la sheriff court. [...] Il y a eu infraction au droit de la requérante à un procès équitable parce qu’en pratique, des documents produits par le rapporteur devant la sheriff court, en particulier les rapports dont la commission avait disposé auparavant, ne furent pas communiqués à un parent interjetant appel. Cette pratique laisserait apparaître une inégalité essentielle et constituerait un sérieux désavantage pour le parent lors de l’introduction d’un appel et de la présentation ultérieure de celui-ci. [...]
Partant, Mme McMichael n’a bénéficié d’un procès équitable au sens de l’article 6 § 1 à aucune des deux phases de la procédure de placement concernant son fils. Il y a donc eu violation de l’article 6 § 1 de son chef. »
Dans cette décision la Cour européenne des droits de l’homme a posé un principe procédural devant bouleverser le déroulement des procédures d’assistance éducative traitées par les juges des enfants et les chambres des mineurs des cours d’appel.
La Cour européenne devait dire si des individus non assistés d’un avocat et qui comparaissent devant des organes juridictionnels dans une procédure civile, ici de protection de l’enfance, doivent impérativement avoir le droit de consulter eux-mêmes les pièces de la procédure et si l’absence d’autorisation d’une telle consultation rend la procédure inéquitable au sens de l’article 6 de la Convention. Devant la Cour, le gouvernement anglais a de lui-même admis la violation de l’article 6 pour les motifs allégués par la requérante. La Cour a répondu qu’il y a eu effectivement violation de l’article 6. Elle énonce clairement le principe d’un droit à la consultation directe des pièces du dossier.
Dans plusieurs arrêts postérieurs , la Cour européenne a précisé que tout citoyen a le droit de se défendre seul tant en matière civile que pénale et que dans ce cas il doit avoir accès lui-même et sans intermédiaire à l’intégralité de son dossier judiciaire, les garanties devant être exactement les mêmes que le citoyen se présente seul ou avec l’assistance d’un conseil.
Et dans un arrêt du 18 février 1997 elle a ajouté, ce qui est très important, que l’intéressé doit avoir accès à la totalité des pièces de son dossier, sans aucune restriction, même si les professionnels considèrent que tel document a peu d’importance, seul le plaideur devant apprécier si une pièce de son dossier appelle un commentaire de sa part. Et la Cour ajoute cette phrase remarquable en conclusion de toute sa jurisprudence sur le contradictoire et l’accès au dossier :
« Il y va notamment de la confiance des justiciables dans le fonctionnement de la justice : elle se fonde notamment sur l’assurance d’avoir pu s’exprimer sur toute pièce du dossier » (§ 29).
La Cour a confirmé sa jurisprudence, désormais solidement établie, dans d’autres arrêts .
Le raisonnement et les conclusions de la Cour européenne des droits de l’homme doivent être approuvés sans la moindre réserve. Il est évident que des personnes qui découvrent seulement le jour des débats le contenu des pièces du dossier qui énoncent parfois des affirmations très critiques sur elles ne disposent ni d’un temps de réflexion suffisant avant de rétorquer, ce qu’elles doivent pourtant faire sur-le-champ, sans préparation, ni du temps nécessaire pour aller chercher et produire aux débats des attestations, des certificats ou tout autre élément allant dans leur sens. Par exemple, si le juge des enfants annonce qu’il est écrit dans un rapport qu’il existe des inquiétudes en ce qui concerne le suivi médical d’un enfant, ce n’est pas au cours des débats que les parents pourront aller voir leur médecin traitant pour qu’il justifie par écrit, si tel est le cas, qu’ils sont bien venus le consulter très régulièrement contrairement à ce que croit un travailleur social. Pour pouvoir faire ce genre de démarche, il faut impérativement qu’ils sachent bien avant de rentrer dans le bureau du juge ce dont celui-ci va leur parler. De fait, les juges des enfants ou les cours d’appel ne reçoivent pas les parents et les mineurs une première fois pour les informer du contenu du dossier, sans débat à cette première rencontre, puis une seconde fois quelques semaines plus tard pour écouter les arguments qu’ils ont préparés et juger alors en fonction de ces réponses des parents aux éléments écrits. Et encore faudrait-il que les intéressés disposent d’une mémoire hors du commun pour se souvenir pendant quelques semaines de tous les détails mentionnés oralement par le magistrat pour ne rien oublier dans leur argumentaire.
De plus, même si à l’audience de jugement le juge résume le contenu du dossier, il n’en donne jamais intégralement connaissance à la famille. Certains dossiers contiennent de nombreux documents (rapport de signalement, rapport d’enquête sociale, expertise psychologique, etc.), soit des dizaines de pages d’écriture. Il faudrait à chaque fois un temps très long pour les lire entièrement et suffisamment lentement aux intéressés. Or si l’initiative est laissée au juge de résumer le dossier, ou d’en extraire certains éléments, les parents et les mineurs ignoreront inéluctablement certains paragraphes qui pourtant pourront consciemment ou non influencer le juge dans sa décision du jour, ou ultérieurement, même s’il ne s’y réfère pas expressément.
La contradiction entre la jurisprudence européenne d’une part et notre système procédural et la jurisprudence de la Cour de cassation d’autre part apparaissait immédiatement, flagrante .
Le ministère de la Justice a dès lors mis en place une commission chargée de réfléchir sur de nouvelles dispositions juridiques. Celle-ci a rendu son rapport, intitulé « Le contradictoire et la communication des dossiers en assistance éducative » en janvier 2001. Il a été ensuite procédé de nouveau à diverses consultations, et ceci a abouti au décret de mars 2002.
La nouvelle procédure
Le décret de mars 2002, tirant les conséquences de la position de la Cour européenne des droits de l’homme, a profondément modifié les règles applicables puisque dorénavant le droit d’accéder au dossier est un principe admis dans notre législation.
Le nouvel article 1187 est rédigé ainsi :
« Dès l’avis d’ouverture de la procédure, le dossier peut être consulté au greffe, jusqu’à la veille de l’audition ou de l’audience, par l’avocat du mineur et celui de son père, de sa mère, de son tuteur, de la personne ou du service à qui l’enfant a été confié. L’avocat peut se faire délivrer copie de tout ou partie des pièces du dossier pour l’usage exclusif de la procédure d’assistance éducative. Il ne peut transmettre les copies ainsi obtenues ou la reproduction de ces pièces à son client.
Le dossier peut également être consulté, sur leur demande et aux jours et heures fixés par le juge, par le père, la mère, le tuteur, la personne ou le représentant du service à qui l’enfant a été confié et par le mineur capable de discernement, jusqu’à la veille de l’audition ou de l’audience.
La consultation du dossier le concernant par le mineur capable de discernement ne peut se faire qu’en présence de son père, de sa mère ou de son avocat. En cas de refus des parents et si l’intéressé n’a pas d’avocat, le juge saisit le bâtonnier d’une demande de désignation d’un avocat pour assister le mineur ou autorise le service éducatif chargé de la mesure à l’accompagner pour cette consultation.
Par décision motivée, le juge peut, en l’absence d’avocat, exclure tout ou partie des pièces de la consultation par l’un ou l’autre des parents, le tuteur, la personne ou le représentant du service à qui l’enfant a été confié ou le mineur lorsque cette consultation ferait courir un danger physique ou moral grave au mineur, à une partie ou à un tiers.
Le dossier peut également être consulté, dans les mêmes conditions, par les services en charge des mesures prévues à l’article 1183 du présent code et aux articles 375-2 et 375-4 du Code civil.
L’instruction terminée, le dossier est transmis au procureur de la République qui le renvoie dans les quinze jours au juge, accompagné de son avis écrit sur la suite à donner ou de l’indication qu’il entend formuler cet avis à l’audience. »
La remise du dossier à l’avocat
Une défense efficace suppose bien sûr que l’avocat dispose personnellement des pièces essentielles pour pouvoir les examiner tranquillement et plusieurs fois si nécessaire dans son cabinet. La mention de l’usage restrictif des copies vise à éviter une transmission non contradictoire dans d’autres procédures. Mais cette indication ne devrait pas empêcher d’autres magistrats et notamment les juges aux affaires familiales intervenant dans la même famille de solliciter des juges des enfants copie de documents utiles pour eux, sous réserve de les verser officiellement et contradictoirement dans leur dossier afin que chacun puisse là aussi les discuter.
En ce sens, la Cour de cassation a confirmé dans un avis récent que « l’article 1187 du nouveau Code de procédure civile […] ne s’oppose pas à ce que le juge aux affaires familiales fonde sa décision concernant l’exercice de l’autorité parentale sur le dossier d’assistance éducative tel que communiqué par le juge des enfants, sous réserve, d’une part, que les parties à l’instance devant le juge aux affaires familiales figurent parmi celles qui ont qualité pour accéder au dossier d’assistance éducative selon l’article susvisé et, d’autre part, que les pièces du dossier du juge des enfants soient soumises au débat contradictoire ».
Sans que la contestation ne porte sur ce point, d’autres décisions avaient déjà mentionné la présence dans le dossier du juge aux affaires familiales d’éléments du dossier du juge des enfants . La polémique sur ce point est donc enfin close.
L’article 1187 précise toutefois qu’il est interdit à l’avocat de remettre à son client une copie des pièces reçues du greffe. Si cela est le pendant de l’interdiction de délivrer des copies aux familles non assistées d’un avocat, une telle règle, qui montre encore la déconsidération dont sont toujours victimes les familles suivies en assistance éducative, n’est pas acceptable. Elle l’est d’autant mois qu’elle est incohérente avec le droit applicable dans d’autres situations très proches. Notamment, l’article 114 du Code de procédure pénale prévoit expressément qu’en cours d’instruction l’avocat peut « transmettre une reproduction des copies ainsi obtenues » à son client, sauf refus motivé du juge. Un système identique pouvait parfaitement être retenu en assistance éducative.
La consultation par les parents
Le texte permet dorénavant une consultation du dossier par les père et mère, tuteur, personne ou service à qui l’enfant a été confié, ainsi que par les services éducatifs judiciaires. Il s’agit là, pour les familles, d’une évolution majeure. Le principe tant attendu est donc dorénavant acquis. Mais ce sont certaines modalités d’application qui sont très contestables.
Cette consultation est possible à tous les stades de la procédure, y compris avant la toute première rencontre avec le juge, concrètement dès réception de l’avis d’ouverture de la procédure. Elle n’est pas soumise à l’existence d’une convocation, autrement dit un juge des enfants ne peut pas lier le droit à la consultation des dossiers à l’organisation d’une audience. C’est véritablement un droit d’accès permanent.
Bien qu’il soit encore aujourd’hui parfois discuté par les magistrats, ce droit d’accès permanent s’explique par l’existence du droit de saisir à tout moment le juge des enfants d’une demande en modification de la décision en cours, ceci en application de l’article 375-6 du Code civil, qui oblige alors le juge à statuer. Or c’est à la lecture des derniers rapports adressés au magistrat et versés au dossier que les intéressés peuvent, entre autres raisons, décider de saisir le juge. Il est donc indispensable qu’ils puissent, à tout moment, prendre connaissance des dernières pièces judiciaires. Le juge des enfants ne devrait être autorisé à refuser une consultation du dossier que si, antérieurement à cette demande, une consultation a déjà été permise pour le même demandeur et que depuis aucun autre document n’a été versé au dossier.
Le texte ne prévoit aucune forme particulière pour présenter une demande de consultation. La circulaire d’application précise logiquement que cette demande peut être faite par tout moyen, y compris oralement. Mais il est absolument impératif, en cas de demande verbale, que le greffe la formalise dans un écrit, sous forme de mention au dossier, le respect du droit d’accès étant une condition de la validité de la procédure et de la décision rendue.
C’est le juge des enfants qui va fixer les « jours et heures » de la consultation. Encore faut-il que le jour choisi, qui doit être suffisamment antérieur à l’audience, le dossier soit complet. Les juges vont devoir imposer aux services sociaux devant envoyer les rapports de fin de mesure une rigueur extrême quant au respect des dates de dépôt, afin que les intéressés ne se déplacent pas pour rien.
Le choix du moment de consultation doit tenir compte sans doute de l’organisation du greffe, mais autant et peut-être plus des disponibilités réduites des parents et notamment des horaires de ceux qui ont un emploi.
Que se passera-t-il si arrivent au greffe de nouveaux documents quelques jours après le passage des membres de la famille qui ont fait clairement connaître leur volonté de prendre connaissance de l’intégralité du dossier ? Faut-il les prévenir de l’arrivée de chaque nouveau document ? Si la réponse est logiquement négative et si la demande de consultation est liée à une convocation du magistrat, il faut au moins les convoquer avant l’heure de l’audience pour qu’ils aient le temps, avant d’entrer dans le bureau du juge, de lire les nouvelles pièces, sachant qu’ils ne disposeront d’aucun temps pour préparer une réponse sur le contenu de ces nouveaux documents. La tentation pourrait être de proposer une consultation à une date rapprochée de celle de l’audience, le texte la permettant « jusqu’à la veille de l’audience ». Mais ce serait une erreur grave. En effet, comme cela sera détaillé plus loin, l’accès au dossier a pour objet non seulement la connaissance des écrits, mais plus encore la préparation de l’argumentation en réponse. Or, par hypothèse, préparer une rencontre avec un juge demande toujours du temps. Fixer une date de consultation proche de l’audience aurait pour effet d’anéantir la possibilité pour les intéressés de préparer efficacement leur confrontation avec le magistrat.
En tous cas, les parents doivent être informés de l'arrivée de nouveaux documents dans le dossier judiciaire. Ce n'est pas à eux d'aller régulièrement au greffe demander si de nouveaux documents ont été versés au dossier, mais à la juridiction de les informer de ces dépôts.
C'est ce que la cour de cassation a jugé dans un important arrêt de septembre 2012 . Un parent ayant interjeté appel contre un jugement du juge des enfants va consulter le dossier au greffe de la cour d'appel le 27 janvier 2011, l'audience étant prévue le 17 février suivant.
A réception de l'arrêt de la cour d'appel, le parent découvre dans la motivation qu'il est fait allusion à un nouveau rapport éducatif reçu au greffe de la cour le 10 février 2011 soit entre sa consultation du dossier et l'audience. Il ne savait pas qu'un tel document se trouvait dans le dossier.
La cour de cassation juge ainsi :
« Attendu que pour débouter X.. de sa demande de main-levée de la mesure, la cour d'appel a pris en considération un nouveau rapport établi par l'association T... qui avait été déposé au greffe le 10 février 2011 soit une semaine avant l'audience ; qu'en se déterminant ainsi alors que X.. n'avait pas été informé du dépôt de ce rapport, ni mis en mesure d'en discuter la teneur, la cour d'appel a violé le texte susvisé (art. 16 du cpc) »
Par ailleurs, l’affirmation d’un droit d’accès aux pièces du dossier est l’occasion de rappeler que dans un dossier judiciaire il ne doit absolument rien exister à côté de ce qui y est versé. Concrètement, aujourd’hui encore moins qu’avant, il n’existe aucune place pour des informations transmises au juge des enfants par un tiers téléphoniquement ou oralement. Tout élément transmis oralement, à supposer que cela soit ponctuellement nécessaire, doit faire l’objet d’une confirmation écrite immédiate.
Au demeurant, lorsque tous les intervenants ont bien compris l’importance du principe du contradictoire, l’usage du téléphone devient anecdotique.
La consultation par les mineurs
Le décret autorise la consultation du dossier par « le mineur capable de discernement », mais en présence d’un adulte parent ou avocat. Subsidiairement, si les parents refusent d’accompagner leur enfant et si celui-ci n’a pas demandé d’avocat, le nouvel article 1187 offre une alternative au juge des enfants. Soit il fait désigner un avocat au mineur par le bâtonnier de l’ordre des avocats, soit il autorise le service éducatif qui exerce l’une des mesures en cours à l’accompagner, le texte ne prévoyant pas de possibilité d’accompagnement par une autre personne physique. On se demande quels peuvent être les critères d’opportunité justifiant de préférer avocat ou éducateur, et s’il est opportun que le choix soit celui du magistrat.
L’éducateur ayant acquis la confiance de l’enfant peut apparaître comme une solution rassurante. Mais seul un avocat, extérieur et neutre, peut exercer un regard critique sur le contenu du dossier y compris les rapports des éducateurs. Et lui seul, à condition qu’il soit suffisamment formé à la matière, peut objectivement répondre à toutes les questions juridiques qui peuvent apparaître à l’occasion de la lecture d’un dossier judiciaire d’assistance éducative.
La consultation par l’intervenant volontaire
L’intervenant volontaire est celui qui, à condition d’y avoir un intérêt, peut, en cours de procédure, présenter une demande au juge des enfants. Il s’agit essentiellement de membres de la famille qui, apprenant qu’il existe une mesure éducative, écrivent au juge des enfants pour demander que si un mineur est éloigné de ses parents il leur soit confié (pour plus de détails, cf. chapitre 3).
Toutefois, il ne suffit pas qu’une personne écrive au juge des enfants pour qu’elle trouve sa place dans la procédure, au même titre que les parents, les mineurs et les services éducatifs, et obtienne les mêmes droits que ces derniers. Il faut au préalable que le magistrat accepte leur intervention volontaire, en ayant vérifié qu’elle est juridiquement justifiée.
Vis-à-vis de la consultation du dossier, la situation de l’intervenant volontaire semble être la suivante :
- avant l’audience chez le juge des enfants, il n’est pas partie à la procédure et ne peut donc pas avoir accès au dossier ;
- si le juge déclare sa demande recevable et lui confie l’enfant concerné, il prend le même statut que tous ceux à qui un mineur est confié, et il peut alors consulter le dossier ;
- si le juge déclare sa demande recevable mais ne lui confie pas l’enfant, il peut interjeter appel mais ne peut pas tout de suite avoir accès au dossier.
Les documents soustraits à la consultation
L’article 1187 autorise une limitation de l’accès au dossier. Le juge peut en cas de « danger physique ou moral grave » pour le mineur, une partie (donc les parents ou celui à qui le mineur est confié) ou un tiers, « par décision motivée », « exclure tout ou partie des pièces de la consultation » par tout intéressé, parent, service ou personne à qui le mineur est confié.
Dans l’absolu, il n’est pas interdit de concevoir un système juridique dans lequel, en protection de l’enfance, il serait possible, dans un souci de protection d’une personne, de ne pas transmettre certains éléments du dossier aux lecteurs. C’est ce qu’a confirmé la Cour européenne des droits de l’homme il y a quelques années , en affirmant toutefois que seule l’autorité judiciaire peut réduire le droit des parents à la communication de toutes les pièces de leur dossier et qu’une telle restriction ne peut qu’être très exceptionnelle.
Ce n’est pas l’éventualité d’une restriction qui est en soi condamnable, mais le système retenu par le décret de mars 2002 est incohérent et inapplicable. D’abord, au-delà du principe, on voit mal en quoi la consultation de certaines pièces du dossier peut mettre une personne, mineure, partie (parents, membre de la famille ou personne physique tiers à qui un mineur est confié, service de l’ASE) ou tiers (qui ?) en grave danger moral ou physique. Dans les procédures conduites par les juges aux affaires familiales, qui contiennent des rapports, attestations, lettres diverses qui sont proches de ce que l’on trouve dans les dossiers d’assistance éducative, les intéressés ont depuis longtemps accès sans aucune réserve à l’intégralité de ces pièces sans que cela n’occasionne d’incidents particuliers autres que les réactions souvent compréhensibles liées à la douleur générée par le conflit, en tout cas sans que personne n’ait jamais envisagé de prévoir une restriction légale à cet accès. Il en est de même en procédure pénale dont les dossiers contiennent des mises en cause, des accusations, etc., et qui sont intégralement lues par les mis en examen.
Sans doute les propos des uns et des autres par hypothèse critiques en assistance éducative, sont-ils souvent de nature à entraîner de vives réactions de la part des membres des familles concernées. Il est très difficile pour les parents d’entendre ou de lire de sévères commentaires sur leurs difficultés personnelles et leurs carences éducatives. Mais les informer et débattre avec eux est au cœur du travail éducatif. Dans ces échanges permanents, la dissimulation n’a pas sa place.
Finalement, rares sont les hypothèses susceptibles de justifier que soit ponctuellement écartée une pièce d’un dossier judiciaire. Il peut en être ainsi d’une dissimulation d’adresse pour qu’un homme ne connaisse pas tout de suite le nouveau lieu de vie de sa compagne qui a fui ses violences, ou pour permettre l’accueil d’un mineur dans un service éducatif alors que ses parents s’opposent violemment à son départ et affirment vouloir aller chercher leur enfant sur place par la force. Mais cela ne se rencontre que très peu souvent sur le terrain.
Par ailleurs, il est assez étonnant de constater que les rédacteurs du nouveau texte ont estimé que la lecture de pièces du dossier judiciaire par les travailleurs sociaux en charge des mesures peut, dans certaines circonstances, mettre en danger les mineurs suivis. Toutefois, il ne fait aucun doute que la limitation de la consultation concerne en réalité essentiellement les parents.
Quoi qu’il en soit, il n’est même pas utile de s’interroger sur l’existence de tels cas en assistance éducative puisque, par l’effet même des textes, cette interdiction peut être aisément contournée.
En effet il suffit à celui qui reçoit la décision judiciaire lui interdisant de consulter telle pièce, soit de demander à une autre partie, par exemple son conjoint, de lui retranscrire le contenu du document soustrait à sa consultation, soit de prendre un avocat qui s’en fera aussitôt remettre une copie et lui en relatera intégralement le contenu dans son bureau et même plus probablement lui fera lire.
Il est même possible de se demander si la rédaction du texte qui ne permet une limitation d’accès qu’« en l’absence d’avocat » n’autorise pas les parents, s’ils ont un avocat, et avant même que celui-ci ne demande copie des pièces, de venir consulter leur dossier puisque nous sommes alors en « présence d’avocat ».
On trouve dans la circulaire d’application d’avril 2002 ce paragraphe extraordinaire :
« Si le jour de la consultation, les parties sont accompagnées de leur avocat, les pièces qui ont été écartées par le juge des enfants dans l’hypothèse d’une consultation sans avocat, devront être réintégrées dans le dossier. »
Il a donc été considéré par les rédacteurs, d’un côté que la lecture d’un document par un parent tout seul va mettre « gravement » la sécurité de quelqu’un en danger, et d’un autre côté que la présence d’un avocat à côté de ce parent lorsqu’il lit le même document fait à elle seule disparaître ce danger.
Ainsi donc, le décret invite le juge à retenir l’existence d’un grave danger rendant absolument impossible l’accès à une information, alors que le même texte permet aisément d’accéder à cette information par le biais d’une autre partie et en tous les cas d’un avocat. On voit vite l’incohérence totale d’un tel système qui va rapidement discréditer les juges rendant des décisions sans effet et être source de nouveaux et inutiles incidents.
Par ailleurs, une interdiction faite à une seule des parties va probablement entraîner très souvent des incidents, non pas seulement avec celui que cette interdiction est supposée protéger, mais avec tous les intervenants. Le fait même que l’accès à un document ou à une partie de document soit interdit va multiplier l’envie de celui qui est victime de cette interdiction d’en connaître le contenu. C’est la porte ouverte à l’imaginaire sur le contenu caché. Le risque est aussi que celui dont la consultation est limitée fasse pressions ou menaces sur les autres parties (conjoint, enfant, membre de la famille) pour savoir ce qu’il y a dans le texte soustrait.
Ce genre de situations peut être source de nombreux parasites dans le déroulement de la mesure de protection. Relevons ici encore qu’il n’est rien dit sur la nature juridique de la décision d’interdiction rendue. Est-ce une décision de nature simplement administrative, ce qui est plus que douteux puisqu’elle limite un droit fondamental reconnu par la Cour européenne des droits de l’homme, ou est-ce une décision véritablement juridictionnelle ? Doit-elle être précédée de l’audition des intéressés ? Alors qu’elle emporte une très grave entorse au principe du contradictoire puisque le juge pourra prendre en compte la pièce pourtant soustraite à la consultation, cette décision est-elle susceptible de recours ? Si oui sous quelle forme et dans quel délai ?
Aujourd’hui le doute n’est plus permis, puisque, dans une décision de 2005, la Cour de cassation a examiné un pourvoi relatif exclusivement à la question de la limitation de l’accès au dossier . Toute limitation en ce sens doit donc faire l’objet d’un jugement selon la procédure ordinaire, c’est-à-dire après audition du demandeur, la décision étant ensuite notifiée à l’intéressé avec rappel des voies de recours.
Puisqu’un recours est possible, il faut prévoir une saisine très rapide de la chambre des mineurs de la cour d’appel. En effet, une limitation à la consultation répondra la plupart du temps à une demande de consultation avant une audience de jugement. Or autoriser en appel cette consultation postérieurement à l’audience du juge des enfants n’aurait aucun sens. Il aurait pu être envisagé que soit saisi le conseiller délégué à la protection de l’enfance, et que celui-ci statue en quelques jours.
Le juge doit rendre une décision motivée. Il s’agit, en assistance éducative, du rappel de l’obligation générale de motivation imposée à tous les magistrats par l’article 455 du Code de procédure civile. Or, s’agissant de refuser l’accès à un document, la raison d’être du refus se trouve dans le contenu de ce document. Ainsi, il est demandé au juge d’interdire à une personne de prendre connaissance d’un document, en écrivant obligatoirement dans sa décision en quoi ce contenu peut mettre en danger un tiers. Il doit donc évoquer ce contenu sans le porter à la connaissance du destinataire de la décision.
Cette difficulté est apparue clairement dans la procédure ayant donné lieu à l’arrêt précité de 2005. La Cour de cassation, reprenant intégralement la brève motivation de l’arrêt de la Cour d’appel, a écrit que « la cour d’appel a estimé que compte tenu du climat familial très conflictuel et virulent et des nombreuses procédures opposant les parents de la mineure, la consultation de certains documents du dossier risquait d’exposer l’enfant à un danger physique ou moral grave de la part de son père, qu’elle a ainsi par une décision motivée […] légalement justifié sa décision au regard [de l’article 1187] ».
Une telle motivation laisse perplexe. Pour qu’une limitation d’accès au dossier soit légitime, le juge doit écrire quel lien existe entre le comportement de l’un des intéressés et le contenu de l’un des documents du dossier. Or, dans les décisions examinées, il est seulement écrit qu’il existe des conflits entre les deux parents — mais dans quel dossier d’assistance éducative n’en existe-t-il aucun — et que ces conflits justifient une limitation d’accès du père, dont on ne sait s’il est à l’origine des tensions ou incidents, comment il s’est comporté, ce qu’il revendique ou conteste. Autrement dit, à la lecture de ces décisions, il est impossible de savoir, même de façon allusive, en quoi l’accès du père au dossier pourrait mettre sa fille en danger. Pourtant, comme le rappelle régulièrement la Cour de cassation elle-même, qui semble parfois oublier de s’appliquer ce principe fondamental, « l’insuffisance des motifs équivaut à leur absence ».
Mais si le contenu de telles décisions n’est pas acceptable, il faut bien admettre qu’il ne peut en être autrement. Le magistrat qui doit en même temps indiquer en quoi la lecture d’un document précis peut mettre un mineur en danger sans pouvoir décrire le contenu du document se trouve dans une impasse, d’où le recours à des motivations qui n’en sont pas et qui violent l’obligation contenue dans l’article 1187. Mais il a comme excuse l’existence, dans la législation, d’un vice rédhibitoire.
Enfin, se pose la redoutable question de l’utilisation par le juge du document soustrait de la consultation.
- Si l’information contenue dans le document écarté est importante et doit être prise en compte dans l’appréciation du danger, le juge va nécessairement intégrer cette information dans sa réflexion. Mais encore faut-il qu’il en vérifie le contenu et la crédibilité. Le débat sert notamment à cela. C’est la confrontation des arguments et de tous les éléments produits qui seule permet de faire le tri entre ce qui est crédible, donc à conserver, et ce qui ne l’est pas et qui doit être laissé de côté. Or comment le juge peut-il recueillir les indispensables avis sur le contenu de cette pièce sans le porter à la connaissance des intéressés ?
- Et si l’élément est déterminant, le juge va en faire une part de la motivation de sa décision. Il va donc forcément, s’il respecte son obligation légale sur ce point (cf. chapitre 6), en faire état dans les motifs de son jugement. Mais on ne peut pas concevoir que la personne concernée se voie privée de l’accès à cette information dont on dit que sa connaissance mettrait en danger un tiers, tout en en faisant état dans le jugement. Si danger il y a à laisser la personne concernée accéder à l’information, ce danger existe autant après qu’avant l’audience.
La difficulté est sans aucune solution. On ne pouvait pas imaginer système plus incohérent.
Un accès limité à une consultation
Une autre insuffisance majeure du nouveau texte, plus importante encore peut-être, concerne la limitation de l’accès à une consultation du dossier au greffe du tribunal pour enfants. Pour qu’il y ait un véritable débat et non seulement apparence, il faut impérativement que chaque participant ait la possibilité de réfléchir sur le contenu de ce qu’il lit et sur la forme de sa réponse.
Or aucun parent ou mineur ne pourra jamais se présenter devant le juge en étant prêt à débattre sérieusement et de façon approfondie sur des documents écrits de son dossier s’il ne les a pas eus entre les mains, à l’avance, et a pu les lire et les relire, calmement, autant de fois que nécessaire pour leur bonne compréhension et leur mémorisation. Sans cela, il ne peut jamais y avoir de préparation sérieuse de réponse sur les points discutés, donc jamais de véritable débat contradictoire.
C’est, avant la réforme, ce qui avait été jugé par la cour d’appel de Lyon :
« Les décisions des juges des enfants, en matière d’assistance éducative, se fondent sur l’ensemble des éléments qui leur sont transmis, soit par écrit, soit oralement lors de l’audience, par différents intervenants, et notamment les travailleurs sociaux. Si les débats oraux respectent le principe du contradictoire, il n’en va pas de même quant aux documents écrits, qui ne peuvent être correctement analysés, compris et éventuellement contestés, qu’après lecture et parfois relecture. »
Si les parents sont seulement autorisés à lire le dossier, quelques jours plus tard ils auront déjà oublié une partie de ce qu’ils auront lu, ou pire transformeront inconsciemment ce qui est écrit faute de mémoire suffisante. Les risques d’erreurs et de malentendus sont très grands.
Enfin s’ils souhaitent répondre sur un point précis, par exemple une allégation de maladie non suffisamment soignée, il faut qu’ils aient en main le rapport pour le montrer à leur médecin traitant qui pourra, s’il l’accepte, donner son avis médical sur cette pathologie et le comportement des parents eu égard aux remarques écrites des travailleurs sociaux.
Il aurait été beaucoup plus simple et utile de prévoir pour les parents la même règle que pour les avocats, à savoir pour tous un droit à remise d’une copie des pièces.
Nouveau texte et Convention européenne des droits de l’homme
On doit alors s’interroger sur la conformité du texte avec l’exigence de procès équitable au sens de la Convention européenne des droits de l’homme telle qu’interprétée par la cour de Strasbourg. On ne peut répondre à cette question que si l’on s’interroge sur le sens profond des notions d’équité et de contradictoire, dont l’accès aux documents écrit n’est que l’un des aspects, mais non le seul.
L’idée fondatrice est que chaque individu qui est appelé devant un juge doit être en mesure, autant que chacun des autres participants au procès, en disposant à la fois des mêmes droits et des mêmes moyens, de fournir au magistrat arguments et justificatifs susceptibles d’influencer le débat dans le sens qu’il souhaite. Il doit non seulement pouvoir produire sa propre thèse, mais aussi être en mesure de contredire efficacement la thèse des autres parties.
Si organiser une mise en présence des intéressés est chose aisée, il en est autrement de la mise en place d’un système permettant une véritable confrontation des points de vue et des justificatifs.
Organiser un débat contradictoire, ce n’est pas seulement réunir, ce n’est même pas inviter à parler. C’est d’abord donner la possibilité intellectuelle et matérielle à chaque participant, avant la rencontre avec le juge, de réfléchir et d’élaborer progressivement ses réponses, c’est lui donner le temps et les moyens pour aller chercher à l’extérieur d’autres éléments pouvant donner du crédit à l’argumentaire présenté.
En assistance éducative comme dans les autres matières, il n’y a aucune différence possible sur ce point, débattre, cela suppose bien sûr que chaque intéressé puisse lire les rapports sociaux. Mais cela suppose surtout qu’il puisse les lire et les relire autant de fois que cela lui semble nécessaire pour en comprendre toutes les nuances, et dans un environnement propice, qu’il puisse y réfléchir avec des tiers si besoin est. Cela suppose aussi que si le rédacteur relate dans son rapport les propos d’un tiers (médecin, instituteur, etc.), le parent puisse montrer l’extrait du rapport à ce tiers afin que celui-ci, s’il l’estime opportun, rédige un document précisant sa pensée ou, si c’est le cas, rectifie le compte rendu de ses paroles parce qu’elles ont été déformées, ou apporte des précisions indispensables à un propos trop flou, etc.
C’est pour ces raisons essentielles que dans la plupart des procédures judiciaires il existe un temps de mise en état légalement imposé et minutieusement réglementé au cours duquel sont impérativement échangés arguments et documents remis au juge.
Dans les procédures écrites, la transmission réciproque est imposée en permanence et les dates maximales d’échange des pièces écrites sont choisies bien avant la date de l’audience, pour laisser du temps aux parties d’examiner minutieusement et tranquillement chaque élément.
Dans les procédures orales, le juge doit écarter des débats les éléments produits à une date trop proche de l’audience, ou renvoyer l’examen de l’affaire pour laisser un temps de réflexion supplémentaire à celui qui reçoit de nouveaux documents.
Autrement dit, il est interdit de réunir les parties et de les faire débattre tant qu’elles n’ont pas disposé personnellement de tous les éléments qui vont être mis dans le débat et n’ont pas eu le temps suffisant pour se préparer à la confrontation judiciaire. Au-delà d’une règle juridique, il s’agit d’un principe de bon sens.
Une fois le sens du principe compris, la différence avec la règle énoncée dans le décret saute aux yeux.
Un parent qui peut uniquement lire le dossier au greffe plusieurs semaines avant l’audience, au-delà du fait que quelques jours plus tard il en aura oublié ou déformé l’essentiel du contenu, est dans l’impossibilité une fois revenu chez lui de prolonger sa lecture, sa réflexion, et de préparer une réponse argumentée et étayée. Il lui est interdit de faire appel à des tiers qui ne croiront pas forcément ce qu’il leur dira oralement sur les mentions d’un rapport.
Il ne peut donc pas y avoir de véritable équité, ni de véritable égalité, si d’un côté juge et éducateurs disposent des documents écrits et peuvent les consulter avant, pendant et après l’audience (le juge s’y reportera souvent pendant le délibéré), alors que les parents restent pendant tout ce temps les mains vides.
Un parent placé dans une telle situation n’est manifestement pas « à même d’organiser sa défense » au sens de l’article 15 du nouveau Code de procédure civile. Et, au-delà des apparences textuelles, il ne bénéficie toujours pas d’un procès réellement et concrètement équitable au sens de la Convention européenne des droits de l’homme.
C’est sans doute pour cela que la CEDH utilise le terme de « communication » des pièces des dossiers, et non de « lecture ». Or communiquer signifie transmettre , et la consultation n’est pas la communication, il s’agit de deux notions très différentes .
Par ailleurs, il faut relever qu’en 2001 la Cour européenne des droits de l’homme est allée nettement plus loin sur le terrain de la « communication » des pièces des dossiers d’assistance éducative, en estimant que les autorités devaient prendre l’initiative de les communiquer sans attendre que les parents demandent à en prendre connaissance :
« Toutefois, dans un cas tel que celui-ci, il ne devrait pas incomber au seul parent d’obtenir ou de solliciter la communication des preuves fondant la décision de prendre en charge son enfant. L’obligation positive qui pèse sur les États contractants de protéger les intérêts de la famille exige que ces éléments soient mis à la disposition du parent concerné, même s’il n’en fait pas la demande. »
Il s’agissait dans cette affaire d’un entretien filmé entre une enfant ayant pu être abusée et des professionnels, la cassette n’ayant pas été projetée à sa mère à qui elle avait été enlevée.
La question se pose donc dès à présent : les juges doivent-ils se contenter d’appliquer le décret ou, surtout si une demande de remise d’un rapport leur est officiellement présentée, doivent-ils constater la non-conformité du nouvel article 1187 avec la norme européenne et aller au-delà des prescriptions du texte ? La réponse me semble positive.
Mais la Cour de cassation vient de prendre position , et en sens contraire. Dans un attendu comme souvent elliptique, elle a affirmé que « les époux B... ont été invités à plusieurs reprises à consulter le dossier au greffe conformément aux dispositions de l’article 1187 du nouveau Code de procédure civile dans sa rédaction postérieure au décret du 15 mars 2002, qui ne viole ni le principe de la contradiction ni l’article 6.1 de la Convention européenne des droits de l’homme, dès lors qu’il aménage l’accès au dossier dans des conditions permettant d’assurer la nécessaire protection due à l’enfant ». Pour les raisons précitées, cette décision ne peut donc qu’être regrettée. Mais le débat n’est pas clos…
La Cour de cassation a par ailleurs précisé qu’« aucune disposition légale n’impose au juge de mentionner dans sa décision que les parties ont pris connaissance des pièces du dossier ».
Au-delà du texte, un état d’esprit
Ce texte mal rédigé et comprenant des dispositions incohérentes et inapplicables, même s’il va permettre certaines avancées positives, est malheureusement la résultante sans surprise des débats qui ont précédé son élaboration.
Lorsqu’en février 1995 la CEDH a affirmé que l’exigence d’équité, d’égalité entre les parties, s’applique aussi à la protection de l’enfance, on aurait pu s’attendre à des applaudissements venant de toute part, à rencontrer des professionnels ravis d’avoir enfin à leur disposition l’outil juridique qui leur manquait pour obtenir la mise en place rapide d’une procédure enfin claire, saine, équilibrée, laissant à chacun sans exclusive une véritable place. C’était être terriblement naïf. Deux phénomènes sont apparus nettement.
- Le premier, c’est le silence des professionnels pendant des années. Tous les juges, à compter de la lecture de cet arrêt (mon commentaire, avec l’essentiel de l’arrêt, a été publié à la revue Dalloz — diffusée dans tous les tribunaux sans exception — au cours du second semestre 1995), savaient au pire à la fin de l’année 1995 que s’ils ne communiquaient pas les rapports aux familles, ou au moins ne leur proposaient pas de venir lire le dossier au greffe, ils violaient délibérément le droit applicable et que toutes leurs procédures étaient irrégulières.
Rappelons que juridiquement lorsqu’un arrêt de la CEDH fait apparaître qu’une de nos dispositions ne respecte pas la Convention européenne des droits de l’homme, le juge français aussitôt ne doit plus appliquer cette disposition non conforme même si seule une modification de la loi peut supprimer définitivement ce texte de nos codes. Autrement dit, on doit respecter le principe tiré de la Convention européenne et, sans attendre, faire comme si la disposition contraire n’existait pas.
- ll faut bien comprendre aussi que si le débat devait normalement s’engager sur les modalités d’accès, sachant que le minimum serait forcément un droit de lire le dossier (il ne peut pas exister moins) et le maximum la remise d’une copie des pièces, les juges avaient l’obligation, et non la simple faculté, de mettre en œuvre immédiatement au moins la disposition minimale que constitue le droit de lire le dossier.
- Mais que s’est-il passé de 1995 à 1999, rien, absolument rien. Chacun a fait comme si la CEDH n’avait rien dit, comme si l’arrêt de février 1995 n’existait pas, comme si le cadre juridique n’avait pas changé.
- Les juges des enfants ont délibérément et pendant des années violé dans chacune de leurs procédures les droits les plus fondamentaux de leurs concitoyens, et ceci en pleine connaissance de cause. Ce juge qu’au pays des droits de l’homme la Constitution fait gardien des libertés individuelles ! On pourra discuter des raisons. On ne pourra jamais supprimer ce fait.
Alors pourquoi un tel refus de reconnaître les droits de certains (l’enjeu est sans doute là) de nos concitoyens ? On n’échappera pas à cette question, même si quand on la pose les réactions sont souvent très vives. À chacun de proposer des éléments de réponse.
- Le second phénomène est l’ampleur des oppositions à la mise en place d’un système conforme au droit fondamental (et plus simplement conforme à ce qui se pratique partout sauf dans les juridictions pour mineurs) qui sont apparues à compter de l’année 2000 et pendant la phase d’élaboration du décret, depuis la mise en place de la commission chargée de proposer une nouvelle rédaction des textes. On pouvait s’attendre à des débats vifs, à entendre des avis partagés. On a assisté à de fortes pressions pour empêcher toute avancée majeure du droit français.
Ce que l’on a surtout constaté, dans l’intense débat qui s’est engagé, c’est l’extraordinaire absence de référence au droit, et aux droits des familles. Les arguments d’opportunité (c’est souhaitable ou ça ne l’est pas, on est d’accord ou on est contre, on est prêt ou on ne l’est pas…) ont été innombrables. Les arguments juridiques totalement absents.
Pourtant la question n’a jamais été « l’accès des familles à leur dossier est-il souhaitable ou non ». La seule question posée était et reste : « Les familles ont-elles le droit d’accéder à leur dossier ? » Cela n’a rien à voir, d’autant plus que la réponse était depuis 1995 dans l’arrêt de la CEDH.
S’interroger sur les droits supposait d’aborder la question à partir des familles et du cadre juridique en vigueur. Complètement à l’inverse, dans la bouche ou sous la plume des professionnels, on a principalement entendu et lu « moi je pense que… ».
Le nouveau décret, pour ce qui concerne l’accès des familles au dossier, est un texte de défiance vis-à-vis de nos concitoyens qui donc ne sont toujours pas capables/dignes d’avoir entre leurs mains, chez eux, quelques feuilles de papier dans lesquelles on parle d’eux.
On revient alors aux mêmes questions : Qu’ont-ils ces gens là de moins que les autres ? Traverser des difficultés personnelles, familiales ou sociales rend-il indigne ? Être moins apte ou moins fortuné entraîne-t-il aujourd’hui encore une sorte de relégation aux marges ? Comment si nous les avions en face de nous leur expliquerions-nous que la mise en œuvre de leurs droits les plus essentiels ne nous semble ni opportune ni urgente ?
Et puis finalement, peut-on en même temps prétendre aider et exclure ? Une démarche d’aide ne suppose-t-elle pas au préalable la reconnaissance d’une certaine compétence des intéressés quel que soit leur comportement et quoi qu’ils aient fait ? Aider n’est-ce pas valoriser plutôt que blâmer, associer plutôt qu’exclure ? Cette méfiance est inadmissible d’un point de vue juridique et éthique, mais elle est tout autant dénuée de raison d’être. Il suffit de se reporter à l’expérience menée dans un grand tribunal pour enfants pour s’en convaincre.
En bilan d’une période d’expérimentation officieuse d’invitation lancée aux familles d’accéder à leur dossier, il est écrit :
« Je préciserai que chaque entrevue s’est déroulée sans incident. Tous se sont montrés calmes et constructifs dans leur approche y compris les personnes qui souffraient d’une pathologie mentale. »
La raison de ce calme alors que l’on prédisait une succession ininterrompue d’incidents, on la trouve très logiquement dans un autre paragraphe :
« Les familles même les plus fragiles et les plus en difficulté abordent la lecture de leur dossier de manière constructive et sereine […]. Toutes expriment leur satisfaction — satisfaction d’être reconnues et considérées comme une véritable partie, satisfaction teintée de soulagement aussi, tant les représentations sont fortes d’un dossier mystérieux et inquiétant susceptibles de contenir des données perçues parfois comme beaucoup plus graves que celles qui y figurent réellement. […] Tous expriment leur satisfaction de leur avoir permis d’accéder à leur dossier . »
Un tel résultat est sans aucune surprise. Ce qui vaut pour chacun d’entre nous vaut pour chacun d’eux. La méfiance, la mise à l’écart, la déconsidération attisent l’insécurité et les conflits. À l’inverse, la confiance et la valorisation favorisent l’émergence de comportements adaptés.
L'information des parents par les travailleurs sociaux
En même temps que le cadre juridique, les réflexions et les pratiques des travailleurs sociaux ont évolué. Sensibles à la notion de contradictoire, soucieux de transparence, désireux d'engager une totale relation de confiance, de plus en plus de professionnels, ou de services, se sont interrogés sur l'opportunité de communiquer eux-même aux membres des familles, et avant l'audience chez le juge, les termes de leur rapport écrit.
D'un point de vue juridique, même si le cadre juridique ne le prévoit pas, cela ne semble pas générer de réelle difficulté. En effet si la législation en vigueur permet aux professionnels de refuser en présence d'une demande en ce sens des intéressés, elle ne leur interdit pas d'y accéder.
Au demeurant, certains documents officiels montrent une réelle évolution des mentalités.
S'agissant de la MJIE, qui est une nouvelle mesure d'investigation pluridisciplinaire créée par le ministère de la justice en 2011(cf. le chapitre sur les mesures d'investigation), la circulaire de présentation de janvier 2011 mentionne :
« La restitution des conclusions de la MJIE constitue une étape essentielle dans le cadre du contradictoire. À l'égard de la famille et du mineur, les conclusions de l'investigation sont systématiquement exposées aux intéressés et discutées avec eux avant d'être adressées au magistrat. Ce principe réaffirme la nécessité de les associer à l'ensemble de la démarche. La phase de restitution à la famille revêt une grande importance. Elle permet aux mineurs et à ses parents d'exprimer leurs opinions et de se préparer à l'audience dans une dimension contradictoire. »
Une telle démarche va dans le bon sens. D'autant plus que le débat avec les intéressés autour du contenu du rapport peut permettre au rédacteur de repérer des incompréhensions, maladresses, voire des erreurs gênantes, et de les rectifier avant l'envoi du rapport au juge des enfants.
Au final, les travailleurs sociaux ne doivent pas hésiter, en amont de l'audience, à transmettre aux intéressés tout ce qui est susceptible d'être mentionné dans un futur rapport écrit à destination de la juridiction pour mineurs.
L'information des parents sur les propos de leurs enfants
L'audition du mineur doté de discernement est l'une des phases obligatoires et indispensables de la procédure (cf. aussi le chapitre sur les investigations et spécialement sur l'audition des mineurs).
Le juge des enfants dispose d'un choix : soit il réunit tous les membres de la famille, parents et enfants, et dialogue avec chacun d'eux en présence des autres, soit il entend certains d'entre eux séparément, et pour ce qui nous intéresse ici les mineurs.
La question se pose alors de la façon dont les propos des mineurs sont restitués à leurs parents.
Pour trouver la réponse à cette problématique, il faut une fois de plus avoir en tête la préoccupation essentielle autour du contradictoire : mettre chacun des intéressés en situation de répondre réellement et efficacement aux arguments des autres.
Il faut donc de nouveau distinguer deux hypothèses :
- Soit le mineur entendu séparément (et qui rappelons le doit être clairement informé en début d'entretien du fait que ses propos essentiels seront rapportés à ses parents) n'apporte pas d'élément nouveau et le juge peut, à l'audience principale précédant la décision, se contenter d'en résumé l'essentiel aux parents après avoir entendu le mineur.
- Soit le mineur apporte des éléments nouveaux et importants, et si les parents ont besoin de temps pour y répondre et/ou apporter d'autres éléments en réponse, alors l'audience doit être différée.
C'est ce que semble avoir retenu la cour de cassation dans une décision qui, si elle concerne le JAF, énonce un principe transposable à la juridiction des mineurs.
Dans son arrêt du 20 juin 2012 , la cour de cassation constate qu'un mineur a été en entendu ésparément par un magistrat et que les propos de ce mineur ont, à l'audience, été retranscrits à ses parents. Ceux-ci ont formé un pourvoi en prétendant l'existence d'une ateinte au principe du contradictoire.
Ce à quoi la cour de cassation répond :
« Mais attendu qu'ayant relevé, d'une part, que l'enfant, assistée de son avocat, avait été entendue par un membre de la cour et que le compte rendu de cette audition avait été effectué oralement lors de l'audience en présence des parties ou de leurs représentants, d'autre part, que cette audition n'était pas de nature à modifier les analyses concordantes résultant des rapports d'expertise, étant précisé que le rapport de Mme Z... avait déjà été écarté des débats comme étant non contradictoire et reposant sur les seules affirmations de Mme X..., c'est sans se contredire ni méconnaître le principe de la contradiction que la cour d'appel, prenant en considération l'intérêt supérieur de l'enfant, a fixé les modalités d'exercice du droit de visite et d'hébergement du père ; que le moyen, mal fondé dans ses deux premières branches, manque en fait dans sa troisième. »
Cette rédaction laisse entendre que si les propos du mineur avaient contredit les rapports d'expertise, alors le juge aurait dû permettre aux parents de mieux préparer leurs réponses aux propos du mineur.
Ce mécanisme doit être transposé en assistance éducative afin que le principe du contradictoire soit respecté non seulement dans son principe mais tout autant dans sa réalité.
La présence du greffier aux audiences
Il s’agit là en apparence d’un point autrement moins important pour les familles mais qui pourtant peut avoir des conséquences juridiques dommageables.
Dans la juridiction des mineurs, comme dans bien d’autres (titre premier du livre huitième du Code de l’organisation judiciaire, « Les secrétariats-greffes »), s’appliquent des règles relatives à la mission des greffiers. Ceux-ci ont un rôle très important dans toute la procédure puisqu’ils sont chargés de certaines diligences importantes (notification des décisions, réception des appels par exemple).
L’article R. 123-13 du Code de l’organisation judiciaire précise que les greffiers
« […] assistent les magistrats à l’audience et dans tous les cas prévus par la loi. Ils dressent les actes de greffe, notes et procès-verbaux prévus par les lois et règlements […]. »
L’article 728 du Code de procédure civile indique les fonctions du greffier à l’audience. Il note la date de l’audience, le nom des juges et le sien, le nom des parties, celles qui sont présentes ou représentées, les incidents d’audience puis le contenu du jugement.
L’article 454 précise logiquement que le jugement doit contenir, entre autres mentions obligatoires, le « nom du secrétaire ».
L’article 456 ajoute que le jugement est signé « par le président et le secrétaire ».
La présence du greffier est importante car c’est lui qui certifie ce qui est écrit dans le procès-verbal de l’audience, document qui permet en cas de recours de vérifier qui était présent, qui s’est exprimé, si des demandes ont été présentées pour la première fois à l’audience, etc.
En pratique, dans un très grand nombre de tribunaux pour enfants, le personnel du greffe n’est pas en nombre suffisant pour à la fois être présent dans le bureau du juge des enfants pendant les audiences, qui souvent remplissent les deux tiers de la journée, et pour, en plus ouvrir, les dossiers nouveaux, adresser les avis, faire et envoyer les convocations, dactylographier les jugements, les notifier, recevoir les particuliers ou les avocats, recevoir les appels et photocopier les dossiers, répondre au téléphone, etc. Il est donc matériellement impossible d’assurer la présence d’un greffier à toutes les audiences, sauf à bloquer complètement et en quelques jours les juridictions.
Il ne s’agit pas ici d’entamer un débat sur l’opportunité de la présence d’un greffier à chaque audience. Certains pensent que sa présence est essentielle pour témoigner de ce qui s’y passe en tant que personne neutre qui ne prend pas part aux débats. D’autres considèrent que monopoliser une personne pendant des heures pour qu’elle note uniquement de temps en temps quelques mots sur un papier n’est pas une priorité. La règle légale est telle qu’aujourd’hui la question ne se pose pas en termes de choix.
En droit, toutefois, si la présence du greffier aux audiences d’assistance éducative est obligatoire, s’applique l’article 430 du Code de procédure civile qui prévoit que « les contestations afférentes à [la] régularité [de la juridiction] doivent être présentées, à peine d’irrecevabilité, dès l’ouverture des débats ou dès la révélation de l’irrégularité si celle-ci survient postérieurement, faute de quoi aucune nullité ne pourra être ultérieurement prononcée de ce chef, même d’office ». Ce principe a permis à la Cour de cassation de relever que même lorsqu’un greffier qui doit être présent est absent à une audience civile, si les parties ne relèvent pas cette irrégularité en tout début d’audience, avant que le dialogue ne commence sur le fond du dossier, elles ne peuvent plus s’en prévaloir par la suite devant la juridiction supérieure pour obtenir l’annulation de la décision rendue .
Quoi qu’il en soit, il est exclu que les jugements mentionnent la présence d’un greffier si celui-ci est absent. Dans le cas contraire il pourrait y avoir dans l’absolu une procédure pénale pour inscription de faux.
Une question subsiste, liée à la présence ou à l’absence du greffier : celle du contenu du procès-verbal d’audience. À chaque audience, bien des propos sont échangés. Et il faut en conserver une trace, notamment s’il s’agit de propos non contenus dans les écrits.
S’agissant des éducateurs, sauf s’ils complètent leur exposé par la description d’événements postérieurs à la date d’envoi de leur dernier rapport, il n’y a pas de nécessité de renoter ce qu’ils ont déjà écrit dans leurs documents. Mais les avis des parents et des mineurs, eux, ne figurent nulle part. Il est donc indispensable qu’ils soient mentionnés, en résumé, sur le procès-verbal de l’audience puisque le juge des enfants y fera éventuellement allusion dans son jugement. C’est aussi sur ce procès-verbal que la cour d’appel trouvera trace des arguments des membres de la famille devant le juge des enfants et à partir de lui qu’il sera vérifié si le magistrat a bien pris en compte tous leurs arguments.
Si le greffier est présent, c’est lui qui doit en principe noter les propos essentiels des personnes présentes. Mais il est très malaisé de trouver une méthode satisfaisante, quelle que soit la bonne volonté de chacun. Si le juge des enfants ne dicte rien, le greffier note seulement ce qui lui paraît essentiel, son critère n’étant pas forcément celui du juge. À l’inverse, si le juge dicte, cela rend le débat morcelé et il perd beaucoup de sa spontanéité. Si le greffier est absent, c’est le juge qui rédige le procès-verbal, en notant ce qu’il estime être essentiel à sa prochaine prise de décision.
Quel que soit le rédacteur, un procès-verbal d’audience, qui n’est pas un procès-verbal d’audition dans le cadre d’une investigation, n’a pas à être signé par les personnes présentes. Une fois l’audience terminée, le juge doit prendre sa décision.
CHAPITRE 4 :Les critères de l’intervention
du juge des enfants
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BIEN DES DEBATS concernent la question apparemment non résolue du ou des critères de l’intervention du juge des enfants. Sur le plan théorique, diverses propositions ont été faites. On a mis en avant le danger, la faute des parents, le conflit. Rien n’est clair aujourd’hui. Il semble donc nécessaire et utile de proposer ici une réflexion sur ces critères d’intervention.
Il ne s’agit pas seulement d’une question théorique engagée pour le seul plaisir de l’esprit. Car de l’énoncé des critères découleront des décisions différentes des magistrats, ainsi que nous le verrons dans certains chapitres.
Un critère légal mais insuffisant : le danger
Le danger, critère bien connu de l’intervention du juge des enfants, doit être défini. Mais le constat d’un danger ne suffit pas, contrairement à ce que l’on croit souvent, à justifier l’intervention du tribunal pour enfants. C’est un critère de compétence insuffisant.
Le danger, critère énoncé par la loi
Le premier critère souvent avancé est celui du danger. Il découle des premiers mots de l’article 375 du Code civil, modifié par la loi de mars 2007, texte qui expose le fondement de l’assistance éducative :
« Si la santé, la sécurité ou la moralité d’un mineur non émancipé sont en danger, ou si les conditions de son éducation ou de son développement physique, affectif, intellectuel et social sont gravement compromises, des mesures d’assistance éducative peuvent être ordonnées. […] »
Auparavant, les critères d’intervention du juge étaient les suivants : « Si la santé, la sécurité ou la moralité d’un mineur non émancipé sont en danger, ou si les conditions de son éducation sont gravement compromises […]. » Bien qu’il ait été rajouté le développement physique, affectif, intellectuel et social, cette modification de texte ne devrait entraîner aucun bouleversement des pratiques sociales et judiciaires, car l’ancienne définition suffisait à prendre en compte le danger sous toutes ses formes.
Du texte découle le principe souvent énoncé que, lorsqu’un mineur est en danger, il doit être protégé par le juge des enfants en application de ce texte. Or rien n’est moins vrai. Si l’on part de l’hypothèse qu’effectivement un mineur est en danger, le juge des enfants doit rechercher s’il est le seul où le mieux placé pour faire disparaître ce danger. Or ce ne sera pas toujours le cas. Il faut donc s’interroger successivement sur les contours de la notion de danger et sur les différents moyens qui peuvent permettre de le résorber.
Notons auparavant pour mémoire qu’à l’occasion de l’élaboration de la loi du 4 mars 2002 relative à l’autorité parentale il a été voté un article 13 mentionnant, outre des sanctions envers les adultes qui ont recours à des mineurs qui se prostituent, que « tout mineur qui se livre à la prostitution, même occasionnellement, est réputé en danger et relève de la protection du juge des enfants au titre de la procédure d’assistance éducative ».
Cette disposition est étonnante à double titre :
- elle l’est d’abord parce que l’on imagine mal un magistrat écrire dans un jugement qu’un mineur qui se prostitue ne met en danger ni sa santé, ni sa sécurité, ni sa moralité ;
- elle l’est également parce qu’elle semble induire une intervention du juge des enfants de façon, même sans le dire clairement, systématique. Or, comme cela sera développé plus loin, l’existence d’un danger n’implique pas à tout coup la nécessité d’une intervention judiciaire.
On peut donc s’interroger sur l’utilité de ce texte qui n’a pas vocation à devenir une référence majeure de notre dispositif légal.
Une notion aux contours imprécis
Quelle que soit la difficulté à énoncer ce que recouvre la notion de danger, il est impossible d’éluder le problème car le juge a comme première obligation de motiver sa décision. Le magistrat, avant tout choix de mesure éducative, doit dire et écrire en quoi le mineur concerné est en danger, s’il est estimé être dans une telle situation de danger. Il doit d’abord motiver sa décision par la description de ce danger.
La motivation spéciale du danger
Cette exigence de motivation repose sur l’article 455 du Code de procédure civile, qui énonce :
« Le jugement doit exposer succinctement les prétentions respectives des parties et leurs moyens. Il doit être motivé. »
La Cour de cassation contrôle scrupuleusement l’existence et la qualité suffisante de la motivation, cela dans toutes les matières, et notamment en assistance éducative. Elle vérifie en premier lieu qu’il y a une motivation, mais aussi que celle-ci est suffisante. Car, comme elle doit le rappeler régulièrement :
« Tout jugement doit contenir les motifs propres à justifier la décision ; L’insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur inexistence . »
Les décisions relatives au contrôle de la motivation sont nombreuses . L’exigence de motivation s’applique y compris à la partie de la décision qui statue sur la contribution des parents aux frais d’entretien de leur enfant confié à un tiers (art. 375-8 du Code civil) .
La Cour de cassation impose véritablement une motivation minutieuse des décisions. Elle rappelle que les juges qui statuent doivent répondre à tous les arguments essentiels qui sont présentés par les parties et ne peuvent pas se contenter d’affirmations générales sans reprendre le détail des argumentations avancées.
De leur côté, les cours d’appel doivent exercer un contrôle de la motivation des juges des enfants . Mais cela suppose qu’elles donnent l’exemple de motivations suffisantes dans leurs arrêts, ce qui n’est malheureusement pas toujours le cas…
Le principe est donc clairement posé. En plus d’une obligation juridique, la motivation répond à une nécessité éducative, psychologique (cf. chapitre 6 pour une plus ample analyse de cette question de l’effet de la motivation sur le déroulement des procédures).
C’est alors, quand on se plonge dans la lecture des décisions quotidiennement rendues, que l’on est obligé, malheureusement, de constater combien la distance est parfois bien grande entre l’exigence de motivation précise et complète posée par les textes et contrôlée par la Cour de cassation et la réalité concrète. On trouve en effet trop de jugements dont la motivation du danger est limitée à quelques phrases rédigées en des termes flous et généraux. On trouve également trop de décisions au vocabulaire peu accessible, car de nature psychologisante.
Si l’on admet l’obligation de motiver le danger, on est alors conduit à s’interroger sur le contenu de la notion, ce que n’ont pas à faire les magistrats qui ne motivent pas, et qui ainsi laissent de côté l’essentiel de leur mission.
Le contenu de la notion de danger
S’il est une notion qui ne sera jamais précisément et définitivement définie, c’est bien celle de danger. Et si l’article 375 ajoute quelques précisions, une fois que l’on a lu le texte, la réflexion n’est pas vraiment plus avancée. La question reste la même : à partir de quand peut-on justifier l’intervention judiciaire par l’affirmation qu’un mineur est en danger ?
En nous indiquant que le danger est « ce qui menace ou compromet la sûreté, l’existence d’une personne ou d’une chose », le dictionnaire (Le Robert) ne nous aide pas beaucoup. L’explication donnée correspond à la définition que chacun se fait intuitivement du danger de façon générale, mais ne permet de résoudre aucun cas particulier.
Cette définition permet quand même de clarifier un point important. La compétence du juge des enfants n’est pas conditionnée par le constat d’un dommage. Le danger, c’est aussi la forte probabilité qu’un dommage apparaisse. La nuance est très importante. La juridiction des mineurs n’est pas uniquement là pour intervenir dans des situations déjà très dégradées. Elle peut légitimement intervenir lorsque la situation est telle qu’une dégradation est quasiment inéluctable mais avant que des graves dysfonctionnements n’apparaissent.
Mais au-delà, la question réapparaît, toujours la même : à partir de quel degré de menace ou de compromission doit-on intervenir ? Dans de nombreuses familles, il y a des tracas, des tensions, des incidents, des querelles, des inimitiés, des coups d’éclats, des séparations, des ruptures. Dans bien des cas cela crée pour les adultes et pour les enfants une atmosphère pénible, angoissante, peu épanouissante. Mais chacun s’accorde à dire qu’il n’est pas question d’une intervention judiciaire au moindre dysfonctionnement familial . Il faut donc fixer une limite, une barrière en dessous de laquelle on estimera que, même s’il y a incident, cela ne justifie pas une intervention judiciaire en assistance éducative. Et c’est là que commence la mission la plus délicate du juge des enfants.
Les situations faciles à repérer sont celles dans lesquelles il y a un dysfonctionnement grave, c’est-à-dire celles dans lesquelles tout le monde est d’accord pour affirmer que la situation d’un mineur est intolérable et qu’il faut impérativement la faire évoluer vers un mieux-être. On y trouve quotidiennement les graves troubles du comportement des parents ou des enfants : l’alcoolisme, la violence grave morale ou physique , les agressions sexuelles, les graves carences de soins, l’échec scolaire précoce, etc. S’agissant des souffrances psychologiques, la Cour de cassation a fort logiquement précisé qu’il s’agissait d’un danger pour la santé, terme qui selon elle « englobe l’évolution psychologique ».
Le danger est alors patent et la seule véritable question qui reste posée est celle du moyen technique le plus approprié pour le résorber. Car il faut bien avoir en tête qu’à chaque situation de danger grave ne répond pas inéluctablement une mesure de séparation parents/enfants.
À l’inverse, on trouve un nombre non négligeable de familles dans lesquelles il y a des dysfonctionnements, mais sans rien de dramatique comparativement aux drames que l’on côtoie en même temps. Pour ces familles, on est certain qu’il pourrait manifestement y avoir des progrès, que les mineurs pourraient bénéficier d’un encadrement meilleur qui pourrait les aider à mieux grandir, ou à mieux apprendre, mais on hésite à intervenir parce qu’il s’agit de situations qui existent par centaines dans les quartiers des villes regroupant le plus de familles en situation relativement précaire et que l’on sait que, si on veut intervenir alors que les dysfonctionnements constatés ne sont pas gravement dangereux pour les mineurs, il va falloir intervenir dans un nombre démesurément important de familles .
Pour illustrer le propos, on peut prendre l’exemple simplifié d’une famille dans laquelle il y a deux parents aux compétences intellectuelles limitées, qui sont avec leurs enfants très chaleureux, qui s’en occupent matériellement bien, mais qui du fait de leur personnalité et de leur parcours n’encouragent pas vraiment leurs enfants dans la voie des apprentissages scolaires, ce qui a pour conséquences une mobilisation moindre des enfants, des comportements inadaptés en classe et/ou des résultats scolaires médiocres qui font penser, alors qu’ils sont encore petits, que leur avenir scolaire et professionnel sera certainement réduit, et que faute d’études avancées ils n’auront pas une fois adultes la possibilité de choisir un métier valorisant et rémunérateur leur permettant d’offrir à leur tour un confort important à leur future famille.
Faut-il ou non considérer qu’un préadolescent pour qui l’on prévoit déjà un cursus scolaire abrégé et une orientation vers des filières sans espoir a ses conditions d’éducation gravement compromises au sens de l’article 375 du Code civil ? Doit-on intervenir si l’on estime qu’encadré par d’autres adultes au moins pendant la semaine il pourrait être obligé de se mobiliser et pourrait sans doute poursuivre une scolarité bien meilleure ? Mais n’hésitera-t-on pas à envisager un éloignement si le lien affectif familial est tel que parents et mineur s’opposent viscéralement à toute séparation, malgré toutes les explications fournies par les professionnels ? Imagine-t-on dans ce cas une exécution forcée, par la police, de la décision confiant le mineur à un service éducatif ? L’enjeu justifierait-il une intervention très dure de l’institution judiciaire, contre les parents qui hébergeraient leur enfant en fugue ? La plupart des professionnels répondront à juste titre que non.
À partir de cette illustration, sans fournir de mode d’emploi de la notion de danger répondant à toutes les questions qui tournent autour de ce mot, on peut essayer de préciser les cas dans lesquels l’intervention judiciaire se justifie.
Il y aura certainement nécessité d’une intervention si d’une part la situation d’un mineur paraît très préoccupante, au-delà de ce qui arrive souvent un jour ou l’autre et ponctuellement dans un grand nombre de familles, et d’autre part si l’on peut estimer que même en cas d’opposition flagrante de la famille il faudra à tout prix imposer l’exécution de la mesure envisagée, y compris si nécessaire en utilisant la voie pénale répressive contre les parents. Cela suppose à l’origine, on y revient encore, une description précise du danger et des points qui doivent impérativement être améliorés. Cela suppose aussi que le juge des enfants soit certain qu’il ne cédera pas ultérieurement si les éducateurs lui font connaître l’impossibilité à exercer leur mission et à travailler avec la famille les points essentiels mentionnés dans le jugement.
Autrement dit, il faut éviter les dossiers qui commencent par une intervention solennelle du juge des enfants mais qui se terminent par une mainlevée de mesure ou un classement sans suite un peu honteux à cause de l’opposition des intéressés. Il n’y a rien de pire, et rien qui conduise plus vite vers le ridicule et le discrédit des professionnels, que les avertissements ou menaces non suivis d’effets. Un juge, un substitut du procureur, des éducateurs, sont vite connus dans un quartier. Et le constat par une famille qu’ils annoncent des mesures mais n’agissent pas en conséquence sera vite connu des autres. Si une famille obtient l’arrêt d’une intervention par sa seule opposition ou passivité, les autres prendront vite conscience qu’il s’agit là d’un moyen bien plus efficace qu’un recours en appel pour faire cesser l’intrusion refusée !
Il reste alors à définir, au cas par cas, ce qui peut être toléré, même si ce n’est pas brillant, ou en tout cas ce qui ne sera pas sévèrement sanctionné, et ce qui est vraiment trop dangereux et inacceptable et doit entraîner une intervention si nécessaire très autoritaire de l’institution. Les professionnels doivent être réalistes et ne pas avoir comme objectif d’apporter un mieux-être à tous les mineurs. Ou alors le désenchantement arrivera bien vite.
Le danger prend des contours variés. Il n’y a pas deux familles dont la problématique soit identique. Reviennent principalement entre autres, quelles qu’en soient les causes, les conflits aigus entre les parents, les séparations très conflictuelles, la violence psychologique ou physique, et notamment les nombreux cas d’agressions sexuelles, l’alcoolisme, les troubles du comportement des parents et/ou des enfants, les carences et inaptitudes fondamentales, l’isolement social ou professionnel.
La marginalisation d’un mineur dans la délinquance caractérise également une situation de danger. La réponse à ces situations constitue actuellement un enjeu social et politique majeur. Nous y reviendrons plus en détail plus loin (cf. chapitre 14).
Par ailleurs, bien des mineurs sont en danger du fait de l’implication de l’un ou de leurs parents dans une secte , notamment quand la conséquence en est l’enfermement à l’intérieur du groupe sans aucun contact avec l’extérieur .
Les professionnels voient défiler sous leurs yeux tous ces adultes, tous ces enfants, qui certes, surtout les premiers, ont parfois des attitudes très critiquables et commettent de graves erreurs, mais qui sont souvent tout autant des gens qui n’ont pas eu la chance des autres d’arriver à l’âge adulte avec suffisamment de ressources pour faire face plus aisément aux difficultés rencontrées. Ils sont bien souvent autant à plaindre qu’à blâmer. Observer les familles en difficulté, c’est tous les jours contempler le résultat d’injustices insupportables.
Une fois que l’on a défini dans chaque affaire les éléments susceptibles de justifier la qualification de danger, il faut s’interroger sur les différents moyens de le résorber, et rechercher ceux qui doivent être prioritairement utilisés. Le danger est un critère insuffisant pour ouvrir la voie à l’intervention du juge des enfants.
Le danger, critère insuffisant
En effet, toute situation de danger ne nécessite pas une intervention judiciaire, ou en tout cas cette intervention ne relève pas forcément de la compétence du juge des enfants. C’est pour cela que dans l’article 375 du Code civil le législateur a précisé :
« Si la santé [...], des mesures d’assistance éducative peuvent être ordonnées [...]. »
Il en aurait été autrement si l’article avait contenu le verbe « doivent » à la place de « peuvent ». L’intervention du juge n’est donc que facultative, même si manifestement un mineur est en situation de danger.
Cette rédaction n’a évidemment pas pour objectif de permettre à la justice de laisser des mineurs qui en ont besoin sans protection. Car si le juge des enfants dispose de la faculté de ne pas ordonner de mesure d’assistance éducative même dans une telle hypothèse, c’est parce que l’on suppose a priori que d’autres interventions peuvent résorber ce danger, sans besoin de celle supplémentaire du tribunal pour enfants. C’est le cas soit parce que d’autres magistrats sont prioritairement et plus efficacement compétents, soit parce que la famille dispose en elle-même des ressources suffisantes pour mettre fin à ce danger, soit parce que l’intervention des services sociaux de prévention est suffisante. Ce n’est que lorsque ces trois possibilités sont exclues que le juge des enfants doit intervenir. Et de l’analyse du dernier cas découle le second critère général d’intervention du juge des enfants.
L’intervention d’autres magistrats
Au sein de l’institution judiciaire, le juge des enfants n’est pas le seul magistrat à intervenir dans les affaires familiales. D’autres ont également des compétences permettant de résorber le danger subi par certains mineurs. Parfois ils interviendront en même temps que le juge des enfants, parfois ils interviendront seuls.
Le procureur de la République, le juge d’instruction et les juridictions pénales
Au-delà de son pouvoir de saisine du juge des enfants et d’éloignement de mineurs dans les cas d’urgence (voir chapitre 7), le procureur de la République a compétence pour décider de la suite à donner aux infractions pénales. C’est lui qui peut, s’il l’estime opportun, engager des poursuites pénales contre des adultes ou des mineurs, poursuites qui se termineront, sauf déclaration de non-culpabilité, par une condamnation pénale. Or certains mineurs sont plus en danger à cause de la commission d’infractions pénales qu’à cause de carences éducatives.
Par exemple, un mineur peut être traumatisé par les violences exercées sur sa mère par son concubin, qui n’est pas son père. Cette mère peut ne pas oser se séparer de cette relation violente par peur à la suite de menaces. Or une mesure d’assistance éducative peut se révéler totalement sans impact sur cet homme qui se moquera peut-être des remarques des éducateurs et de la menace d’éloignement d’un enfant qui n’est pas le sien. Dans un tel cas, seules des sanctions pénales peuvent être réellement dissuasives. Si la mère n’ose pas porter plainte par peur, le juge des enfants saisi, constatant l’insuffisance de son intervention, doit alerter sans délai le procureur s’il ne dispose pas déjà de l’information afin que celui-ci engage des poursuites pénales. Si cela paraît utile, le juge d’instruction saisi par le procureur pourra, dans le cadre d’un contrôle judiciaire dont la violation justifie l’emprisonnement, interdire à cet homme de rencontrer la mère et les enfants. Et si cette femme n’est pas en soi défaillante envers ses enfants, l’intervention du juge des enfants ne sera pas utile.
Il faut dans ce genre d’hypothèse éviter les actions sans efficacité qui discréditent la justice et qui même peuvent renforcer les agresseurs dans leur sentiment de toute-puissance.
Le juge des tutelles
Dans certains cas de défaillance parentale, c’est le juge des tutelles, juge du tribunal d’instance, qui mettra fin à une situation dangereuse pour un mineur. C’est le cas lorsque l’un ou l’autre des parents, ou les deux, est décédé ou est « hors d’état de manifester sa volonté », par exemple est emprisonné ou est malade mental, et a été privé de son droit d’exercer ses prérogatives d’autorité parentale (articles 390 et 373 du Code civil). Le juge des tutelles et les délégués chargés de la mesure exercent un contrôle plus ou moins important sur le devenir de l’enfant. Sous certaines conditions, un mineur peut être confié à un tiers, personne physique ou service. Dans tous ces cas, le juge des enfants n’est pas saisi et même n’a pas connaissance de ces situations.
Et lorsqu’une mesure d’assistance est ouverte et que postérieurement aucun des parents ne se trouve en état d’élever l’enfant, la transition peut se faire vers une mesure de tutelle, la procédure ouverte devant le juge des enfants prenant fin pour cette seule raison .
Le débat est plus délicat s’agissant des mineurs étrangers isolés se trouvant seuls sur le territoire français, et dont les parents sont dans un autre pays, identifié ou non. En effet, le juge des enfants est compétent si leur situation est dangereuse au sens de l’article 375 du Code civil, ce qui est souvent le cas au moins dans un premier temps, mais le juge des tutelles est en même temps compétent puisque par hypothèse les deux détenteurs de l’autorité parentale sont défaillants. Et le juge des tutelles semble plus naturellement compétent puisque l’assistance éducative est une mesure de contrôle de l’exercice de l’autorité parentale et que l’on se trouve en présence d’un mineur dont aucun des parents ne s’occupe . Par ailleurs, lorsqu’une mesure de tutelle est ordonnée, il n’y a plus matière à assistance éducative .
En tout cas, il est indispensable que, dans chaque situation, les deux juridictions réfléchissent ensemble au périmètre de leur intervention afin d’éviter des contradictions et des périodes sans aucune protection.
Le juge aux affaires familiales
C’est à propos de l’intervention de ce magistrat qu’apparaissent de réelles difficultés. Le juge aux affaires familiales (JAF), selon l’appellation choisie par la loi du 8 janvier 1993, qui remplace le juge aux affaires matrimoniales, avec des compétences élargies, est compétent pour statuer sur le divorce et ses conséquences sur les enfants, en application de l’article 228 du Code civil. Et le nouvel article 373-2-6 du Code civil mentionne expressément que le juge aux affaires familiales est chargé de veiller « spécialement à la sauvegarde des intérêts des enfants mineurs », ce qui revient à écrire qu’il a lui aussi pour mission de préserver les mineurs d’un environnement nuisible.
La question de la délimitation des compétences juge des enfants/juge aux affaires familiales fait l’objet d’un chapitre particulier (chapitre 5) car elle mérite des développements plus longs. Il sera seulement indiqué ici, succinctement, que si, par exemple après un divorce, le danger provient du comportement du père sur un de ses enfants à l’occasion de l’exercice de son droit de visite et d’hébergement défini par le juge du divorce, seul le juge aux affaires familiales a juridiquement compétence pour réduire ou supprimer le droit du père démontré nocif pour l’enfant. Dans un tel cas, l’envoi d’éducateurs auprès de la mère ou du père peut se révéler totalement inopérant si le père constate, ce qui sera rapide, que même si les éducateurs lui font des remarques sur son comportement, le juge des enfants qui les envoie n’a pas compétence pour réduire ses droits sur ses enfants et qu’en conséquence il est libre de continuer à agir comme il l’entend, sans sanction véritable.
Les capacités propres des familles
Lorsqu’une procédure est ouverte, le juge des enfants ne doit pas se contenter de regarder si un enfant est en danger dans une famille. Il doit tout autant apprécier les capacités de cette famille à mettre fin elle-même à la situation dangereuse. Cette idée apparaît déjà à la lecture des textes.
Les articles sur l’assistance éducative font l’objet d’une section deux d’un chapitre du Code civil intitulé : « De l’autorité parentale relativement à la personne de l’enfant ». La première section du chapitre précise les droits des parents, les troisième et quatrième indiquent dans quels cas les parents peuvent se voir retirer tout ou partie de leurs droits, par application de décisions de délégation d’autorité parentale ou de déchéance d’autorité parentale (la notion de déchéance, trop péjorative, a été remplacée par celle de retrait total de l’autorité parentale par une loi de juillet 1996). C’est la section deux qui présente l’assistance éducative.
Il y a donc, au fil des sections, une gradation dans l’atteinte aux droits des parents. L’assistance éducative en est le premier degré, et elle se situe entre tout aux parents et rien aux parents.
À la différence de la délégation ou de la déchéance d’autorité parentale, la mesure d’assistance éducative n’a pas pour objectif d’enlever aux parents leurs droits sur leurs enfants, mais elle a pour objet de contrôler la façon dont les parents exercent leurs prérogatives, autrement dit, en termes non juridiques, la façon dont ils élèvent leurs enfants et dont ils répondent à leurs besoins fondamentaux.
Si un dossier est ouvert parce qu’un enfant paraît en danger, le juge devra donc rechercher d’abord si les parents et le mineur reconnaissent leurs difficultés et disposent eux-mêmes de la volonté et des moyens efficaces pour mettre fin à ce danger, à condition que cet accord soit clair et lucide . La pratique démontre que dans bien des cas les parents et les mineurs arrivent à mobiliser des ressources considérables et efficaces. Dès lors la demande d’intervention judiciaire formulée par le service ou par la personne qui a signalé la famille au procureur peut ne pas être justifiée . Il arrive également fréquemment que la famille se mobilise avant même de rencontrer le juge des enfants, notamment si elle veut plus que tout éviter une intervention judiciaire.
À l’audience le débat portera donc à la fois sur la situation éventuelle de danger mais tout autant sur ce que les intéressés proposent pour remédier au désordre familial, et seule la conclusion qu’ils ne peuvent pas faire face seuls justifiera d’autres interventions.
Il faut bien avoir en tête que pour certains parents, et on les comprend aisément, l’intervention du juge des enfants est profondément ressentie comme une blessure, comme une négation de leurs qualités, comme le constat de leur incapacité à se mobiliser sans le contrôle de l’autorité judiciaire, surtout s’ils ont affirmé se sentir aptes. Il ne faut jamais oublier ni minimiser ce que représente l’exercice d’une mesure judiciaire dans une famille, ce que cela peut entraîner comme commentaires péjoratifs de la part de la famille proche, de l’entourage, des institutions qui seront parfois promptes à pointer négativement des parents ou des enfants au seul motif qu’ils font l’objet d’un dossier au tribunal pour enfants.
Si à l’audience, après que le danger est apparu réel, la famille déclare vouloir disposer de temps pour faire ses preuves, et si ses propos ne paraissent pas immédiatement crédibles, ce qui ne permet pas alors de refermer sur-le-champ la procédure ouverte par un non-lieu à assistance éducative, le juge doit : surseoir à statuer ; reporter sa décision à plus tard et, sans refermer le dossier : soit demander un nouveau rapport social quelques mois plus tard après le premier rendez-vous ; soit, si cela semble insuffisant, notamment s’il y a un certain contentieux entre la famille et le service social départemental qui a signalé au procureur de la République, ordonner une mesure d’observation en milieu ouvert, à condition de bien expliquer à la famille qu’il s’agit seulement de vérifier ses capacités et qu’une telle mesure n’est aucunement un pré-jugement de valeur ; puis, à réception des rapports, statuer par jugement, en décidant d’intervenir si le constat des carences familiales est cette fois-ci incontestable, ou en rendant une décision de non-lieu si les efforts des intéressés ont effectivement été suffisants pour réduire le danger décrit lors de la première rencontre.
Mais si des éléments permettent d’écrire dans le jugement dès cette première rencontre que cela est manifestement peu crédible, comme l’histoire de la famille, les observations des services sociaux dans les mois précédents ou les propos tenus au tribunal le montrent parfois, alors le juge doit répondre dans ses motivations aux observations des parents et écrire en quoi il estime que leurs engagements ne sont pas raisonnables. Dans la pratique, on cherche vainement des décisions ainsi rédigées dans les dossiers d’assistance éducative, et pourtant nombreuses sont les familles qui affirment, à tort ou à raison, pouvoir réussir sans intervention des services éducatifs judiciaires.
L’intervention des services sociaux de prévention
Il ne suffit pas que la famille ait besoin d’une intervention extérieure pour que celle du juge des enfants se justifie. Car en amont de l’intervention judiciaire interviennent de multiples services qui ont pour mission impérative d’aider les familles en difficulté (services médicaux privés ou hospitaliers, centres médico-psychologiques, foyers pour adultes ou parents seuls, services de guidance familiale ou conjugale, services d’action éducative de prévention, etc.). Le plus important en nombre et en ressources est le service social départemental.
En application de l’article L. 221-1 du Code de l’action sociale et des familles, modifié par la loi de mars 2007, le service dénommé de l’Aide sociale à l’enfance (ASE), qui est un service existant dans chaque département et qui se trouve sous l’autorité et la responsabilité du président du conseil général (art. L. 221-2), a pour mission, entre autres, de :
« [...] 1. Apporter un soutien matériel, éducatif et psychologique tant aux mineurs et à leur famille ou à tout détenteur de l’autorité parentale, confrontés à des difficultés risquant de mettre en danger la santé, la sécurité, la moralité de ces mineurs ou de compromettre gravement leur éducation ou leur développement physique, affectif, intellectuel et social, qu’aux mineurs émancipés et majeurs de moins de vingt et un ans confrontés à des difficultés familiales, sociales et éducatives susceptibles de compromettre gravement leur équilibre
2. Organiser, dans les lieux où se manifestent des risques d’inadaptation sociale des actions collectives visant à prévenir la marginalisation et à faciliter l’insertion ou la promotion sociale des jeunes et des familles [...].
3. Mener en urgence des actions de protection en faveur des mineurs mentionnés au 1° du présent article.
[…]
5. « Mener, notamment à l’occasion de l’ensemble de ces interventions, des actions de prévention des situations de danger à l’égard des mineurs et, sans préjudice des compétences de l’autorité judiciaire, organiser le recueil et la transmission, dans les conditions prévues à l’article L. 226-3, des informations préoccupantes relatives aux mineurs dont la santé, la sécurité, la moralité sont en danger ou risquent de l’être ou dont l’éducation ou le développement sont compromis ou risquent de l’être, et participer à leur protection. »
Pour accomplir cette mission, qui est une mission obligatoire en ce sens qu’aucun département ne peut refuser de la mettre en œuvre, au moins dans son principe, les conseils généraux disposent de larges possibilités. En pratique ils mettent des travailleurs sociaux ou d’autres professionnels à la disposition des familles ou même accueillent provisoirement des enfants que les parents admettent ne plus pouvoir, pendant un certain temps, avoir auprès d’eux dans des conditions saines (art. L. 222-5, 1°). En fait les départements disposent, en quantité variable selon leurs moyens et les choix politiques de ceux qui les dirigent, d’équipes pluridisciplinaires comportant médecins, puéricultrices, conseillers en économie sociale, psychologues, psychiatres, éducateurs, assistantes sociales, etc. Ces moyens sont bien plus importants que ceux dont disposent les services éducatifs intervenant sur décision judiciaire, qui sont exclusivement composés d’éducateurs, avec parfois des interventions de psychologues ou de psychiatres vacataires.
S’agissant des familles en difficulté dans lesquelles des mineurs paraissent en danger auprès de parents la plupart du temps eux-mêmes troublés, l’aide nécessaire pour un mieux-être des intéressés doit d’abord être apportée par le département, à travers le service de l’ASE et au-delà par tous les services de prévention spécialisés. Ce n’est qu’à titre subsidiaire que le juge des enfants doit intervenir, la justice n’ayant pas pour mission de mettre en place des interventions purement sociales demandées ou en tout cas acceptées par les intéressés.
Cette subsidiarité de l’intervention judiciaire a été inscrite dans l’article 375 du Code civil par la loi mars 2007. Il y est dorénavant très clairement indiqué que « dans les cas où le ministère public a été avisé par le président du conseil général [d’une situation de danger], il s’assure que la situation du mineur entre dans le champ d’application de l’article L. 226-4 du Code de l’action sociale et des familles ».
Et l’article L. 226-4 lui-même issu de la loi de mars 2007 indique que :
« I. — Le président du conseil général avise sans délai le procureur de la République lorsqu’un mineur est en danger au sens de l’article 375 du Code civil et :
1° Qu’il a déjà fait l’objet d’une ou plusieurs actions mentionnées aux articles L. 222-3 et L. 222-4-2 et au 1° de l’article L. 222-5, et que celles-ci n’ont pas permis de remédier à la situation ;
2° Que, bien que n’ayant fait l’objet d’aucune des actions mentionnées au 1°, celles-ci ne peuvent être mises en place en raison du refus de la famille d’accepter l’intervention du service de l’aide sociale à l’enfance ou de l’impossibilité dans laquelle elle se trouve de collaborer avec ce service.
Il avise également sans délai le procureur de la République lorsqu’un mineur est présumé être en situation de danger au sens de l’article 375 du Code civil mais qu’il est impossible d’évaluer cette situation. »
Cela signifie qu’avant de saisir le juge des enfants le procureur de la République qui reçoit un signalement doit vérifier si en amont tout ce qui pouvait l’être a été réellement fait dans le domaine de l’aide administrative, éducative et sociale aux familles. Ce n’est que lorsqu’il a acquis la certitude que rien n’est plus possible en prévention qu’il peut solliciter du juge des enfants une mesure judiciaire.
De la même façon, lorsqu’une requête est adressée au tribunal pour enfants, et même si elle provient du procureur de la République qui a estimé que les conditions légales précitées sont remplies, le juge doit à son tour rechercher si l’intervention n’est pas de la compétence du conseil général ou d’un autre service de prévention (éducation nationale, santé, etc.). Il n’est pas rare que des familles ou des individus ou organismes qui ne connaissent pas bien les possibilités d’intervention de l’ASE s’adressent directement au tribunal, sans savoir si l’institution judiciaire est le service compétent pour répondre à la demande formulée. Le juge doit alors expliquer qu’il n’a pas pour mission de mettre en œuvre un soutien social auprès des familles qui sont d’accord pour que les services sociaux de prévention interviennent, et orienter les demandes vers les responsables de l’ASE. Si ce sont les parents qui ont écrit trop hâtivement au tribunal, et s’ils sont d’accord pour contacter l’ASE, parallèlement informée de leur démarche de demande de soutien par le juge, le magistrat peut considérer qu’il y a désistement de la demande d’intervention et classer le dossier sans décision. Par contre si la décision de renvoi vers l’ASE paraît justifiée après une requête du procureur, un jugement de non-lieu motivé, après audition des intéressés, est juridiquement indispensable pour que d’éventuels recours puissent être exercés.
Il a par exemple été jugé très justement, à propos d’un mineur renvoyé d’un établissement éducatif spécialisé par décision médicale et remis à sa mère atteinte elle-même de troubles psychologiques, que le danger trouvant sa source non dans la résidence du mineur chez cette mère défaillante mais dans le renvoi décidé par les professionnels avant même la recherche d’une solution de substitution, il n’y a pas danger au sens de la loi sur l’assistance éducative dans une telle situation et donc pas matière à intervention du juge des enfants .
Pour les mêmes raisons, si une mesure éducative est ordonnée par le juge des enfants parce qu’à l’ouverture du dossier il est apparu nécessaire de l’imposer à des parents n’acceptant pas suffisamment l’intervention des services de prévention, il doit être mis fin à la procédure judiciaire, quand bien même les mêmes mesures doivent se poursuivre, dès lors qu’il apparaît, lors d’une révision de situation, que les parents sont dorénavant pleinement en accord avec ce qui leur est proposé.
Mais la question du choix entre laisser les services de prévention intervenir ou mettre en œuvre une mesure judiciaire est délicate à trancher. Car à l’audience il va falloir faire le tri entre les réelles volontés familiales de réfléchir et d’avancer avec l’aide des travailleurs sociaux et les accords ou demandes de façade qui n’ont comme objectif que d’éviter une intervention judiciaire. Là encore, si le débat à une première audience ne suffit pas pour que le juge puisse écrire quel est le réel état d’esprit de la famille, plutôt que de s’engager trop vite dans une direction ou une autre, il est préférable de renvoyer la décision à plusieurs mois et de faire alors un nouveau bilan, incluant cette fois-ci la relation entre la famille et les services de prévention ainsi que l’efficacité de leur seule intervention au cours de ces quelques mois d’observation.
Il faudra aussi s’assurer que la famille, avant toute démarche de réflexion, a accepté de reconnaître ses vraies difficultés, car il peut bien y avoir accord pour rencontrer des professionnels mais volonté consciente ou inconsciente pour minorer la réalité, ou cacher certains dysfonctionnements douloureux à aborder. Les services de prévention ne peuvent intervenir efficacement que sur des difficultés qui ont été franchement exposées et admises par les familles. À défaut, l’intervention sociale sera un leurre, sans effet suffisant sur des problèmes qui, faute d’avoir été identifiés, n’auront pas pu être vraiment traités. Dans ce cas, le rôle du juge des enfants est indispensable pour mettre en avant la réalité familiale que les intéressés tentent de masquer partiellement.
Précisons qu’il ne peut pas être fait appel au juge des enfants uniquement pour que les familles se retrouvent dans un processus garantissant mieux leurs droits, argument parfois avancé pour « judiciariser » plus de situations. En effet, les droits des familles lors de l’instauration de mesures de prévention ont été clairement précisés aux articles L. 223-1 à L. 223-7 du CASF, regroupés au sein d’une section intitulée « Droits des familles dans leurs rapports avec les services chargés de la protection de la famille et de l’enfance ».
Dorénavant :
« Toute personne qui demande une prestation [...] est informée par les services chargés de la protection de la famille et de l’enfance des conditions d’attribution et des conséquences de cette prestation sur les droits et obligations de l’enfant et de son représentant légal » ; « Elle peut être accompagnée de la personne de son choix, représentant ou non une association […]» (L. 223-1) ; « Sauf si un enfant est confié au service par décision judiciaire [...] aucune décision sur le principe ou les modalités de l’admission dans le service de l’aide sociale à l’enfance ne peut être prise sans l’accord écrit des représentants légaux ou du représentant légal du mineur ou du bénéficiaire lui-même s’il est mineur émancipé » ; « Pour toutes les décisions relatives au lieu et mode de placement des enfants déjà admis dans le service, l’accord des représentants légaux ou du représentant légal est réputé acquis si celui-ci n’a pas fait connaître son opposition dans un délai de quatre semaines à compter du jour où il a reçu la notification de la demande du service » ; « Sous réserve des pouvoirs reconnus à l’autorité judiciaire les mesures prises dans le cadre du présent chapitre ne peuvent en aucun cas porter atteinte à l’autorité parentale que détiennent le ou les représentants légaux de l’enfant, et notamment au droit de visite et au droit d’hébergement » (L. 223-2) ; « Le service examine avec le mineur toute décision le concernant et recueille son avis » (L. 223-4) ; « Aucune mesure ne peut être prise pour une durée supérieure à un an, elle est renouvelable dans les mêmes conditions » ; « Le service élabore au moins une fois par an un rapport, établi après une évaluation pluridisciplinaire, sur la situation de tout enfant accueilli ou faisant l’objet d’une mesure éducative. […] Sans préjudice des dispositions relatives à la procédure d’assistance éducative, le contenu et les conclusions de ce rapport sont portés à la connaissance du père, de la mère, de toute autre personne exerçant l’autorité parentale, du tuteur et du mineur, en fonction de son âge et de sa maturité » (L. 223-5).
Les droits des familles sont donc moins amputés pendant l’exercice des mesures de prévention puisque par principe de telles mesures ne portent aucunement atteinte à leurs prérogatives d’autorité parentale, à l’inverse des mesures judiciaires. C’est aussi pour cela que certaines familles vivent mal la décision judiciaire et supportent mieux une intervention semblable mais dans un cadre de prévention, qui porte fondamentalement moins atteinte à leurs droits et moralement les touche moins.
Les juges des enfants doivent être très attentifs à ne pas déborder de leur domaine de compétence afin que les juridictions ne soient pas engorgées de dossiers inutiles qui n’auraient jamais dû être ouverts parce que des interventions sociales de prévention auraient été suffisantes, et plus encore pour que l’intervention judiciaire garde tout son sens, sans devenir trop semblable aux interventions sociales .
Il est certain, cela se constate vite localement, que la pratique d’un juge des enfants influence la quantité de signalements. Alors que l’on pourrait penser que les services qui estiment qu’un mineur est en danger n’ont pas d’autre critère pour adresser une requête au procureur de la République, ils hésitent davantage à le faire s’ils savent que le juge des enfants va à l’audience vérifier au préalable ce qui a été tenté dans le cadre de la prévention et s’assurer de la nécessité de recourir à une mesure plus autoritaire (voir plus loin).
Enfin, il est très important d’avoir en tête que, même en cas d’intervention judiciaire, le travail des services de prévention doit se poursuivre autant que possible. L’intervention du juge ne met pas fin aux autres interventions, tant que persistent complémentarité et cohérence. L’intervention judiciaire complète l’intervention administrative sauf quand la seconde s’avère impossible à mettre en œuvre. Cela a été également inscrit dans la loi en mars 2007, à l’article L. 221-4 du CASF :
« Lorsqu’un enfant bénéficie d’une mesure prévue à l’article 375-2 ou aux 1°, 2°, 4° et 5° de l’article 375-3 du Code civil, le président du conseil général organise, sans préjudice des prérogatives de l’autorité judiciaire, entre les services du département et les services chargés de l’exécution de la mesure, les modalités de coordination en amont, en cours et en fin de mesure, aux fins de garantir la continuité et la cohérence des actions menées. Le service qui a été chargé de l’exécution de la mesure transmet au président du conseil général un rapport circonstancié sur la situation et sur l’action ou les actions déjà menées. Il en avise, sauf en cas de danger pour l’enfant, le père, la mère, toute personne exerçant l’autorité parentale ou le tuteur. »
Ce texte appelle quelques précisions. Même si le conseil général adresse un signalement au procureur de la République parce que ses services ne sont pas en mesure de soutenir efficacement une famille, par exemple parce que celle-ci refuse le contact et le dialogue, cela ne signifie pas que personne n’intervient dans le domaine de la prévention et qu’il n’y a pas matière à harmonisation des actions. Les services administratifs de prévention sont nombreux (de la PMI à l’aide à la gestion du budget, en passant par les aides financières, etc.) et il est rare qu’aucun ne soit sollicité par une famille en grandes difficultés. Cela signifie que peu nombreuses sont les situations dans lesquelles cet article n’aura pas vocation à s’appliquer faute d’interventions des services départementaux.
Le fait qu’un échange d’informations soit obligatoire n’entame en rien l’autonomie du service (milieu ouvert ou hébergement) chargé d’exécuter la mesure judiciaire. Cet article a uniquement pour objectif, légitime, de renforcer la cohérence entre les divers services intervenant auprès d’une même famille, ceci afin de repérer et de mettre fin aux doublons inutiles, aux incohérences, aux contradictions susceptibles de freiner l’efficacité de ces interventions. Mais il n’instaure pas de prééminence du conseil général sur les services qui exercent une mesure judiciaire.
Le rapport rédigé en application de cet article par le service qui exécute la mesure judiciaire n’est pas identique au rapport transmis au juge en cours ou en fin de mesure. Il n’a pas à être aussi détaillé, notamment en ce qui concerne « la situation », puisque dans la majorité des dossiers le signalement provient déjà du conseil général et que les services de prévention connaissent bien la situation familiale. C’est plus l’aspect « actions menées » qui justifie la transmission d’informations, afin que chacun sache ce que fait l’autre et qu’autant que possible les projets et les interventions s’harmonisent.
Ce rapport qui est destiné au conseil général n’est pas une pièce du dossier judiciaire. Une copie ne doit donc pas être envoyée au juge des enfants, et le document ne sera pas accessible aux parents dans le cadre de l’article 1187 du Code de procédure civile.
Le second critère : l’autorité
Lorsqu’il apparaît à l’analyse du dossier et des propos des intéressés que ni la famille, qui refuse toute immixtion ou ne participe pas suffisamment à ce qui est proposé, ni les services de prévention ne semblent capables de minorer le danger, et d’autre part qu’il n’y a pas d’autre juridiction principalement compétente, on arrive logiquement à la conclusion de l’opportunité de la mesure judiciaire ordonnée par le juge des enfants.
La raison d’être de la procédure judiciaire apparaît alors fort logiquement. Le rôle du juge est d’imposer la mise en place de mesures qui sans sa présence et sa capacité à ordonner sans l’accord préalable de la famille ne verraient pas le jour. Ce n’est pas sans raison que l’on emploie les mots d’autorité judiciaire. Il y a recours au juge lorsque la conciliation, la négociation, l’accord n’ont plus leur place. Cela vaut dans tous les domaines. Encore faut-il apporter quelques précisions supplémentaires.
Cette nécessité d’imposer une autorité supérieure n’est pas liée à la gravité de la situation. Des parents et des mineurs en situation très précaire peuvent parfaitement rester capables d’estimer nécessaire une aide, ou une séparation, et la solliciter eux-mêmes. À l’inverse, des parents peuvent être incapables de gérer quelques petits débordements de leurs enfants, encore peu graves, parce qu’ils ne savent pas comment les contrôler ou refusent l’aide proposée. Il n’y a donc pas de lien théorique direct et systématique entre la gravité de la situation et la nécessité d’un recours au juge des enfants pour qu’il utilise son pouvoir d’imposer des mesures de protection. Bien sûr, parce que dans les cas de graves problèmes les intéressés perdent souvent le contrôle de la situation, il y aura souvent besoin de la présence autoritaire du juge des enfants à titre de garantie pour les mineurs. Mais cela ne sera pas systématiquement le cas.
L’autorité du juge des enfants ne sera pas uniquement utile pour imposer la mesure de protection ; parfois ce ne sera pas du tout là sa raison d’être. Comme cela a déjà été mentionné plus haut, le juge des enfants peut constater que la famille donne son accord à une mesure estimée également indispensable par les travailleurs sociaux, mais qu’elle tente de tricher sur les motifs qui rendent nécessaire cette mesure.
Par exemple, des parents peuvent demander l’éloignement de leur enfant en insistant sur son comportement, pour tenter de masquer autant que possible leurs propres carences en détournant l’attention sur lui. Dans ce cas le juge des enfants ne peut pas se contenter de constater l’accord des parents avec la mesure envisagée pour laisser le travail se faire dans le cadre de la prévention. Si son autorité est encore nécessaire, c’est dans ce genre de cas pour imposer sa propre description du danger et empêcher les parents de tricher avec leur réalité familiale. Cela est très important, tant pour l’évolution ultérieure de la situation que pour le mineur. Si dès le départ les véritables raisons de l’éloignement sont tronquées, c’est tout le travail des éducateurs qui va se trouver biaisé, les parents pouvant réfuter plus facilement leurs critiques qui n’ont pas été confortées par l’avis du magistrat. Et le mineur pourra trouver profondément injuste et insupportable de voir les adultes lui faire porter le poids de la responsabilité de la situation tout en sachant au fond de lui-même que ces adultes trichent avec cette réalité. Cette vision qu’il sait mensongère peut être source de graves souffrances pour le mineur et à l’origine de réactions d’opposition envers des adultes qui ont perdu leur crédibilité ou de troubles du comportement découlant de son profond malaise.
L’autorité du juge des enfants doit parfois s’exercer uniquement mais nécessairement sur certaines dispositions de sa décision. Il arrive en effet qu’il y ait par exemple accord entre les parents et le mineur sur la séparation, sur ses motifs, mais désaccord sur l’étendue des rencontres ultérieures parents/enfant, ou sur le montant de la contribution aux frais d’entretien engagés par le service éducatif. Cela peut ne concerner qu’un parent, par exemple lorsqu’il paraît indispensable de n’envisager pour un père divorcé qu’un droit de visite et d’hébergement moins important que celui qui lui était octroyé par le juge du divorce. S’il n’y a pas de possibilité d’accord amiable, il faut une intervention extérieure autoritaire, celle du juge des enfants.
Parfois l’autorité du juge est utile pour protéger les parents eux-mêmes contre leurs enfants. Il arrive que l’accord entre les intéressés sur la séparation envisagée soit fragile, que les travailleurs sociaux sentent que les parents ou celui qui élève l’enfant ne vont sans doute pas tenir dans la durée, tant les pressions et le chantage exercés par le mineur sont forts. Certains enfants sont très habiles pour culpabiliser leurs parents, notamment en inventant des incidents sur leurs lieux d’accueil, ou en faisant croire qu’ils y sont très mal, pour obtenir du parent qui a sollicité leur départ qu’il décide rapidement de les reprendre. Or les parents n’osent pas toujours dire qu’ils seront sans doute sensibles à la pression de leur enfant. Mais il arrive que certains admettent eux-mêmes, avec soulagement, que, pour éviter ce cercle vicieux du chantage permanent, il est préférable que ce soit le juge qui décide de confier leur enfant à un service éducatif. Il faut alors veiller à laisser aux parents la possibilité d’exprimer ce sentiment sans les culpabiliser aucunement.
Quelle que soit l’hypothèse étudiée, c’est toujours parce que le juge des enfants est le seul à pouvoir user d’une autorité sans le préalable de l’accord des intéressés que son intervention prend son sens. Que ce soit pour ordonner une mesure refusée, pour réglementer un aspect de cette mesure, pour en éviter une remise en cause prématurée, pour lui donner son véritable sens, c’est à l’autorité du juge qu’il est fait recours.
C’est donc bien dans cette autorité, dans cette capacité donnée par la loi d’imposer quelque chose à des tiers, contre leur demande, que se trouve le fondement de l’intervention judiciaire.
Il reste alors à s’interroger sur le sens du second alinéa de l’article 375-1 du Code civil, ainsi rédigé :
« Il [le juge des enfants] doit toujours s’efforcer de recueillir l’adhésion de la famille à la mesure envisagée […]. »
L’emploi de l’expression « s’efforcer de recueillir » signifie que cette adhésion n’est pas un préalable à l’exécution des mesures de protection. Si l’opposition de leurs parents, ou la leur, c’est-à-dire l’absence d’adhésion, suffisait à interdire le prononcé de telles mesures, cela anéantirait dans certains cas la possibilité de protéger les mineurs.
Malgré cela, tous les professionnels savent qu’une mesure est plus facile à mettre en œuvre et d’autant plus efficace si elle reçoit l’approbation des intéressés. Des parents qui contestent même contre les évidences que leur comportement est nuisible pour leur enfant ne seront pas disposés à en changer. Le travail des professionnels consiste donc en premier lieu à accompagner les intéressés dans une réflexion sur les dysfonctionnements dans leur famille, pour pouvoir ensuite les encourager à modifier ce qui doit l’être.
Mais il s’agit là plus du travail des spécialistes que de celui du juge des enfants. Le magistrat, pour ne pas prendre le risque de voir son autorité se réduire en donnant l’impression qu’il espère et attend l’approbation des intéressés pour statuer, doit rester clairement dans son rôle d’autorité et faire comprendre que, s’il est bien d’accord pour organiser un débat approfondi sur la réalité familiale et pour motiver minutieusement sa décision afin qu’elle ne semble pas ne reposer sur rien de convaincant, il n’attend nullement une quelconque approbation préalable de la famille pour prendre la mesure qu’il estime à tort ou à raison indispensable.
C’est en fait principalement de la solidité de son dossier et surtout de la qualité de son argumentation que vont dépendre la réaction de la famille et son approbation plus ou moins grande à la mesure envisagée. Mais cette adhésion doit être un résultat plus qu’un objectif de départ. Elle doit découler autant que possible de la façon de s’expliquer du magistrat, elle ne doit pas l’inciter à nuancer son propos ou à modérer ses critiques pour faire accepter plus facilement une décision qui va peut-être heurter la famille concernée.
Dans les dossiers, c’est essentiellement grâce au contenu de la décision judiciaire, de sa motivation, dans ce qu’elle a de précis et de crédible, que les familles vont sinon aisément accepter ce qui est ordonné, au moins tolérer la mesure mise en place parce qu’elle repose sur une argumentation sérieuse et donc respectable. On se rend compte une fois de plus de l’importance essentielle de la motivation des décisions des juges des enfants.
Pour ces raisons, ce texte ambigu sur l’adhésion de la famille n’a pas de véritable raison d’être, ou en tout cas pas plus ici que dans les règles applicables aux autres juridictions. Tout juge a comme obligation première de ne retenir que des arguments convaincants et de motiver soigneusement ses décisions. Le juge des enfants n’est qu’un parmi tous. Il n’y a pas de véritable raison pour qu’il soit fait davantage allusion à l’adhésion des justiciables dans la loi sur l’assistance éducative que dans une autre. Le second alinéa de l’article 375-1 pourrait donc être supprimé.
CHAPITRE 5 :Juges aux affaires familiales
et juges des enfants
POUR LES non-professionnels, et parfois même pour les juristes, il n’est pas aisé de délimiter précisément les domaines de compétence des divers magistrats qui interviennent pour les mineurs. C’est à propos de l’intervention du juge aux affaires familiales (JAF) qu’apparaissent de réelles difficultés juridiques lorsqu’une famille est présente dans une procédure de séparation devant le JAF et en même temps dans une procédure de protection de l’enfance devant le juge des enfants. L’existence de procédures concomitantes est fréquente. Il faut donc à tout prix rechercher la frontière entre les deux juridictions afin d’éviter les décisions contradictoires sources d’incohérence de l’institution judiciaire et d’incompréhension pour les intéressés.
Le juge aux affaires familiales est compétent pour statuer sur le divorce et ses conséquences sur les enfants, en application de l’article 228 du Code civil :
« Le tribunal de grande instance statuant en matière civile est seul compétent pour se prononcer sur le divorce et ses conséquences.
Un juge de ce tribunal est délégué aux affaires familiales.
Ce juge a compétence pour prononcer le divorce [...]. Il est également seul compétent, après le prononcé du divorce, quelle qu’en soit la cause, pour statuer sur les modalités de l’exercice de l’autorité parentale [...] sur la modification de la contribution à l’entretien et l’éducation des enfants et pour décider de confier ceux-ci à un tiers [...]. »
Par ailleurs, l’article 373-2-6 du Code civil donne mission au JAF de veiller « spécialement à la sauvegarde des intérêts des enfants mineurs ».
Du côté de l’assistance éducative, c’est le second alinéa de l’article 375-3 du Code civil qui fournit une indication sur la limitation de la compétence du juge des enfants pendant ou après le divorce. Alors que le premier alinéa de ce texte définit la liste de ceux à qui peut être confié un mineur lorsque le juge des enfants estime qu’il est impossible de le laisser chez ses parents ou chez celui qui l’élève, le second alinéa ajoute :
« Toutefois, lorsqu’une requête en divorce a été présentée ou un jugement de divorce rendu entre les père et mère ou lorsqu’une requête en vue de statuer sur la résidence et les droits de visite afférents à un enfant a été présentée ou une décision rendue entre les père et mère, ces mesures ne peuvent être prises que si un fait nouveau de nature à entraîner un danger pour le mineur s’est révélé postérieurement à la décision statuant sur les modalités de l’exercice de l’autorité parentale ou confiant l’enfant à un tiers. Elles ne peuvent faire obstacle à la faculté qu’aura le juge aux affaires familiales de décider, par application de l’article 373-3, à qui l’enfant devra être confié. Les mêmes règles sont applicables à la séparation de corps. »
Le principe général de répartition des compétences peut se résumer en une phrase : à défaut d’accord entre les parents le JAF choisit celui qui exerce l’autorité parentale et fixe les droits du parent qui n’élève pas son enfant après la séparation, alors que le juge des enfants observe comment les deux parents se comportent avec l’enfant, qu’ils exercent ou non l’autorité parentale, et protège le mineur du danger constaté.
Ce principe semble simple à appliquer tant que le juge des enfants se contente d’ordonner une mesure d’action éducative en milieu ouvert. Une telle mesure, qui ne modifie en rien la décision du JAF quant à l’attribution de l’exercice de l’autorité parentale, n’est qu’un contrôle du comportement des parents, éventuellement assorti de quelques obligations (cf. chap. 8).
Mais tout se complique lorsque le juge des enfants envisage d’éloigner un mineur du domicile du parent qui l’élève depuis le divorce. Car alors les interventions du JAF et du juge des enfants peuvent paraître concurrentes, même si une lecture attentive des textes écarte toute ambiguïté. Il faut donc s’arrêter sur le principe de répartition des compétences, pour ensuite aborder divers cas possibles.
Principe général
Pour pouvoir résoudre les cas concrets qui se présentent aux particuliers, aux avocats et aux magistrats, il faut d’abord être bien au clair sur le principe général applicable. Or la confusion persiste à propos des critères de répartition des interventions ; cela fausse l’analyse des dossiers au quotidien.
Tout d’abord, il faut bien partir du principe que le JAF et le juge des enfants ont chacun une raison d’être bien distincte. Le JAF a pour mission, lorsque deux parents se séparent, de dire, à défaut d’accord entre eux, à qui l’exercice de l’autorité parentale est attribué et, en cas d’exercice en commun qui doit rester le principe, chez qui l’enfant habite et selon quelle périodicité, et quelles modalités, l’autre parent dispose d’un droit de visite et d’hébergement. Il lui est interdit de déléguer cette compétence au juge des enfants . Et la compétence du juge aux affaires familiales n’est en rien réduite par l’intervention en parallèle du juge des enfants .
Le juge des enfants a pour mission, toujours provisoire, de protéger les mineurs lorsque leur environnement devient nocif et dangereux. Mais le juge des enfants ne touche jamais en rien aux mécanismes d’attribution de l’autorité parentale ou de fixation de la résidence .
Pour cette raison juridique, il a été statué que lorsque des enfants sont confiés au père lors du divorce, puis lorsque l’un d’eux est confié à la mère par le juge des enfants, le juge aux affaires familiales compétent pour statuer sur la modification des dispositions du jugement du divorce reste celui du lieu où habite le père, et cela parce que la décision du juge des enfants ne peut pas s’analyser comme une décision fixant la résidence de l’enfant chez la mère au sens du droit du divorce .
Du fait de la distinction des compétences, il est exclu que le juge du divorce ordonne lui-même une mesure d’assistance éducative .
Ensuite, il faut analyser quelle est la différence entre la décision du JAF qui transfère l’exercice de l’autorité parentale ou surtout le domicile d’un enfant d’un parent à l’autre et celle du juge des enfants qui, en application de l’article 375-3 1° du Code civil, peut confier le mineur objet de la mesure d’assistance éducative « à l’autre parent ». C’est là que se situe la principale difficulté théorique.
En apparence, il s’agit de la même situation de fait : un enfant est élevé par l’un de ses parents et change de domicile pour se retrouver chez l’autre. Aux yeux des parents et de l’enfant, il peut légitimement y avoir confusion entre les deux procédures, qui, concrètement, semblent aboutir au même résultat : le déplacement du mineur.
Mais juridiquement il n’en est rien. Si c’est le JAF qui transfère l’exercice de l’autorité parentale ou plus souvent maintenant le domicile du mineur, il peut s’agir d’une décision pour une longue durée. Le magistrat, ressaisi ultérieurement par le premier parent qui au départ de la séparation avait l’enfant puis s’en est vu privé, peut privilégier le critère de la stabilité pour maintenir l’enfant chez le second parent, même si le premier est apparemment également apte à s’en occuper.
À l’inverse, la décision du juge des enfants n’est que provisoire . Une mesure d’assistance éducative n’est juridiquement justifiée que tant que le mineur est en danger chez le parent qui exerce l’autorité parentale où chez qui il réside. Si le juge des enfants est saisi de la situation de l’enfant chez celui de ses parents qui l’élève, s’il considère qu’il n’est plus possible pour l’instant de le laisser auprès de cet adulte, il peut, entre autres solutions d’accueil, le confier à l’autre parent. Mais dès que le premier parent aura redressé sa situation, le juge des enfants devra obligatoirement lui remettre l’enfant, quelle que soit la qualité de la prise en charge du parent à qui le mineur a été confié provisoirement . Il en est de même lorsque l’enfant est confié à un service éducatif. Qu’il soit confié à un foyer ou à l’autre de ses parents, si c’est en assistance éducative, il ne peut l’être que jusqu’à ce que le danger ait disparu. Autrement les enfants ne reviendraient jamais chez eux ! Et la décision du juge des enfants, répétons-le, n’entraîne pas transfert des prérogatives d’autorité parentale (cf. chap. 11). Le critère de la stabilité de l’enfant ne peut pas être pris en compte par le juge des enfants.
Juridiquement, la différence entre les deux procédures est très nette. En pratique, on peut la résumer en disant que va saisir le JAF le parent qui veut élever son enfant sur le long terme, alors que la procédure instruite par le juge des enfants va seulement permettre au parent à qui l’enfant n’a pas été confié par le juge du divorce de le recevoir provisoirement en attendant que le parent à qui le mineur a été confié redresse sa situation et puisse le reprendre. Dans le premier cas il s’agit d’un transfert important des prérogatives, sur a priori une longue période. Dans le second il s’agit d’un dépannage provisoire d’un parent par un autre. Il n’y a rien de commun entre les deux.
On peut dès lors se demander l’utilité de la précision apportée au second alinéa de l’article 375-3 du Code civil, et essentiellement la mention principale de la condition d’un fait nouveau pour que soit reconnue la compétence du juge des enfants après ou pendant le divorce, puisque les deux procédures n’ont pas le même objet. Elle existe pourtant bien.
L’objectif de ce texte est de veiller à ce que le juge des enfants ne confie pas provisoirement l’enfant au parent qui ne l’élève pas pour des motifs qui ont déjà été pris en compte par le juge du divorce, afin d’éviter des contradictions entre les décisions successives des deux magistrats. Par exemple, si le dossier concerne des parents tous deux défaillants et que le JAF décide de confier l’enfant au père, le juge des enfants n’est pas autorisé à le retirer de chez ce père pour des motifs déjà avancés par la mère et qui ont déjà été pris en compte dans la décision du JAF qui a estimé que, malgré les éléments critiques contre le père, il n’est pas incapable d’élever l’enfant et en est toujours plus capable que la mère. Sinon le risque serait de voir bien des parents déçus de la décision du JAF se précipiter chez le juge des enfants pour plaider une deuxième fois leur cause, sur les mêmes éléments, et faire du juge des enfants une voie de recours qui n’en a pas le nom.
La Cour de cassation vérifie si le juge de l’assistance éducative a suffisamment ou non caractérisé l’élément nouveau dans son jugement .
Si le juge des enfants est malgré tout saisi, il doit impérativement commencer par se faire communiquer et la décision antérieure du JAF et les pièces versées au dossier du divorce, notamment le rapport d’enquête sociale si une telle investigation, fréquente, a été ordonnée, et ce afin de connaître les éléments déjà débattus et retenus. C’est alors qu’il doit rejeter du débat tous les éléments de fait qui ne sont pas nouveaux, c’est-à-dire qui ne sont pas apparus postérieurement à la décision de divorce .
Il a été considéré que le fait nouveau, apparaissant aussitôt la décision de divorce connue, pouvait être la mise en œuvre très conflictuelle de cette décision, cela justifiant l’intervention du juge des enfants pour confier un enfant à son père le lendemain d’un arrêt de cour d’appel attribuant la garde à la mère .
Mais l’existence d’éléments nouveaux ne suffit pas pour que l’intervention du juge des enfants soit juridiquement justifiée. Encore faut-il qu’on lui demande une véritable mesure d’assistance éducative et, comme cela vient d’être exposé, que le parent qui n’élève pas l’enfant ne demande pas effectivement un véritable et durable transfert d’autorité parentale. Si tel est le cas, le juge des enfants doit constater son incompétence et indiquer au parent requérant que c’est au JAF qu’il doit aller exposer sa demande.
Si par contre le parent qui n’élève pas le mineur veut faire constater qu’il est en danger chez celui qui l’élève, prouve que les éléments constitutifs du danger allégué n’existaient pas au moment ou le JAF a prononcé sa dernière décision, et demande à héberger provisoirement le mineur, le temps que la situation de son ancien conjoint s’améliore et qu’il puisse reprendre l’enfant, alors on se trouve bien dans le cadre de la compétence du juge des enfants. Il en est bien sûr de même si la demande tend à ce que le mineur soit confié à un service éducatif en cas de carences graves de celui qui l’élève. Ces carences ne doivent pas avoir déjà été constatées par le JAF .
Précisons pour être complet que l’exigence d’un fait nouveau postérieurement au divorce n’existe que si le juge des enfants envisage d’éloigner le mineur du parent qui l’élève. Elle ne s’applique pas aux mesures d’action éducative en milieu ouvert comme cela a été rappelé par la Cour de cassation .
Dans cette décision, la Cour de cassation rappelle que les mesures d’action éducative en milieu ouvert, avec ou sans obligations, relèvent de l’article 375-2 et non de l’article 375-3, et ne sont donc pas soumises à la condition du second alinéa de ce dernier texte. L’objectif d’une action éducative en milieu ouvert n’étant en rien de modifier les modalités d’exercice de l’autorité parentale, il n’y a en toute logique aucune raison de subordonner l’intervention du juge des enfants à l’existence de faits nouveaux après le divorce puisque la décision du JAF ne sera pas du tout modifiée par celle du juge des enfants.
Que peut-faire le Juge aux Affaires Familiales lorsque, saisi par deux parents (mariés ou non), il constate qu'un éloignement du mineur est, de toute évidence, nécessaire rapidement voire immédiatement ?
Cette situation peut ressembler à un cas d'école. Pourtant, lorsqu'elle survient, elle pose de réelles difficultés juridiques.
En effet, si le Juge aux Affaires Familiales fixe, provisoirement ou définitivement, la résidence chez l'un des parents, il interdit (comme nous venons de le voir) au Juge des Enfants qui serait saisi en urgence de rendre une décision de placement de l'enfant pour les mêmes motifs.
Donnons un exemple : deux parents, dans l'impossibilité de s'occuper de leur enfant, signent un accueil provisoire auprès de l'Aide Sociale à l'Enfance. Du jour au lendemain, l'un d'eux décide de récupérer l'enfant et de saisir le Juge aux Affaires Familiales en urgence. Le signalement, faisant état du danger encouru par l'enfant, parvient trop tardivement au Procureur de la République pour lui permettre d'agir avant cette audience.
Comment doivent procéder le Juge aux Affaires Familiales et le Juge des Enfants dans l'intérêt de l'enfant qu'il s'agit ici de protéger ?
Le Juge aux Affaires Familiales peut tout d'abord confier l'enfant à un tiers sur le fondement de l'article 373-3 du Code Civil : « le juge peut, à titre exceptionnel et si l'intérêt de l'enfant l'exige … décider de confier l'enfant à un tiers, choisi de préférence dans sa parenté ». Le Juge aux Affaires Familiales utilise peu cette possibilité n'ayant pas forcément, au jour de l'audience, les renseignements suffisants pour lui permettre, en urgence, de confier un enfant à un tiers .
Si le Juge aux Affaires Familiales rend immédiatement sa décision, l'enfant ne pourra pas faire l'objet d'un placement par le Juge des Enfants pour des motifs qui seraient déjà connus. Seule une mesure d'assistance éducative en milieu ouvert pourra être ordonnée pour aider la famille puisque les textes ne l'interdisent pas. Dans notre exemple, une telle décision paraissait totalement inappropriée.
Reste au Juge aux Affaires Familiales la possibilité de mettre sa décision en délibéré ou de sursoir à statuer dans l'attente de renseignements complémentaires (enquête sociale, expertises). Dans ce cas, le Juge des Enfants, saisi par le Procureur de la République, est en mesure de protéger immédiatement l'enfant confronté à une situation de danger.
S’agissant de la réglementation des droits de visite et d’hébergement du parent qui n’élève pas l’enfant, il faut sur ce point apporter également des précisions juridiques.
Le principe est simple à énoncer : l’article 375-7 du Code civil, qui énonce la capacité du juge des enfants de réglementer le droit de visite et d’hébergement des parents, ne s’applique, selon les propres termes de cet article, que « s’il a été nécessaire de placer l’enfant hors de chez ses parents ». Autrement dit, c’est le juge des enfants qui constate qu’il faut éloigner un enfant de ses parents qui statue sur l’étendue de leur droit de visite et d’hébergement pendant le temps d’accueil du mineur hors de chez eux, ce qui se comprend aisément puisque l’ampleur de ces visites dépend en permanence de la nature et de l’importance du danger.
Sinon, s’agissant de parents séparés, hors décision du juge des enfants confiant le mineur à un tiers, il y a compétence exclusive du JAF en cas de désaccord entre eux . C’est ce qui a été plusieurs fois jugé par des cours d’appel . Dans une affaire, un juge des enfants avait rendu une ordonnance suspendant le droit d’hébergement et aménageant le droit de visite d’un père sur sa fille mineure, droit prévu par le jugement de divorce prononcé à l’époque par le tribunal de grande instance. La cour d’appel s’est par contre déclarée incompétente et a renvoyé les parents devant le juge aux Affaires matrimoniales .
Pourtant il est arrivé que la Cour de cassation statue en sens inverse, admettant qu’un juge des enfants, tout en maintenant l’enfant chez le parent à qui il avait été confié par le JAF, ordonne une simple mesure d’AEMO et en même temps suspende provisoirement le droit de visite et d’hébergement de l’autre parent .
Un autre point sera abordé ici. Il arrive que des JAF, estimant que les mineurs concernés par la procédure de divorce qu’ils traitent sont en danger, mentionnent dans leur jugement qu’une copie de celui-ci sera adressée au juge des enfants aux fins d’intervention en assistance éducative. Cela est maladroit, d’une part parce qu’ils ne figurent pas dans la liste de ceux qui « saisissent » juridiquement le juge des enfants (cf. chapitre 1). S’ils pensent souhaitable qu’un dossier d’assistance éducative soit ouvert, ils doivent transmettre tous les documents utiles au procureur de la République, afin que celui-ci apprécie l’opportunité de saisir le juge des enfants par requête. D’autre part, les parents comprendront mal que soit écrit dans leur décision de divorce que le juge des enfants va être saisi et que rien ne vienne ensuite du tribunal pour enfants, le juge des enfants destinataire du courrier du JAF pouvant ne rien faire du tout faute de saisine entraînant ouverture obligatoire d’une procédure.
Il faut également que les JAF n’écrivent plus, comme ils le font parfois, que leur décision s’applique « sous réserve des décisions du juge des enfants », ou « dans le cadre des décisions du juge des enfants » ; même si cette mention n’a pas grande importance et juridiquement ne sert à rien, puisque les décisions du juge des enfants s’appliquent même si le JAF n’en fait pas état. Ceci peut là encore conduire à certaines interrogations si le juge des enfants met fin à sa procédure avant que la décision du JAF ne soit modifiée. Il existera alors une décision de divorce mentionnant une procédure d’assistance éducative qui n’existe plus. Cela n’est pas bien grave. Mais pour toujours plus de clarté, il est préférable de ne rien écrire du tout.
Ces principes généraux de délimitation juridique des compétences étant fixés, il reste à apporter des précisions sur certains cas concrets.
Quelques cas concrets
Il faut ici appliquer le principe général aux diverses hypothèses rencontrées par les JAF et les juges des enfants.
Les parents se séparent après et pendant le retrait de leur enfant
Hypothèse : au moment où le juge des enfants rend son jugement confiant leur enfant à un service éducatif, les parents l’élèvent ensemble. Ils sont mariés ou en concubinage mais exercent dans les deux cas conjointement l’exercice de l’autorité parentale. Ils décident de se séparer pendant la période d’accueil extérieur de leur enfant.
La question va être pour le juge des enfants de savoir lequel des deux parents est en droit de demander à le reprendre, et donc chez lequel il doit rechercher s’il y a danger pour apprécier l’opportunité d’une restitution du mineur.
Juridiquement parlant, seul le parent à qui l’exercice exclusif de l’autorité parentale aura été confié où, dans la plupart des cas, chez qui la résidence de l’enfant aura été fixée dans la convention conclue entre les deux parents ou à défaut par le JAF, sera en droit de solliciter ensuite du juge des enfants son retour à son domicile. Toute possibilité de demander au juge des enfants la remise de l’enfant sera interdite à l’autre parent. Il est régulièrement rappelé que le juge du divorce, en cas d’enfant confié à un tiers par le juge des enfants, conserve la compétence d’apprécier à qui l’enfant devra être remis lorsqu’aura cessé la mesure prescrite par le juge des enfants .
Cela est confirmé par la rédaction du second alinéa de l’article 375-3 :
« [...] Ces mesures [ce mot renvoie à l’alinéa précédent et à la possibilité offerte au juge des enfants de confier les mineurs à d’autres que ceux qui les élèvent] ne peuvent faire obstacle à la faculté qu’aura le juge aux affaires familiales de décider […] à qui l’enfant devra être confié […] . »
Tant qu’il n’a pas été statué sur l’exercice de l’autorité parentale et la résidence de l’enfant, personne ne peut dire chez qui le mineur doit aller à sa sortie du service éducatif si les parents sont en désaccord et si le JAF saisi n’a toujours pas rendu sa décision. Le juge des enfants doit impérativement attendre la décision du JAF pour mettre fin à l’accueil du mineur par le tiers à qui il a été confié. Il n’aurait pas de sens et serait gravement déstabilisant pour les parents et plus encore pour les enfants d’envisager et de parler avec eux, par exemple, d’un projet de retour chez le père, pour constater ensuite que c’est à la mère que le mineur a été confié par le JAF et donc que le père ne peut plus le revendiquer.
Le juge des enfants doit donc expliquer très clairement aux parents, dès la première décision de retrait, qu’en cas de séparation il faudra avant toute possibilité de restitution de l’enfant à l’un ou à l’autre qu’ils fassent définir leurs droits respectifs par le juge aux affaires familiales ou qu’ils s’accordent sur le lieu de résidence de leur enfant. S’ils sont avertis suffisamment tôt, il y a peu de difficultés ensuite. Au-delà, cette façon de procéder permet de vérifier que le parent qui prétend avoir la volonté de reprendre chez lui son enfant, ce qu’il peut dire en audience sous la pression de ce dernier ou pour faire bonne figure, le souhaite véritablement.
Il arrive cependant que les parents ne fassent pas la démarche et reviennent devant le juge des enfants sans aucune décision fixant leurs droits respectifs alors qu’ils ne sont toujours pas d’accord sur le lieu de vie de leur enfant. Si l’on écarte la possibilité offerte au procureur de la République, éventuellement averti par le juge des enfants, de prendre l’initiative de la procédure devant le JAF, très rarement utilisée dans la pratique, deux cas sont alors possibles.
Le juge des enfants peut constater que, même sans décision judiciaire de divorce, les deux parents sont restés en bons termes et proposent un arrangement amiable qui ne semble pas a priori être dangereux pour le mineur confié au service éducatif. Si le juge des enfants constate que l’accord amiable entre les deux parents prévoit que l’enfant habitera principalement chez l’un d’eux, et que chez celui-ci il n’existe plus un danger qui interdise que le mineur y vive, le juge des enfants doit mettre fin à la décision confiant le mineur au service éducatif. Mais juridiquement sa décision ne peut pas comprendre d’autres mentions que la fin de la mesure d’accueil. La mainlevée de cet accueil entraîne juridiquement le retour du mineur sous la double autorité parentale de ses deux parents, conjointement, et c’est leur seul accord qui définit le domicile de l’enfant. Par la suite, une éventuelle mesure d’action éducative en milieu ouvert, à supposer qu’un certain degré de danger persiste, peut permettre de vérifier si la relation entre les deux parents reste suffisamment épanouissante pour le mineur ou si de nouvelles tensions et disputes sont apparues, justifiant une nouvelle mesure de protection plus radicale.
Ce qui est certain, c’est que le seul refus des parents d’entamer une procédure de divorce ne peut pas suffire au maintien du mineur dans un service éducatif si tous deux continuent à exercer l’autorité parentale, si leur séparation amiable se déroule sans conséquences nuisibles pour l’enfant, et si leur choix quant à celui qui va l’élever principalement paraît raisonnable, celui-ci ne semblant pas susceptible de mettre gravement le mineur en danger. Dans un certain nombre de familles jamais connues du tribunal pour enfants les parents se séparent sans divorcer sans que quiconque vienne saisir un juge des enfants.
Toutefois cette possibilité suppose une capacité des parents à se séparer et à évoluer ensuite avec un minimum de sérénité. Si le juge des enfants constate d’une part qu’ils ne divorcent pas tout en se séparant et d’autre part qu’ils se déchirent personnellement ou sur le choix de celui qui élèvera l’enfant, ou se disputent gravement sur les modalités des rencontres avec l’autre, ces querelles constituent un danger réel pour le mineur qui se retrouverait tiraillé entre ses deux parents, sans aucune garantie juridique de stabilité, et justifient à elles seules une prolongation de la mesure d’accueil. La motivation du jugement de prolongation doit alors faire expressément référence au conflit non tranché sur le lieu de vie de l’enfant et au danger qui en découle.
Dans certains de ces cas il n’est pas facile pour le JAF de définir celui des deux parents à qui il est le plus raisonnable d’attribuer l’exercice de l’autorité parentale ou la résidence de l’enfant. C’est ce qui se produit lorsque les deux parents ont été et sont toujours défaillants le jour de l’audience de divorce, que tous deux ont participé à l’apparition du danger ayant conduit à l’éloignement du mineur, et que, lorsqu’au moment où il doit être répondu à leurs demandes, les travailleurs sociaux ne sont pas en mesure de donner un avis net sur les possibilités à venir d’un rapprochement vers l’un ou l’autre des parents. Pourtant le juge aux affaires familiales est saisi d’une demande des parents et ne peut pas éluder la question posée pour le seul motif qu’un dossier est ouvert au tribunal pour enfants.
Pourtant, certains Juges aux Affaires Familiales continuent à le faire, comme en atteste cette décision de 2009 dans laquelle on peut lire : « les deux enfants étant placés par décision du Juge des Enfants, il appartiendra à l'un ou l'autre des parents de saisir le Juge aux Affaires Familiales en cas de mainlevée de la mesure de placement ».
Cette situation peut devenir kafkaïenne : le Juge aux Affaires Familiales refuse ici de fixer la résidence de l'enfant comme le lui demandent les parents ; le Juge des Enfants de son côté peut estimer qu'il lui est impossible de lever la mesure de placement tant qu'une décision judiciaire ne viendra pas réglementer strictement les droits et obligations de l'un et de l'autre des parents.
Donnons un exemple.
Johanna et Julie sont toutes deux confiées à l'Aide Sociale à l'Enfance. Leurs parents se sont séparés pendant le placement. Ils ne s'entendent pas et sont toujours en conflit au sujet de leurs filles. Le Juge aux Affaires Familiales a refusé de statuer sur la résidence des enfants en raison de leur placement. A l'audience devant le Juge des Enfants, la mère demande à récupérer ses enfants et s'oppose à tout hébergement chez le père. Le père n'est pas d'accord pour que ses filles aillent vivre chez leur mère. Il demande un droit de visite et d'hébergement.
Une telle demande de la mère se heurte à un obstacle juridique. En effet, si le Juge des Enfants peut dans certaines hypothèses placer un enfant chez l'autre parent (voir infra), il ne lui appartient pas de se substituer de façon détournée au Juge aux Affaires Familiales en décidant du lieu de vie des enfants et en confiant (comme cela arrive) les enfants à leur père ou leur mère « dans l'attente d'une décision du Juge aux Affaires Familiales »
Les enfants doivent prioritairement (dès que le danger a disparu) retourner vivre auprès du parent qui est titulaire de leur résidence principale (excepté si les parents s'entendent sur ce point).
Si le Juge aux Affaires Familiales refuse de statuer sur la demande légitime des parents (comme dans notre exemple), le Juge des Enfants se trouve bloqué et les parents également … Le placement ne peut être que reconduit même si la situation de l'un ou des deux parents permettrait un retour.
Un renouvellement court (par exemple 2 mois) peut permettre aux parents de saisir à nouveau le Juge aux Affaires Familiales en faisant état de la difficulté pour le Juge des Enfants de lever le placement.
Si le JAF maintient un exercice conjoint de l’autorité parentale, il doit fixer la résidence du mineur chez l’un des deux parents à défaut d’accord entre eux, ce qui lui sera souvent difficile, faute dans un tel cas d’arguments convaincants en faveur de l’un des parents plus que de l’autre. Mais même si cette fixation de la résidence paraît artificielle au moment où elle intervient, si le mineur est toujours accueilli par un service éducatif, il ne faut surtout pas oublier que le choix du JAF est extrêmement important parce qu’il définit pour l’avenir, tout au moins tant qu’une autre décision ne vient pas modifier sa décision initiale, lequel des deux parents pourra seul demander au juge des enfants le retour de l’enfant chez lui. Mais ultérieurement, si le parent à qui l’exercice de l’autorité parentale ou la résidence de l’enfant a été attribué est toujours fortement défaillant, la décision du juge des enfants constatant cette défaillance persistante et concluant au refus de restitution pourra servir de support à une demande de transfert des droits présentée par l’autre parent, à supposer qu’il soit devenu au fil du temps moins défaillant.
Enfin, si le JAF constate à l’occasion du traitement de l’une de ses procédures qu’un mineur paraît en danger chez ses deux parents et que la question de son éloignement se pose, il peut alerter le procureur de la République sur le cas du mineur concerné. Le procureur de la République prendra alors connaissance du dossier du JAF, en retiendra les éléments essentiels et saisira le juge des enfants aux fins d’assistance éducative.
L’enfant est retiré au parent qui l’élève sans demande formulée par l’autre parent
Hypothèse : le mineur est considéré comme en danger excessif au domicile du parent qui s’est vu confier l’exercice exclusif de l’autorité parentale ou chez qui la résidence de l’enfant a été fixée en cas d’autorité parentale conjointe. Et l’on suppose ici que l’autre parent n’envisage pas du tout de demander que l’enfant vienne dorénavant vivre chez lui.
Dans ce cas, l’accueil du mineur par un service éducatif n’est qu’une parenthèse dans le droit du parent qui élevait l’enfant de l’avoir auprès de lui, et l’objectif est un retour du mineur chez ce parent aussitôt que possible.
L’autre parent, s’il disposait d’un droit de visite et d’hébergement accordé par le JAF, dispose automatiquement du même droit pendant que le mineur est en service éducatif puisque la carence du parent qui élevait l’enfant ne change a priori rien à la capacité de l’autre de le recevoir comme auparavant, ce parent n’étant pas celui qui a mis le mineur en danger. Le juge des enfants ne pourrait réduire son droit de visite et d’hébergement qu’en constatant que lui aussi, au cours des accueils ponctuels, met l’enfant en situation de danger. En outre, si le parent qui élevait l’enfant se voit privé de droit d’hébergement par le juge des enfants, rien ne s’oppose a priori à ce que l’autre bénéficie d’un droit d’hébergement plus large que celui prévu par le JAF. Il serait aberrant d’interdire au mineur d’aller en fin de semaine ou en vacances chez ce parent si l’autre ne peut pas le recevoir.
Il faut donc que toutes les décisions du JAF figurent en copie dans les dossiers d’assistance éducative et soient portées à la connaissance des services qui reçoivent les mineurs, ce qui n’est pas toujours le cas.
Lorsque le mineur n’est plus en danger chez le parent qui l’élevait, le juge des enfants, en mettant fin à la décision d’éloignement, lui permet automatiquement de le reprendre, et le jugement de divorce retrouve alors son plein effet.
Les échanges de rapports JAF-JE
Il arrive assez fréquemment qu’un juge des enfants et un juge aux affaires familiales conduisent au même moment une procédure pour la même famille. Chaque magistrat collecte de son côté de nombreuses informations qui peuvent être utiles à l’autre, les problématiques se croisant souvent. Se pose alors la question de la possibilité d’échange de documents entre les deux juridictions et, si cela est envisageable, celle de la façon d’y procéder.
Sur le principe, il n’existe aucun obstacle à la transmission de documents d’un magistrat à l’autre. Aucune règle juridique n’y fait obstacle. Ces échanges sont très fréquents dans les tribunaux et ils sont la plupart du temps mentionnés dans les décisions judiciaires . Toutefois, la légalité de tels procédés est restée longtemps controversée. Mais aujourd’hui la polémique est close. La cour de cassation a autorisé de tels échanges, puis un décret est venu les organiser.
En effet, en 2004 la Cour de cassation a indiqué, dans un avis , que :
« L’article 1187 du nouveau Code de procédure civile dans sa rédaction issue du décret n° 2002-361 du 15 mars 2002 ne s’oppose pas à ce que le juge aux affaires familiales fonde sa décision concernant l’exercice de l’autorité parentale sur le dossier d’assistance éducative tel que communiqué par le juge des enfants, sous réserve, d’une part, que les parties à l’instance devant le juge aux affaires familiales figurent parmi celles qui ont qualité pour accéder au dossier d’assistance éducative selon l’article susvisé et, d’autre part, que les pièces du dossier du juge des enfants soient soumises au débat contradictoire . »
Cet avis a permis jusqu'à la publication du décret d'avril 2009 de fixer les conditions à la transmission de pièces de l’assistance éducative aux affaires familiales, transmission qui n’est pas libre et sans limites.
Tout d’abord, afin de préserver la confidentialité des pièces du dossier d’assistance éducative auquel seules les parties peuvent avoir accès , jamais les tiers à qui il est interdit d’assister aux audiences du juge des enfants qui ne sont pas publiques, l’avis impose que les parties devant le juge aux affaires familiales soient parmi celles qui ont qualité pour accéder au dossier d’assistance éducative. Cela exclut, par exemple, la transmission de pièces au juge aux affaires familiales saisi d’une demande de droit de visite et d’hébergement par un grand-parent à qui le mineur protégé n’a jamais été confié.
Ensuite, afin que soit respecté le principe essentiel du contradictoire (cf. chapitre 3), tout document porté à la connaissance de l’un des participants au procès, y compris le magistrat, doit être porté à la connaissance de tous les autres, afin que chacun puisse l’examiner et s’il le souhaite le critiquer. Il ne peut/doit y avoir aucun document non versé officiellement au débat.
Si l’un des magistrats souhaite prendre connaissance de pièces du dossier de son collègue, il doit donc lui en faire officiellement la demande, dans un courrier versé à son dossier et au dossier du juge saisi, et c’est tout aussi officiellement que les copies reçues doivent être versées à la procédure. Les intéressés doivent ensuite être informés de cette nouvelle production et invités à en prendre connaissance.
Enfin, la transmission des documents ne peut être faite que par le juge des enfants. Cela interdit à un avocat assistant l’une des parties à la procédure d’assistance éducative de prendre seul l’initiative de verser certaines de ces pièces dans le dossier qu’il remet au juge aux affaires familiales. C’est au juge des enfants de contrôler que la première condition mentionnée est bien remplie. On relèvera malgré tout un oubli dans l’avis commenté.
Le même article 1187 permet au juge des enfants d’interdire l’accès de tout ou partie d’une pièce du dossier à l’un des participants à la procédure, s’il n’a pas d’avocat. Or, à supposer que cette interdiction soit légitime , elle ne devrait pas pouvoir être contournée par la possibilité de lire cette même pièce dans le cadre du débat contradictoire devant le juge aux affaires familiales .
La Cour de cassation aurait donc peut-être pu mentionner que ces pièces mises à l’écart par le juge des enfants sont exclues de la communication au juge aux affaires familiales.
Mais cet oubli, volontaire ou non, est de fait sans importance. En effet, la règle introduite par la dernière réforme est absurde puisqu’il suffit même en assistance éducative à celui qui se voit privé légalement d’un accès à l’un des éléments du dossier d’en demander le contenu à un autre intéressé dont les droits n’ont pas été restreints, ou à l’avocat qu’il lui suffit aussitôt de prendre, tout simplement. C’est pour cela qu’en pratique cette disposition inutile n’est quasiment jamais utilisée.
Un décret n° 2009-398 du 10 avril 2009 (JO du 12) est venu réglementer les modalités d'échange de pièces .
Le nouvel article 1072-1 du code de procédure civile indique :
« Lorsqu'il statue sur l'exercice de l'autorité parentale, le juge aux affaires familiales vérifie si une procédure d'assistance éducative est ouverte à l'égard du ou des mineurs. Il peut demander au juge des enfants de lui transmettre copie de pièces du dossier en cours, selon les modalités définies à l'article 1187-1 »
Et le nouvel article 1187-1 précise :
« Le juge des enfants communique au juge aux affaires familiales ou au juge des tutelles les pièces qu'ils sollicitent quand les parties à la procédure devant ces derniers ont qualité pour consulter le dossier en vertu de l'article 1187. Il peut ne pas transmettre certaines pièces lorsque leur production ferait courir un danger physique ou moral grave au mineur, à une partie ou à un tiers »
Cette dernière mention est le pendant de ce qui est prévu à l'article 1187, avec l'incohérence déjà mentionnée.
En sens contraire, l'article 1072-2 prévoit que :
« Dès lors qu'une procédure d'assistance éducative est ouverte à l'égard du ou des mineurs, une copie de la décision du juge aux affaires familiales est transmise au juge des enfants ainsi que toute pièce que ce dernier estime utile ».
Notons qu'ici il n'y a plus aucune restriction à l'échange de pièces des dossiers.
Quoi qu’il en soit, aujourd’hui dans la pratique, lorsque ces règles sont respectées, les échanges ne posent aucune difficulté et, contrairement à ce qui a longtemps été soutenu, ne sont à l’origine d’aucun incident.
Mentionnons pour finir que des pièces du dossier d'assistance éducative peuvent toujours se retrouver dans une autre procédure quand le dossier de protection de l'enfance été clos, même si l'affaire à l'occasion de laquelle ces pièces sont utilisées est sans lien avec une problématique familiale .
Il en va de même à l'occasion d'une procédure criminelle, de telles pièces pouvant être produites lors des débats .
CHAPITRE 6 : La décision
LORSQUE le juge s’estime suffisamment informé après avoir ordonné les investigations nécessaires et avoir entendu tous les intéressés, il doit rendre une décision. Il s’agira d’un jugement qui doit respecter un ensemble de règles impératives.
Le sursis à statuer
Il faut avoir en tête que quand il convoque une famille après un signalement ou après avoir reçu un rapport d'investigation ou d'expertise, le juge des enfants n'est jamais obligé de prendre une décision immédiatement.
Dans certains dossiers, notamment quand interviennent des professionnels dans le cadre de la prévention et que la famille semble faire de réels efforts pour améliorer sa situation, il peut être utile de surseoir à statuer et de fixer un autre rendez-vous. Il s'agira alors, au cours de cette seconde audience, de vérifier comment la situation a évolué, les impacts du signalement sur la dynamique familiale, et cette fois-ci, l'opportunité d'une intervention judiciaire.
Cela s'explique par l'impact du signalement. Souvent, des familles qui se laissaient aller, qui n'étaient plus dans une dynamique d'efforts, sont secouées et inquiétées par le signalement et se s'engagent alors dans une démarche d'efforts pour éviter une intervention judiciaire.
Mais comme tout est souvent fragile, et que les promesses ne suffisent pas, un temps d'observation par les services de prévention dont l'intervention est acceptée peut s'avérer très utile.
C'est le sens et l'utilité du sursis à statuer.
En dehors de cette hypothèse, le juge doit décider s'il intervient ou non, et dans l'affirmative selon quelles modalités.
La prise de décision
Le juge peut informer les intéressés oralement de sa décision dès la fin des débats. C’est la méthode la plus fréquente car l’étude minutieuse des pièces écrites et la conduite des discussions à l’audience permettent la plupart du temps de statuer dès cet instant. Le juge doit alors préciser non seulement quelle mesure il ordonne, s’il en ordonne une, mais aussi quel raisonnement logique l’a conduit à ce choix, quels sont les arguments qu’il considère comme importants et ceux qu’il écarte comme secondaires. La famille doit repartir en sachant très clairement pourquoi la décision a été prise. L’annonce de la décision en présence des intéressés est préférable car elle leur permet de poser immédiatement des questions sur la décision elle-même si l’explication du juge est mal comprise, ou sur des points particuliers concernant tel aspect de la mesure.
Il faut rappeler ici que lors de cette information orale des intéressés dans le bureau du juge, la décision, d’un point de vue juridique, n’existe pas encore. Légalement, la décision n’existe que lorsqu’elle est dactylographiée et signée du magistrat. En plus, elle ne peut être mise à exécution qu’une fois qu’elle est notifiée (cf. plus loin). Il est donc formellement interdit aux professionnels de mettre une décision d’un juge des enfants à exécution après son annonce orale à l’audience et avant qu’il ait été procédé à cette notification officielle.
Si le juge estime avoir besoin de temps pour réfléchir encore avant de statuer, il peut mettre sa décision en délibéré (art. 450 du Code de procédure civile), c’est-à-dire indiquer qu’il la prendra à une date ultérieure qu’il fixe avec précision. À cette date, la famille peut soit revenir au tribunal pour entendre le juge annoncer la mesure prise, soit téléphoner au greffe pour s’informer, soit attendre de recevoir le jugement écrit. La gravité de certaines décisions est telle que le juge ne doit pas hésiter à prendre son temps s’il a reçu des documents écrits qu’il doit analyser, s’il s’interroge encore après, par exemple, une audition confuse ou complexe ou l’énoncé d’arguments nombreux et contradictoires.
La motivation
Le juge et le greffe doivent suivre certaines règles relatives à tous les jugements civils.
La décision doit respecter une forme générale et contenir certains paragraphes obligatoires. Elle est notamment séparée en trois parties. De haut en bas, la première partie doit contenir, outre les références du tribunal et le nom du juge (ce qui permet de vérifier que les règles de compétence ont été respectées), mention des noms et adresses des parents et mineurs concernés, de la présence éventuelle d’avocats. La deuxième partie contient les motifs de la décision. La troisième contient le dispositif, c’est-à-dire la décision au sens strict : non-lieu, AEMO, retrait, avec ses annexes (services désignés, durée, modalités des relations parents/enfants, contribution financière, exécution provisoire éventuellement).
L’exigence d’une motivation découle de l’article 455 du Code de procédure civile :
« Le jugement doit exposer succinctement les prétentions des parties et leurs moyens. […] Il doit être motivé [...]. »
En pratique, le juge des enfants doit, lorsqu’il rédige sa décision, préciser l’origine de la procédure, résumer le contenu des documents écrits importants en sa possession, rappeler de façon synthétique les propos et arguments des uns et des autres à l’audience puis écrire pourquoi il prend telle décision.
Il s’agit là, après le débat contradictoire à l’audience, d’un acte essentiel et des plus importants de toute la procédure. Or la réalité impose un constat souvent désolant. Depuis bien des années, dans de nombreux tribunaux pour enfants, trop de jugements d’assistance éducative, ou d’ordonnances, sont insuffisamment motivés voire ne contiennent que des phrases passe-partout, banales ou vides de sens.
Pourtant, la motivation des décisions de justice répond à des impératifs généraux qui sont le fondement même de la procédure judiciaire. Et en assistance éducative, la motivation satisfait en plus d’autres exigences, toutes aussi importantes.
La motivation, garantie fondamentale du justiciable
Cela a déjà été souligné, certains contentieux sont judiciarisés afin que le déroulement du procès et la prise de décision préservent l’équilibre entre l’atteinte aux libertés individuelles et les droits élémentaires légalement reconnus de ceux qui sont l’objet de cette procédure.
Or ce qui importe avant tout à celui qui est attrait en justice, après la connaissance des pièces du dossier pour pouvoir se défendre, c’est de savoir quelle décision est prise et plus encore pourquoi une telle décision est prise.
L’obligation qui est faite au juge de s’expliquer par écrit a pour objectif, en premier lieu, de faire obstacle à l’arbitraire du magistrat. Une décision non motivée peut s’appuyer sur un raisonnement aberrant, illogique, ou en contrariété avec les débats et les pièces de la procédure. À la limite elle peut ne reposer sur rien, cela n’apparaîtra pas. Au contraire, c’est bien en lisant la décision que l’on sait si le juge a intelligemment raisonné, s’il a logiquement analysé les arguments des uns et des autres, si son raisonnement ne comporte pas de contradictions ou d’erreurs. C’est également en lisant le jugement que l’on découvre si le juge dispose d’arguments en nombre et en valeur suffisants pour justifier son choix.
C’est au moment de prendre sa plume (ou son clavier d’ordinateur maintenant) que le juge va passer le test de la motivation. Si sa rédaction est aisée, logique, complète, c’est que la décision est très certainement judicieuse, ou tout au moins qu’elle retient une des solutions possibles. Par contre, lorsque le juge peine, ne trouve à écrire que des phrases banales, élude la discussion, évite les arguments des intéressés, c’est sans doute, si ce n’est pas par paresse, que son raisonnement est plus que fragile et que la décision prise n’est pas sérieusement justifiée.
C’est ensuite à la lecture de la motivation que le justiciable décidera d’exercer ou de ne pas exercer son droit d’appel. C’est en prenant connaissance du raisonnement du juge qu’il appréciera ses chances d’obtenir gain de cause devant la cour d’appel. Ainsi, des décisions bien motivées permettent d’éviter des appels probablement voués à l’échec. Également, si le jugement n’est pas motivé, le plaideur est en difficulté pour débattre devant la cour puisqu’il ne sait pas quel argument il doit combattre. De même, la cour n’est pas en mesure d’exercer son contrôle sur la logique du raisonnement du premier juge.
Enfin, l’absence de motivation sérieuse risque de relancer le conflit entre les justiciables auquel le jugement aurait dû mettre fin en ce sens qu’en l’absence d’explications chacune des parties peut se faire une idée fausse sur l’opinion du juge et, n’ayant pas été convaincue par un raisonnement capable de mettre fin aux débats agressifs antérieurs, être tentée de continuer sans fin la polémique sur la valeur de tel ou tel argument.
La sanction juridique de l’absence ou de l’insuffisance de motivation est l’annulation de la décision. L’article 458 du Code de procédure civile énonce de façon impitoyable :
« Ce qui est prescrit par les articles [...] 455 alinéa 1 doit être observé à peine de nullité [...]. »
La Cour de cassation rappelle régulièrement ce principe en matière d’assistance éducative. Et elle applique l’exigence de motivation à tous les aspects de la décision, par exemple sur l’existence d’un danger :
« Attendu que pour confirmer l’ordonnance instituant une mesure d’action éducative en milieu ouvert pour K. R. la cour d’appel a retenu que “l’absence d’un parent qu’elle soit physique ou morale faisait encourir à l’enfant des risques réels et sérieux pour sa santé mentale et pour sa personnalité future d’autant plus que l’absence de son père résulte d’une décision trop lourde pour son âge et que cette situation crée une souffrance” ; Attendu cependant qu’une mesure d’assistance éducative ne peut être ordonnée que dans les cas limitativement énumérés à l’article 375 du Code civil et notamment lorsque les conditions de l’éducation sont “gravement compromises” ; que dès lors en s’abstenant de s’expliquer à cet égard la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision [...]. »
« Attendu que, pour limiter à une fin de semaine par mois le droit de visite et d’hébergement de la mère, l’arrêt attaqué, après avoir évoqué les “inquiétudes” du père et le conflit opposant les parents en raison d’imputations d’inceste portées par Mme X, relève que les experts qui ont examiné la jeune A indiquent que celle-ci ne présente aucune pathologie et souhaite maintenir des liens affectifs avec sa mère dans le cadre de relations régulières ; qu’il ajoute que le médecin commis pour examiner Mme X n’a discerné chez celle-ci aucun trouble psychopathologique et estime que les capacités affectives de l’intéressée sont compatibles avec l’exercice de ses droits maternels ; Attendu qu’en se déterminant ainsi sans dire en quoi la santé, la sécurité ou la moralité de l’enfant était en danger auprès de sa mère, ou les conditions de son éducation gravement compromises, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision . »
Plus récemment la cour de cassation a sanctionné des motifs « hypothétiques » d'une décision de cour d'appel. Cette dernière avait estimé, notamment, que les enfants « semblent tirer profit de leur placement » ce qui, de fait, ne veut rien dire .
Ces arrêts, sélectionnés parmi de nombreux autres, illustrent très bien la frontière entre l’existence de certaines difficultés familiales et le danger au sens de la loi sur l’assistance éducative. Et ils sont bien le reflet des pratiques de nombreux juges des enfants.
Dans les décisions qui contiennent des motifs, on lit très souvent un descriptif plus ou moins détaillé des dysfonctionnements constatés par les professionnels. Mais on lit rarement l’analyse du magistrat qui le conduit à considérer que la situation qui lui est soumise dépasse le seuil de l’acceptable, sachant que des incidents existent dans d’innombrables familles (toutes ?), et qu’un danger au sens des textes doit être suffisamment caractérisé pour justifier son intervention. D’ailleurs, le mot « danger » apparaît rarement, et il en est de même de la référence à l’article 375 du Code civil et de sa définition du danger. Le fait que la notion de danger ne soit pas précisément définie dans l’article 375 ne peut pas permettre d’échapper à cette obligation.
L’exigence de motivation s’applique à tous les aspects de la décision, et non seulement à la caractérisation du danger. Il en va de même pour la limitation du droit de visite et d’hébergement d’un parent , ou pour la contribution financière .
En résumé, dans toutes les décisions d’assistance éducative, les motifs doivent exposer l’état de la situation familiale tel qu’elle est rapportée par les travailleurs sociaux, les propositions et demandes des uns et des autres, l’argumentation des parents et des mineurs, puis le raisonnement du juge. Celui qui la reçoit doit être convaincu, à la lecture de la décision, que son affaire a été examinée dans tous ses aspects et, en tout cas, que chaque argument important a été examiné et a obtenu une réponse. Ce n’est malheureusement pas toujours le cas.
La motivation, outil de travail en assistance éducative
Lorsque la décision est prise par le juge des enfants, la motivation est le respect de la loi mais c’est aussi autre chose et bien plus que cela. L’intervention en assistance éducative, nous y reviendrons plus précisément plus loin, n’est possible que s’il y a danger. Il s’agit là d’une notion de fait plus que de droit, car la loi ne précise pas en détail ce qu’il faut entendre par danger pour un mineur. Il n’est donc pas possible de se reporter à un manuel juridique pour en connaître le contenu s’il n’est pas précisé par le jugement.
Faute de référence extérieure, il n’y a que dans la décision du juge des enfants que l’on peut savoir quel est le danger qui est considéré comme caractérisé dans la famille en cause. Si le juge ne s’explique pas, ni les parents, ni les enfants, ni les éducateurs qui exerceront la mesure ne sauront quel danger a retenu le juge. Il manquera alors à tous les intéressés la base essentielle du travail, la référence commune, le repère permanent que doit être le jugement. Il risque même d’y avoir contradiction entre l’orientation du dossier prévue par le juge et le travail entamé par les éducateurs.
Prenons un exemple simplifié, extrait d’un dossier : une mère élève deux jeunes enfants. À cause de certains troubles mentaux, sa toute petite maison est dans un état de désordre et d’encombrement extrême, elle entasse à l’intérieur les poubelles, les déchets, à tel point que le sol est en peu d’endroits accessible sans obstacle. Elle sort très peu, vivant comme recluse dans un espace réduit avec les deux mineurs. À cause de cela il a été repéré chez les enfants, entre autres, des difficultés à se déplacer dans un espace vaste et une crainte de l’extérieur. Pourtant il s’agit d’une femme intelligente et manifestement capable d’attitudes positives envers ses enfants ; elle favorise notamment les apprentissages scolaires. Les enfants semblent bien avec elle mais il est certain que plus ils grandiront plus ils subiront les carences maternelles. La mère ne vient pas à l’audience. Le juge, qui dispose déjà des photographies de l’intérieur de la maison, ordonne une action éducative en milieu ouvert mais ne la motive pas. En tout cas il n’indique pas ce qui met selon lui les enfants en danger et quelles seraient pour lui les limites à ne pas dépasser susceptibles d’entraîner une décision de retrait des enfants.
Au bout d’un an l’éducateur d’AEMO remet un rapport concluant que les enfants sont bien en danger mais aussi qu’un travail, lent mais réel, est possible avec la mère. Il explique que le cadre matériel n’est pas satisfaisant mais que sa modification ne doit pas être une priorité absolue pour le moment, une focalisation sur l’état de la maison risquant selon lui de casser la relation établie difficilement avec la mère et qui commence à avoir quelques effets positifs.
Pourtant, à l’audience, le juge constate que l’état des lieux n’a pas changé et, estimant les résultats de l’AEMO insuffisants sur ce point, ordonne le retrait des deux enfants essentiellement pour cette raison-là.
Ce qui apparaît dans cet exemple comme dans de nombreux dossiers, c’est que les familles ne peuvent rien comprendre quand un juge suit une logique et les éducateurs une autre. Si dans cet exemple le juge avait écrit (à tort ou à raison, ce n’est pas ici ce qui importe) dans sa première décision toute l’importance qu’il accordait au cadre matériel et avait précisé dans ses motifs qu’en l’absence d’évolution de l’environnement matériel il ordonnerait le retrait des enfants, le travail de l’équipe éducative aurait été radicalement différent et la conclusion n’aurait pas été l’incohérence des professionnels, incohérence qui ne peut que conforter la famille dans la sienne.
Dans un certain nombre de dossiers, l’absence de motivation de la décision judiciaire est directement un obstacle à un travail éducatif de qualité. Il faudra bien un jour que les magistrats l’admettent.
À l’inverse, les travailleurs sociaux disent tous que recevoir une décision motivée leur fait gagner des mois de travail et renforce leur efficacité parce que, lorsqu’ils arrivent pour la première fois dans la famille, ils peuvent, en se référant au même texte qu’elle, aborder immédiatement les faits importants. Par contre, lorsqu’ils arrivent pour le premier entretien avec une décision vide alors qu’ils n’ont pas assisté à l’audience, la famille peut leur raconter n’importe quoi sur ce qu’a dit le juge, ils ne savent pas quelles pistes de travail suivre en priorité et passent beaucoup de temps à fixer eux-mêmes ces priorités qui, répétons-le, ne seront pas forcément celles du juge.
Également, la motivation de la décision est, comme le débat à l’audience, d’une certaine façon, un élément du travail thérapeutique, en ce sens que l’écrit, qui émane du juge et prend donc aux yeux de la famille une force particulière, relate des éléments qui auparavant pouvaient être dissimulés, refoulés, consciemment ou non. Motiver, c’est mettre au grand jour les tensions, les souffrances, les incapacités. Les faire apparaître, c’est faire tomber le camouflage qui pouvait les masquer, c’est la condition pour pouvoir tenter de les traiter, le relais étant alors passé aux professionnels spécialisés.
Enfin, c’est à partir de la motivation de la décision que la famille va savoir quels aspects de sa situation doivent être travaillés pour que l’intervention judiciaire cesse. S’il y a appel, elle va alimenter le débat devant la cour à partir des motifs du jugement. Par exemple, si les parents contestent telle allégation relative à la santé des enfants, ils pourront voir un médecin qui éventuellement établira un certificat précisant l’état des enfants. S’il est exagérément reproché de l’absentéisme scolaire, un courrier d’un directeur d’école permettra de faire écarter l’argument ou de le réduire à sa juste valeur. Et lors de l’audience suivante, à l’échéance de la mesure, c’est à partir des motifs de la première décision que s’appréciera l’évolution de la dynamique familiale.
Pour conclure sur ce point, la motivation des jugements d’assistance éducative est une impérieuse nécessité, d’un point de vue tant légal qu’éducatif. C’est, avec la conduite des débats à l’audience, l’acte essentiel du juge, celui pour lequel on le fait intervenir. Ne pas motiver, c’est prendre le risque de voir la décision annulée, et avec elle la mesure de protection, et c’est aussi réduire l’efficacité des travailleurs sociaux et créer un obstacle dans une certaine mesure au rétablissement d’une dynamique familiale plus sereine. Mais c’est surtout prendre le risque de voir des parents et des mineurs ressentir encore plus durement et de façon plus humiliante une intervention judiciaire qui ne les respecte pas suffisamment en ne prenant pas le temps de justifier pleinement ses actes parfois très pénibles à supporter.
La signature de la décision
En application de l'article 456 du code de procédure civile, le jugement du juge des enfants doit être signé par ce magistrat mais également d'un greffier.
Dès lors, une décision qui ne comporte pas cette signature peut être annulée par la cour d'appel ainsi que le prévoir l'article 458 du même code .
La mise en œuvre de la décision
Pour que les jugements d’assistance éducative prennent toute leur force juridique et puissent être mis à exécution, des règles précises de procédure civile doivent être respectées. Trop d’irrégularités sont encore commises en ce domaine.
La notification
Pour qu’une décision existe juridiquement et soit exécutable, il ne suffit pas qu’elle soit annoncée oralement à la famille. À ce stade, comme cela a été indiqué plus haut, juridiquement elle n’existe pas encore.
Il faut qu’elle soit rédigée et signée, mais surtout qu’elle soit notifiée à tous les intéressés à la procédure (art. 503 du Code de procédure civile). « Notifier » est un terme juridique qui signifie porter une décision à la connaissance de quelqu’un.
Les modalités de la notification
L’article 1195 du Code de procédure civile prévoit :
« Les […] notifications sont faites par le greffe par lettre recommandée avec demande d’avis de réception et par lettre simple. Le juge peut, toutefois, décider qu’elles auront lieu par acte d’huissier de justice, le cas échéant, à la diligence du greffe, ou par la voie administrative. »
C’est à un envoi double (recommandé et lettre simple) que doit procéder le greffe, il ne s’agit pas d’un choix entre ces deux modalités. L’objectif est par ce moyen de faire en sorte que les intéressés qui ne vont pas chercher leur lettre recommandée reçoivent quand même un exemplaire de la décision par lettre simple.
Si les parents ne vont pas chercher leur lettre recommandée à la poste, il est possible de leur faire remettre la décision par la police ou la gendarmerie si on souhaite qu’ils ne puissent ultérieurement se prévaloir de la méconnaissance de l’opinion du juge, ce qui, cela vient d’être dit, risque de fausser la qualité de l’intervention. Dans la pratique, la notification par huissier de justice est très rarement utilisée.
Il est essentiel de connaître la date de la notification car c’est à la fois la date de prise d’effet de la décision donc la date à laquelle elle peut être mise à exécution, et aussi le point de départ du délai d’appel.
La date de notification qui doit être retenue est la date de la première présentation de la lettre recommandée au domicile des intéressés, peu importe la date à laquelle ils sont allés chercher l’enveloppe à la poste, et même s’ils ne font même pas cette démarche et que l’enveloppe et son contenu reviennent au greffe comme non réclamés . C’est en effet cette présentation qui leur permet de prendre connaissance de la décision.
À supposer que la famille n’ait pas reçu ou pas lu le jugement posté par lettre simple, une mesure d’assistance éducative peut donc en théorie être mise à exécution sans que les intéressés en connaissent la motivation. Mais la procédure reste parfaitement régulière si c’est uniquement leur comportement qui est à l’origine de cette méconnaissance.
Le greffe doit toujours accrocher à la décision notifiée l’accusé de réception, ou l’acte d’huissier, ou le procès-verbal de police, tous documents sur lesquels figure la date d’accomplissement de cette diligence.
Et s’agissant du recours, afin que les intéressés connaissent leurs droits, l’acte de notification doit contenir « de manière très apparente » « le délai d’opposition, d’appel ou de pourvoi en cassation dans le cas où l’une de ces voies de recours est ouverte, ainsi que les modalités selon lesquelles le recours peut être exercé » (art. 680 du Code de procédure civile, applicable à l’assistance éducative ).
Les destinataires de la notification
En application de l’article 1190 du Code de procédure civile, la décision écrite doit être notifiée « aux père, mère, tuteur ou personne ou service à qui l’enfant a été confié, ainsi qu’au conseil du mineur s’il en a été désigné un » dans les huit jours, à partir de la date à laquelle elle est rendue. Toutefois, si ce délai n’est pas respecté, aucune sanction n’est applicable et la décision notifiée postérieurement reste juridiquement valable, elle ne peut simplement pas être mise à exécution et le délai pour faire appel ne court pas.
Le même article indique que « le dispositif de la décision est notifié au mineur de plus de seize ans à moins que son état ne le permette pas ». Le dispositif est la dernière partie de la décision judiciaire, le paragraphe qui suit la phrase « par ces motifs », et dans lequel est mentionnée la nature des mesures éventuellement ordonnées et leur durée.
En pratique, les décisions ne sont quasiment jamais envoyées aux mineurs, même de plus de seize ans, et ceci en contradiction avec la loi. Certaines raisons l’expliquent, à défaut de le justifier. Certains greffes pourraient difficilement y parvenir matériellement. Sachant que les secrétaires notifient déjà des centaines de jugements annuels aux parents, parfois séparés, ainsi qu’à des services éducatifs, les obliger à les notifier à tous les mineurs de plus de seize ans individuellement multiplierait considérablement le temps consacré aux notifications, au détriment d’autres tâches essentielles, telles que la rédaction des décisions. Dans certains services, ce serait aller à l’engorgement certain, voire au blocage de la juridiction. De plus, ne notifier que le dispositif obligerait à faire dans chaque dossier deux décisions différentes, l’une complète pour les adultes et l’une sans les motifs pour les mineurs, ce qui demanderait encore plus de travail de secrétariat.
Toutefois, au-delà du constat que la loi est ainsi faite et que rien n’autorise à la bafouer volontairement, il faut admettre que l’envoi d’un exemplaire des décisions aux mineurs de plus de seize ans est un acte opportun. C’est, symboliquement, les reconnaître comme ayant une place importante dans la procédure, au même titre que les adultes. C’est leur permettre de relire dans le jugement des précisions sur le sens et les modalités d’exécution de la décision qui les concerne et de faire valoir certains de leurs droits. C’est enfin, s’ils n’ont pas été convoqués à l’audience, sans doute à tort, le seul moyen pour eux de connaître sans intermédiaire déformant le raisonnement exact du juge.
Pour ces raisons, il faut tout faire pour que cette disposition soit respectée. S’il y a malgré tout un choix à faire faute de moyens en personnel, il faut privilégier la notification aux mineurs qui ont été éloignés de leur famille parce que les enjeux sont les plus importants, et ceux qui font l’objet d’une mesure d’action éducative en milieu ouvert peuvent lire la décision adressée à leurs parents. Pour simplifier le travail du greffe, rien ne s’oppose à ce qu’un exemplaire complet de la décision leur soit envoyé, la loi imposant un minimum mais n’empêchant pas de faire plus. S’ils ont été présents à l’audience ils ont déjà entendu le juge expliquer sa décision et il n’y aura donc à la lecture du jugement écrit ni révélation ni choc. Et puis, au-delà de seize ans, bien des mineurs ont les capacités suffisantes pour comprendre une décision de justice.
Précisons également, ainsi que cela sera explicité dans le chapitre relatif à l’appel (cf. chapitre 15), que le fait qu’un jugement ne soit pas notifié à un mineur ne lui supprime pas du tout son droit d’interjeter appel. Mais parce que le délai d’appel ne peut pas courir à compter du jour de la notification puisque par hypothèse il n’y en a pas, la loi le fait partir à compter du « jour où il a eu connaissance de la décision ». Ce qui est alors une notion de fait et non de droit, laissée à l’appréciation de la cour d’appel.
Enfin, l’article 1190 précise que « la décision écartant certaines pièces de la consultation en application du quatrième alinéa de l’article 1187 est notifiée dans les huit jours à la seule partie qui a demandé celle-ci ». Une telle décision peut ensuite, comme toutes les autres, faire l’objet d’un appel.
L’exécution de la décision
Les règles concernant l’exécution des jugements d’assistance éducative sont mal connues et cela peut être la source de difficultés importantes.
L’expiration du délai d’appel
Les règles générales d’exécution des jugements civils, à défaut de mention contraire dans les textes, sont applicables aux jugements d’assistance éducative. Elles sont précisées au titre quinzième du Code de procédure civile, et notamment aux articles 500 et suivants. Le principe général est simple : un jugement est exécutoire, c’est-à-dire peut être mis à exécution, y compris par la contrainte, à partir du moment où il « passe en force de chose jugée » (art. 501). Et un jugement passe ainsi en force de chose jugée lorsqu’il n’est plus susceptible de recours suspensif d’exécution (art. 500).
En matière d’assistance éducative, tous les adultes ou services à qui la décision doit être notifiée disposent d’un délai de quinze jours pour interjeter appel (art. 1191 du CCP), à compter de la notification. La notification aux mineurs n’étant pas systématique, comme nous l’avons indiqué dans le précédent paragraphe, la loi a prévu qu’ils peuvent interjeter appel soit à compter de la notification, c’est-à-dire de la remise d’un exemplaire du jugement, soit à compter du jour où ils ont eu connaissance de la décision. Il s’agira de fixer ce jour au cas par cas.
Si celui qui reçoit une décision fait appel avant l’expiration des quinze jours en assistance éducative, le jugement du juge des enfants est en principe provisoirement mis entre parenthèses, ne peut et ne doit pas être exécuté. Plus tard, la cour soit le confirmera, et il reprendra alors toute sa vigueur à compter de la notification de l’arrêt d’appel, soit l’infirmera, c’est-à-dire qu’il sera modifié, totalement ou partiellement : son dispositif sera en tout ou partie remplacé par les dispositions ordonnées par la cour et ces dispositions nouvelles, elles aussi, prendront effet à compter de la notification de l’arrêt. La mise entre parenthèses du jugement pendant la procédure d’appel est ce qu’on nomme l’effet suspensif de l’appel (art. 539 du Code procédure civile).
Pour cette raison, les services éducatifs désignés par la décision, qui en général la reçoivent le même jour que la famille, doivent impérativement attendre l’expiration du délai d’appel pour commencer leur intervention, sauf si la famille, qui peut immédiatement faire connaître qu’elle n’entend pas interjeter appel et veut au contraire que les modalités prévues par le juge soient rapidement mises en œuvre, notamment si elle souhaite vivement que commence le soutien éducatif, ce qui est fréquent, sollicite elle-même les éducateurs pendant le délai d’appel. Il s’agit alors de ce que les textes appellent l’exécution volontaire d’une décision (art. 503). Il est alors souhaitable que cela soit formalisé dans un écrit signé des intéressés.
Pour qu’ils sachent ce qu’il en est, tous les intéressés à la procédure sont avisés si l’un d’entre eux fait appel. Dans le cas contraire, les services ne sachant pas précisément à quelle date la famille a reçu notification du jugement et donc ne pouvant calculer eux-mêmes quand le délai d’appel est écoulé, il est utile qu’ils sollicitent du greffe un certificat de non-appel avant d’entamer leur travail.
En pratique, si le greffe d’un tribunal est surchargé, si donc les notifications sont faites tardivement, le délai total entre le jour de l’audience et l’expiration du délai d’appel, donc de la mise en œuvre de la mesure ordonnée, peut aisément atteindre plusieurs semaines, voire plusieurs mois dans les cas critiques. Mais quoi qu’il en soit, il s’agit de règles légales impératives qu’aucun argument d’opportunité n’autorise à contourner. Leur violation est même susceptible de mettre les professionnels dans de graves difficultés, ainsi que nous le verrons ultérieurement.
Les services éducatifs doivent être très vigilants quant à l’application de ces règles essentielles, et ne jamais entamer une intervention de quelque nature que ce soit sur une demande orale d’un juge des enfants ou sur la seule réception d’un soit-transmis.
L’exécution provisoire
L’effet suspensif du délai d’appel est de nature à retarder pendant plusieurs mois la mise en œuvre d’une mesure de protection. En effet, sauf si l’appel porte sur une ordonnance de placement provisoire ce qui impose alors à la cour d’appel de statuer dans les 3 mois de la déclaration d’appel, il faut souvent de quatre à six mois, quand ce n’est pas plus, pour que les cours d’appel audiencent les affaires et rendent leurs décisions, même si elles sont supposées « instruire et juger en priorité » (art. 1193). Cela pourrait être très fortement dommageable pour certains mineurs en situation de danger grave et immédiat.
C’est pour cela que le Code de procédure civile laisse au juge la possibilité d’assortir la décision de l’exécution provisoire (art. 514 à 526). L’exécution provisoire est la disposition du jugement par laquelle le juge décide que sa décision pourra être exécutée même si l’une des parties interjette appel.
Deux régimes juridiques opposés s’appliquent aux deux catégories de décisions des juges des enfants, étant rappelé qu’il n’existe aucun recours contre les décisions ordonnant une investigation.
Exécution provisoire de plein droit et exécution provisoire facultative
Les ordonnances dites de placement provisoire (OPP), parce que ce sont des décisions provisoires au sens juridique du terme par référence aux articles 514 et 1184 du Code de procédure civile, sont de plein droit assorties de l’exécution provisoire , c’est-à-dire qu’elles sont par leur seule nature exécutable même en cas d’appel. Le juge des enfants n’a ni à débattre de cette exécution provisoire à l’audience, ni à motiver sa décision sur ce point puisqu’il ne s’agit pas d’un choix de sa part (cf. chapitre 7).
À l’inverse, pour tous les jugements, l’exécution provisoire n’est que facultative. Cela signifie qu’en principe il n’y a pas d’exécution provisoire, celle-ci devant être exceptionnelle et spécialement justifiée au cas par cas.
Si le jugement ordonne une mesure d’action éducative en milieu ouvert, il sera assez peu souvent nécessaire de l’assortir de l’exécution provisoire et la règle du double degré de juridiction sera effective. En effet, il est peu fréquent que des tensions familiales qui existent depuis des mois ou des années dégénèrent uniquement parce que l’intervention éducative, absente jusque-là, est différée de quelques mois, le temps que la cour statue. Et dans certains cas, même si la mesure judiciaire ordonnée n’est pas mise en œuvre, les services sociaux de prévention continuent souvent à intervenir. Mais le juge doit se réserver la possibilité de l’ordonner dans certains cas immédiatement préoccupants.
S’il s’agit d’éloigner des enfants de leurs parents, après la première audience depuis l’ouverture du dossier et donc par une première décision judiciaire, le juge est face à un choix très délicat et choisir d’ordonner ou non l’exécution provisoire est souvent une question très difficile à trancher.
En effet, si les parents sont opposants, ils utiliseront probablement et légitimement leur droit d’appel et la cour pourra bien décider du maintien des mineurs chez leurs parents. Mais s’il y a exécution provisoire et que les parents refusent de laisser partir leurs enfants avec les éducateurs qui n’arrivent pas à négocier, la force publique (police ou gendarmerie) pourra être utilisée, les parents pourront même être condamnés pour non-représentation d’enfants et faire de la prison, éventuellement sous la forme de détention provisoire. Cela s’est déjà produit plusieurs fois.
Or, si la force publique est utilisée et si les enfants sont retirés pendant plusieurs mois, ou les parents emprisonnés, avant que la cour ne statue, puis si celle-ci infirme le jugement de retrait et rend les mineurs aux parents, en remplaçant l’éloignement par une mesure d’action éducative en milieu ouvert par exemple, l’utilisation de la force publique, avec tous les traumatismes qu’elle est susceptible d’engendrer, notamment auprès des enfants en bas âge, paraîtra à retardement inopportune et l’institution judiciaire dans son ensemble, qui retire des enfants par la force, violemment, puis les rend peu après, semblera incohérente et dangereuse aux yeux de la famille, sans parler des conséquences de ces aléas sur le travail éducatif à venir et sur la crédibilité des professionnels, et en premier lieu du juge des enfants. Le discrédit sera alors total.
Contrairement à ce qu’on croit trop souvent à tort, les cas dans lesquels il n’est pas indispensable d’assortir une décision initiale de retrait des enfants de l’exécution provisoire ne sont pas rares. En tout cas, le besoin d’ordonner l’exécution provisoire ne peut pas être motivé par la seule nature de la décision, un éloignement des enfants. Il faut en plus qu’il soit indispensable de mettre en œuvre cet éloignement à très bref délai pour soustraire rapidement des mineurs à un danger beaucoup trop grave.
Et il faut bien avoir en tête que, si le juge des enfants dans un premier jugement décide un accueil de mineurs hors de leur famille, sans ordonner l’exécution provisoire, et que, si avant que la cour ne statue il y a de nouveaux incidents graves qui rendent indispensable un éloignement rapide, le magistrat, à condition qu’il puisse affirmer qu’il y a des éléments nouveaux depuis sa précédente décision, peut parfaitement rendre un second jugement pour confirmer le retrait des enfants et y ajouter cette fois-ci les nouveaux éléments plus une exécution provisoire, plus aisée à motiver. Il n’y a jamais impossibilité de protéger efficacement les mineurs entre l’acte d’appel et la notification de l’arrêt de la cour.
En revanche, s’il s’agit d’une décision de prolongation de mesure lors d’une révision de situation après une première décision de retrait, la décision doit systématiquement être assortie de l’exécution provisoire, dans la même logique, afin cette fois-ci qu’en cas d’appel puis de confirmation par la cour les enfants ne repartent pas sur leur lieu d’accueil après être revenus quelques semaines ou quelques mois chez leurs parents, éventuellement contre leur gré. C’est là encore la continuité logique et la cohérence des interventions qui doit être le critère de décision.
Si le juge décide, à tort ou à raison, d’ordonner l’exécution provisoire de sa décision, il doit expliquer pourquoi dans ses motifs. Or en pratique, malheureusement, dans la quasi-totalité des décisions ne figure qu’une phrase type ordonnant l’exécution provisoire, souvent pré-imprimée sur le formulaire, ce qui démontre qu’il n’y a sur cette question ni débat à l’audience, ni la moindre explication dans la décision. La question n’est tout simplement jamais abordée. Cela est extrêmement regrettable étant donné son importance.
La suspension de l’exécution provisoire
Les conséquences de l’exécution provisoire sont telles qu’il a été instauré un mécanisme spécifique de contrôle.
Le recours contre l’exécution provisoire facultative
Si l’exécution provisoire, facultative, a été ordonnée, elle peut être arrêtée, s’il y a appel, par le premier président de la cour d’appel statuant en référé, si elle est interdite par la loi ou si elle risque d’entraîner des « conséquences manifestement excessives » (art. 524). C’est alors au premier président d’apprécier, à travers le dossier et les motifs du jugement, s’ils sont suffisamment explicites, s’il est vraiment indispensable d’éloigner les enfants à bref délai et s’il est réellement trop risqué pour eux d’attendre la décision à venir de la cour d’appel, ou au contraire s’il faut veiller à conserver au double degré de juridiction son plein et entier effet, en ayant en tête que c’est la règle, et l’exécution provisoire l’exception. Dans cette seconde hypothèse, la quasi-suppression de l’effectivité de l’appel du fait de l’exécution provisoire et le risque de dommage en cas d’infirmation du jugement sont considérés comme des conséquences excessives eu égard au besoin de protection modéré du mineur concerné.
La compétence du premier président de la cour d’appel en la matière ne fait aucun doute . L’article 524 s’applique a priori à toutes les procédures et, dans la section du Code de procédure civile relative à l’assistance éducative (art. 1181 à 1200-1 du Code procédure civile), il n’existe aucun texte qui énonce une exception dans ce domaine.
Quelle que soit la matière, l’excès existe à chaque fois que l’exécution provisoire risquera de laisser des traces indélébiles d’une gravité suffisante, en d’autres termes de causer un dommage irréparable ou quasi irréparable.
En matière de protection de l’enfance et plus précisément de séparation familiale, lorsqu’un enfant est pendant des mois séparé de ses parents, il est par hypothèse impossible de faire par la suite disparaître cette séparation et de recréer, pour le passé, une situation de vie commune permanente. Si l’on peut restituer une somme d’argent perçue en exécution d’un jugement infirmé, une longue rupture familiale accompagnée de son lot de douleurs ne s’efface pas. Et aucune contrepartie ne peut effacer le dommage causé.
En fait, dans cette matière si spécifique qu’est l’assistance éducative, l’exécution provisoire ajoutée à un jugement supprime, en pratique, le double degré de juridiction, ou, en tout cas, réduit considérablement ses effets puisque l’arrêt infirmatif n’aura réellement d’effet que pour l’avenir. On est alors à l’antipode de la notion de remise en état.
C’est donc à partir de ces considérations propres à la protection judiciaire de l’enfance que l’on peut revisiter la notion de conséquence manifestement excessive et, dans ce domaine spécifique, proposer une nouvelle définition : l’exécution provisoire d’un jugement confiant un mineur à un tiers risque d’entraîner des conséquences manifestement excessives à chaque fois qu’elle est ordonnée alors pourtant qu’il est possible de différer la mise à exécution de cette mesure de protection jusqu’à la décision de la chambre des mineurs de la cour d’appel.
Un premier président doit donc rechercher si le danger dans lequel se trouve le mineur est d’une telle ampleur au domicile familial qu’un éloignement immédiat s’impose manifestement, quelles que soient les conséquences de l’exécution immédiate de la décision contestée .
Il a été récemment jugé par un premier président, à propos d’un jugement confiant à l’ASE un enfant de 6 ans résidant jusque-là au domicile de sa mère :
« Attendu que l’enfant dont la résidence a été fixée chez sa mère par décision du juge aux affaires familiales […] a toujours vécu avec celle-ci ; qu’il est incontestable que la séparation d’avec sa mère provoquera chez lui un trouble et une émotion considérables qu’il est impossible de mesurer aujourd’hui, mais qu’en tout état de cause il sera impossible d’effacer ; que par ailleurs cet enfant ne sera pas en mesure de comprendre, dans l’hypothèse où la cour d’appel infirmerait le jugement qui lui est déféré, pourquoi après avoir mis en œuvre ce placement rapidement pour le protéger il y est mis fin tout aussi rapidement ; que la confiance de l’enfant envers les adultes chargés de le protéger dans ce conflit qui oppose ses parents et dont il est devenu l’enjeu malgré lui risque d’en être altéré de manière irréversible ; que par conséquent il ressort de cette analyse que l’exécution provisoire de la décision de placement risque d’entraîner des conséquences manifestement excessives pour l’enfant concerné ; qu’il y a donc lieu de l’arrêter . »
Il s’agit là d’une excellente motivation qui ne peut qu’être approuvée.
Contrairement à l’analyse qui est parfois faite , la motivation du maintien de l’exécution provisoire par la seule conformité du jugement du juge des enfants aux demandes des travailleurs sociaux ou à l’intérêt du mineur, qui correspond à une analyse du bien-fondé de ce jugement, ne correspond pas aux critères de l’article 524 tel qu’interprété par la Cour de cassation. Cette dernière a d’ailleurs clairement rappelé qu’« il n’entre pas dans les pouvoirs du premier président saisi d’une demande tendant à l’arrêt de l’exécution provisoire ordonnée par le premier juge d’apprécier la régularité ou le bien-fondé de la décision entreprise ».
L’étude de multiples décisions impose de conclure que les règles sur l’exécution provisoire sont presque toujours ignorées. Dans aucune des décisions lues n’a été trouvée la moindre motivation sur l’exécution provisoire, presque systématiquement ordonnée, qu’il s’agisse d’action éducative en milieu ouvert ou de retrait d’enfants. Pourtant, à travers cette notion juridique et sa façon d’être appliquée, c’est encore l’esprit des professionnels qui transparaît.
En ordonnant souvent l’exécution provisoire, en réduisant à chaque fois l’effectivité du double degré de juridiction, en ne laissant jamais le débat se prolonger jusqu’à la cour d’appel, les juges des enfants ne donnent-ils pas aux familles le sentiment qu’elles sont face à une institution aux pouvoirs démesurés qui ne leur laisse pas une place égale ? Cette exécution abrupte de toutes les décisions est-elle de nature à entraîner la confiance des familles envers le juge qu’elles auront à rencontrer plusieurs fois, à leur donner envie de dialoguer en profondeur avec ce juge qui impose systématiquement ses choix sans laisser jamais aucune place au doute ? Certainement pas.
Ne pas ordonner systématiquement l’exécution provisoire, c’est au contraire implicitement encourager les familles à se mobiliser, en leur disant que, si elles veulent obtenir gain de cause en appel, il faut qu’elles redressent leur situation à l’équilibre compromis, qu’elles en ont le temps jusqu’à l’audience de la cour, que c’est encore possible. Et c’est notamment possible parce que le juge, lui aussi, croit fermement à cette capacité de se ressaisir. Ne pas ordonner l’exécution provisoire, c’est un message adressé à la famille, c’est lui laisser une porte entrouverte, en espérant qu’elle s’engouffre aussitôt dans l’espace resté disponible.
Enfin, ne pas l’ordonner, c’est également mieux connaître l’avis réel de la famille, qui n’a peut-être pas été vraiment exprimé à l’audience, sur l’opportunité de la mesure prise. C’est au moment de son choix de faire appel ou de ne pas le faire, que la famille montrera véritablement ce qu’elle accepte ou n’accepte pas. Par exemple, des parents peuvent vouloir faire croire à leur enfant, en émettant un avis oral négatif devant lui, que c’est le juge et lui seul qui décide de son départ, qu’eux, au contraire, souhaiteraient le garder à la maison, alors que la réalité est tout autre. C’est alors en ne contestant pas la décision de départ qu’ils montreront leur véritable opinion, et que les éducateurs pourront travailler dans la vérité avec l’enfant, notamment quand il posera des questions sur la position de ses parents quant à son départ de la maison.
Le recours contre l’exécution provisoire de plein droit
S’agissant de l’exécution provisoire de plein droit des OPP, la législation a évolué. Aujourd’hui, le premier président peut aussi l’arrêter, soit en cas de violation manifeste du principe du contradictoire, soit lorsque l’exécution risque d’entraîner des conséquences manifestement excessives (art. 524 dernier alinéa) . La notion de « conséquences manifestement excessives » vient d’être étudiée à propos de l’exécution provisoire facultative.
L’article 524 a soulevé une difficulté en ce qu’il est aussi indiqué que l’exécution provisoire de plein droit peut être arrêtée en cas de violation « de l’article 12 » du Code de procédure civile, ce texte étant celui qui indique que « le juge tranche le litige conformément aux règles de droit ». On pouvait se demander si cette disposition ne réintroduisait pas un contrôle du Premier Président sur le bien-fondé de la décision contestée.
La Cour de cassation a récemment précisé que « l’erreur commise par un juge dans l’application ou l’interprétation d’une règle de droit ne constitue pas une violation manifeste de l’article 12 au sens de l’article 524 […] ».
CHAPITRE 7 : Les procédures exceptionnelles
LA PROCEDURE qui a été décrite jusqu’à présent est la procédure ordinaire, celle qui doit en principe être suivie par le juge et qui assure un équilibre entre la nécessité de prendre des mesures de protection des mineurs, d’une part, et l’obligation de constituer un dossier et d’entendre tous les intéressés d’autre part. Les étapes en sont : avis d’ouverture du dossier, éventuelles investigations, auditions, décision, notification, exécution.
Mais il existe des circonstances dans lesquelles tous ces impératifs ne peuvent pas être conciliés, du moins pendant un certain temps. Aussi la législation autorise-t-elle, à titre exceptionnel, par dérogation à la procédure ordinaire, le recours à des procédures qui réduisent provisoirement les droits des familles pour privilégier la protection des mineurs.
Le principe fondamental est le suivant : il y a recours à une procédure exceptionnelle à chaque fois que toutes les étapes de la procédure ordinaire de jugement ne peuvent pas être respectées.
Avant de décrire ces procédures exceptionnelles, une précision de vocabulaire s’impose. Dans ce chapitre, on parlera de mesures provisoires. Il faut bien comprendre que ce mot « provisoire » a ici un sens juridique particulier. Les mesures qui vont être décrites sont provisoires en ce sens qu’elles sont autorisées mais pour un temps réduit, en attente du retour, aussi rapide que possible, à la procédure ordinaire de jugement. De la même façon, pour les distinguer des jugements et parce qu’elles n’obéissent pas aux mêmes règles de procédure, les décisions prises dans ce cadre exceptionnel sont qualifiées d’ordonnances, et non de jugements, puisque les conditions pour aboutir à un jugement ne sont pas toutes présentes.
Pourtant, il est parfois dit que les décisions prises par le juge des enfants sont toutes provisoires, même les jugements. Cela est exact en ce sens que, même lorsque le juge a fixé une durée de validité à son jugement, par exemple un an, tous les intéressés peuvent, avant l’expiration de cette même année, solliciter une modification du jugement. Mais le jugement en lui-même est dit « définitif », une fois les délais de recours expirés, ce qui signifie qu’une fois sa décision rendue le juge n’est plus tenu d’intervenir avant l’expiration du délai de validité qu’il a fixé.
Les procédures exceptionnelles mentionnées par le Code de procédure civile sont au nombre de quatre. Il faut les étudier l’une après l’autre. Mais toutes se distinguent des jugements en plus pour une raison de procédure importante, il s’agit de l’exécution provisoire de plein droit.
L’éloignement d’un mineur en urgence
Dans le cadre de cette procédure, il faut surtout bien définir la notion juridique d’urgence, avec son exigence de motivation et ses conséquences sur les auditions des intéressés, et préciser la durée de validité de la décision .
La notion juridique d’urgence
Il existe bien sûr des cas dans lesquels il n’est pas possible d’attendre d’avoir convoqué puis auditionné parents et mineurs pour ordonner une mesure de protection indispensable, étant rappelé que le délai minimal à respecter entre l’envoi de la convocation et le jour de l’audience est de huit jours et qu’en temps ordinaire il n’est pas rare que les juges des enfants convoquent un à deux mois à l’avance.
Par exemple, s’il s’agit d’un commissariat ou d’un hôpital qui signale qu’un mineur vient d’arriver, qu’il présente d’évidentes blessures graves sur le corps, et qu’un premier contact téléphonique entre les professionnels et les parents laisse sérieusement penser qu’il s’agit de violences parentales volontaires et qu’il y a rejet du mineur de la part des adultes, donc risque immédiat de récidive, la question d’un éloignement sans tarder de ce mineur va certainement devoir être posée. Si les éléments fournis, tels qu’un grand traumatisme du mineur et un refus extrême de retourner chez ses parents, s’y ajoutent, ou que ces derniers refusent de le reprendre chez eux sur le champ, il sera opportun de le faire accueillir dans un service éducatif le jour même de la réception de l’information ou dès qu’il sera suffisamment remis pour quitter l’hôpital, et cela avant même de disposer d’informations détaillées et complètes sur la dynamique familiale.
Dans ce cas, il y a véritablement urgence à statuer, l’urgence étant juridiquement constituée par l’impossibilité d’attendre huit jours pour prendre la nécessaire mesure de protection et d’éloignement du mineur, et donc par l’obligation de statuer sans avoir procédé au préalable à l’audition des intéressés, ce qui est particulièrement grave.
Ce principe essentiel comporte toutefois une atténuation importante : si le juge est tenu de respecter un délai minimal de huit jours entre convocation et audience, les intéressés peuvent accepter d’être entendus dans un délai plus court. En effet, tout citoyen qui bénéficie d’un droit peut expressément y renoncer. Ici, le délai est un délai de protection du justiciable, afin qu’il dispose de quelques jours pour préparer son déplacement au tribunal et sa confrontation avec le magistrat.
Cela signifie concrètement que si le juge des enfants estime qu’il doit statuer à bref délai, en tout cas dans les quelques jours qui suivent la réception d’informations alarmantes, il doit proposer aux intéressés de comparaître devant lui rapidement, puis, à l’audience, leur faire connaître leur droit de refuser d’être entendus à cause du délai non respecté mais tout autant leur droit de s’exprimer.
Évidemment, les familles qui savent que l’enjeu est majeur, puisqu’il s’agit du retrait des enfants, ne demandent jamais au juge de décider sans eux et de revenir une fois la décision prise.
De fait, il n’y a donc urgence que lorsqu’il est totalement impossible d’entendre parents et mineurs avant de décider. Une telle audition pouvant être organisée en quelques heures ou demi-journées, on comprend que les cas dans lesquels il est véritablement impossible de statuer sans entendre personne sont très rares.
Il faut donc bien comprendre que toute décision qui doit être prise rapidement n’est pas une décision prise en urgence au sens de la procédure civile. C’est uniquement une décision prise après une audience organisée rapidement, mais on n’est plus alors légalement dans le cadre d’une procédure exceptionnelle dérogatoire.
C’est l’article 375-5 du Code civil qui est le support juridique de cette procédure :
« À titre provisoire, mais à charge d’appel, le juge peut, pendant l’instance, soit ordonner la remise provisoire du mineur à un centre d’accueil ou d’observation, soit prendre l’une des mesures prévues aux articles 375-3 et 375-4 [...]. »
Rappelons que l’article 375-3 est celui qui définit la liste de ceux à qui le juge peut confier un mineur soustrait à l’autorité de ses parents (ou de celui qui l’élève), et que l’article 375-4 est celui qui autorise, en plus de ce retrait, la mise en œuvre d’une mesure de milieu ouvert. L’article 375-5 doit être combiné avec l’article 1184 du Code de procédure civile qui cite le cas de l’urgence :
« Les mesures provisoires prévues au premier alinéa de l’article 375-5 du Code civil, ainsi que les mesures d’information prévues à l’article 1183 du présent code, ne peuvent être prises, hors le cas d’urgence spécialement motivée, que s’il a été procédé à l’audition prescrite par l’article 1182, du père, de la mère, du tuteur, de la personne ou représentant du service à qui l’enfant a été confié, et du mineur capable de discernement. »
La motivation de l’urgence
Encore faut-il, pour que le juge soit autorisé à prendre une décision sans avoir auditionné les intéressés, qu’il y ait une véritable urgence, et que celle-ci soit minutieusement décrite dans l’ordonnance.
Or la lecture de nombreuses décisions montre que l’obligation de statuer sans possibilité d’entendre les intéressés n’est presque jamais précisément motivée. Si apparaît parfois la mention « vu l’urgence », qui est vide de sens et équivaut à une absence totale de motivation, trop souvent il n’y a dans l’ordonnance aucune allusion aux motifs précis du recours à l’ordonnance, ou uniquement quelques lignes qui ne décrivent pas minutieusement la situation particulière traitée. Des exemples récents ont été mis en ligne sur le site Internet qui accompagne ce Guide.
Or si le juge rend une ordonnance en urgence, c’est a priori parce qu’il a des raisons de pratiquer ainsi. Et ces raisons figurent nécessairement par écrit dans son dossier au moins dans le document reçu qui a déclenché sa réaction, faute de quoi rien ne justifierait sa décision. Donc rien matériellement ne fait obstacle à ce qu’il les énonce dans son ordonnance, à destination des parents, qui doivent à la lecture du document clairement comprendre pourquoi le juge n’a pas été en mesure d’attendre leur audition pour décider l’éloignement de leur enfant.
Cette motivation de l’urgence est au moins aussi importante que celle du danger. Parents et mineurs n’étant pas entendus, se voyant contraints d’exécuter une décision de justice leur enlevant leurs enfants sans avoir été entendus et sans avoir reçu aucune explication verbale d’un magistrat, ce qui peut être ressenti comme une grande violence, compenser cette absence de rencontre par une motivation très détaillée est une absolue nécessité et un impératif majeur pour le magistrat.
Les ordonnances de placement provisoire devraient être encore plus motivées que les jugements. Malheureusement, la réalité montre qu’encore aujourd’hui tel n’est pas le cas. Pour tenter de modifier les pratiques défaillantes et contraindre les juges des enfants à motiver enfin sérieusement l’urgence, le décret de mars 2002 a rajouté dans l’article 1184 l’expression : « urgence spécialement motivée ». Manifestement ce texte n’est toujours pas suffisamment respecté par les juridictions pour mineurs.
En tout cas cela renforce l’argumentaire de ceux qui saisissent la juridiction supérieure en faisant valoir, pour contester la régularité de la décision, l’absence de motivation sur ce point.
Il appartient en effet aux cours d’appel et à la Cour de cassation de veiller fermement à la qualité des décisions rendues. S’il est constaté une motivation insuffisante de l’urgence, cela aboutit inéluctablement à la nullité de l’ordonnance .
Au-delà des intéressés, la motivation est aussi indispensable pour le service éducatif qui reçoit précipitamment un mineur et qui doit disposer d’un minimum d’explications concernant sa situation pour entamer un travail de façon correcte et savoir comment se situer par rapport à la famille.
Notons que très logiquement la Cour de cassation a indiqué que dans le déroulement de la procédure d’urgence l’avis du ministère public n’a pas à être sollicité .
Il a été également jugé que lorsqu’une mesure éducative précédemment ordonnée arrive à son terme, le fait que le magistrat tarde à organiser la nouvelle audience et ne soit pas en mesure de rendre et notifier un jugement avant l’échéance de cette mesure ne l’autorise pas à statuer en urgence .
Rappelons enfin que le fait qu’une décision soit prise selon la procédure d’urgence ne change rien au régime juridique de son exécution. Elle ne pourra être mise en œuvre qu’une fois notifiée. Si la notification par lettre semble trop lente, le juge peut faire remettre une copie de l’ordonnance par les services de police et de gendarmerie, après leur avoir envoyé un fax. Aujourd’hui, les moyens techniques à disposition permettent une notification en quelques heures, sauf bien sûr absence ou fuite des intéressés.
Les auditions des intéressés
Si le juge a recours à cette procédure d’urgence, il manque un acte essentiel : l’audition des parents et des mineurs. Cette audition est d’une telle importance pour ceux qu’elle concerne, et qui peuvent parfois difficilement supporter qu’une mesure s’exécute sans qu’ils aient pu donner leur avis, que le juge doit adresser ses convocations et entendre les membres de la famille le plus tôt possible.
Avant la réforme de mars 2002, des magistrats laissaient parfois s’écouler plusieurs semaines et même dans certains dossiers plusieurs mois entre leur ordonnance et les convocations pour auditions, ce qui peut devenir insupportable pour les parents et les mineurs qui attendent vainement d’être entendus pour faire valoir leur avis ; cela peut être générateur de compréhensibles comportements caractériels des intéressés, ce dont le juge est alors directement responsable. Qui ne comprendrait qu’un parent s’en prenne à une institution ou à ses représentants lorsqu’il se sent longtemps ignoré par ceux qui ont pourtant décidé de lui retirer ses enfants et n’estiment toujours pas utile de lui demander son avis après de nombreuses semaines ? Comment peut-on s’étonner qu’un mineur crée des difficultés dans un foyer, fugue, s’oppose, alors qu’il n’a pas été entendu par le juge avant de quitter son domicile, qu’il ne sait donc pas combien de temps durera son accueil, à quelles conditions il retournera chez ses parents, ce qu’il en est des retours de fin de semaine ou de vacances ?
Ici encore, pour remédier au dérapage des pratiques des magistrats, le décret de mars 2002 a modifié de façon importante les règles applicables. Il est dorénavant prévu au premier alinéa de l’article 1184 du Code de procédure civile :
« Lorsque le placement a été ordonné en urgence par le juge sans audition des parties, le juge les convoque à une date qui ne peut être fixée au-delà d’un délai de quinze jours à compter de la décision, faute de quoi le mineur est remis, sur leur demande, à ses père, mère ou tuteur, ou à la personne ou au service à qui il était confié. »
Le point de départ du délai de quinze jours étant le jour de l’ordonnance, le greffe doit envoyer les convocations très rapidement, en pratique le jour même de la signature de la décision, avant même sa notification, par lettre recommandée et par lettre simple conformément au nouvel article 1195.
Mais pour être certain de la bonne réception de la convocation par les intéressés, il est possible, en cas de notification de l’ordonnance par la police ou la gendarmerie, de leur faire en plus remettre en même temps la convocation à l’audience.
Le nouveau texte n’impose pas au juge de statuer dans un délai de quinze jours. Il lui est uniquement fait obligation de fixer une date d’audition avant l’expiration de ces deux semaines.
Cette règle se comprend aisément. Entendre les parents et les enfants rapidement ne signifie pas statuer dans la précipitation. Imposer au juge des enfants à la fois de convoquer, d’auditionner les intéressés, et de rendre son jugement dans un délai maximal de quinze jours lui aurait de fait interdit de mettre sa décision en délibéré et de prendre le temps de la réflexion avant de décider du sort de la famille.
D’un autre côté, cette latitude laissée au magistrat quant à la date de sa décision ne doit surtout pas être comprise comme une autorisation de la différer. Sinon, il s’agirait d’un quasi-retour à la situation juridique antérieure.
On pourra remarquer ici qu’il existe une différence de régime juridique, difficilement explicable, avec la règle applicable en cas d’ordonnance de placement provisoire prise non pas par le juge des enfants mais par le procureur de la République. En effet, comme cela sera détaillé plus loin, lorsque c’est le procureur qui a en urgence pris la décision de confier un mineur à un tiers, le juge des enfants doit statuer et non plus seulement auditionner les intéressés dans un délai de quinze jours. Pourtant, dans les deux cas, la situation est proche. À chaque fois on a une première décision d’un magistrat confiant un mineur à un tiers et prise sans l’audition préalable des intéressés. À chaque fois, ceux-ci doivent ensuite être convoqués et entendus par le juge des enfants qui doit prendre une nouvelle décision. On peut donc se demander ce qui justifie cette différence de régime procédural entre ces deux cas pourtant semblables.
La durée de validité de la décision
La sanction du non-respect de ce délai n’est pas la nullité de la procédure. Même si le juge des enfants convoque les intéressés dans un délai supérieur à quinze jours, le jugement qu’il va rendre ne sera pas entaché d’une irrégularité susceptible de justifier son annulation.
Le nouveau texte prévoit dans une telle hypothèse la possibilité pour les parents de demander la remise de leur enfant qui était confié à un tiers. Il est important de relever que cette remise n’est pas systématique. Le texte précise très clairement que l’enfant est remis à ses parents « sur leur demande ».
En conséquence, les parents qui n’ont toujours pas été entendus dans les quinze jours suivant le jour de l’ordonnance peuvent, mais il s’agit d’une simple faculté qui leur est offerte, exiger le retour de cet enfant à leur domicile. Dans une telle situation personne, pour aucun motif, ne peut s’opposer à une telle demande. Il est évidemment exclu que le juge des enfants rende une nouvelle décision pour tenter de pallier le retard de convocation. En cas d’incident dont pourrait être victime le mineur, en supposant que le motif de son placement soit la dangerosité grave et actuelle de ses parents, il y aurait éventuellement matière à mise en cause de la responsabilité de l’État pour dysfonctionnement du service judiciaire.
Si les parents ne demandent rien, l’ordonnance conserve toute sa validité et celui à qui l’enfant a été confié le garde auprès de lui dans un cadre juridique sans faille. Mais même en l’absence d’irrégularité dans la situation créée, cela est à éviter. Il ne faut pas que les parents, s’ils connaissent leurs droits, puissent effectuer un chantage à l’encontre de celui qui héberge le mineur, en laissant planer le doute quant à leur intention de le reprendre auprès d’eux. Pour toutes ces raisons, le délai prévu par le nouveau décret doit être scrupuleusement respecté.
Notons que le système retenu est celui qui existe déjà à propos de la durée des mesures d’investigation ordonnées en parallèle à une ordonnance de placement provisoire (voir plus loin).
Une fois les parents entendus, deux hypothèses se présentent :
- soit le juge dispose de suffisamment d’éléments pour rendre un jugement complètement motivé et statuant sur toutes les questions de l’accueil d’un mineur en service éducatif et il procède ainsi ;
- soit il a besoin de recourir à d’autres investigations et il rend deux ordonnances, l’une confirmant le placement provisoire et reprenant l’avis et les demandes des parents, l’autre ordonnant une ou plusieurs investigations. La loi n’impose pas formellement une deuxième ordonnance confiant à nouveau le mineur à un tiers . Mais le juge ayant entendu les parents qui ont éventuellement formulé une demande de retour de l’enfant auprès d’eux, ainsi que des travailleurs sociaux, il est indispensable qu’un refus soit plus amplement motivé à partir des nouveaux éléments provenant de l’audience.
Dans ces deux hypothèses la première ordonnance prise en urgence n’aura duré que quelques jours.
En tout cas, le recours à cette procédure exceptionnelle, qui réduit considérablement les droits des intéressés ce qui peut en cas d’incompréhension de leur part parasiter l’action éducative entreprise, doit être autant que possible limité à des situations qui imposent sans aucun autre choix possible d’éloigner des mineurs sans entendre leurs parents.
De fait, ces cas sont très peu fréquents. Lorsque des magistrats y ont régulièrement recours, cela signifie que les critères légaux ne sont pas respectés.
L’éloignement d’un mineur pendant le temps des investigations
Dans l’article 1184 du Code de procédure civile qui précise le cadre juridique des mesures provisoires, figure l’expression « hors le cas d’urgence », ce qui signifie par hypothèse qu’une mesure de retrait peut être prise par ordonnance, hors procédure ordinaire de jugement, même sans urgence, c’est-à-dire même si les intéressés ont été auditionnés. Il s’agit donc d’une hypothèse radicalement différente de la précédente.
La nécessité d’investigations
Il arrive parfois, rarement en pratique, si le juge des enfants a pris le soin de constituer son dossier aussi complètement que possible en début de procédure, que, même après l’audition des intéressés, la description de la problématique familiale reste très délicate à analyser et à comprendre à cause de l’absence d’explications ou de la confusion des propos tenus, qui peuvent se contredire de l’un des membres de la famille à l’autre, ou du fait de demandes inconciliables malaisées à arbitrer, et qu’il soit également difficile de fixer une durée à la décision de retrait, ou un rythme de rencontres parents/enfants, faute de compréhension suffisante de la situation.
Par exemple : des parents écrivent au tribunal pour enfants pour faire savoir qu’actuellement et depuis plusieurs mois leur fils adolescent leur fait mener une existence insupportable, qu’il fugue parfois, s’oppose violemment à eux, ne se rend pas toujours à l’école, et ils sollicitent dans leur courrier une mesure de séparation, en insistant pour que leur fils soit accueilli le plus rapidement possible en foyer. Le service social qui n’a pas été sollicité par la famille connaît par l’extérieur les problèmes mais n’est pas en mesure d’en proposer une analyse et n’a donc pas d’avis sur la mesure la plus appropriée.
À l’audience, le juge, qui ne dispose d’aucun renseignement autre que les propos des parents et de l’adolescent, n’entend que des déclarations confuses : le garçon dit vouloir rester chez lui tout en confirmant la crise qui l’oppose à ses parents, les parents ne paraissent pas d’un avis identique sur le pourquoi de cette crise, mais confirment avec vigueur leur demande d’un accueil extérieur de leur fils pour éviter de graves incidents et lui permettre de retrouver un mode de vie plus approprié. L’enquêteur désigné à la réception du courrier des parents pour effectuer rapidement une première exploration est d’avis qu’une séparation s’impose car il estime possible de graves violences intrafamiliales par exaspération de tous les membres et suggère à son tour un éloignement momentané du mineur, au moins le temps de comprendre ce qui se passe, préalable indispensable pour proposer des pistes de travail éducatif.
Dans une telle hypothèse, il n’aurait pas de sens de rendre un jugement ordonnant d’emblée une séparation pour six mois, une année ou deux. Faute de renseignements affinés sur la réalité et la complexité de la dynamique familiale, et d’abord sur l’utilité réelle d’une séparation durable, le choix d’une première durée plausible de séparation, compréhensible pour les intéressés, est impossible à ce stade du dossier. Cela apparaîtrait comme arbitraire et probablement inapproprié. Une durée maladroitement choisie peut entraîner des réactions négatives de la part de la famille, et participer à sa déstabilisation. De plus, en l’absence d’éléments suffisants, il serait impossible de motiver un jugement sur les contours précis du danger.
En conséquence, dans de tels cas, s’il lui manque des éléments essentiels pour rendre un jugement (description du danger réel, nécessité de prolonger une séparation, durée de validité à fixer à la décision, organisation à venir de la relation parents/enfants), le juge des enfants aura recours à une ordonnance de retrait provisoire, pendant le temps des investigations complémentaires ordonnées.
Cette deuxième hypothèse est donc celle du retrait provisoire ordonné, après audition des intéressés, pendant le temps nécessaire à des investigations complémentaires aux auditions, avant le retour à la procédure de jugement dès la fin des investigations .
La durée de validité de la décision
Ici encore, l’ordonnance rendue n’a pas de durée maximale de validité. Seulement, au-delà d’un délai de 6 mois renouvelable une fois si les investigations ordonnées en parallèle ne sont pas terminées à l’issue du premier semestre, l’enfant peut être remis à ses parents sur leur demande.
L’article 1185 prévoit :
« La décision sur le fond doit intervenir dans un délai de six mois à compter de la décision ordonnant les mesures provisoires, faute de quoi l’enfant est remis à ses père, mère […].
Si l’instruction n’est pas terminée dans le délai prévu à l’alinéa précédent, le juge peut, après avis du procureur de la République, proroger ce délai pour une durée qui ne peut excéder six mois. »
Mais le juge n’est pas autorisé à attendre passivement six mois pour reconvoquer les intéressés. Il a l’obligation de le faire dès réception des rapports d’investigation, dès « l’instruction terminée ».
L’article 1187 précise en effet que :
« L’instruction terminée, le dossier est transmis au procureur de la République qui le renvoie dans les quinze jours accompagné de son avis écrit sur la suite à donner ou de l’indication qu’il entend formuler cet avis à l’audience. »
Si le juge des enfants a par exemple rendu son ordonnance le 1er janvier et ordonné le même jour une enquête sociale, et si le rapport lui est déposé le 1er mars, il n’y a plus à partir de cette date de mesure d’instruction en cours. Le juge doit donc dès réception du rapport d’investigation convoquer les intéressés et statuer impérativement par jugement après les débats d’audience. L’ordonnance aura alors eu une durée d’exécution de quatre à cinq mois. Et au-delà des six mois, le juge ayant commis l’erreur de ne pas fixer d’audience dès la réception du rapport, on se retrouve dans la situation du paragraphe précédent, avec des parents qui peuvent reprendre leur enfant quand bon leur semble.
Mais le législateur a prévu l’hypothèse d’une investigation qui dure plus de six mois, et n’a pas voulu que pour cette raison, alors que le juge n’est pas en mesure de statuer, les parents aient la possibilité de reprendre leur enfant. Car si l’on a voulu à juste titre sanctionner la carence du magistrat inactif après la fin des investigations et empêcher que sa passivité coupable ne permette de faire durer des mois et des mois une situation précaire, en faisant planer sur le juge la responsabilité d’une reprise prématurée et dangereuse du mineur par ses parents pour l’obliger à convoquer les intéressés sans tarder, il aurait été aberrant de permettre le retour d’un mineur chez ceux-ci pour le seul motif qu’une investigation est toujours en cours, alors qu’il n’y a aucune carence d’un quelconque professionnel.
C’est pour cela que le juge peut prolonger la durée de validité de son ordonnance, mais uniquement s’il y a une investigation encore en cours. Et l’existence de l’investigation tout comme les raisons de son exceptionnelle longue durée doivent être motivées par écrit dans l’ordonnance de prorogation de délai.
Il a aussi été jugé que l’ordonnance prorogeant le délai de validité de la mesure provisoire peut faire l’objet d’un appel comme la décision ordonnant la mesure . Cela est souhaitable car, à défaut, les parents pourraient se trouver sans aucun recours pendant de nombreux mois, l’article 1185 ne fixant aucune limitation de durée à la prorogation.
Le décret de mars 2002 a modifié la règle sur ce point. Alors qu’auparavant il n’existait pas de limite à la durée de la prolongation du temps d’investigation, dorénavant ce renouvellement ne peut excéder six mois. Dans ce cas, l’ordonnance de placement provisoire conserve ses effets pendant une durée d’une année, et au-delà, comme dans l’hypothèse précédente, les parents peuvent exiger le retour de leur enfant auprès d’eux.
Dans la pratique, les cas dans lesquels il est indispensable de prolonger un délai d’investigation au-delà de six mois sont pratiquement inexistants. En effet, sauf dysfonctionnement majeur du service à qui l’investigation a été confiée, le rapport est normalement remis dans un délai allant majoritairement de deux à quatre mois.
Quoi qu’il en soit, pour que la famille sache exactement pourquoi elle n’est toujours pas reconvoquée par le juge alors que six mois se sont déjà écoulés depuis l’ordonnance confiant un enfant à un tiers, il est indispensable ici encore que le juge motive minutieusement la décision prolongeant le délai d’investigation qui, comme toutes les décisions judiciaires, doit être notifiée aux intéressés.
Le retour à la procédure ordinaire
Le régime exceptionnel et provisoire de l’ordonnance n’étant dans cette hypothèse justifié que par l’existence de mesures d’investigation dont on attend le résultat, le juge des enfants a l’obligation de reconvoquer les intéressés et de prendre une nouvelle décision dès que cette phase d’instruction est terminée, c’est-à-dire dès la réception des rapports si la mesure d’investigation a été confiée à des professionnels.
Ensuite, puisque par hypothèse le magistrat n’attend plus de nouveaux éléments, il doit statuer par jugement. Et ce jugement met fin aux effets de l’ordonnance qui l’a précédé.
Rappelons que lorsque le délai de prorogation est expiré, le juge ne peut plus du tout statuer par ordonnance , et il lui est tout autant interdit de confirmer l’ordonnance par jugement, tout jugement rendu étant selon les termes de la Cour nul pour excès de pouvoir .
L’ELOIGNEMENT EN URGENCE PAR LE PROCUREUR DE LA REPUBLIQUE
A priori, le cadre d’intervention du procureur de la République semble simple : il peut en urgence décider lui aussi de l’éloignement d’un mineur, comme peut le faire un juge des enfants.
Mais cette procédure exceptionnelle, régulièrement utilisée par les parquets, est à l’origine de questions juridiques parfois délicates à résoudre. L’interprétation de son cadre juridique faite par les professionnels n’est pas unanime et sa mise en pratique est source de difficultés sérieuses.
Le principe général
La règle applicable est celle du second alinéa de l’article 375-5 du Code civil :
« En cas d’urgence, le procureur de la République du lieu où le mineur a été trouvé a le même pouvoir, à charge de saisir dans les huit jours le juge compétent, qui maintiendra, modifiera, ou rapportera la mesure. Si la situation de l’enfant le permet, le procureur de la République fixe la nature et la fréquence du droit de correspondance, de visite et d’hébergement des parents, sauf à les réserver si l’intérêt de l’enfant l’exige. »
L’emploi de l’expression « a les mêmes pouvoirs » renvoie au premier alinéa de ce texte, celui qui permet au juge des enfants d’ordonner à titre provisoire la remise du mineur à un tiers, notamment à un service éducatif. Mais comme le procureur de la République n’intervient que très ponctuellement et n’instruit pas le dossier d’assistance éducative, il n’intervient pas pour éloigner un mineur pendant des investigations mais uniquement s’il y a « urgence ».
Saisie par le biais d'une QPC (question prioritaire de constitutionnalité), la cour de cassation a indiqué en mai 2012 que la disposition donnant compétence au procureur de la République ne « porte pas atteinte au droit à un recours juridictionnel effectif » puisque ce texte « organise celui-ci en imposant au procureur de la République (..) de saisir dans les huit jours le juge compétent auquel il appartiendra de maintenir, modifier ou rapporter cette mesure par une décision susceptible d'appel ».
La concurrence procureur de la République/juge des enfants
L’article 375-5 semble donner compétence en cas d’urgence, en même temps, à deux magistrats différents, le juge des enfants et le procureur de la République.
La question qui se pose alors ici est de savoir si le domaine de compétence de chacun d’eux est vraiment strictement égal. Soit il s’agit d’une compétence absolument égale, reposant sur des critères de droit et de fait strictement identiques, et il faut alors, en pratique, réfléchir à la façon de procéder lorsque les deux sont informés d’une même situation, pour savoir lequel intervient et pour quels motifs d’opportunité il agit plutôt que l’autre, afin notamment que les personnes extérieures à l’institution judiciaire sachent à qui s’adresser en cas de besoin. Cela est indispensable pour que la justice paraisse cohérente et que les magistrats ne se contredisent pas entre eux. Soit le domaine d’intervention n’est pas identique et il faut alors en définir les bornes.
En faveur d’une compétence égale, il y a l’expression « le procureur a les mêmes pouvoirs », le mot « même » appelant la notion d’identité, et la place de l’alinéa relatif au parquet qui a volontairement été inséré dans l’article 375-5 et non dans un article distinct.
De plus, cette égalité de compétence semble une nécessité de fait. En effet, à la différence des juges des enfants, qui ne peuvent exercer leurs compétences que lorsqu’ils sont physiquement présents au tribunal, les procureurs et substituts interviennent de façon continue tout au long de l’année, sans jamais d’interruption y compris les jours fériés et les nuits (mais à tour de rôle), et même à partir de chez eux, d’où ils restent en contact avec tous les professionnels susceptibles de les informer d’incidents graves. Il y a à chaque instant et partout un membre du parquet de permanence. Or il peut quelquefois paraître indispensable de statuer sur le maintien ou non d’un enfant chez ses parents en dehors du temps de présence au tribunal du ou des juges des enfants, par exemple un samedi, un dimanche, ou une nuit. Dans ce cas, il faut évidemment que quelqu’un d’autre que le juge des enfants, et ce ne peut être que le procureur ou le substitut de permanence, puisse comme cela a été décrit prendre en urgence une indispensable décision confiant un mineur à un service éducatif si la nécessité impérieuse et immédiate s’en fait sentir, les incidents familiaux graves n’étant pas réservés aux jours ouvrables.
L’hésitation vers un domaine de compétence différent pourrait provenir de l’expression « du lieu où le mineur a été trouvé », mais cette précision a certainement pour seule raison d’être non pas de limiter le champ d’intervention des parquets mais de délimiter leur compétence territoriale, et de permettre l’intervention des parquets des tribunaux de grande instance dans lesquels il n’y a pas de tribunal pour enfants et qui donc ne saisissent pas habituellement la juridiction pour mineurs.
Il semble donc possible de conclure qu’au moment de la prise de décision en urgence, il y a compétence identique entre le procureur de la République et le juge des enfants. Mais il reste alors à rechercher comment éviter incertitudes et cafouillages et assurer la cohérence judiciaire. La question se pose avec acuité pour les périodes au cours desquelles et le juge des enfants et le procureur de la République sont tous deux physiquement présents dans les locaux du tribunal.
Il paraît nécessaire de poser comme principe, pendant ses heures de présence, la compétence première sinon exclusive du juge des enfants, car il n’y a pas de motifs convaincants pour que le procureur se substitue à lui pendant la journée.
Le procureur de la République, en matière civile, n’est qu’un interlocuteur occasionnel des services extérieurs et se contente de recevoir les signalements et de saisir le juge des enfants. Faute de pouvoir régulier de décision, il ne peut pas dans un département ou un secteur donné mettre en place une jurisprudence stable sur l’urgence ou le danger. Seul le juge des enfants, cas après cas, peut établir une pratique repérable par tous.
Il faut également éviter à tout prix que des décisions successives et contradictoires ne soient prises. Si le juge des enfants est présent, il est hautement préférable que ce soit lui qui prenne la décision en urgence, en fixant par écrit ses propres critères de décision, qui serviront de point de départ au débat à l’audience suivante. Or il existe un risque réel que le recours au procureur plutôt qu’au juge soit utilisé dans certains cas comme un moyen de contourner le juge des enfants quand une personne extérieure le considère, à tort ou à raison, comme un obstacle à une réponse affirmative à une demande de retrait d’enfant qu’elle veut fermement voir aboutir. Autrement dit, le procureur ne doit pas être celui que l’on appelle pour obtenir une décision en urgence que le juge a ou aurait refusé de prendre. Le risque est d’autant plus réel que le juge des enfants qui suivra la procédure disposera de moyens d’investigations que le procureur n’a pas. Il peut donc être plus réticent à intervenir rapidement, au seul vu d’informations partielles et lacunaires. Cette volonté d’éviter les contradictions est encore plus forte si le mineur concerné fait déjà l’objet d’un dossier de protection de l’enfance et que le juge a déjà rencontré sa famille. Si le juge a déjà indiqué aux intéressés comment il agirait face à tel ou tel incident, il serait très regrettable que ponctuellement le procureur intervienne et oriente le dossier vers une tout autre direction (par exemple si, déjà averti d’incidents sérieux, le juge décide de retarder un éloignement du mineur et qu’ensuite le procureur, ignorant cela et saisi d’un seul incident par un service de police, décide de procéder de façon radicalement inverse et éloigne le mineur en urgence).
Ensuite, l’intervention du procureur à la place du juge est susceptible de retarder sensiblement le traitement de la procédure. Le juge ne sera pas forcément informé sur le champ de la décision du procureur et la collecte des premières informations peut être différée de quelques jours alors qu’une enquête sociale ou la saisine du SEAT aurait été ordonnée par le juge des enfants le jour même de son ordonnance.
Enfin, entre le moment où le procureur intervient et celui où le juge est saisi de la décision du parquet et prend le relais (voir plus loin), la famille et les professionnels vont se retrouver pendant quelques moments, quelques heures ou quelques jours, sans interlocuteur judiciaire.
Il est donc particulièrement souhaitable que les juges des enfants et les parquets se mettent d’accord sur une façon générale de procéder, afin qu’il n’y ait pas de pratique au cas par cas, ni de flagrantes contradictions entre des décisions successives. Il semble préférable que le procureur n’intervienne que de façon vraiment résiduelle, lorsqu’aucun juge des enfants n’est présent, c’est-à-dire les jours fériés et de vacances ou la nuit, et que, s’il envisage d’intervenir de jour, il y ait au moins un contact préalable avec le tribunal pour enfants pour réduire le risque d’incohérence de l’institution judiciaire dans son ensemble.
Le régime juridique de la décision du procureur
C’est autour de cette question qu’apparaissent de redoutables difficultés et hésitations théoriques. En effet, le Code de procédure civile ne nous donne aucun renseignement sur le régime juridique applicable aux ordonnances prises par le procureur de la République. D’où une série d’interrogations sur la nature de la décision, les règles de notification et d’exécution, la durée de validité, et l’existence de recours.
La nature de la décision
C’est le choix théorique concernant la nature de la décision du procureur qui va conditionner les réponses aux questions suivantes. Deux orientations sont possibles, radicalement opposées.
La première, qui semble la plus souvent retenue par les professionnels, consiste à affirmer qu’en l’absence de réglementation particulière ou de renvoi par analogie au régime juridique applicable à d’autres décisions, et notamment à celles rendues par le juge des enfants, l’ordonnance de retrait d’urgence d’un mineur prise par le procureur de la République est une décision de nature juridique originale, comparable à aucune autre, et ne répondant pas aux exigences des règles procédurales classiques applicables aux décisions de justice. Parce que c’est une décision prise par un membre du parquet et non par un juge du siège, on la considère en quelque sorte comme extra-juridictionnelle et on lui attribue un régime juridique restreint. En pratique, lorsque les décisions sont mises à exécution, les règles relatives à la notification ne sont pas respectées, les familles n’en reçoivent pas toujours d’exemplaire, ou le reçoivent après la mise à exécution. Et elles ne sont pas toujours motivées, tant sur le danger que sur l’urgence. Enfin, on considère qu’il n’existe contre elles aucun recours. Personne ne semble véritablement capable de donner un nom à ce genre de décisions mais ce sont des décisions considérées comme à part, comme différentes de toutes les autres.
Cette première thèse est extrêmement insatisfaisante, pour plusieurs raisons.
- D’abord parce qu’elle a pour résultat de ne donner à la décision du procureur aucun régime juridique clair et aisément identifiable. Il ne serait sans doute pas faux d’affirmer que les tenants du régime juridique particulier sont bien en peine pour fournir une base théorique indiscutable à leur argumentation et il s’agit plus souvent d’une affirmation que d’une démonstration. Et dire que la décision n’est pas soumise à la procédure civile ne dit pas quelles sont les règles qui lui sont applicables ! On reste dès lors dans le flou le plus complet, sans réponse théorique d’ensemble convaincante. Certains prétendent qu’il s’agit d’une décision certes judiciaire mais particulière, sans plus de précisions, mais sans la rattacher à aucune règle du Code de procédure civile, ce qui est contradictoire avec ce caractère judiciaire. D’autres affirment que c’est une décision de type administratif, et s’interrogent sur un éventuel recours devant la juridiction administrative… !
- De plus, comme nous le verrons dans les paragraphes suivants, cette première vision de la décision du procureur est source de litiges pratiques et juridiques très lourds de conséquences et qui peuvent gravement nuire aux mineurs concernés. Il semble donc hautement souhaitable de raisonner autrement.
Pour essayer de donner aux décisions du procureur un régime juridique précis et fiable, il peut être proposé d’en rechercher le fondement dans les textes. L’article 375-5 du Code civil comporte cette précision importante : en cas d’urgence, le procureur a le même pouvoir que le juge des enfants. Ce terme figurant dans le second alinéa renvoie expressément aux dispositions du premier alinéa qui permettent au juge des enfants de statuer par ordonnance selon la procédure précédemment décrite et clairement définie par les textes. Si l’on considère donc que la loi a d’abord énoncé les pouvoirs du juge et les règles applicables à ses décisions, puis a ensuite transféré les mêmes pouvoirs à un autre magistrat, une conclusion logique possible est que le procureur de la République peut prendre les mêmes décisions que le juge des enfants et qu’aux mêmes décisions s’appliquent les mêmes règles procédurales.
- Et puis, sur le terrain non plus du droit mais du fait, serait-il acceptable de prévoir que parce qu’un juge des enfants est saisi d’une situation un vendredi telles règles vont s’appliquer à la décision prise, alors que si des faits strictement identiques sont portés à la connaissance du procureur de la République le samedi la même décision de fait, le retrait d’un enfant, va se voir appliquer un tout autre régime juridique ? Le cadre juridique dans lequel parents, mineurs et service éducatif vont se trouver peut-il différer selon les heures du jour ou de la nuit et les jours de la semaine, alors que la décision prise est sur le fond toujours exactement la même, quel que soit le moment où elle intervient ? Certainement pas. Et cela serait d’autant plus intolérable que dans la pratique, en application de la première thèse, les droits des familles sont considérablement réduits, si ce n’est inexistants, lorsque c’est le procureur qui intervient (voir plus loin).
Un autre argument milite en faveur d’une identité de régime juridique. Le second alinéa de l’article 375-5 du Code civil impose au procureur de transmettre son ordonnance au juge des enfants dans un délai de huit jours afin que celui-ci puisse à bref délai rendre un jugement au fond, comme nous le préciserons plus loin. Or il s’agit là pour l’ordonnance du procureur de la République du même parcours que pour l’ordonnance du juge des enfants, décrit plus haut : lorsqu’il a été procédé par ordonnance à un retrait en urgence, il faut aussitôt que possible convoquer parents et mineurs puis, si les conditions sont réunies, ce qui est presque toujours le cas, statuer par jugement. Une fois de plus, lorsque le procureur a transmis sa décision, le juge se retrouve dans une situation totalement identique à celle qu’il connaît quand il a lui-même rendu une ordonnance, qu’il doit ensuite confirmer ou modifier. Dans les deux cas, quel que soit le premier magistrat qui intervient, il y a de façon identique ordonnance de retrait en urgence puis jugement. Il semble donc possible de considérer que peu importe qui a rendu cette ordonnance initiale, elle fait partie du même circuit procédural et rien ne justifie que selon son rédacteur, procureur de la République ou juge des enfants, elle ait un régime juridique différent.
Il ne paraît donc pas logique de faire une différence selon que l’ordonnance de retrait provisoire est prise par un magistrat ou par un autre. Puisque les textes ne précisent rien à part la notion de « mêmes pouvoirs », il semble hautement préférable, puisqu’il faut faire un choix théorique d’opportunité en l’absence d’indication légale indiscutable, de privilégier la cohérence d’ensemble des interventions et d’appliquer aux ordonnances, à toutes les ordonnances prises pour les mêmes situations, le même régime juridique.
Cette proposition d’identité de régime juridique sort considérablement renforcée encore de l’analyse des diverses conséquences juridiques et pratiques d’une distinction procédurale.
Toutefois, il faut bien admettre que depuis le décret de mars 2002, qui comme cela sera détaillé plus loin impose au juge des enfants qui réceptionne l’ordonnance du procureur de la République de statuer dans un délai maximal de quinze jours, la question du régime juridique de l’ordonnance du procureur, qui est essentiellement importante pour ce qui concerne l’éventualité d’un recours contre elle, perd grandement de son intérêt puisque même s’il existe un recours contre cette ordonnance, lorsque la cour d’appel pourra statuer le juge pour enfant aura inéluctablement rendu une nouvelle décision ce qui rendra cet appel sans objet.
Notification et exécution
Le principe général applicable à toute décision de justice, sauf texte dérogatoire explicite, et donc entre autres aux ordonnances de retrait provisoire prises par les juges des enfants, est qu’une décision ne peut en aucune façon être exécutée avant d’avoir été notifiée, c’est-à-dire avant qu’un exemplaire en ait été remis aux intéressés (art. 1190 du Code procédure civile). Juridiquement, une décision n’existe pas et n’est pas applicable tant qu’elle n’a pas été notifiée, ce qui se comprend fort aisément puisque tant qu’elle n’est pas produite ceux qui sont supposés la subir ou l’exécuter n’en connaissent pas le contenu écrit et ne savent donc pas exactement ce qui a été décidé.
Or dans de très nombreux cas, alors que le procureur de la République prend sa décision tel jour à telle heure, le mineur concerné est conduit dans un service éducatif sur le champ mais la décision du parquet n’est envoyée au service concerné et aux parents que plusieurs jours après, et dans certains tribunaux, qui semblent largement majoritaires, elle n’est pas adressée aux parents, ne leur est pas du tout officiellement notifiée, ce qui se vérifie aisément parce qu’à l’original de l’ordonnance du procureur, transmis au juge des enfants, n’est joint la plupart du temps aucun accusé de réception ou document portant notification. De plus et surtout, de très nombreux parents, interrogés en audience, ont confirmé n’avoir rien reçu ni au moment où leur enfant leur a été enlevé, ni ensuite, ce qui signifie qu’effectivement il n’y a pas de document de notification conservé au secrétariat de parquet sans qu’il soit joint à la décision transmise au juge des enfants, ce qui aurait été trompeur sur l’existence de cette notification. La permanence des réponses négatives montre bien dans quel sens va la pratique des parquets.
Pourtant l’absence de notification est source de très graves problèmes. Si la décision n’est pas portée à la connaissance des parents, peut-elle malgré tout leur être opposée ? Autrement dit, peut-on imposer à des personnes l’exécution d’une décision pendant plusieurs jours ou semaines, avant qu’elles en aient connaissance, ou pire sans qu’à aucun moment ces personnes n’en aient connaissance, n’aient pu la lire ?
Au-delà même de l’aspect juridique de la question, il paraît humainement inacceptable que des parents se voient enlever autoritairement leur enfant non seulement sans avoir été entendus et donc sans avoir connaissance des pièces du dossier, mais en outre, dans une telle hypothèse, sans pouvoir lire dans une décision de justice les éléments retenus par un magistrat quel qu’il soit pour justifier le retrait. C’est pourtant parce que l’urgence fait obstacle à l’audition de la famille qu’envoyer une copie de la décision complètement motivée sur les faits et l’urgence est encore plus indispensable que lorsqu’ils sont présents en audience et entendent le juge leur expliquer oralement son raisonnement et sa décision.
Ceux des magistrats, et notamment des membres des parquets, qui considèrent que la décision n’a pas à être notifiée aux parents estiment parfois qu’elle doit être notifiée au service éducatif qui va accueillir le mineur. Mais alors on se demande ce qui peut légalement expliquer un double régime de notification, et en quoi la décision peut ou doit être notifiée au service et non aux parents. Car de deux choses l’une. Soit il s’agit d’une décision qui n’a pas à être notifiée : elle ne l’est à personne et elle reste dans les murs du tribunal. Soit on considère que pour qu’un service puisse sans risque juridique recevoir un mineur il lui faut disposer de la décision et cela impose de conclure que cette ordonnance du procureur ne peut pas être mise à exécution sans être notifiée : elle doit l’être alors à tous les intéressés en l’absence de texte autorisant une telle sous-distinction entre services éducatifs et familles. Reste toujours à expliquer pourquoi en pratique elle l’est parfois aux uns et rarement aux autres, ce que jusqu’à présent aucun des parquetiers interrogés n’a su justifier.
En l’absence de notification officielle aux parents de l’ordonnance du procureur de la République, quelles sont les règles juridiques applicables si les parents refusent de laisser leur enfant partir de leur domicile avec les professionnels venus le chercher à la demande uniquement orale du procureur ? Le Code pénal a bien prévu une sanction pénale à l’article 227-5 :
« Le fait de refuser indûment de représenter un enfant mineur à la personne qui a le droit de le réclamer est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende. »
Pour que ce texte reçoive application, il faut qu’un refus soit opposé à une personne qui a le droit de réclamer l’enfant. La question qui se pose est alors de savoir si un service éducatif, qui n’a reçu aucune décision lui confiant un mineur, qui ne peut pas montrer cette décision aux parents, qui de leur côté n’ont rien reçu non plus, a le droit d’exiger des parents la remise de ce mineur au sens du Code pénal ? Sur ce point, l’importante circulaire du 14 mai 1993, diffusée par le ministère de la Justice, et qui commente les dispositions du nouveau Code pénal, indique au paragraphe A de la section 3 du chapitre 7 :
« La personne qui réclame le mineur peut […] tenir son droit d’une décision de justice. Dans de telles hypothèses, la jurisprudence élaborée sur le fondement de l’actuel article 357 conserve toute sa valeur. Un parent ou un tiers doit être considéré comme étant en droit de réclamer un mineur dès lors qu’une décision de justice, définitive ou provisoire, soit lui attribue le plein exercice de l’autorité parentale, soit fixe chez lui la résidence habituelle du mineur, soit lui accorde un droit de visite ou d’hébergement, soit, plus généralement, lui confie le mineur et ce quelle que soit la cause de la décision : annulation du mariage, divorce ou séparation de corps, assistance éducative, tutelle, demande des grands-parents de l’enfant […] ou de l’un des parents naturels […].
Toutefois, conformément à la jurisprudence actuelle, les décisions de justice ne peuvent être utilement invoquées que si elles sont exécutoires et si elles ont été portées à la connaissance de la personne qui refuse de représenter l’enfant. »
Effectivement la chambre criminelle de la Cour de cassation a déjà jugé que le texte s’applique à l’assistance éducative et qu’un des éléments constitutifs de l’infraction est la preuve que le prévenu a eu connaissance de la décision de justice et que celle-ci est exécutoire, ce qui impose une notification régulière .
Dès lors, parce qu’il ne semble y avoir aucune exception à ce principe, on doit se demander de quel droit une décision non notifiée aux parents peut être mise à exécution. Il est très difficile de concevoir qu’en droit pénal, où les principes généraux et les textes sont interprétés très strictement, des parents puissent être déclarés coupables de non-représentation d’enfants et condamnés à une amende ou à la prison pour ne pas avoir accepté d’exécuter une décision qui ne leur a jamais été notifiée et qu’ils n’ont simplement jamais vue. Pourtant, les décisions des procureurs de la République sont presque toujours si ce n’est toujours mises à exécution avant toute notification, sur simple échange téléphonique d’informations et d’instructions.
Au-delà encore, si la décision n’est pas notifiée, si l’enfant est pourtant conduit dans un service éducatif, par exemple à partir d’un hôpital ou d’une école, et si les parents qui n’acceptent pas ce retrait de leur enfant se présentent à la porte du service éducatif où a été conduit le mineur et exigent de le reprendre avec eux en mettant en avant l’absence de décision portée à leur connaissance, le directeur du service, qui n’a pas non plus vu la décision du procureur, ne l’a pas reçue et donc n’a aucun document à leur montrer pour justifier qu’un parquetier est vraiment intervenu et qu’il est en droit de refuser de rendre l’enfant, se trouve en situation délicate. Car si ces parents, moins timorés que la plupart et n’acceptant pas n’importe quoi, après avoir éventuellement rencontré un avocat, se sentent renforcés dans leur droit de reprendre leur enfant parce qu’aucune décision écrite ne leur est montrée et portent plainte, l’infraction pénale de l’article 227-5 n’est-elle pas ici constituée, et le directeur du service éducatif n’est-il pas coupable de non-représentation de mineur ? La circulaire a bien précisé que ce texte s’applique en cas de « refus par un gardien de fait de l’enfant de le représenter aux personnes investies par la loi de l’autorité parentale, c’est-à-dire, sauf exceptions, ses père et mère […] ». Or, s’il ne dispose d’aucune décision de justice, le directeur du service éducatif n’est que gardien de fait, sans droit de rétention du mineur.
Dans la même logique un mineur qui quitte un foyer dont le directeur ne dispose d’aucune décision le lui confiant commet-il une fugue ou est-il parfaitement en droit de repartir chez lui, et ses parents en droit de l’héberger ? La seconde hypothèse est certainement la bonne.
Également, il faut s’interroger sur la façon d’apprécier la responsabilité civile des parents en cas d’infraction commise par leur enfant mineur postérieurement à son accueil en service éducatif mais antérieurement à la notification de la décision, à supposer qu’il y ait notification. En principe, dès qu’une décision d’assistance éducative confiant le mineur à un tiers intervient, la présomption de responsabilité civile qui pèse sur les parents tombe (cf. chap. 14). Pour que ce mécanisme s’applique, il faut que la séparation soit légitime et pour cela, que la décision d’éloignement soit exécutoire et donc notifiée. Or si c’est le procureur qui est intervenu, la juridiction chargée de statuer sur l’indemnisation d’une victime qui intente son procès contre le mineur et ses parents pourra-t-elle exonérer ceux-ci, et surtout à partir de quelle date, si elle n’est pas en mesure de préciser à partir de quand, juridiquement parlant, le mineur n’a plus été sous la responsabilité de ses parents ?
De la même façon, depuis que la nouvelle interprétation du premier alinéa de l’article 1384 du Code civil (cf. chap. 14) met à la charge des services éducatifs à qui les mineurs sont confiés par le juge des enfants une obligation de dédommager les victimes d’infractions commises par les mineurs, il faut qu’ils sachent exactement à partir de quelle date cette obligation pèse sur eux. Il y a là une source réelle de difficulté majeure.
Un dernier argument, différent mais tout aussi essentiel, impose encore d’attendre que la décision du procureur soit notifiée pour l’exécuter. En effet, ce n’est que dans sa décision écrite qu’il est précisé quel enfant doit être retiré. Or en fonction des informations qui lui sont transmises sur une famille, par exemple par un service de police, le procureur peut décider de n’éloigner que certains mineurs d’une fratrie ou que l’un d’entre eux. Mais les services sociaux chargés de recevoir le(s) mineur(s) ne sauront vraiment qui la décision concerne exactement que lorsqu’ils en auront eu connaissance à travers l’exemplaire écrit reçu officiellement. Il peut y avoir eu auparavant des malentendus dans la transmission de prénoms, ou le procureur peut s’être trompé en rédigeant sa décision, ce qui aboutit à des informations orales différentes du contenu de l’ordonnance écrite. Or s’agissant d’une décision d’un magistrat, seul ce qui est écrit est juridiquement valable, les informations orales, qui n’apparaissent jamais dans les dossiers, n’ayant aucune valeur faute d’être vérifiables. Les services éducatifs risquent donc d’être en situation extrêmement délicate s’ils éloignent de leurs parents ou hébergent un ou des mineurs non mentionné(s) sur la décision du procureur, avec le risque de qualification pénale de l’acte, comme précédemment indiqué.
De tout cela il est possible de conclure que les risques et/ou les dommages qui découlent de l’absence de notification ou de la notification tardive de l’ordonnance du procureur sont très importants et totalement disproportionnés par rapport à la toute simple démarche que représente la notification de la décision avant son exécution, qui est une opération de quelques minutes pour le secrétariat du parquet. Il faut donc regretter vivement que la notification ne précède que rarement l’accueil effectif des mineurs par les services éducatifs, cela apparaissant comme la pratique majoritaire, si ce n’est permanente.
Il est également aussi extrêmement regrettable que la plupart des ordonnances ne consistent qu’en un formulaire pré-imprimé, ne contenant qu’une phrase relative au danger, en termes généraux et sans aucune précision relative à la famille concernée, et la seule indication « vu l’urgence », sans que cette urgence soit aucunement explicitée.
C’est sans doute là encore parce que les parents se laissent facilement malmener sans réagir de façon gênante pour les professionnels que l’institution judiciaire s’éloigne aussi souvent des principes juridiques de base et reste indifférente aux conséquences néfastes de ses pratiques.
La durée de validité
Le premier alinéa de l’article 1184 comporte la disposition suivante :
« Lorsque le juge est saisi, conformément aux dispositions du second alinéa de l’article 375-5 du Code civil, par le procureur de la République ayant ordonné en urgence une mesure de placement provisoire, il convoque les parties et statue dans un délai qui ne peut excéder quinze jours à compter de sa saisine, faute de quoi le mineur est remis, sur leur demande, à ses père, mère ou tuteur, ou à la personne ou au service à qui il était confié. »
Le juge des enfants dispose donc bien d’un délai propre pour prendre sa décision. En pratique, le procureur de la République disposant d’un délai de huit jours pour transmettre son ordonnance au juge des enfants, et celui-ci disposant ensuite d’un délai de quinze jours pour prendre un nouveau jugement, il ne pourra s’écouler plus de trois semaines pendant lesquelles les familles ne rencontreront aucun magistrat.
On remarque la différence entre le délai laissé au juge des enfants quand il reçoit une OPP du procureur de la République et quand il rend lui-même une telle OPP. Dans le premier cas il doit rendre sa décision dans les quinze jours, dans le second il doit seulement convoquer les intéressés dans les 15 jours et est ensuite libre de rendre sa décision à la date qui convient, sur le champ ou après un temps de délibéré. Cela est sans doute la conséquence d’une certaine méfiance envers les décisions du procureur puisque l’on considère qu’il faut plus rapidement leur substituer une décision du juge des enfants.
Le délai imposé au juge des enfants étant court, le greffe du tribunal pour enfants doit envoyer une convocation aux intéressés dès réception de l’ordonnance du procureur de la République.
Notons que dans le délai de quinze jours imposé au juge des enfants, celui-ci doit seulement statuer. Cela signifie que la notification de sa décision, qui remplace celle du procureur de la République, peut avoir lieu au-delà de ce délai de quinze jours.
Après avoir entendu les intéressés, le juge des enfants retrouve l’option décrite plus haut. Soit il estime ne pas disposer des éléments suffisants pour pouvoir, par jugement, statuer sur la situation exacte du mineur concerné, tout en estimant qu’il est nécessaire, dans l’attente du résultat des investigations qui vont être ordonnées, de maintenir la séparation parents/enfant, et dans ce cas il rend une ordonnance de placement provisoire à son tour, qui remplace celle du procureur de la République.
Soit il considère disposer d’informations suffisantes et n’avoir pas besoin d’ordonner une quelconque mesure d’instruction, et il rend alors un jugement qui met fin à la période provisoire.
Il reste une dernière question à aborder : quelle sanction si le procureur de la République saisit le juge des enfants sans respecter le délai fixé par l’article 375-5 du Code, autrement dit, lorsque le juge des enfants est saisi par le procureur de la République plus de huit jours après l’ordonnance de placement provisoire décidé par le Parquet ?
Rares sont les décisions en la matière. Deux solutions semblent possibles.
- Soit l’on considère que le dépassement du délai est sans effet juridique. Un argument en ce sens est que pour d’autres délais les textes prévoient expressément qu’en cas de dépassement les parents peuvent reprendre leur enfant même sans mainlevée de la mesure en cours. Cela peut inciter à conclure que si une telle sanction n’a pas été inscrite en même temps dans les textes à propos du délai dans lequel le procureur doit saisir le juge des enfants, c’est volontairement pour que cette sanction ne s’applique pas. Dans une telle configuration le dépassement du délai de 8 jours est sans aucune conséquence juridique, la décision continuant à produire ses effets jusqu’à la saisine du juge des enfants quelle qu’en soit la date. Mais ce qui gêne c’est que dans l’absolu, même si cela ne se produit quasiment jamais, on peut imaginer que le procureur oublie de transmettre l’ordonnance au juge des enfants et que la famille reste sous le statut d’une décision provisoire et sans avoir été entendus pendant une période d’une durée inadmissible.
- Soit l’on considère que le dépassement de ce délai est nécessairement sanctionné, même si rien n’est précisé dans l’article 375-5 du Code civil, et par analogie on conclut qu’au-delà du délai de huit jours les parents peuvent reprendre leur enfant. C’est ainsi qu’il a parfois été statué :
« […] c’est en revanche à juste titre [que le juge des enfants a estimé] qu’il ne lui appartenait pas de statuer sur la régularité de cette décision. En effet, la voie de recours prévue par l’article 375-5 du Code civil est l’appel, qui n’a pas été en l’espèce utilisé, ce qui interdit à la Cour de statuer sur la validité de l’ordonnance de placement provisoire qui ne lui est pas déférée. Le jugement sera donc confirmé sur ce point, par substitution de motifs . »
« Cette saisine rapide du juge des enfants qui a toute latitude pour modifier, maintenir ou rapporter la mesure prise par le Parquet est de nature à limiter la portée de ce pouvoir exorbitant. La saisine rapide du juge des enfants est également de nature à s’analyser comme une “voie de recours” puisqu’à supposer que cette saisine ne se fasse pas dans les huit jours l’ordonnance de placement en urgence deviendrait caduque . »
« Selon l’article 375-5 du Code Civil, le procureur de la République du lieu où le mineur a été trouvé a la possibilité, comme le juge des enfants, d’ordonner le placement provisoire de l’enfant, à charge de saisir dans les huit jours le juge compétent qui maintiendra, modifiera, ou rapportera la mesure ».
En l’espèce, le juge des enfants a été saisi plus de huit jours après l’ordonnance de placement provisoire de sorte qu’il y a lieu de constater la caducité de cette décision.
L’enfant peut donc être récupéré à la demande de ses parents à tout moment, sous réserve de la décision de ce jour … »
Dans cette décision, le juge des enfants, saisi par requête, constate uniquement que la durée de validité l’ordonnance de placement provisoire est terminée, faute pour le Parquet d’avoir saisi le juge dans le délai légal.
On le voit à la lecture de ces arrêts ou décisions, les avis sont une fois de plus partagés et la réponse dépend de la nature juridique donnée à la décision prise par le procureur de la République, question qui n’est pas définitivement tranchée par la jurisprudence.
Le recours
Le corollaire de l’application à l’ordonnance du procureur d’un régime juridique restreint est, pour les tenants de cette thèse, l’affirmation qu’il n’existe contre cette décision aucun recours. De fait, sur les ordonnances du parquet, n’apparaît jamais aucune mention d’un quelconque droit de contestation et les tentatives devant les cours d’appel sont plus que rares. Il existe parfois un débat sur la durée de validité de l’ordonnance, mais plus que rarissimes sont les juristes qui admettent qu’un recours est offert contre ces décisions.
Sur toutes ces questions, la jurisprudence est limitée, notamment parce que, comme cela vient d’être indiqué, il n’y a sur les décisions des procureurs aucune indication d’un droit de recours et que l’idée subsiste d’un régime juridique restreint. Rares sont donc les parties à entreprendre un recours contre ces décisions du Parquet dont la durée de vie, par ailleurs, est courte puisque valables uniquement jusqu’à la prochaine décision du juge des enfants (soit un maximum de vingt-trois jours : délai maximum de huit jours pour saisir le juge + délai de quinze jours maximum pour statuer).
Ce qui est certain, c’est que la nature juridique de l’ordonnance de placement provisoire prise en urgence par le procureur de la République est source d’hésitations jurisprudentielles. Citons notamment ces deux arrêts de cour d’appel en sens contraire :
« S’il n’existe aucune disposition du Code de procédure civile visant expressément les ordonnances prises par le Parquet et prévoyant ainsi une voie de recours, il ne peut en être déduit qu’elles seraient soumises au même régime juridique que les ordonnances de placement provisoire du juge des enfants.
Le fait d’exercer “le même pouvoir” n’a pas pour effet de faire du procureur une juridiction du premier degré dont le secrétariat serait habilité à enregistrer les appels.
S’il convient de regretter que dans le cadre de son ordonnance de placement en urgence, le procureur ne puisse prévoir que les parents seront convoqués par le service gardien, il n’en reste pas moins que, de par la loi, il a seulement l’obligation de saisir le juge des enfants dans les huit jours. Cette saisine rapide du juge des enfants qui a toute latitude pour modifier, maintenir ou rapporter la mesure prise par le Parquet est de nature à limiter la portée de ce pouvoir exorbitant. La saisine rapide du juge des enfants est également de nature à s’analyser comme une “voie de recours” puisqu’à supposer que cette saisine ne se fasse pas dans les huit jours l’ordonnance de placement en urgence deviendrait caduque. De même, si le juge des enfants n’a aucun délai légal pour statuer, sa saisine immédiate permet aux parties de lui demander une audience et donc une décision dont elles pourront faire recours. [Nb : depuis le décret du 15 mars 2002, le juge des enfants a quinze jours pour entendre les parties.]
En l’espèce, les parents ont été convoqués le 25 septembre et une décision est intervenue le 4 octobre. La procédure telle qu’existante, si elle ne prévoit pas que les ordonnances de placement en urgence du procureur soient susceptibles d’appel, prévoit un certain nombre de garanties pour les parties et notamment celle ressortant d’une intervention d’un juge du siège, tenu de par la loi de respecter leurs droits fondamentaux à être entendus et tenu également de rechercher par priorité le maintien de l’enfant dans sa famille. Elle n’apparaît pas ainsi contraire aux dispositions invoquées de la CEDH L’appel formé par Monsieur et Madame C. doit être en conséquence déclaré irrecevable en ce qui concerne l’ordonnance de placement en urgence prise par le procureur de la République de Douai le 15 septembre 2000 . »
« L’article 375-5 du Code civil donnant au procureur de la République, en cas d’urgence, le même pouvoir qu’au juge des enfants, leurs décisions ont juridiquement la même nature et constituent des décisions juridictionnelles (ce qui justifie d’ailleurs qu’elles s’intitulent “ordonnance” quel que soit leur signataire). L’ordonnance de placement provisoire du procureur de la République est donc nécessairement soumise aux principes tant de la procédure civile française qu’à ceux de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l’Homme et des libertés fondamentales, notamment quant à l’exigence de motivation et quant à l’existence d’un recours effectif contre toute décision portant atteinte aux droits et libertés garantis par cette convention, notamment en son article 8 . »
Ce qui peut inciter à privilégier l’absence de possibilité de faire appel, outre l’inutilité pratique de ce recours quand les délais sont respectés, c’est la rédaction de l’article 1193 du code de procédure civile, relatif à l’appel en assistance éducative, qui indique :
« La cour statue sur l’appel des décisions de placement provisoire prises par le juge des enfants en application des dispositions de l’article 375-5 du Code civil dans les trois mois à compter de la déclaration d’appel. »
Or ce texte ne mentionne que les décisions prises par le juge des enfants et non celles prises par le procureur de la République.
Quoi qu’il en soit, pour que les effets juridiquement négatifs de leur intervention soient réduits à leur plus strict minimum, les parquetiers ne doivent intervenir qu’à la double condition, restrictivement entendue, qu’aucun juge des enfants n’est physiquement présent lorsque le signalement arrive au tribunal et que la situation est tellement urgente à traiter qu’il est impossible d’attendre quelques heures ou le lendemain, jusqu’à ce que le juge soit disponible. Ils doivent aussi, ce qui n’est finalement qu’une question d’effort personnel, motiver minutieusement leur décision et la notifier à tous les intéressés, ce qui en pratique est toujours aisément possible.
De fait, contrairement à ce qui se pratique dans certains parquets qui interviennent tout en sachant qu’un ou plusieurs juges des enfants sont présents et peuvent prendre les mesures de protection nécessaires, les ordonnances du procureur doivent être en nombre très limité et réservées à des circonstances vraiment exceptionnelles. Si les arguments juridiques ne suffisent pas à inciter à pratiquer ainsi, une approche des conséquences humaines des actes judiciaires ne permet plus de raisonner autrement.
Pourtant, malheureusement, la pratique encore trop fréquente des parquets est de rendre des ordonnances sans aucune motivation ni du danger ni de l’urgence en plus d’une phrase pré-imprimée, de ne pas notifier ces ordonnances, et de les faire exécuter sans que les intéressés les aient au préalable lues. Dans les juridictions il est de plus très difficile de lancer un débat sur cette question des mesures en urgence prises par le procureur de la République. Le poids des habitudes semble très important et peu nombreux sont ceux qui se déclarent prêts à prendre un peu plus de temps pour un travail de meilleure qualité.
Le retrait d’un mineur par le juge des enfants du lieu où le mineur est trouvé
Cette hypothèse concerne le mineur qui est « trouvé » en dehors du ressort du tribunal pour enfants, dont la compétence est déterminée par le domicile des parents, et qu’il faut ponctuellement confier à un tiers, personne physique ou service éducatif. C’est par exemple un mineur qui habite dans une ville, qui fugue, qui est arrêté dans une autre ville à plusieurs centaines de kilomètres de chez lui, et qui ne peut pas matériellement être reconduit aussitôt chez ses parents, et donc se retrouve provisoirement sans hébergement. C’est aussi le cas d’un mineur déjà confié à un service éducatif par un juge des enfants et qui fugue vers un autre département.
L’article 1184 du Code de procédure civile prévoit en effet :
« Si l’urgence le requiert les mesures provisoires peuvent aussi être prises, sans préjudice des dispositions du second alinéa de l’article 375-5 du Code civil, par le juge des enfants du lieu où le mineur a été trouvé, à charge pour lui de se dessaisir de la procédure dans le mois au profit du juge territorialement compétent. »
Il est dommage que la liste des magistrats compétents n’ait pas été énoncée dans un seul texte. Quoi qu’il en soit, il apparaît finalement que quatre magistrats sont juridiquement compétents s’il s’agit de confier un mineur à un tiers : d’une part le juge des enfants et en cas d’urgence le procureur du tribunal dans le ressort duquel se trouvent ses parents ; d’autre part et en cas d’urgence le juge des enfants et le procureur de la République du lieu où le mineur a été trouvé. Mais cette possibilité d’interventions de magistrats extérieurs à ceux du département des parents est source de difficultés juridiques et pratiques.
Nous ne détaillerons pas ici ce qu’il en est de la notification et du recours contre l’ordonnance du juge extérieur, rien cette fois-ci n’indiquant que sa décision est soumise à un régime juridique réduit comparativement à celle du juge des enfants du domicile de la famille.
Si l’accueil d’un mineur en service éducatif est ordonné par le juge du département où il est trouvé alors qu’aucun dossier d’assistance éducative n’est ouvert dans un tribunal pour enfants, la situation est relativement simple. Une ordonnance d’accueil provisoire est rendue par le juge, qui, en application de l’article 1184, doit la transmettre au juge compétent dans le délai d’un mois. Toutefois, il peut arriver que le retour du mineur soit organisé de fait rapidement, par exemple le lendemain de son accueil, mais que l’ordonnance du juge ne parvienne au tribunal pour enfants compétent que quelques semaines plus tard.
Se pose alors la question suivante : si le juge qui a pris l’ordonnance sur son département est informé que le mineur repart vers son département d’origine dès le lendemain, doit-il lui-même rendre une seconde décision, dès le deuxième jour, pour mettre fin à un accueil qui n’a duré qu’une nuit, ou est-ce le juge saisi en second qui doit donner mainlevée de la première décision ? Cela n’est pas qu’un détail car de la date de mainlevée dépend, entre autres conséquences, la durée de la responsabilité du service éducatif à qui le mineur a été confié, par exemple s’il commet une infraction pénale. Parce que le second magistrat ne pourra statuer que quelques jours ou semaines après le retour effectif du mineur, en tous les cas lorsqu’il aura reçu la décision et aura convoqué les intéressés, il y aura toujours un décalage entre la réalité, c’est-à-dire la fin rapide de l’accueil provisoire, et le cadre juridique, c’est-à-dire une décision qui dure plus longtemps.
Il semble dès lors préférable, pour écarter tous ces risques, que le juge du lieu où le mineur est trouvé, avant de rendre son ordonnance, interroge les services sociaux et que sa décision mentionne une durée d’accueil limitée au temps nécessaire au rapatriement du mineur si celui-ci doit repartir à bref délai (par exemple : « Confions le mineur X. au foyer… du 2 au 3 janvier »). Ainsi il n’y a plus de risque de difficulté juridique et plus besoin de décision de mainlevée. Cela permet également au juge dorénavant saisi de confier à son tour sans tarder le mineur à un service éducatif, si nécessaire, sans qu’il y ait chevauchement entre deux décisions d’accueil.
Si le mineur est déjà confié à un service éducatif, il ne peut pas en principe être juridiquement confié en même temps à un deuxième service. Il suffit alors que le département où le mineur est trouvé s’informe systématiquement auprès du tribunal pour enfants du domicile de ses parents pour vérifier s’il y a mesure d’assistance éducative en cours. Dans ce cas, si une décision d’accueil est déjà exercée, c’est le directeur du service à qui le mineur est confié qui, sans nouvelle décision du juge, peut autoriser son hébergement dans un autre lieu, comme lorsqu’un mineur fait un stage extérieur ou part en vacances. Ainsi il n’y a pas concurrence de décisions ni conflit juridique d’autorité et de responsabilité, et c’est le premier service qui tout le temps reste responsable du mineur et est chargé d’organiser son retour dans ses murs.
Des mesures assorties de l’exécution provisoire de plein droit
En plus de celles qui ont déjà été citées, une raison très importante impose de réduire autant que possible le domaine des ordonnances. Il s’agit de leur régime juridique d’exécution particulier.
En effet, en application de l’article 514 du Code de procédure civile, les « décisions qui prescrivent des mesures provisoires pour le cours de l’instance » sont « exécutoires de droit à titre provisoire ». Cela signifie qu’elles sont assorties automatiquement de l’exécution provisoire, sans exception, et donc sans que le juge ait à statuer sur ce point, la question de l’opportunité étant exclue par l’automaticité.
L’article 375-5 du Code civil commençant par ces termes : « À titre provisoire… », la règle de l’article 514 est sans hésitation applicable aux ordonnances de retrait prises en urgence par les juges des enfants .
Cette précision est d’une importance extrême. Si le juge statue par ordonnance, même en cas d’appel, qui reste possible, la décision est toujours exécutable dès sa notification et peut alors être mise en application avec contrainte de la force publique. Mais quelques mois plus tard la cour d’appel peut fort bien infirmer cette ordonnance et permettre le retour des enfants chez leurs parents. À l’inverse, dans un jugement, le juge des enfants ne doit ajouter l’exécution provisoire que s’il est certain qu’il faut une mise en œuvre rapide de l’accueil extérieur des mineurs concernés, avant une éventuelle audience devant la cour d’appel.
Le fait qu’à la différence des jugements les ordonnances soient assorties de plein droit de l’exécution provisoire est un motif très important d’en réduire la pratique pour que subsiste réellement et pleinement, dans le plus grand nombre de cas possibles, le double degré de juridiction. Pour cette même raison, s’il est certainement indispensable dans certains cas d’avoir recours à l’ordonnance, il est impératif de statuer postérieurement aussitôt que possible par jugement pour que toutes les questions qui se posent soient de nouveau étudiées dans le cadre d’un débat contradictoire avant jugement, y compris la question de l’exécution provisoire.
En pratique et pour conclure, contrairement à ce qui est affirmé ou fait, il n’est vraiment pas souvent indispensable de statuer à très bref délai, et les cas dans lesquels il est absolument impossible d’attendre huit jours et l’audition des intéressés pour juger ne sont pas nombreux. S’il y a de temps en temps nécessité d’organiser sans trop tarder une audience, il est bien moins fréquent d’avoir à statuer en urgence absolue et réelle. Si les magistrats essayaient de motiver sérieusement cette urgence dans leurs ordonnances, le nombre en diminuerait manifestement en flèche !
Dans la plupart des cas, c’est bien par erreur que les décisions sont prises par ordonnance au lieu d’un jugement. Il ne s’agit pas d’une insuffisance de motivation de l’urgence mais de l’absence totale d’urgence. On entend parfois des professionnels indiquer même que tout dossier commence par une « ordonnance provisoire ». Il y a véritablement détournement de la procédure exceptionnelle, avec sa cohorte de conséquences juridiques néfastes. Cela est très regrettable.
Conclusion
Il faut une fois encore souligner la différence très nette entre la procédure ordinaire, qui doit être utilisée dans l’écrasante majorité des cas, c’est-à-dire la procédure de jugement avec tout ce qu’elle exige d’étapes successives obligatoires, et les procédures exceptionnelles, qui doivent vraiment le rester, et qui doivent être justifiées par des circonstances réellement inhabituelles.
Des choix faits par les magistrats dépendent les règles juridiques applicables, très claires dans la procédure de jugement, incertaines dans l’intervention des parquets, ainsi que les droits des parents et mineurs, et en conséquence la vision qu’ont les familles de l’institution judiciaire. L’on a d’un côté une procédure de jugement qui dispose du temps, au cours de laquelle un dossier est constitué, les intéressés sont entendus dans le cadre d’un débat véritable, une décision motivée est notifiée. Et de l’autre il n’y a qu’une intervention rapide, sans droit à la parole préalable, et parfois sans explication écrite.
Choisir l’une ou l’autre des procédures, et rechercher dans les procédures exceptionnelles quelle est la meilleure façon de les utiliser, dans l’optique d’un maximum d’égards envers les intéressés, c’est bien plus qu’un choix juridique, c’est un message essentiel vers les parents et les mineurs. Et c’est un choix qui va inéluctablement conditionner l’efficacité des interventions sociales qui vont suivre.
CHAPITRE 8 : L’action éducative en milieu ouvert
L’ACTION EDUCATIVE en milieu ouvert (AEMO) est la première mesure d’assistance éducative énoncée par le Code civil que peut ordonner le juge des enfants. Son principe est fixé à l’article 375-2. C’est aussi la mesure la plus souvent prononcée par les magistrats.
L’article 375-2 stipule :
« Chaque fois qu’il est possible le mineur doit être maintenu dans son milieu actuel. Dans ce cas le juge désigne soit une personne qualifiée, soit un service d’observation, d’éducation ou de rééducation en milieu ouvert en lui donnant pour mission d’apporter aide et conseil à la famille, afin de surmonter les difficultés matérielles ou morales qu’elle rencontre. Cette personne ou ce service est chargé de suivre le développement de l’enfant et d’en faire rapport au juge périodiquement. […]
Le juge peut aussi subordonner le maintien de l’enfant dans son milieu à des obligations particulières telles que celle de fréquenter régulièrement un établissement sanitaire ou d’éducation, ordinaire ou spécialisé, le cas échéant sous régime de l’internat, ou d’exercer une activité professionnelle. »
Les mesures d’AEMO soulèvent relativement peu de difficultés juridiques ou pratiques, parce qu’elles sont une atteinte d’importance modérée à la liberté des familles. Toutefois un certain nombre de précisions sont nécessaires.
Il faut d’abord aborder succinctement l’hypothèse du non-lieu à AEMO, pour ensuite étudier plus précisément la mesure d’action éducative en milieu ouvert.
Le non-lieu à AEMO
La première démarche du juge légalement saisi (cf. chap. 1) va être de rechercher, après avoir procédé aux investigations éventuellement nécessaires et auditionné les intéressés, si son intervention est indispensable. Ce n’est qu’en cas de réponse affirmative qu’il s’interrogera sur la mesure la plus opportune.
En effet, toute situation de danger ne nécessite pas une intervention judiciaire, ou ne relève pas forcément du juge des enfants. C’est pour cela que dans l’article 375 du Code civil le législateur a précisé :
« Si la santé […], des mesures d’assistance éducative “peuvent” être ordonnées […]. »
Il en aurait été autrement si l’article avait contenu le verbe « doivent » à la place de « peuvent ». L’intervention du juge n’est donc que facultative, même si manifestement un mineur est en situation de danger.
Comme cela a été indiqué au chapitre 4, il faut, pour qu’une intervention du tribunal pour enfants soit justifiée, qu’il y ait à la fois danger et nécessité d’une intervention autoritaire d’une institution extérieure à la famille, en l’espèce l’institution judiciaire. Le juge des enfants doit dans chaque dossier apprécier dans quelle mesure les interventions de prévention sont insuffisantes. Il n’est pas toujours aisé de fixer les critères qui départagent les interventions administratives négociées et les interventions judiciaires autoritaires. Mais cela a déjà été détaillé au chapitre 4 et ne sera donc pas repris ici.
Si le juge des enfants, après les débats à l’audience, considère qu’une intervention de protection dans un cadre judiciaire n’est pas nécessaire, même si elle est toujours demandée, il doit rendre un jugement de non-lieu à assistance éducative. Il faut en effet qu’il y ait une décision de justice, notifiée comme toutes les décisions d’intervention, pour qu’en cas de désaccord sur l’analyse du juge des enfants le procureur de la République, s’il a requis une mesure d’assistance éducative, ou les parents et les mineurs s’ils vont dans le sens du parquet, puissent contester cette décision de non-intervention devant la cour d’appel.
Le juge des enfants doit également rendre une décision de non-lieu, toujours afin de préserver les droits de recours des intéressés, si à l’échéance d’une mesure précédemment ordonnée (action éducative en milieu ouvert ou mineur confié à un tiers) il estime que son intervention n’est plus utile alors que le contraire lui est demandé. Mais il ne rend aucune décision si plus rien ne lui est requis. On ne statue pas par jugement lorsqu’aucune demande n’est présentée.
Si le dossier a été ouvert à la seule initiative des parents ou d’un mineur, et si le procureur de la République n’a pas requis de mesure particulière, si enfin à la première audience les requérants déclarent annuler leur demande et personne d’autre ne sollicite quoi que ce soit, parce que la situation de la famille s’est améliorée ou bien parce qu’ils ont trouvé en dehors du judiciaire un soutien efficace dans le cadre de la prévention, le juge des enfants, s’il n’estime pas malgré tout indispensable d’ordonner une mesure d’investigation ou une mesure d’assistance éducative, peut considérer qu’il n’est plus saisi d’aucune demande et se contenter de constater qu’il n’a plus de réponse à apporter à quoi que ce soit. Juridiquement le dossier se termine par la mention au procès-verbal d’audience du retrait de la demande du requérant initial et par le rangement de la courte procédure dans les archives du tribunal.
Comme cela sera précisé dans le chapitre 16 relatif aux voies de recours, les services sociaux qui ont envoyé un rapport de signalement au procureur de la République qui a saisi le tribunal pour enfants ne peuvent pas interjeter appel des décisions de non-lieu à assistance éducative, sauf si le juge des enfants a convoqué le service départemental à l’audience afin de l’écouter non pas à titre d’informations sur les éléments dont il dispose sur la famille mais sur sa demande tendant à se voir confier un mineur, comme un requérant. Ce service est alors juridiquement partie à la procédure et peut interjeter appel du jugement de non-lieu.
Dans une affaire au cours de laquelle avait été ordonnée une action éducative en milieu ouvert, mais le principe juridique est le même pour une décision de non-lieu, la Cour de cassation a indiqué que :
« Attendu que pour déclarer irrecevable l’appel formé par la DAS contre une ordonnance prolongeant la mesure d’assistance éducative en milieu ouvert qui lui avait été confiée la cour d’appel a énoncé que pour être recevable à agir, cette administration devait pouvoir se prévaloir soit de la qualité de gardien de l’enfant au sens de l’article 1191 du nouveau Code de procédure civile, ce qui n’était pas acquis en l’espèce, soit d’un intérêt qui, s’il concerne l’enfant, était déjà pris en compte par le ministère public, protecteur de la famille, soit de la qualité de partie à l’instance, ce qui ne ressortait pas des éléments du dossier ; Attendu qu’en statuant ainsi, alors que la DAS ayant présenté une “requête” tendant à ce que la fillette lui soit confiée devant le juge des enfants, elle avait eu, devant ce magistrat, la qualité de partie à la procédure, la cour d’appel a violé les textes susvisés […]. »
Si le juge des enfants rend un jugement de non-lieu, il lui semblera parfois opportun de transmettre la copie de certaines pièces du dossier au service social départemental pour que celui-ci, s’il ne connaît pas la famille, puisse envisager avec elle, si nécessaire, une aide dans le cadre de la prévention.
Les jugements de non-lieu à assistance éducative ne sont pas rares, contrairement à ce que l’on pourrait penser. Ils suivent souvent une description peu inquiétante d’une famille, ou une mesure d’investigation dont la durée a suffi à mobiliser les intéressés et à réduire les sources du danger. Il arrive en effet régulièrement que les familles, qui ne montraient pas d’enthousiasme à dialoguer avec les services de prévention et à redresser leur situation, deviennent beaucoup plus demanderesses lorsque dans leur boîte aux lettres arrive l’avis d’ouverture de la procédure judiciaire, principalement parce que certains parents veulent à tout prix éviter l’intervention du juge des enfants et préfèrent à partir de cet instant chercher des solutions ailleurs. Il est alors expliqué à l’audience que de réelles mobilisations et améliorations ont été constatées et que peut pour l’instant être envisagée la seule intervention des services sociaux départementaux.
C’est aussi pour bousculer les familles et les inciter à faire de plus amples d’efforts que des signalements sont envoyés au tribunal pour enfants. C’est tant mieux si la mobilisation des intéressés suit rapidement, avant même l’audience devant le juge des enfants, qui ne peut que les encourager à poursuivre dans cette voie.
La mesure d’action éducative en milieu ouvert
Il faut ici préciser le contenu d’une telle mesure, la particularité des mesures assorties d’obligations, la façon dont la décision judiciaire doit être formalisée et révisée à échéance. Quelques commentaires seront ajoutés sur la charge des services.
Le contenu d’une mesure d’AEMO
La mission d’un service d’AEMO est définie par le même article 375-2. Il faut souligner que ce texte indique que le service a pour mission d’apporter aide et conseil à la famille, dans toutes les difficultés qu’elle rencontre, matérielles ou morales, et de suivre le développement de l’enfant.
L’esprit de ce texte apparaît clairement à sa lecture. Il s’agit d’aider une famille entière, ce qui suppose d’une part que les membres de cette famille ont besoin d’aide et sont a priori capables de tirer profit du soutien apporté, et d’autre part que c’est l’ensemble de la famille qui doit être soutenu, et non pas seulement tel membre, et notamment tel mineur. Autrement dit, un service mandaté a pour mission globale de rechercher d’où viennent les dysfonctionnements familiaux et, selon les résultats de ces investigations, de mettre en place les mesures de soutien les plus appropriées auprès de tous les membres de la famille.
L’énoncé d’un tel principe peut paraître évident au lecteur d’aujourd’hui. Pourtant l’approche des familles en difficulté a longtemps été radicalement différente et même de nos jours il est loin d’être certain que ce principe fondamental soit admis par tous. Pendant des décennies, dont certaines encore peu lointaines, les parents rencontrant des problèmes familiaux ou personnels et/ou dont les enfants présentaient des signes de marginalité ou des troubles de la personnalité ont été considérés comme fondamentalement et définitivement carencés et viciés. L’intervention à mettre en œuvre était une sanction, et non une aide considérée alors comme illusoire du fait de tares parentales pensées comme définitives et irrémédiables. De la même façon, enfants et adolescents étaient traités comme des déviants coupables à redresser et à châtier . Rappelons que ce n’est qu’après la Seconde Guerre mondiale que la notion d’assistance éducative a fait son apparition, mais dans un premier temps dans un texte exclusivement pénal, l’ordonnance de février 1945.
Il a fallu une véritable révolution idéologique pour en arriver à concevoir que les adultes défaillants, quels que soient leurs comportements parfois aberrants, sont d’abord des individus qui ont subi eux aussi le contrecoup d’incidents personnels ou familiaux, qui n’ont pas suffisamment appris à être des adultes stables et responsables, qui n’ont pas été mis en mesure de faire valoir leurs qualités et capacités éducatives, et qui peuvent, sous certaines conditions, être accompagnés vers un mieux-être et une meilleure compétence parentale. Il est certain qu’il ne peut pas y avoir de réelle démarche d’aide si celui qui aide n’est pas convaincu d’une possible évolution de celui qu’il prétend soutenir.
Toutefois, même aujourd’hui, bien des attitudes ou des paroles des professionnels de la protection de l’enfance sont autant d’actes ressentis probablement comme négatifs et péjoratifs par les parents et les mineurs en difficulté.
En tout cas, la mesure d’AEMO doit être une mesure visant à apporter un soutien à toute une famille, un soutien renforcé à ceux de ses membres qui sont le plus en difficulté, adultes et enfants, afin qu’une nouvelle harmonie familiale, un meilleur équilibre, favorisent un mieux-être des seconds grâce à une plus grande stabilité des premiers. La famille ne peut être conçue que comme un ensemble, dans lequel il est impossible d’isoler un individu pour analyser son comportement sans prendre en compte les interactions avec les autres membres. Envisager la protection d’un mineur dans le cadre d’une AEMO, c’est chercher à comprendre puis à soutenir autant sinon plus les parents que le mineur lui-même. C’est ce que la loi de 1970 a fort opportunément rappelé.
Ce soutien ne sera pas forcément l’œuvre du seul service d’AEMO. L’éducateur qui intervient peut penser utile d’orienter tel membre de la famille vers un service social, psychologique ou médical, afin que se mette en place un soin, une thérapie, ou toute autre intervention nécessaire qui n’est plus de sa seule compétence mais relève d’un personnel plus spécialisé.
Dans certains départements, les services sociaux de prévention considèrent que lorsqu’une mesure d’AEMO judiciaire est ordonnée et mise en œuvre, ils n’ont plus à intervenir. Il s’agit là d’une pratique qui doit être fermement condamnée. Aucune disposition légale ne permet de raisonner ainsi. Surtout, quelles que soient la disponibilité et la compétence des éducateurs du service d’action éducative en milieu ouvert, leurs outils de travail sont limités et dans bon nombre de situations familiales il reste indispensable de faire intervenir les autres dispositifs administratifs de soutien.
La mesure d’action éducative judiciaire obéit à un objectif propre. Elle ne se substitue pas et ne fait pas concurrence aux autres dispositifs de prévention. Son existence impose uniquement une coordination des interventions des professionnels des différents services.
Cette pluralité d’interventions est d’autant plus nécessaire que la mesure d’action éducative en milieu ouvert est très, trop, centrée sur la famille elle-même.
Rappelons comme cela a déjà été mentionné que la loi de mars 2007 a modifié l’article L. 221-4 du CASF pour souligner la nécessaire concertation entre services désignés par le juge des enfants et services de prévention, ce qui confirme, si besoin était, que l’intervention des premiers ne doit en rien être un obstacle à l’intervention des seconds, le seul souci étant de maintenir entre tous cohérence et complémentarité.
Aujourd’hui, il est illusoire d’intervenir au sein d’une famille sans analyser l’environnement dans lequel cette famille évolue. Ce que vivent les membres de cette famille, et qui dépend sans doute en partie du comportement de ses membres, est tout autant et parfois plus influencé par l’entourage.
Par exemple, on ne peut pas analyser des comportements de stress, d’énervement voire de violence des parents, sans faire le lien si tel est le cas avec leur situation de précarité matérielle liée éventuellement à l’absence d’emploi alors que père et mère tentent véritablement de revenir dans le monde du travail. De la même façon, il serait injuste d’analyser le comportement des membres de la famille qui ne supportent plus la contrainte d’une proximité permanente à l’intérieur d’un logement trop petit, alors que les parents ont fait toutes les démarches nécessaires en vue de l’obtention d’un logement plus grand et ont mobilisé en ce sens les dispositifs spécifiques prévus par la loi.
Il serait particulièrement inadmissible que des familles qui vivent déjà en situation difficile, sous le prétexte que le tribunal pour enfants a été saisi et que le juge a ordonné une mesure éducative en milieu ouvert, ne bénéficient plus à compter de cet instant de la totalité des moyens habituellement mis à disposition des familles qui rencontrent des problèmes graves, alors que c’est au contraire la mobilisation cohérente de tous ses moyens qui doit être recherchée.
Selon les cas, l’intervention est faite par un seul éducateur ou par plusieurs du même service, en équipe. Dans certains services un psychologue intervient, non pas auprès des familles mais auprès des éducateurs, pour leur éviter de tomber dans certains pièges tendus par les familles ou de se laisser parfois submerger par la subjectivité ou les émotions. Cela est particulièrement utile tant le travail auprès des familles est parfois délicat à mener.
Le déroulement des mesures d’action éducative en milieu ouvert a parfois été remis en question. Dans un important rapport sur les placements d’enfants publié en juin 2000 , les auteurs écrivaient :
« La mesure de milieu ouvert en question.
Soulignant en creux l’absence ou le manque de coordination avec la prévention spécialisée ainsi que le trop petit nombre de travailleuses familiales et de conseillers en économie sociale et familiale, c’est l’AEMO qui est le plus souvent citée comme seule mesure de prévention au placement. Or, sachant qu’un éducateur a en charge en moyenne 35 mesures, et que l’on compte raisonnablement sur un partage de son temps de travail entre 1/3 de travail dans les familles, 1/3 de déplacements et 1/3 de travaux administratifs, on ne peut que s’interroger sur la possibilité de faire évoluer une situation familiale en intervenant aussi peu de temps auprès des parents et des enfants.
[…]
Le choix de la mesure éducative est trop souvent guidé par la seule alternative : AEMO ou placement. Nous n’avons constaté, dans aucune des situations étudiées, l’existence d’un montage souple qui aurait pu faire appel à une série d’interventions graduées comme par exemple à une travailleuse familiale, à une assistante maternelle pour un accueil de journée, en alliant le savoir-faire d’une conseillère en économie sociale et familiale et éventuellement d’un éducateur. »
En écho à ce constat, les rédacteurs du rapport proposent de :
« Créer une mesure éducative et sociale de soutien à la famille (MESSAF). Cette mesure serait à géométrie variable, c’est-à-dire qu’elle comprendrait selon les cas : des aides financières, des interventions de travailleuses familiales, de conseillers en économie sociale et familiale, d’éducateur, d’assistants sociaux, de soignants […]. »
En tout cas, on ne peut que constater que, paradoxalement, il est demandé au juge des enfants d’intervenir dans les situations les plus dégradées, alors que c’est lui qui dispose des moyens de la plus faible ampleur et donc par conséquence les moins aptes à remédier à tous les dysfonctionnements constatés. Cela ne remet nullement en cause la compétence des éducateurs des services de milieu ouvert. Seulement, dans un certain nombre de situations, on leur demande d’aboutir à un résultat sans leur donner les moyens de l’atteindre.
L’AEMO décidée par le juge doit donc dans tous les cas être un outil d’intervention supplémentaire qui s’ajoute à l’ensemble des dispositifs préexistants, et ne doit certainement pas correspondre à un passage de relais. Un service d’AEMO seul ne peut pas obtenir d’amples résultats.
Ce qui est surtout inacceptable, c’est que dans toutes les situations, même celles dans lesquelles c’est le manque cruel de moyens ou l’insuffisance d’implication des institutions de prévention qui est à l’origine de la trop faible amélioration de la problématique familiale, dans les rapports de fin de mesure d’AEMO l’accent est principalement mis sur les défaillances des parents et éventuellement des enfants.
Et même si les intéressés ne sont pas directement mis en cause dans le rapport, l’absence d’analyse minutieuse quant à l’environnement de cette famille et quant aux éventuelles défaillances des services institutionnels a pour effet que le lecteur du rapport, qui lit essentiellement des appréciations concernant les membres de la famille, est inconsciemment conduit à considérer que c’est bien celle-ci à qui doivent être reprochées la persistance des incidents et l’insuffisance des améliorations espérées puisqu’on ne parle quasiment que d’elle.
C’est pour cela qu’en matière d’action éducative en milieu ouvert, comme d’ailleurs en matière de placement, les comptes rendus qui sont rédigés beaucoup trop souvent déforment la réalité à cause d’une focalisation excessive sur la famille suivie. Les appréciations qui sont portées par le rédacteur, en tout cas par le lecteur qui ne connaît de cette situation que ce que l’éducateur a écrit, peuvent être alors considérées comme en partie mensongères, ou en tout cas erronées. Le résultat est une injustice profonde envers les intéressés.
Autrement dit, bien que le texte mentionne une aide à la famille, cette expression ne peut plus aujourd’hui être entendue dans son sens littéral et étroit. La mesure d’action éducative en milieu ouvert ne peut plus être une aide apportée uniquement à un groupe d’individus, parents et mineurs, pour les aider à résoudre leurs problèmes personnels intrafamiliaux. Cette action doit mettre en cause tout l’environnement des intéressés.
En tout cas, si l’éducateur d’action éducative en milieu ouvert estime ne pas être en mesure d’intervenir avec un impact suffisant sur l’environnement au sens large de la famille suivie, il doit par-dessus tout veiller, lors de la rédaction de son rapport de fin de mesure, à faire très clairement apparaître ce qui, dans la persistance des dysfonctionnements justifiant une intervention judiciaire, relève de la responsabilité propre de la famille et relève à côté de son environnement.
S’agissant de la forme de la décision, comme cela a déjà été indiqué dans le chapitre général sur les décisions, le jugement d’AEMO doit être suffisamment motivé pour que les éducateurs sachent quels sont les repères fixés par le juge en début de mesure. C’est à eux ensuite, à partir des éléments retenus par le magistrat comme caractérisant le danger, de faire évoluer la dynamique familiale. Si de nouveaux éléments de danger apparaissent en cours de mesure, ils doivent aussitôt le signaler au magistrat.
Il arrive que dans certains cas l’intervention éducative en milieu ouvert ne soit pas suivie d’effets, que parents et/ou mineurs refusent de faire des démarches utiles pour atténuer les dysfonctionnements, ou, s’ils les font, ne participent qu’en façade, sans s’impliquer suffisamment, et que telle difficulté particulière subsiste, les éducateurs se retrouvant alors dans une impasse, leurs moyens de pression sur la famille étant limités dans le cadre d’une AEMO. C’est pour cela qu’avant d’envisager un éloignement des mineurs, la loi permet au juge d’imposer lui-même certaines obligations aux familles récalcitrantes.
La mesure d’AEMO avec obligations
Le troisième alinéa de l’article 375-2 du Code civil autorise le juge des enfants à subordonner le maintien de l’enfant dans son milieu à des obligations, dont la liste n’est pas limitative du fait de l’utilisation du mot « notamment » qui précède les obligations mentionnées par ce texte.
La rédaction de cet alinéa peut dans un premier temps paraître ambiguë, car les obligations ne semblent concerner que le mineur lui-même, et non ses parents. Or cela peut paraître contradictoire avec une approche globale de la famille. Si le dysfonctionnement provient essentiellement d’un comportement parental aberrant, l’utilité d’imposer des obligations à un mineur qui peut-être se comporte normalement n’a ni sens ni intérêt. Le juge peut-il alors imposer des obligations directement aux parents, par exemple inscrire leur enfant dans telle école, lui apporter tels soins, faire une cure de désintoxication, rencontrer un psychologue, un thérapeute, un médecin ? Il faut apporter là une réponse tant en droit qu’en opportunité.
Il faut d’abord considérer qu’une obligation peut rarement ne concerner que les seuls mineurs. Bien des obligations même textuellement imposées aux mineurs mettent en cause leurs parents autant qu’eux-mêmes.
Quand par exemple le juge constate l’absentéisme scolaire d’un enfant, il lui faudra rappeler tout autant à ses parents qu’à lui que des lois spéciales font de la scolarité une obligation que tous les membres de la famille doivent respecter. Afin d’éviter que le poids de l’absentéisme ne repose injustement sur les seules épaules du mineur, il sera parfois utile de rappeler aux parents, lors de l’audience et dans le jugement écrit, que c’est d’abord à eux, à travers leurs prérogatives d’autorité parentale, de veiller à ce que leur enfant aille à l’école si c’est leur comportement qui est la cause première de cet absentéisme. Il y aura donc en quelque sorte une double obligation, l’une consistant à imposer à des parents de respecter et de faire respecter par leurs enfants l’obligation scolaire, et l’autre consistant à imposer au mineur de respecter les prescriptions des adultes, parents et juge, l’importance de la pression vers les uns ou les autres variant d’une famille à l’autre. Mais s’il s’agit d’obtenir un acte particulier des seuls parents, la réponse est plus incertaine. Deux lectures du texte peuvent être faites.
La première consiste à relever que l’expression « telles que » autorise le juge à imposer toute obligation qu’il estime utile, tant aux parents qu’aux mineurs, sans restriction. Dans ce cas, le juge se permettra de mentionner dans sa décision, par exemple, l’obligation pour les parents de consulter tel spécialiste. Le parallèle peut être fait avec les procédures pénales de contrôle judiciaire ou de mise à l’épreuve qui prévoient expressément des obligations à respecter par les adultes.
La seconde consiste à relever que cette expression précède une série d’exemples qui ne concernent que des actes relatifs aux mineurs, et que donc elle signifie que, si la liste des obligations n’est pas limitative, le juge ne peut en créer que dans le seul cadre des actes du mineur ou relatifs à lui, même si les parents auront un rôle à jouer dans le respect de la prescription judiciaire.
A priori, le texte autorise l’une et l’autre de ces deux approches. Mais parce que dans certaines familles c’est essentiellement aux parents qu’il va falloir imposer certains actes, c’est la première qu’il faut privilégier. La jurisprudence, peu nombreuse, a, sans réserves, accepté les obligations imposées aux seuls parents .
En revanche, il est beaucoup plus difficile, au moins pour le juge, d’apprécier quelle est la meilleure façon d’obtenir de parents un changement de leurs comportements s’il ne s’agit que d’eux. L’adulte que le juge a en face de lui est une réalité complexe, souvent difficile à saisir, et dont le débat judiciaire ne fera apparaître que certains aspects de la personnalité, les plus voyants. Du fait de l’intervention des travailleurs sociaux, c’est aussi quelqu’un en évolution permanente. Pour toutes ces raisons, fixer en termes rigides dans une décision une obligation qui aura une durée de validité de nombreux mois, voire de deux années, risque de mettre à mal le travail des éducateurs et de se révéler rapidement anachronique.
Prenons un exemple, l’alcoolisme. Fixer une obligation d’abstinence est hors de la réalité, si tel adulte n’est pas en mesure d’être totalement abstinent mais réussit à préserver une certaine harmonie familiale en réduisant suffisamment sa consommation d’alcool pour que l’éloignement des enfants ne soit plus envisagé. Et s’agirait-il d’imposer une abstinence totale, que personne ne pourrait vérifier et qui ne se justifierait pas (faut-il aller jusqu’à interdire les apéritifs entre amis…), ou une certaine abstinence ? Mais alors le juge devra-t-il fixer le nombre de verres acceptables ? Cela apparaît immédiatement absurde. De plus, le buveur peut ne pas réussir à réduire sa consommation d’alcool parce que son entourage, consciemment ou non, ne l’y aide pas. Certaines femmes sont parfois instinctivement satisfaites d’avoir un rôle prépondérant dans la famille et par réaction, pour le conserver, ne favorisent pas le retour du mari ou du compagnon à sa vraie place en ne l’aidant pas à ne plus boire. Ne considérer que le buveur et faire peser sur lui seul la responsabilité d’un éventuel éloignement des mineurs serait parfois une erreur d’appréciation et aurait des conséquences imprévisibles sur lui et sur les relations des membres de la famille ressentant au fond le caractère faux de l’analyse du juge.
De la même façon, imposer une thérapie, sur proposition d’un éducateur d’AEMO, peut se heurter à l’appréciation ultérieure divergente du thérapeute sollicité par les parents, sur le principe comme sur le contenu ou la durée de son intervention. Est-ce lui qui dictera au juge la rectification de sa décision si la thérapie est écartée d’emblée ou, en cas d’action entamée, le nombre des séances avant de suggérer la suppression de l’obligation ? évidemment pas. Le juge, qui n’a pas les compétences en sciences humaines pour se forger sa propre opinion sur un sujet aussi spécialisé, se rend totalement dépendant des travailleurs sociaux s’il accepte d’intervenir d’une façon dictée par eux seuls sans qu’il puisse exercer son devoir de contrôle.
Également, l’obligation peut être respectée de façon totalement artificielle par les parents. Si le juge impose par exemple à une femme de se séparer de son conjoint violent envers elle-même et les enfants, et si cette femme s’écarte provisoirement de son compagnon sans le vouloir vraiment, comment les éducateurs travailleront-ils si tous deux restent proches et se rencontrent fréquemment, au domicile de l’un ou de l’autre ou chez des membres de leur famille ? Y aura-t-il alors violation de l’obligation ? Et s’ils décident, outrepassant l’avertissement du juge, de revivre sous le même toit, le magistrat devra-t-il sanctionner même si cette nouvelle vie commune se déroule sans incident majeur et sans perturber les enfants ? Si le juge ne sanctionne pas, les parents ne comprendront-ils pas la faible valeur de l’obligation et le juge ne sera-t-il pas en partie discrédité ? (Une telle obligation a été relevée dans une décision d’un juge des enfants qui a imposé à une mère de résider dans un foyer maternel avec son enfant, en fixant la date de départ de l’obligation, mais sans préciser dans la décision de date d’échéance et de révision ou dans les motifs les faits qui seraient de nature à justifier que cette femme soit obligée d’être autonome.)
Enfin, quelle peut être la sanction du non-respect d’une obligation ? A priori, on pense irrémédiablement au retrait des enfants puisque les moyens juridiques à la disposition du juge sont réduits en nombre. Mais dans l’exemple précédent, faudrait-il éloigner des enfants qui somme toute vivent bien pour le seul motif que leurs parents ont repris la vie commune sans l’autorisation du juge des enfants ?
Pour toutes ces raisons au moins, le juge des enfants ne doit pas fixer de façon rigide et simpliste des obligations à respecter par les seuls parents et relatives à leurs comportements. Procéder ainsi serait trop réducteur d’une réalité complexe et conduirait souvent à de faux comportements cachant la vraie réalité des sentiments des intéressés, celle qui doit servir de support à l’évaluation et à la décision. De plus, cela obligerait le juge à revoir très souvent les termes de l’obligation pour la faire correspondre à l’évolution des parents, ce qui est irréalisable. En conséquence, le juge des enfants ne peut qu’hésiter à utiliser l’article 375-2 pour imposer aux parents des obligations personnelles.
Cela ne signifie en rien qu’il ne prend pas en compte les attitudes des parents. Au contraire, elles servent de point de départ à l’analyse du danger éventuellement encouru par les enfants. Mais le juge, qui décrira dans les motifs de sa décision quels sont les éléments qu’il retient pour caractériser ce danger, doit laisser ensuite le champ totalement libre aux travailleurs sociaux, seuls compétents en la matière, pour travailler avec la famille à partir des motifs de la décision et apprécier les meilleurs moyens de la soutenir et de la conduire vers une évolution favorable de nature à amoindrir ou à faire disparaître les éléments de danger. Autrement dit, pour reprendre un exemple précédent, le juge doit dire si l’alcoolisme constaté d’un parent entraîne des conséquences intolérables pour les enfants susceptibles de rendre nécessaire leur éloignement, mais sans prendre parti sur la façon de traiter cet alcoolisme (travail uniquement éducatif, intervention médicale, soutien psychologique). Il en est de même pour les violences conjugales. C’est aux parents et à eux seuls de décider s’ils restent ensemble ou se séparent.
En pratique, pour les raisons précitées, il est peu souvent possible d’utiliser la disposition du troisième alinéa de l’article 375-2. Peu nombreux sont les cas dans lesquels la solution pour réduire une carence est la fixation d’une obligation imposée par le juge des enfants. Pourtant, cet article reste très utile, en cas, par exemple, d’absentéisme scolaire, pour rappeler l’obligation légale et lui donner tout son poids, ou en cas de nécessité démontrée de soins spécialisés, notamment médicaux, clairement identifiés . Mais encore faut-il que l’obligation puisse être précisément décrite par le magistrat et limitée dans le temps, pour écarter le risque que son utilité ne disparaisse peu après le prononcé de la décision.
La décision judiciaire
La décision d’action éducative en milieu ouvert doit être prise sous forme d’un jugement comportant des motifs et un dispositif.
Le cadre juridique
Le principe est que les décisions d’assistance éducative, comme de nombreuses autres décisions civiles, sont prises par jugement. C’est la procédure ordinaire qui s’applique ici. Et la procédure de jugement impose au préalable la convocation des intéressés pour audition puis la formalisation de la décision selon certaines règles précises (cf. chapitres 3 et 6).
Mais comme cela a été précisé, sous certaines conditions le juge peut statuer rapidement, pour assurer sans tarder la protection des mineurs, et s’abstenir d’entendre les membres de la famille avant de prendre sa décision, quelques heures ou quelques jours après avoir été sollicité. Le recours à des décisions qualifiées juridiquement alors de provisoires, c’est-à-dire en l’attente d’un jugement et essentiellement de l’audition des intéressés, a pour raison d’être l’impossibilité de différer de plus de huit jours, délai minimal entre convocation et audience, la mesure de protection (cf. chapitre 7, « Les procédures exceptionnelles »).
C’est l’article 375-5 qui précise quels types de mesures peuvent être pris « à titre provisoire » :
« À titre provisoire […] le juge peut pendant l’instance […] soit ordonner la remise provisoire d’un mineur à un centre d’accueil ou d’observation, soit prendre l’une des mesures prévues aux articles 375-3 et 375-4 [...]. »
L’article 375-3 est relatif aux modalités de retrait des mineurs et l’article 375-4 à l’instauration d’une mesure d’AEMO en complément d’une décision de retrait. Mentionnons ici que, si le juge des enfants peut ordonner une AEMO en même temps qu’il confie un mineur à une personne physique ou à un foyer, il ne peut pas en même temps ordonner une mesure d’AEMO et confier le mineur concerné à l’Aide sociale à l’enfance, l’article 375-4 ne renvoyant pas au 3° de l’article 375-3.
Mais c’est un article distinct, le 375-2, qui régit les mesures d’AEMO seules. Et ce texte n’est pas mentionné dans l’article 375-5, ce qui signifie sans la moindre hésitation que le législateur a exclu les mesures d’AEMO des mesures provisoires. Ce n’est certainement pas un oubli, comme cela a parfois été avancé.
Le recours à des mesures provisoires avant l’audition des parents s’explique par l’urgence à assurer la protection des mineurs. Or par hypothèse l’urgence au sens procédural du terme est étrangère à l’action éducative en milieu ouvert. Lorsque pendant des mois des relations familiales ont été perturbées, attendre huit jours pour entendre les intéressés avant de statuer et de désigner un service éducatif, qui lui-même n’enverra que quelques jours plus tard un éducateur dans la famille, n’est pas de nature à modifier radicalement et négativement la dynamique familiale et à accroître brutalement le degré de danger encouru par un mineur. Il est dès lors toujours possible de respecter ce délai légal de huit jours avant de prononcer une mesure d’AEMO. Il n’est donc pas prévu de mesure d’AEMO à titre provisoire parce qu’il n’y en a jamais besoin.
C’est donc bien fort logiquement et opportunément qu’il est interdit de prononcer des AEMO sans l’audition préalable des membres de la famille, cette audition étant un acte essentiel.
De plus, les mesures provisoires prises par ordonnance, à la différence des mesures prises par jugement, sont assorties de plein droit de l’exécution provisoire, c’est-à-dire qu’elles sont obligatoirement exécutées même si la famille interjette appel, cet appel n’étant alors pas suspensif. Les AEMO étant ordonnées par jugement, l’exécution provisoire n’est que facultative et doit rester exceptionnelle afin que le double degré de juridiction conserve tout son contenu.
S’agissant de la poursuite de la mesure d’action éducative en milieu ouvert lorsqu’un mineur concerné est confié par le juge à un tiers, il faut distinguer deux situations possibles.
Si le mineur est confié à un service éducatif privé ou un établissement de la protection judiciaire de la jeunesse, le juge a la possibilité de laisser la mesure de milieu ouvert se continuer et de la prolonger en parallèle à la mesure d’accueil.
Par contre, si le mineur est confié à l’aide sociale à l’enfance du département, le juge ne dispose plus d’aucun choix et il a l’obligation de mettre fin à la mesure de milieu ouvert en cours. Cela est la conséquence de la rédaction de l’article 375-4 du Code civil. C’est le premier alinéa de cet article qui prévoit la possibilité d’existence conjointe d’une mesure d’accueil et d’une mesure de milieu ouvert. Toutefois, ce texte, par renvoi à l’article 375-3, précise que cette possibilité n’existe que lorsque le mineur est confié à l’un de ses parents, à un membre de sa famille, à un tiers digne de confiance, ou à un service éducatif spécialisé. Cela signifie à l’inverse que cette possibilité est exclue lorsque le mineur est confié à l’aide sociale à l’enfance. C’est ce qu’a fort logiquement confirmé la Cour de cassation .
Le contenu de la décision
Comme tout jugement, elle doit comporter des motifs et un dispositif qui énonce l’ensemble des règles fixées par la décision.
Les motifs
Dans ses motifs, quelle que soit la décision prise, le juge doit rappeler l’historique du dossier, c’est-à-dire l’origine du signalement, le contenu résumé des documents qui figurent au dossier, la demande des services sociaux telle qu’elle est formulée par écrit ou par oral à l’audience, indiquer la position des membres de la famille tant sur les allégations d’éléments de danger que sur l’opportunité d’une intervention judiciaire (cf. chap. 6).
Si la famille conteste certains faits, le juge doit préciser s’il les retient malgré tout ou les écarte en l’absence d’éléments probants. Si la famille s’oppose plus largement à la mesure envisagée, le juge doit expliquer par quel raisonnement il rejette les arguments de cette famille et quels éléments lui paraissent manifestement constitutifs d’un danger pour les mineurs concernés. Cela est essentiel car à l’échéance de la mesure ce sont les motifs de la première décision qui permettront d’apprécier l’évolution de la famille. Ce sont aussi ces motifs qui serviront de départ à la réflexion des parents, qui sauront ce que le juge retient comme grave et seront incités à accentuer leurs efforts dans les directions balisées par la décision. Ce sont également ces motifs qui serviront dès l’instauration de la mesure, dès la première visite des éducateurs, de point de départ au travail de milieu ouvert.
Malheureusement, dans la réalité, de trop nombreuses décisions ne sont pas suffisamment motivées. Toutes ces décisions sont annulables pour absence ou insuffisance de motifs, en application de l’article 455 du Code de procédure civile .
Le dispositif
Celui-ci doit contenir impérativement un certain nombre de mentions.
L’intitulé de la mesure.
Cela semble évident mais il n’est pas inutile de rappeler malgré tout que le jugement doit énoncer clairement l’intitulé de la mesure ordonnée. Il s’agira ici d’une action éducative en milieu ouvert.
La désignation du service.
L’article 375-2 autorise le juge à désigner pour exercer la mesure d’AEMO « soit une personne qualifiée, soit un service d’observation, d’éducation ou de rééducation en milieu ouvert ».
Ce sont d’abord des organismes privés, juridiquement structurés en associations, et habilités par les départements et parfois le ministère de la Justice. Les interventions sont alors financées par les conseils généraux en application de l’article L. 228-3 dernier alinéa du CASF :
« Le département prend en charge financièrement au titre de l’Aide sociale à l’enfance, […], les dépenses afférentes aux mesures d’action éducative en milieu ouvert exercées sur le mineur et sa famille en application des articles 375-2 et 375-5 du Code civil et confiées soit à des personnes physiques, établissements et services publics ou privés, soit au service de l’Aide sociale à l’enfance. »
Des mesures sont aussi confiées à des services de la Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), c’est-à-dire du ministère de la Justice. Depuis peu toutefois, l’évolution de la PJJ va de plus en plus vers une prise en charge exclusive des mineurs au titre de la délinquance. On peut donc se demander si à court ou moyen terme l’exercice par les éducateurs du ministère de la justice de mesures d’action éducative civiles ne va pas, même en l’absence de dispositions légales ou réglementaires en ce sens, totalement disparaître.
Pourtant, un décret du 16 novembre 2007 rappelle les compétences de la PJJ en matière civile et non seulement en matière pénale. Cette distorsion entre les textes et la volonté affichée de ne pas les respecter est préoccupante.
Dans certains départements le conseil général a créé son propre service d’AEMO pour mettre lui-même en œuvre les mesures obligatoires, notamment de prévention sans avoir recours à un service tiers. Le juge peut alors choisir de désigner ce service pour exercer une mesure judiciaire. En effet l’article 375-2 ne fait pas la distinction entre service privé et public et l’article L. 228-3 précité du CFAS précité prévoit expressément le financement par le département des mesures d’AEMO « exercées en application des articles 375-2 [...] et confiées soit […], soit au service de l’Aide sociale à l’enfance ».
Au demeurant, les mesures d’AEMO sont toutes exercées par le conseil général quand celui-ci s’est porté candidat pour expérimenter la plénitude de mise en œuvre de toutes les mesures judiciaires d’assistance éducative.
La question suivante s’est rapidement posée : le juge des enfants peut-il au visa de l’article L. 228-3 confier une mesure d’AEMO à un conseil général qui ne souhaite pas en exercer et qui n’a pas encore créé de service de milieu ouvert ? La Cour de cassation a répondu par l’affirmative avec la motivation suivante :
« Attendu qu’il est encore fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir confirmé le jugement, alors, selon le moyen, qu’en décidant, sur le fondement de l’article 85 [devenu L. 228-3] du Code de la famille et de l’aide sociale, que le service de l’ASE était tenu d’exercer les mesures d’aide éducative en milieu ouvert, la cour d’appel a violé ce texte par fausse application, ensemble l’article 375-2 du Code civil par refus d’application ;
Mais attendu que la cour d’appel a exactement décidé que l’article 85 du Code de la famille et de l’aide sociale n’interdit pas que les mesures d’action éducative en milieu ouvert ordonnées en application de l’article 375-2 du Code civil soient exercées par le service de l’Aide sociale à l’enfance ; que le moyen n’est pas fondé. »
Les faits étaient les suivants : un juge des enfants traitant un dossier d’assistance éducative décide de mettre en œuvre une mesure d’AEMO. Mais, et de là provient le litige, le juge motive ainsi son choix du service :
« Qu’il y a lieu d’ordonner une mesure d’action éducative qu’il conviendra de confier à l’Aide sociale à l’enfance des Yvelines qui a vocation d’assurer la sécurité et la protection des mineurs compte tenu de l’importance actuelle de la liste d’attente des mesures d’AEMO confiées à la Sauvegarde et des nombreuses mesures actuellement différées. »
Aussitôt, le président du conseil général interjette appel. La cour d’appel motive ainsi la confirmation du jugement :
« Considérant que le président du conseil général des Yvelines prétend qu’il ne peut lui-même exercer des mesures d’assistance éducative en milieu ouvert ordonnées judiciairement ; qu’il invoque à cette fin les dispositions légales relatives à l’obligation lui incombant de les financer, à l’exception des doubles mesures (placement-milieu ouvert) confiées au service départemental de l’Aide sociale à l’enfance ; qu’il opère une distinction entre l’aide éducative en milieu ouvert judiciaire caractérisée par l’état de danger ainsi que par sa nature obligatoire et comminatoire de l’aide éducative en milieu ouvert administrative, réponse acceptée à un simple risque de danger ; qu’il rappelle enfin qu’à la date de son prononcé la décision critiquée était inapplicable et qu’il a depuis habilité l’association privée ANEF ;
Considérant que l’appelant méconnaît sciemment les dispositions du dernier alinéa de l’article 85 Code de la famille lequel stipule : “Il [le département] prend également en charge les dépenses afférentes aux mesures d’action éducative en milieu ouvert exercées sur le mineur et sa famille en application de l’article 375-2 Code civil, ce qui est le cas en l’espèce, confiées soit à des personnes physiques, établissements et services publics ou privés, soit au service de l’Aide sociale à l’enfance” ; que ce texte précis et non ambigu consacre l’obligation générale et absolue du service départemental de l’Aide sociale à l’enfance d’exercer les mesures éducatives en milieu ouvert, même judiciaires ; que peu importe que ledit service ne se soit pas, à tort et dans un souci de confort de ses agents, structuré en temps opportun en évitant une confusion des actions des personnes physiques ; d’autre part que le département, en réponse au conflit institutionnel exacerbé précédemment évoqué, ait précipitamment habilité une seconde association privée le 5 janvier 1999, postérieurement aux dates de la décision critiquée et de l’acte de recours, non opposable à la Cour de céans en raison de l’effet dévolutif de l’appel. »
À l’appui de son pourvoi, le conseil général a soutenu que seuls les articles 375-2 et 375-3 du Code civil désignent les personnes habilitées à exécuter les mesures d’assistance éducative, que le service de l’Aide sociale à l’enfance ne figure pas sur la liste, et que l’article 85 Code de la famille ne concerne que le financement des mesures. Ce sur quoi la Cour de cassation répond sèchement que « l’article 85 Code de la famille n’interdit pas que les mesures d’action éducative en milieu ouvert ordonnées en application de l’article 375-2 soient exercées par le service de l’Aide sociale à l’enfance ».
La combinaison des articles du Code civil et du Code de la famille et de l’aide sociale relatifs aux mesures de milieu ouvert semble, dans un premier temps, inciter à approuver le raisonnement suivi par la cour d’appel puis par la Cour de cassation.
L’article 375-2 du Code civil prévoit que pour faire exercer les AEMO « […] le juge désigne soit une personne qualifiée, soit un service d’observation, d’éducation ou de rééducation en milieu ouvert […] ». Ce texte, antérieur aux lois de décentralisation et notamment à la loi du 6 janvier 1986, était, en l’absence de services départementaux chargés aussi de la protection de l’enfance toujours considéré comme mentionnant les services privés ou les services de la protection judiciaire de la jeunesse relevant du ministère de la Justice expressément chargés d’exercer les AEMO, autrement dit des services à mission spécifique et se consacrant exclusivement à l’exercice de missions judiciaires confiées par les tribunaux pour enfants.
Puis la loi de 1986 a introduit l’article 85 devenu L. 228-3 précité qui, sans la moindre ambiguïté, indique que le département prend en charge les dépenses afférentes, notamment, aux mesures d’AEMO « confiées […] au service de l’Aide sociale à l’enfance ». On est donc conduit à penser que, puisque le service de l’Aide sociale à l’enfance doit financer les mesures judiciaires qu’il exerce, c’est bien qu’il a vocation à exercer celles qui lui sont confiées par les juges, donc qu’il est devenu un service supplémentaire parmi ceux mentionnés à l’article 375-2 sous l’appellation générique de service d’éducation.
Mais ce n’est pas tout à fait aussi simple. En effet, les lois de décentralisation ont imposé aux départements des missions obligatoires. Mais ces missions ont été limitativement énumérées par les textes. Or, on constate à la lecture de l’article L. 221-1 du CASF qui énumère les missions obligatoires des départements en matière d’enfance que l’exercice des AEMO judiciaires n’y figure pas expressément. Ces missions sont successivement l’aide aux familles en difficulté à travers, entre autres prestations, ce que l’on qualifie parfois d’actions éducatives administratives pour les distinguer des actions judiciaires, les actions de prévention des inadaptations sociales et des mauvais traitements, et l’accueil des mineurs confiés au service, étant précisé que les mineurs suivis en AEMO restent sous l’autorité de leurs seuls parents et ne sont confiés à personne. De la même façon, l’article L. 222-5 du CSAF indique que sont pris en charge par l’Aide sociale à l’enfance, entre autres, les mineurs « confiés au service » en application du 3° de l’article 375-3 et de l’article 375-5 Code civil. Or ces deux derniers textes ne concernent que les mineurs retirés de leur milieu familial pour être confiés à des tiers.
Il n’est donc pas immédiatement certain que l’exercice des mesures judiciaires d’AEMO soit l’une des missions obligatoires des départements et l’on pourrait probablement, sans aller à l’encontre de la législation, considérer qu’il ne s’agit en ce domaine que d’une mission facultative, le département étant certes tenu de financer les mesures d’AEMO, mais pouvant estimer que ces mesures judiciaires doivent être exercées par des services extérieurs spécialisés.
Cette affirmation ne contredit pas la première lecture de l’article L. 228-3. Celui-ci pourrait très bien être interprété comme imposant seulement aux départements de prendre en charge le financement des mesures d’AEMO judiciaires lorsqu’ils décident d’en exercer certaines. En effet, comme le soutenait à notre avis à juste titre le département des Yvelines, devant la cour d’appel puis dans son pourvoi, il s’agit d’un article commençant par « le département prend en charge financièrement […] » et situé dans un chapitre intitulé « Dispositions financières », donc exclusivement consacré au paiement des prestations d’AEMO. Par suite, en décidant que ce texte n’interdit pas l’exercice de mesures judiciaires d’AEMO par les départements, la Cour de cassation répond à côté de la question posée, à savoir l’existence d’une obligation d’exercice, cette absence d’interdiction étant une évidence. Et, auparavant, c’est un peu hâtivement que la cour d’appel avait estimé, au seul visa de cet article L. 228-3, qu’il pèse sur les départements une « obligation légale générale et absolue […] d’exercer les mesures d’aide éducative en milieu ouvert, même judiciaires ».
En résumé, deux interprétations semblent possibles :
- soit l’on tire du dernier alinéa de l’article L. 228-3 que l’on estime être le texte prépondérant une obligation pour le département d’exercer les mesures judiciaires d’AEMO qui lui sont confiées sans que celui-ci puisse objecter l’absence de service compétent dans sa structure. Mais, dans ce cas, le département peut toujours « pour l’accomplissement de ses missions […] faire appel à des organismes publics ou privés habilités ». C’est ce qui se passe fréquemment avec les mineurs confiés à l’Aide sociale à l’enfance, les départements qui gèrent eux-mêmes très peu d’établissements d’accueil ayant couramment recours aux foyers privés. Il est donc finalement de peu d’importance que le département désigné par le juge pour exercer l’AEMO ait ou n’ait pas un service spécialisé d’AEMO judiciaire, et l’argument du département selon lequel il était dans « l’impossibilité » d’exercer l’AEMO notifiée est sans valeur ;
- soit on analyse l’article L. 228-3 comme n’étant qu’une disposition financière, on constate que l’exercice des AEMO judiciaires ne figure pas parmi les missions obligatoires des départements, et l’on conclut que le juge des enfants ne peut confier l’exercice d’une AEMO judiciaire à un département que si celui-ci, sans y être tenu, a choisi volontairement de s’équiper pour intervenir dans ce cadre. La Cour de cassation a choisi la première option, mais elle ne semble pas inéluctablement la plus satisfaisante d’un point de vue juridique.
Reste alors la question de l’opportunité, douteuse, de confier à un département l’exercice d’une mesure d’AEMO si l’on sait qu’en l’absence de service spécifique il va la sous-traiter à un service qui pourrait fort bien se la voir confier directement par le magistrat.
La possibilité de confier des mesures d’AEMO à l’Aide sociale à l’enfance est particulièrement intéressante lorsque des enfants précédemment confiés à ce service sont remis à leurs parents et qu’apparaît la nécessité d’une mesure d’AEMO judiciaire. Si une relation de confiance s’est instaurée au fil du temps entre la famille et l’éducateur référent de l’ASE, il serait aberrant de mettre fin à cette relation qui a produit des effets très positifs en désignant un nouveau service qui enverra un éducateur qui ne connaît pas du tout la famille et mettra du temps, s’il y arrive, à instaurer à son tour une relation de confiance avec ses membres.
* * *
Il est délicat de définir l’importance de l’avis de la famille dans le choix du service. La question n’apparaît pas quand il s’agit de la première désignation et que la famille ne connaît aucun des éducateurs qu’elle va rencontrer, mais elle surgit parfois quand, en cours d’audition ultérieure ou par lettre, la famille, ou l’un de ses membres, demande à « changer d’éducateur ». La réponse à apporter à une telle demande est plus complexe qu’il n’y paraît dans un premier temps.
Tout d’abord, il faut souligner le fait que le juge désigne un service dans son ensemble, et n’a aucun pouvoir juridique direct sur la direction du service d’AEMO pour imposer que tel ou tel éducateur aille dans telle famille, à supposer qu’il y ait des raisons sérieuses pour justifier un tel avis. Chaque service d’AEMO fixe ses propres règles internes pour définir qui intervient, à chaque réception de jugement. Dans certains services le critère géographique est prédominant, chaque éducateur ou groupe d’éducateur intervenant sur une partie limitée du département. Dans d’autres services les éducateurs se répartissent les mesures après discussion collective, en fonction de la problématique familiale apparente et de l’expérience de chacun qui fait penser que tel éducateur sera plus à l’aise et donc plus performant dans telle situation. Parfois le critère essentiel est le nombre de mesures exercées et la disponibilité de chacun à la réception des nouvelles mesures.
On pourrait donc penser que le juge qui entend une famille demander que l’éducateur soit changé ne peut que se contenter de transmettre cette demande au directeur du service et rester étranger au débat, quelle que soit son opinion sur la réponse à apporter. Mais que doit faire le juge si, alors que le directeur fait savoir qu’aucun changement d’éducateur n’est envisagé, la famille insiste dans sa demande, avec des motifs avancés qui ne semblent pas dénués d’intérêt ? On peut certainement affirmer que le juge doit impérativement se saisir de la question, convoquer les intéressés et arbitrer ; cela pour plusieurs raisons.
Juridiquement, le juge est habilité à contrôler la qualité du travail des services qui exercent des mesures judiciaires. Ce contrôle intervient lors de la création des services, l’avis du juge étant sollicité avant l’habilitation, et en cours de fonctionnement, par des visites de contrôle et la rédaction de rapports sur les services habilités par le ministère de la Justice, et par la possibilité de demander des inspections en cas de défaillance importante. Ce contrôle est surtout exercé au quotidien pendant le déroulement de chaque mesure à travers l’appréciation de la qualité des écrits et des prestations aux audiences. Ce pouvoir général de contrôle du juge des enfants sur tous les services qui exercent des mesures judiciaires est inscrit dans l’article 48 de la loi 86-17 du 6 janvier 1986. Il ne serait pas acceptable en effet que le juge, après avoir désigné un service, ne puisse plus intervenir en cas de pratique nuisible à l’évolution favorable de la dynamique familiale, et soit définitivement lié par sa première décision de désigner tel service éducatif de milieu ouvert.
Si le service refuse le changement d’éducateur dans la famille qui le demande, le juge doit d’abord rechercher les raisons profondes qui incitent cette famille à formuler sa demande. Et il doit distinguer entre deux hypothèses.
La famille peut essayer d’écarter un éducateur qui a trop bien su mettre en lumière ses dysfonctionnements et repérer les carences de chacun, ou qui met en place des interventions justifiées qui dans un premier temps déstabilisent parents et/ou mineurs ou les obligent à des remises en cause douloureuses. À titre d’exemple, dans un dossier traité, une mère et sa fille adolescente, qui semblaient entretenir avec un éducateur une relation de confiance, ont demandé soudainement un changement d’éducateur quand celui-ci, apprenant que la mineure pouvait avoir participé à un trafic de drogue, a refusé de laisser la mère et la fille traiter seules ce problème (mère et fille souhaitant dissimuler l’attitude de la mineure pour éviter toute sanction), et a décidé, à juste titre, d’informer le tribunal, ce qui pouvait déclencher poursuite pénale et condamnation. L’éducateur n’était plus alors le sympathique travailleur social qui les écoutait et les comprenait mais devenait éminemment dangereux.
Dans ce genre de cas, il est important que le juge, après un débat au tribunal, réaffirme qu’il approuve la pratique du service éducatif et qu’il lui maintient sa confiance, ces propos devant être tenus en présence de la famille. C’est le seul moyen de mettre fin à une discussion interminable entre la famille et le service sur un éventuel changement d’éducateur et à l’attente d’une hypothétique intervention du juge. Cela favorise la reprise normale du cours de l’AEMO.
Mais on ne peut pas exclure l’hypothèse que ce soit bien l’éducateur qui intervient de façon maladroite, inappropriée et inefficace auprès de la famille. Or aborder un tel sujet est particulièrement difficile, c’est pratiquement un sujet tabou. Pourtant, chaque éducateur fait un travail essentiellement fondé sur la relation humaine, sur le verbe et l’acte ; il intervient avec sa personnalité, sa subjectivité. Après plusieurs incidents et conflits avec une famille, s’il en porte une large part de responsabilité, il ne peut plus entretenir avec parents et mineurs une relation de paisible confiance, il peut être discrédité. C’est alors l’AEMO qui est compromise et, surtout, cette situation peut avoir pour conséquence directe de bloquer l’évolution de la famille, voire d’entraîner de nouvelles difficultés si l’intervention de l’éducateur aiguise certains conflits intrafamiliaux ou si parents et mineurs ne veulent plus faire appel à lui en cas d’incident.
De la même façon, chacun d’entre nous ne va pas chez n’importe quel médecin. S’il s’agit de nous faire soigner, nous n’hésiterons pas à changer de médecin si le premier que nous consultons ne nous satisfait pas, par exemple parce qu’il ne nous consacre pas assez de temps ou ne fournit pas assez d’explications sur notre état de santé, ou ne répond pas à nos questions, ou nous prescrit un traitement peu efficace. La consultation est un acte grave qui nécessite une grande confiance malade/médecin. Et personne ne conteste le droit du malade à consulter plusieurs médecins.
Mais les services éducatifs ressentent souvent, si ce n’est toujours, comme une intolérable marque de défiance la remarque d’une famille qui dira qu’elle n’arrive pas à progresser avec tel éducateur, qu’elle ne se sent pas suffisamment à l’aise avec lui, qu’elle se sent mal comprise. Alors que, sauf dans les cas de demandes de changement prétextes décrits plus hauts, il est bien des hypothèses dans lesquelles il est exact que l’éducateur, malgré tout compétent, n’a pas réussi à établir un lien de qualité avec telle famille, à la différence de ce qu’il a remarquablement réussi à faire avec une autre.
S’il apparaît suffisamment clairement au cours d’un débat dans le bureau du juge qu’un changement d’éducateur permettrait peut-être une meilleure évolution de la situation familiale, ou tout au moins qu’un blocage existe bien avec l’éducateur actuel, et si le directeur du premier service désigné refuse le changement de personnel, le juge des enfants doit alors dans un nouveau jugement motivé désigner un autre service, ce qui n’exclut toutefois pas, même si c’est peu probable, que la difficulté réapparaisse avec un autre éducateur. Mais alors au moins les parents ne pourront pas dire que le changement n’a pas été tenté et cela permettra de mettre en lumière plus nettement leur attitude parasite, avec des arguments cette fois très solides.
Au-delà de la désignation de tel ou tel service, ce qui importe par-dessus tout, est que les membres de la famille sachent qu’à tout moment leur opinion a de la valeur, qu’elle est prise en compte, et qu’ils ne se trouveront jamais face à un mur s’ils ont à faire entendre des revendications.
Il est étonnant que, dans les centaines de dossiers d’assistance éducative étudiés, un changement d’éducateur amiablement négocié entre le service désigné et la famille concernée n’apparaisse presque jamais. Ce qui est grave, c’est que, dans les dossiers, les documents écrits transmis au tribunal et notamment les rapports d’AEMO ne mentionnent presque jamais de tels litiges, qui pourtant apparaissent dans un certain nombre de cas. Il sera plutôt écrit par les éducateurs que la famille a été « opposante », qu’elle a « refusé de collaborer », qu’il est regrettable qu’elle ne se soit pas présentée aux rendez-vous ou ait parfois maintenu sa porte close. Il faut alors admettre que certains rapports éducatifs écrits tronquent la réalité, taisent la part de responsabilité de l’éducateur dans l’échec de l’intervention, et sont en conséquence à l’origine de dossiers judiciaires partiellement mensongers. Et à l’audience tenue à l’échéance de la mesure, la famille pourra avoir légitimement le sentiment d’un compte rendu qui ignore la réalité et laisse totalement de côté son point de vue, ce qui pourra l’inciter encore davantage à moins collaborer avec le service éducatif.
Pour toutes ces raisons, cette question hautement délicate ne peut pas être ignorée. Mais mise en lumière, elle met tout le monde dans une position incertaine dans un premier temps : la famille elle-même, qui hésite à se plaindre d’un éducateur qui détient son pouvoir du juge, lui fait des comptes rendus et est habilité à solliciter des mesures draconiennes telles que l’éloignement des enfants ; l’éducateur blessé dans son amour-propre et qui sent sa compétence professionnelle remise en cause ; et le juge, qui aura bien du mal à démêler le vrai du faux et hésitera à entrer dans un débat malaisé à conduire.
Mais quoi qu’il en soit il s’agit vis-à-vis des familles d’une question importante que le juge doit traiter avec précaution mais sans hésitation, sans être en droit de l’écarter systématiquement. Et si cela est nécessaire, le juge ne doit pas hésiter à désigner un autre service de milieu ouvert, quelles que soient les éventuelles réactions du premier, la priorité absolue étant la mise en œuvre de moyens éducatifs efficaces pour la recherche d’un mieux-être au sein des familles.
La durée de la mesure.
En application du troisième alinéa de l’article 375 du Code civil, le juge doit indiquer dans son dispositif la durée de la mesure, autrement dit la durée de validité de son jugement. Le maximum est légalement fixé à deux années.
Toute absence d’indication de la durée de la mesure entraîne la nullité du jugement .
En matière d’actions éducatives en milieu ouvert, instaurer d’emblée des mesures de deux années est inopportun dans la grande majorité des cas. Tout d’abord parce que les situations familiales évoluent souvent rapidement lorsque l’institution judiciaire décide d’intervenir. Il est alors utile de revoir régulièrement la situation et la nécessité de l’AEMO, même si la famille peut avant l’échéance de la mesure en solliciter l’arrêt en application de l’article 375-5. Il faut aussi avoir en tête que chaque mesure entraîne une dépense importante pour le département et que l’argent public ne doit pas être gaspillé par des mesures inutiles. Ensuite, parce que le juge doit s’assurer à intervalles suffisamment proches de la qualité du travail effectué par le service désigné. Enfin, parce que la durée fixée par le juge a un sens particulier dans l’esprit de la famille. Poser des échéances trop lointaines peut lui faire croire que, comme le juge ne la reverra pas de sitôt, il n’y a pas urgence à se mobiliser puisque le risque de la sanction semble éloigné dans le temps, ou que le juge ne croit pas à une évolution favorable rapide et prévoit déjà une mesure de longue durée, ce qui n’est pas non plus mobilisateur. Par contre, fixer une durée moyenne ou courte peut servir d’aiguillon à la famille qui sait que dans un délai relativement court un bilan sera fait et éventuellement d’autres mesures prises. Cela va de pair avec une motivation précise de la décision.
Pour ces raisons, il est souvent utile de fixer une durée d’environ une année, pas plus, ce qui à la fois laisse le temps aux éducateurs de découvrir la famille et de commencer à aborder les questions de fond s’il s’agit d’une mesure initiale, ce qui demande plusieurs mois, et permet un bilan qui ne soit pas trop éloigné de la précédente audience au tribunal.
Les dates de dépôt des rapports de fin de mesure.
Le juge doit connaître aussi souvent que nécessaire l’évolution de la famille pour être en mesure d’apprécier l’évolution du danger encouru par les mineurs et pour adapter au fil du temps ses interventions. Pour cela, la loi précise l’obligation faite aux services éducatifs de rendre compte par écrit de leur travail. L’article 1199-1 du Code de procédure civile indique que le service désigné doit adresser au juge des enfants un rapport « selon la périodicité fixée par la décision ou à défaut annuellement ».
Il est également indiqué dans le dernier alinéa de l’article 375 du Code civil qu’« un rapport concernant la situation de l’enfant doit être transmis annuellement au juge des enfants ».
Afin d’éviter tout malentendu entre le juge et le service, il est indispensable que le magistrat indique dans son jugement des dates précises de dépôt de rapport (jour et mois), en imposant un rapport final au moins un mois avant l’échéance pour qu’une audience de révision puisse avoir lieu et qu’un jugement de prolongation, si nécessaire, soit adressé aux intéressés avant l’expiration du précédent. Le service n’a plus qu’à déposer une courte note écrite à l’audience si des événements importants ont eu lieu entre le dépôt du rapport et l’audience, afin que le dossier soit complet.
Le juge peut en cours de mesure demander autant de rapports qu’il le souhaite en application de l’article précité. Toutefois il serait aberrant de demander des écrits trop souvent et cela surchargerait inutilement les services éducatifs. Dans certaines situations particulièrement alarmantes, il peut sembler toutefois utile de demander un rapport, qui pourra n’être qu’une brève note, tous les trois ou quatre mois, ou à des moments particuliers. Là encore, les dates de dépôt de rapports, précisées à la famille à la fin de l’audience et reprises dans le dispositif du jugement, ont un sens particulier pour elle. S’il s’agit par exemple de l’absentéisme scolaire d’un enfant, la famille entendra le juge solliciter un rapport un mois après l’instauration de la mesure et comprendra qu’il accorde une importance extrême à la fréquentation scolaire régulière et n’est pas prêt à patienter longtemps avant de sanctionner autrement cette carence si elle persiste. La date de dépôt d’un rapport est parfois un important moyen de pression sur des familles.
L’indication des dates de dépôt des rapports n’est donc pas un point de détail et le juge doit fixer les échéances avec attention en fonction du message qu’il veut faire passer à la famille.
Bien sûr, les services éducatifs doivent chaque fois que nécessaire prendre l’initiative d’adresser au juge un point de situation, notamment en cas d’incident grave, parce que, rappelons-le, c’est le juge qui fixe pour la famille et les éducateurs les contours de la notion de danger et est seul habilité à dire quand le tolérable est dépassé.
Dans le chapitre 3 concernant le déroulement de l’audience, il a été indiqué combien il est important, pour que la famille ait le temps de se préparer à la rencontre avec le juge des enfants et bénéficie ainsi d’un véritable débat contradictoire, qu’il lui soit matériellement possible de prendre connaissance si elle le souhaite du contenu du dossier suffisamment longtemps avant la date de l’audience. Pour cette raison, les rédacteurs des rapports doivent être extrêmement vigilants et particulièrement rigoureux quant à la date d’envoi du document au greffe du tribunal.
Aujourd’hui plus encore qu’hier, toute transmission de rapport juste avant l’audience doit être totalement proscrite.
En cas de réception tardive du rapport par la faute du service éducatif désigné pour exercer la mesure, et en présence d’une demande expresse de la famille de pouvoir accéder à son dossier, le retard d’envoi peut justifier un report de l’audience à une date ultérieure, et cela même si la mesure précédemment ordonnée arrive à expiration avant la nouvelle date choisie.
Dans ce cas, il appartient aux services éducatifs défaillants d’assumer seul et entièrement les éventuelles conséquences dommageables du report de l’audience et par voie de conséquence de l’interruption momentanée de l’intervention des professionnels.
L’exécution provisoire
Comme cela a été détaillé dans le chapitre 6, l’exécution provisoire n’est que facultative en matière d’AEMO. En pratique, il n’est que très rarement nécessaire d’assortir ces mesures de l’exécution provisoire, et les familles interjettent peu appel, ce qui fait que presque toutes les mesures sont exercées rapidement par les services désignés. Et quand elles font appel, c’est autant pour contester tout ou partie des motifs que le principe même de la décision.
De fait, les familles, même si les règles procédurales n’ont pas été respectées et si elles ressentent l’AEMO ou ses motifs comme une injustice, n’ont pas souvent l’énergie ou la volonté de contester devant la cour et préfèrent subir l’intervention pendant quelques mois, sachant que la mesure ne remet pas fondamentalement en cause leur équilibre et notamment la présence des enfants auprès de leurs parents.
La révision à l’échéance de la mesure
Le juge ayant indiqué dans son jugement la durée de validité de sa décision, il doit, à l’expiration de ce délai, apprécier l’opportunité de prolonger l’intervention judiciaire pour une nouvelle période. C’est à la lecture des rapports remis par le service éducatif, et notamment du rapport final de fin de mesure, puis après le débat à l’audience, qu’il prend sa décision.
Le rapport de fin de mesure
Ce rapport est une pièce écrite très importante, puisqu’il s’agit souvent du seul document versé au dossier à échéance de la mesure, et parce que c’est dans ce document que le juge recherche les éventuels éléments susceptibles de caractériser encore un danger pour les mineurs, et que c’est à partir de sa lecture qu’il va organiser le débat avec les intéressés.
La qualité des écrits est variable. Chaque travailleur social a son style, sa façon de transmettre ses idées. Il n’existe pas une forme idéale de rapport et il est nécessaire de laisser aux éducateurs une certaine liberté d’écriture. Toutefois, un reproche majeur et fréquent peut leur être adressé : le manque de précision dans la description de la famille et des événements qui ont parsemé la période écoulée. Les rapports écrits sont pleins de phrases approximatives, de mots et d’expressions vagues ou à multiples sens, de résumés excessivement succincts de faits non décrits, d’affirmations péremptoires non étayées par un argumentaire détaillé. Les rapports manquent cruellement de détails concrets, d’illustrations et d’exemples précis de faits.
Parce que la question est cruciale dans le déroulement des mesures de protection judiciaire, qu’elle concerne toutes les mesures et non seulement les mesures d’AEMO, et parce qu’elle impose de plus longs développements, elle fait l’objet d’un chapitre particulier (cf. chap. 13).
L’audience de révision
La nécessité d’une audience
Une audience en fin d’exercice d’AEMO n’est pas toujours juridiquement obligatoire. En effet, il ne doit procéduralement y avoir auditions et décision que dans l’hypothèse où une prolongation est demandée et/ou envisagée, même de façon incertaine. En effet, parce que le premier jugement comporte forcément une date d’échéance (jour, mois et année), la mesure se termine automatiquement à cette date, sans qu’il soit besoin de décision de mainlevée puisqu’il serait illogique et juridiquement aberrant de mettre fin à une mesure qui est déjà terminée ou qui va l’être quelques jours après l’audience si elle était organisée.
Si dans le rapport de fin de mesure le service éducatif propose l’arrêt de son intervention, le juge dispose d’un choix. Il peut organiser une audience pour s’assurer de la justesse de l’argumentation de l’éducateur. Ce sera le cas chaque fois que le magistrat a le moindre doute sur la disparition effective du danger. Dans ce cas, s’il décide malgré tout après débat à l’audience de ne pas renouveler l’AEMO, et si le procureur n’a pas non plus demandé une telle prolongation dans ses réquisitions écrites, il indique seulement oralement qu’aucun jugement de prolongation n’est pris et que la procédure se termine effectivement à la date d’échéance de la précédente décision, puis le dossier est archivé sans acte judiciaire supplémentaire autre qu’une mention au dossier en fin de procès-verbal d’audience.
Cette audience sera obligatoire, quel que soit l’avis du juge, s’il est écrit dans le rapport d’AEMO que la famille en souhaite la prolongation, ou si le procureur de la République sollicite par écrit la poursuite de la mesure. Dans ce cas, si le juge entend rejeter la demande, il doit impérativement statuer par jugement puisqu’il est juridiquement saisi d’une nouvelle requête.
Si les éducateurs et la famille dont l’avis est repris dans le rapport de fin de mesure souhaitent l’arrêt de toute intervention judiciaire, le juge peut se contenter de solliciter l’avis du procureur. Si celui-ci est conforme, en l’absence de demande de prolongation de quiconque, le juge des enfants, qui n’est dès lors juridiquement saisi d’aucune demande, pour éviter d’organiser une inutile audience, peut se contenter de refermer le dossier sur la seule mention au dossier. Mais même si cela n’est pas procéduralement obligatoire il est opportun qu’il adresse un courrier type à la famille, lui précisant qu’il ne prend pas l’initiative d’une audience parce qu’il n’estime plus la mesure utile mais qu’elle peut toujours demander un rendez-vous, parents ou mineurs pouvant avoir changé d’avis depuis la rédaction du rapport. Il arrive quelquefois, certes très rarement, que la famille se manifeste en ce sens après avoir reçu la lettre type et demande à être entendue. Dans ce cas on revient à la procédure de convocation puis de jugement puisqu’il y a une demande.
Si le service demande la poursuite de l’AEMO, une audience doit être organisée, même si le juge est sceptique, et même si les services d’AEMO ne saisissent pas juridiquement le magistrat.
Il reste à insister sur un point qui a déjà été abordé plus haut. À cette audience, ce n’est pas seulement l’opportunité d’une poursuite de l’intervention des éducateurs qui doit être étudiée. C’est tout autant celle de la nécessité que se prolonge l’intervention judiciaire. Ce sont deux questions bien distinctes. Il arrive régulièrement qu’après une première audience au cours de laquelle le juge des enfants a dû imposer la mesure d’AEMO, au cours d’une audience ultérieure à échéance apparaisse un réel accord de tous les intéressés, parents, mineur et service d’AEMO, sur ce qu’il convient de continuer à faire. Cela montre que les professionnels ont effectué un travail important et efficace, qu’ils ont su peu à peu faire admettre aux intéressés la réalité et l’ampleur de leurs difficultés, et qu’ils ont réussi à les convaincre de la nécessité d’une réflexion et d’un travail avec l’aide de tiers.
Si tel est le cas, si donc les critères de l’intervention judiciaire n’existent plus, l’un de ceux-ci étant rappelons-le la nécessité d’imposer une mesure à des personnes qui la refusent (cf. chapitre 4), le juge doit obligatoirement mettre fin au dossier judiciaire puisqu’il ne peut plus donner de fondement légal à une éventuelle décision de prolongation.
Cela ne présente pas le moindre désavantage pour la famille. La mesure d’AEMO se poursuivra alors dans un cadre de prévention, sera prolongée par un accord négocié entre la famille, le service d’AEMO et l’ASE, en application de l’article L. 221-1 du Code de la famille et de l’aide sociale. L’intervention en milieu ouvert d’un service d’AEMO est possible de la même façon avant une intervention judiciaire ou après.
Si aucune audience n’est convoquée, ce sont les éducateurs d’AEMO qui prendront l’initiative de favoriser une poursuite de leur travail auprès de la famille en sollicitant une rencontre avec l’ASE et la signature d’un contrat administratif.
En pratique, tout cela ne pose aucune difficulté, sauf si c’est un service de la PJJ qui exerce la mesure (voir plus haut).
Le déroulement de l’audience
L’article 1189 du Code de procédure civile qui fixe la liste des personnes que le juge doit obligatoirement convoquer et entendre si elles se présentent ne fait allusion, pour ce qui concerne les professionnels, qu’à « la personne ou représentant du service à qui l’enfant a été confié », la notion d’enfant confié renvoyant à l’article 375-3.
Cela signifie que la convocation à l’audience du service d’AEMO n’est que facultative et relève du pouvoir discrétionnaire du juge d’entendre « toute personne dont l’audition lui paraît utile ».
Mais en pratique il est impossible de se dispenser de cette audition. Les raisons sont les mêmes que celles qui ont été exposées au chapitre 3 pour justifier l’audition des auteurs des signalements au cours de la première audience.
Seul l’éducateur d’AEMO peut par oral compléter son rapport écrit, rectifier tel mot ou telle phrase que finalement il aurait rédigé autrement, le réactualiser en informant le juge de ce qui s’est passé entre la date d’envoi du rapport et l’audience, souvent séparées de plusieurs semaines.
Surtout, la présence de l’éducateur est indispensable pour qu’un débat sincère et approfondi ait lieu à l’audience car, si le juge se contente de lire un extrait du rapport et que la famille affirme que ce qui est écrit est inexact, le débat est clos, le juge n’étant pas en mesure de faire la part du vrai et du faux, la famille pouvant essayer de profiter de l’absence de contradicteur pour lancer des contre-vérités mais l’éducateur ayant également pu se tromper en rapportant des faits ou en les interprétant.
Il est de fait indispensable que la famille et l’éducateur soient en même temps présents dans le bureau du juge pour qu’un tel débat ait lieu.
Au cours de l’audience, afin que la règle du contradictoire soit respectée, le juge doit demander à l’éducateur de restituer oralement et intégralement les éléments essentiels de son rapport écrit, afin que la famille soit en mesure de donner son avis sur tous les éléments figurant au dossier et qui sont susceptibles d’être utilisés par le magistrat à un moment ou un autre. Dans certains services, les éducateurs rencontrent la famille avant l’audience pour lui lire le rapport adressé au tribunal. De telles pratiques, qui ne font qu’anticiper ce qui se passera au tribunal, ont le grand mérite de la clarté et de l’honnêteté dans les rapports famille/éducateurs.
La non-rétroactivité des décisions
Lors du prononcé d’une mesure d’assistance éducative, le juge des enfants fixe son point de départ et son terme, donnant ainsi mandat à un service éducatif habilité d’intervenir pendant une certaine durée auprès d’une famille (cf. infra « La durée de la mesure »).
Une question qui se pose souvent est celle de la rétroactivité de la décision du juge des enfants.
En effet, même si le magistrat s’efforce de convoquer à échéance les dossiers d’assistance éducative dont il a la charge, il s’avère que, confronté à diverses contraintes, le juge des enfants peut être amené à auditionner la famille et le service éducatif après la fin de la mesure, c’est-à-dire quelques jours après.
S’il entend reconduire la mesure (placement ou action éducative en milieu ouvert), peut-il faire rétroagir sa décision, c’est-à-dire lui donner un effet à la fois pour l’avenir mais également pour le passé ?
La réponse est négative, les décisions ne valent que pour l’avenir, et à compter de leur notification sous réserve de l’existence d’un recours. C’est au juge d’organiser la gestion de son cabinet pour ne pas être en situation de renouveler une mesure après une interruption trop longue si cela risque d’être préjudiciable au mineur concerné.
La surcharge des services
D’un département à l’autre, l’équipement en services d’AEMO varie. En effet, il faut avoir à l’esprit que si, en application de l’article L. 228-3 du Code de l’action sociale des familles déjà cité, les conseils généraux ont l’obligation de financer toutes les mesures d’AEMO ordonnées par les juges des enfants de leur département, c’est également eux qui habilitent les services d’AEMO et établissent avec eux un quota de prises en charges, c’est-à-dire le nombre des mesures que chaque service pourra exercer, et donc également le nombre d’éducateurs à employer, avec le financement qui correspond. Pour apprécier le personnel nécessaire, un nombre moyen de mesures pouvant être exercées par un éducateur est retenu, l’instauration de tels quotas semblant entraîner de vastes débats dont les juges des enfants, qui n’ont aucun moyen d’apprécier combien de mesures un éducateur peut exercer, faute d’avoir jamais été éducateurs eux-mêmes, doivent rester en permanence absents.
Il peut arriver, et il arrive effectivement, que tel service éducatif prétende ne pas pouvoir, à un moment donné, exercer une ou plusieurs des dernières mesures d’AEMO reçues et informe le tribunal de la non-exécution de certaines décisions. Dans de tels cas, il arrive que les décisions ne soient pas exercées pendant plusieurs semaines, voire plusieurs mois.
Il faut d’abord souligner qu’il est intolérable que certains juges des enfants ne soient pas immédiatement informés lorsqu’un service qui reçoit un jugement d’AEMO décide de ne pas l’exécuter. Avisé sur-le-champ, le juge pourrait peut-être désigner un autre service, moins chargé. Un directeur qui n’avertit pas sur le champ de ses difficultés internes et fait ainsi obstacle à la désignation d’un autre service est une personne qui délibérément empêche que la protection d’un mineur soit assurée. C’est une faute d’une particulière gravité.
Au-delà, s’il est informé, le juge doit adopter une position claire et ne pas tomber dans le piège de la participation au débat qui oppose, s’il s’agit d’un service d’AEMO privé, la direction du service et le conseil général.
Parce que le conseil général a l’obligation de financer toutes les mesures ordonnées par les juges des enfants et confiées à un service privé, il ne peut pas opposer de quota qui anéantirait ce principe de financement obligatoire et introduirait la possibilité pour un département de s’opposer à la mise en œuvre de mesures de protection judiciaire si, à tort ou à raison, il considère qu’elles sont prononcées en trop grand nombre. Le juge des enfants, avisé d’une prétendue surcharge d’un service, et qui ne peut pas confier la mesure à un autre service ou ne l’estime pas opportun (par exemple pour des raisons liées aux compétences propres de chacun des services), ne doit pas tenir compte de cet obstacle et doit continuer à ordonner toutes les mesures nécessaires et à les confier au service d’AEMO, même surchargé et qui prétend ne pas pouvoir les exercer. Il s’agira par la suite, en cas d’incident au sein de la famille, de rechercher les éventuelles responsabilités départementales s’il est démontré que le département a réellement refusé à un service éducatif les moyens d’exercer toutes les mesures ordonnées par les juges des enfants. Il appartiendra alors aux tribunaux, au civil et au pénal, d’apprécier les responsabilités de chacun au regard des fautes commises.
Au demeurant, depuis l’arrêt de la Cour de cassation d’octobre 2000 dont il a été fait état plus haut, un juge des enfants qui constate que les services privés qu’il désigne pour exercer les mesures d’action éducative en milieu ouvert qu’il ordonne sont surchargés et ne peuvent pas les mettre en œuvre dès réception de la décision, peut toujours en confier l’exercice directement au département. Le financeur défaillant pouvant voir sa responsabilité civile mise en cause en cas d’incident grave se produisant dans la famille objet de la mesure éducative non exercée et qui lui est confiée, une telle façon de procéder pourrait à l’avenir être un moyen efficace à disposition des juges des enfants pour éviter que certaines de leurs décisions ne restent trop longtemps dans les tiroirs.
En amont, avant d’en arriver à ce stade, il faut que le juge fasse connaître son refus de prendre parti dans le débat sur les quotas d’AEMO et sur l’appréciation d’une surcharge, et qu’il attire l’attention de tous les professionnels concernés sur les risques qu’ils encourent en cas d’incident grave dont un mineur serait victime du fait, entre autres origines, de l’absence de protection réelle.
Il faut exclure semble-t-il un autre choix, qui a parfois été fait : rendre des décisions de non-lieu motivées par l’impossibilité de trouver un service disponible. D’abord parce que dans le dossier particulier des familles concernées aucun document ne viendra confirmer ou infirmer ce que prétend le juge dans sa décision, sauf s’il reçoit chaque jour un courrier de l’ensemble des services d’AEMO du département décrivant leur activité au jour le jour et en verse une copie au dossier d’assistance éducative. De plus, une surcharge qui existe un jour peut disparaître le lendemain à cause de l’arrêt de quelques mesures arrivées à échéance. Dans ce cas le juge, après avoir convoqué une famille, va devoir la reconvoquer quelques jours plus tard si le service surchargé au moment de la première désignation fait savoir peu après qu’il ne l’est plus. Aucune famille ne peut comprendre et accepter cela. Enfin, prendre ce parti, c’est permettre aux responsables des services d’AEMO et des conseils généraux d’esquiver leur responsabilité et de faire perdurer une situation inacceptable.
Le juge doit être juge, statuer sur les dossiers qu’il traite, prendre toutes les décisions qu’il estime indispensables, et renvoyer tous les autres partenaires à leurs responsabilités propres.
En cas de difficulté persistante et de conflit aigu à cause de la multiplication de décisions non exercées, le juge des enfants ne doit pas hésiter à solliciter le président du tribunal de grande instance ou le conseiller délégué à la protection de l’enfance de la cour d’appel, qui ont chacun pour mission de veiller à ce que les mesures judiciaires soient exécutées, pour que ceux-ci à leur tour interviennent auprès des responsables départementaux.
CHAPITRE 9 : Le mineur confié à un tiers
DECIDER de confier un mineur à un tiers, hors de sa famille, est certainement la décision la plus grave que peut prendre un juge des enfants, avec celle de l’emprisonnement d’un adolescent. En simplifiant considérablement, on peut dire qu’il y a deux sortes d’éloignement (la question des conditions dans lesquelles une séparation est indiquée ne sera pas étudiée dans le présent chapitre).
Même si l’article 375-2 du Code civil indique que « chaque fois qu’il est possible, le mineur doit être maintenu dans son milieu actuel » (la Cour de cassation considère que le milieu actuel est le « milieu familial naturel de l’enfant »), l’accueil d’un mineur hors de sa famille est parfois considéré comme le dernier moyen qui reste à la disposition des professionnels lorsque toutes les autres interventions ont échoué. Il suit alors la plupart du temps une décision d’action éducative en milieu ouvert qui n’a pas eu les effets espérés sur la dynamique familiale.
Cet accueil extérieur doit aussi pouvoir être un moyen ponctuel parmi d’autres d’apaiser pendant un temps de lourdes tensions intrafamiliales. Ce n’est plus alors l’aboutissement de l’échec d’une AEMO mais un moyen technique comme les autres d’influencer l’évolution d’une famille. Dans certains cas, une séparation plus rapide permet d’éviter une séparation plus tardive mais surtout plus longue, parce que la dégradation a été trop importante et qu’il y a eu des incidents trop graves, mais les éducateurs d’AEMO ont parfois du mal à concevoir cette seconde hypothèse et disent eux-mêmes que, pour ne pas ressentir un sentiment d’échec, ils ont tendance à vouloir intervenir en AEMO aussi longtemps que possible sans passer le relais à d’autres professionnels .
Quoi qu’il en soit, plusieurs questions doivent être étudiées. Il faut préciser à qui les mineurs peuvent être confiés, et quel est le contenu d’une décision d’éloignement.
Les personnes ou services à qui les mineurs peuvent être confiés
Pour éloigner les mineurs du danger excessif subi dans leur famille et assurer efficacement leur protection, le juge des enfants peut les confier à des personnes ou des services dont la liste est énumérée à l’article 375-3 du Code civil, modifié par la loi de mars 2007 :
« Si la protection de l’enfant l’exige, le juge peut décider de le confier :
1. À l’autre parent ;
2. À un autre membre de la famille ou à un tiers digne de confiance ;
3. À un service départemental de l’Aide sociale à l’enfance ;
4. À un service ou à un établissement habilité pour l’accueil de mineurs à la journée ou suivant toute autre modalité de prise en charge ;
5. À un service ou à un établissement sanitaire ou d’éducation, ordinaire ou spécialisé ;
[…]. »
Notons par ailleurs qu’une loi du 30 décembre 1996 a inséré dans le chapitre du Code civil relatif à l’autorité parentale un nouvel article 371-5 ainsi rédigé :
« L’enfant ne doit pas être séparé de ses frères et sœurs, sauf si cela n’est pas possible ou si son intérêt commande une autre solution. S’il y a lieu le juge statue sur les relations personnelles entre les frères et sœurs. »
Initialement prévue pour ne s’appliquer qu’à l’assistance éducative, la portée du texte placé parmi les dispositions générales a été élargie à toutes les situations possibles de séparation.
Toutefois, son effet sera probablement très réduit dans le domaine de la protection de l’enfance puisque lorsque plusieurs mineurs d’une même fratrie sont confiés à des tiers, la possibilité de les faire accueillir ensemble au même endroit dépend essentiellement d’éléments purement objectifs tels leur âge, leur sexe ou le nombre de lits disponibles en un même lieu. Finalement, ce texte obligera seulement les professionnels à s’expliquer et à justifier toute séparation qui ne paraîtrait pas inéluctable .
Avant d’étudier chaque possibilité, il faut noter que la liste est limitative et donc que le juge ne peut choisir celui qui accueillera le mineur que parmi ceux énumérés à l’article 375-3. Il en aurait été autrement si la liste avait été précédée du mot « notamment ». Toutefois, cet article proposant un très vaste choix de solutions, il n’y a pas lieu de regretter l’aspect limitatif de la liste, toutes les solutions souhaitables concrètement y figurant.
Mais chacune est source de difficultés juridiques et pratiques. Il faut donc les aborder les unes après les autres car certaines erreurs de droit commises entraînent des conséquences parfois dommageables pour les mineurs.
Le père ou la mère
L’autre « parent » que mentionne en premier l’article 375-3 du Code civil, c’est le père ou la mère mais au sens juridique du terme, c’est-à-dire dont le lien juridique de filiation est légalement établi avec l’enfant concerné par la procédure d’assistance éducative.
Ce lien de filiation est toujours établi vis-à-vis de la mère (sauf accouchement anonyme mais cela ne génère aucun dossier de protection judiciaire). Et il l’est vis-à-vis d’un homme soit lorsque l’enfant est né d’un couple marié — c’est la présomption de paternité — soit lorsque l’enfant a été séparément reconnu par un homme qui n’est pas marié à la mère. Il importe peu s’agissant du lien de filiation paternel que l’homme avec qui il est créé soit ou non le véritable père biologique.
Il faut aussi avoir en tête qu’une fois le lien de filiation établi peu importe que la mère ou le père exerce l’autorité parentale. En assistance éducative, le juge des enfants peut par exemple confier l’enfant au père parce que chez la mère qui exerce seule l’autorité parentale cet enfant est en danger.
Par ailleurs, s’il apparaît opportun de confier un mineur qui est en danger chez sa mère à celui qui se présente et est reconnu par la mère comme le père biologique, l’enfant peut lui être confié mais il aura la qualité de tiers digne de confiance et non de « père » (art. 375-3 2°).
Rappelons enfin que seuls les père et mère envers qui le lien de filiation est établi « saisissent » le juge des enfants au sens de l’article 375 du Code civil (cf. chap. 1).
Il est donc important que le juge des enfants, en tout début de dossier, vérifie le lien de filiation juridique entre les mineurs et les adultes, en sollicitant systématiquement des services de l’état civil copie intégrale des actes de naissance de tous les mineurs concernés par les procédures, et des juridictions civiles copies des éventuelles décisions rendues relatives à l’exercice de l’autorité parentale. Si aucune mention de la situation juridique de la famille n’apparaît dans le rapport de signalement, s’il y manque les renseignements sur les dates et lieux de naissance et la situation conjugale, le juge doit recueillir les renseignements indispensables auprès des adultes convoqués dès leur première audition, pour avoir un dossier complet.
Ces précisions préalables étant données, il faut maintenant préciser le champ d’application de ce 1° de l’article 375-3 du Code civil. Puisque par hypothèse la famille est composée de deux parents qui ont tous deux reconnu leur enfant, et qui sont séparés au jour où le juge des enfants doit statuer, la principale difficulté est la répartition des compétences entre le juge du divorce et le juge des enfants. Ainsi que cela a déjà été détaillé au chapitre 5, auquel il est renvoyé pour de plus amples explications, c’est le juge du divorce qui a vocation première à choisir auprès de quel parent l’enfant va grandir.
Une fois la décision du juge aux affaires familiales rendue, si plus tard le parent qui n’élève pas l’enfant estime que celui-ci grandit dans de mauvaises conditions, dues, pour ce qui nous intéresse, à un environnement d’adultes dangereux, et veut pour l’avenir l’avoir auprès de lui, il peut à tout moment demander au juge aux affaires familiales que l’exercice de l’autorité parentale lui soit transféré, ou au moins que la résidence de l’enfant soit fixée à son domicile en cas d’autorité parentale conjointe. Ainsi, le passage d’un mineur du domicile de l’un de ses parents au domicile de l’autre sous couvert d’une décision du juge aux affaires familiales est le moyen juridiquement prévu en premier lieu pour assurer sa protection en cas de défaillance du premier parent. Les juges aux affaires familiales sont quotidiennement saisis de demandes en ce sens et ont toute compétence utile pour résoudre ces litiges. Ils ont notamment la possibilité d’ordonner une enquête sociale ou un examen psychologique avant de statuer, tout comme le juge des enfants. Il existe également une procédure de référé qui permet en cas de besoin d’obtenir du juge aux affaires familiales une décision dans des délais très brefs, ordinairement en quelques jours, et en cas de véritable urgence en quelques heures seulement. La nécessité d’aller vite ne peut donc pas justifier qu’il soit fait appel au juge des enfants plutôt qu’au juge aux affaires familiales.
En conséquence, si un juge des enfants est saisi par le parent qui n’élève pas l’enfant d’une demande de ce genre, il doit, soit par oral soit par écrit, lui expliquer qu’il n’a pas compétence juridique pour ordonner un transfert de l’autorité parentale et l’orienter vers le juge aux affaires familiales. Si le dossier commence par une requête du procureur de la République ou si le parent maintient sa demande malgré les explications du juge des enfants, ce qui est rare, alors celui-ci doit rendre une décision motivée dans laquelle les textes de compétence sont rappelés et dont le dispositif est un non-lieu à intervention pour incompétence juridique.
Le fait que le mineur concerné soit dans une situation qui apparaît dangereuse ne justifie pas à lui seul que l’on se tourne vers le juge des enfants. Comme cela a déjà été indiqué plus haut, l’exercice de l’autorité parentale consiste pour les parents à protéger la sécurité, la santé et la moralité de leur enfant ainsi qu’à assurer son éducation. Par ailleurs la loi précise que le juge aux affaires familiales doit veiller « spécialement à la sauvegarde des intérêts des enfants mineurs » (art. 373-2-6).
Cela signifie très nettement que si c’est une modification des modalités d’exercice de l’autorité parentale qui est susceptible de faire disparaître la situation dangereuse dans laquelle se trouve le mineur concerné, c’est bien au juge aux affaires familiales, seul compétent dans ce domaine, d’intervenir.
Mais on pourrait alors s’interroger sur l’existence et l’utilité pratique de ce 1° de l’article 375-3 du Code civil. Or ce texte n’est pas le fruit d’une erreur législative, il ne fait pas double emploi avec les textes sur l’après-divorce, et il reste pleinement utile, mais il faut bien délimiter son champ d’application, qui est de fait et de droit très réduit.
Ce n’est pas parce que le parent qui n’élève pas l’enfant constatera que celui-ci est dans une situation dangereuse auprès de son ancien conjoint qu’il fera systématiquement le projet de l’élever en permanence à son tour. Pour de multiples raisons, qui sont ou ne sont pas portées à la connaissance du juge (refus du second conjoint qui ne veut pas s’engager à long terme, logement trop petit, disponibilité insuffisante, etc.), le second parent peut ne pas souhaiter un transfert total d’exercice de l’autorité parentale ou de résidence mais accepter ou même proposer de servir provisoirement de relais et de s’occuper momentanément de son enfant en attendant que le premier parent soit de nouveau en mesure de l’élever.
Or les décisions des juridictions civiles du divorce, même si elles sont révisables à tout moment par le juge aux affaires familiales, ont plus vocation à assurer la stabilité du mineur sur un moyen ou long terme. Le juge aux affaires familiales peut en effet retenir le critère de la stabilité pour refuser de déplacer un enfant depuis longtemps chez l’un de ses parents, même si celui qui dorénavant en revendique la charge mène une vie parfaitement équilibrée et épanouissante pour un enfant. Les décisions du juge aux affaires familiales ne comportent jamais de durée de validité, à l’inverse de celles du juge des enfants. Une décision du juge des enfants n’est toujours qu’une parenthèse, plus ou moins longue, dans une situation juridique antérieure qui retrouvera son plein effet dès que le tribunal pour enfants n’interviendra plus. Elle a comme point de départ un danger et comme terme la disparition de ce danger.
Si donc la demande est uniquement d’un accueil de dépannage provisoire, en attendant que le danger disparaisse, sans aucune demande de modification à long terme des décisions antérieures du juge du divorce, on s’écartera de la compétence du juge aux affaires familiales pour se rapprocher de celle du juge des enfants. Au-delà, l’intervention du juge aux affaires familiales pourrait à son tour être source de réelles perturbations.
Enfin, pour que le juge des enfants soit pleinement compétent, il faut qu’une dernière condition soit satisfaite.
Deux parents peuvent parfaitement, entre eux, sans faire appel à aucun juge, organiser tranquillement et à l’amiable, pour quelques semaines ou quelques mois, un changement de lieu de vie de leur enfant. Dans ce cas celui qui exerce l’autorité parentale utilise ses prérogatives pour permettre à l’autre de prendre en charge l’enfant et quand la période provisoire est terminée il réutilise pleinement toutes ses attributions. Il est heureux que certains parents séparés arrivent à s’entendre sans conflit dans l’intérêt prioritaire de leur enfant.
Autrement dit, l’intervention du juge des enfants n’est juridiquement nécessaire que lorsque les deux parents ne sont pas en mesure de s’accorder soit sur l’accueil de l’enfant soit sur certains aspects de cet accueil, par exemple le rythme des visites ou des hébergements. Faute d’accord amiablement négocié, seule une décision de justice peut fixer la réglementation des droits de chacun.
En résumé, pour qu’un juge des enfants soit habilité à rendre une décision confiant un mineur à l’un des deux parents, en application de l’article 375-3 alinéa premier du Code civil, il faut :
- en application du critère général délimitant la compétence du juge des enfants selon les termes de l’article 375 du Code civil, que l’enfant soit en danger auprès de celui de ses deux parents qui l’élève, à condition que les éléments présentés pour démontrer l’existence d’un danger n’aient pas été portés à la connaissance du juge du divorce avant qu’il ne prenne sa décision, faute de quoi le recours au juge des enfants serait une voie de recours détournée contre la décision du juge aux affaires familiales et pourrait aboutir à l’existence de deux décisions opposées à partir des mêmes éléments de dossier. C’est ce que l’article 375-3 qualifie de nécessité d’un élément nouveau postérieur à la décision de divorce ;
- que le second parent ne veuille pas d’un accueil définitif de son enfant mais propose seulement un dépannage provisoire, sans transfert des prérogatives d’autorité parentale ;
- que les deux parents n’aient pas pu se mettre amiablement d’accord pour organiser entre eux ce déplacement provisoire de l’enfant.
Le non-respect de ces règles peut entraîner des décisions multiples, contradictoires, incompréhensibles pour les familles, et même parfois pour certains professionnels. Les familles ont assez de soucis pour que l’autorité judiciaire n’ajoute pas sa propre confusion.
En pratique, il est très rare d’utiliser cette première possibilité de l’article 375-3. Un parent qui n’élève pas son enfant ne sollicite pratiquement jamais un accueil uniquement provisoire. Ou il admet ne pas pouvoir accueillir l’enfant, ou en cas de défaillance probablement prolongée de son ancien conjoint il demande à l’élever en permanence.
Un membre de la famille
L’agencement des solutions exposées dans l’article 375-3 du Code civil est certainement révélateur de l’état d’esprit du législateur, en ce sens que sont citées en premier les solutions familiales. Ce n’est qu’ensuite qu’apparaît la possibilité pour le juge de confier le mineur en danger à « un autre membre de sa famille ».
On retrouve ici la notion de maintien dans le milieu actuel, ou de proximité, et une analogie avec l’article 373-3 du Code civil relatif aux enfants au moment du divorce et qui indique que, si le juge entend confier le mineur à un tiers, ce tiers doit être choisi « de préférence dans sa parenté ».
Le contenu pratique de cette deuxième proposition n’appelle pas de commentaire technique particulier, la notion de « membre de la famille » étant parfaitement claire, la famille étant définie à partir de l’acte de naissance de l’enfant. Mentionnons seulement que, si par exemple un père biologique, dont personne ne conteste la paternité réelle, n’a pas reconnu son enfant à l’état civil, ses propres parents ne peuvent pas revendiquer le qualificatif juridique de membre de la famille, de grands-parents, en l’absence de filiation paternelle. S’il est envisagé de leur confier l’enfant, ce sera alors en tant que tiers digne de confiance.
En revanche, quelques indications sur les précautions à prendre avant de recourir à cette possibilité sont à mentionner. Il peut sembler judicieux de privilégier un accueil familial plutôt que le départ d’un enfant vers d’autres adultes qu’il ne connaît pas. Il est logique d’imaginer que l’enfant sera plus à l’aise chez un oncle, un grand-parent, une sœur aînée, etc., avec qui il a déjà une relation affective ancienne et positive, et que la rupture avec ses propres parents sera moins douloureuse. Mais avant de décider de confier l’enfant à un membre de sa famille, le juge, avec l’appui des travailleurs sociaux qui rencontrent les intéressés, doit recueillir certaines informations essentielles.
Pour que la mesure se déroule sans incidents, il faut d’abord vérifier les conditions matérielles d’accueil proposées par le membre de la famille. Cela est aisé, il suffit qu’un éducateur se déplace au domicile. Le problème est rarement là.
Il faut ensuite que le mineur, dès qu’il est en âge de s’exprimer, accepte la proposition qui lui est faite.
Il faut également, et c’est surtout cela qui importe, que le membre de la famille qui propose ses services soit capable de rester suffisamment neutre tant envers les parents défaillants qu’envers le mineur, et que son intervention n’ajoute pas de nouvelles difficultés à celles qui existent déjà. Or précisément parce qu’il s’agit d’un membre de la famille, il y a entre lui, les parents défaillants et l’enfant, des relations et une histoire anciennes qui peuvent avoir été émaillées d’incidents. Par la suite, la proposition d’accueillir le mineur peut être chargée d’ambiguïtés, peut sous des apparences de service généreux dissimuler certains règlements de comptes, ou permettre aux adultes accueillants d’assurer une emprise sur les parents, ou sur l’enfant, ou raviver d’anciennes querelles que la famille élargie peut chercher à attiser.
C’est ce qui se produit trop souvent lorsque des grands-parents interviennent dans la problématique de leurs propres enfants. L’expérience montre rapidement que les cas dans lesquels il est possible de confier sereinement des enfants à leurs grands-parents sans que cela entraîne une succession d’accidents graves et fasse obstacle à l’élaboration d’un projet de retour des enfants chez leurs parents lorsque leur situation s’est suffisamment améliorée, sont extrêmement nombreux. Dans les cas de dysfonctionnements familiaux graves, parents et grands-parents se retrouvent personnellement fortement impliqués et les seconds sont rarement aptes à conserver la distance indispensable à une prise en charge équilibrée de leurs petits-enfants.
D’autre part, le fait même qu’un membre de la famille propose d’accueillir le mineur comporte en soi un risque de tensions car cet adulte, qui sera obligatoirement convoqué par le juge, va devoir donner son avis sur les parents défaillants ; il peut être conduit à énoncer des vérités, ou des mensonges, que ceux-ci supporteront parfois mal ou pas du tout. Par la suite, il devra donner son avis sur les modalités d’un droit de visite et d’hébergement à accorder aux parents. Ceux-ci réagiront peut-être durement si l’accueillant émet un avis négatif, quand ce ne sera pas, là encore, toute la famille qui s’en mêlera. Si des tensions fortes apparaissent, c’est le mineur qui en subira directement toutes les conséquences, tiraillé qu’il sera entre des proches entre qui il doit se retrouver et partager son affection.
De plus, les particuliers, non professionnels de l’éducation, ne savent souvent pas comment réagir face, par exemple, à quelqu’un qui présente une pathologie mentale, à un alcoolique, à un violent. Et parce que l’on ne retire pas un enfant de chez ses parents sans danger grave, souvent lié à d’importantes carences parentales, il y a relativement souvent des comportements inadaptés des parents. Devoir alors affronter d’autres adultes qui présentent des troubles du comportement peut être personnellement très éprouvant pour les membres de la famille qui accueillent l’enfant, et générer soit chez eux soit dans l’ensemble de leur famille des problèmes aigus qui n’auraient jamais vu le jour s’il n’y avait pas eu d’accueil du mineur. Il faut être très vigilant avant de laisser des particuliers porter un tel poids.
Certes, de telles difficultés peuvent apparaître quand le mineur est accueilli en foyer ou par l’Aide sociale à l’enfance, et il est vrai que les conflits entre parents et accueillants ne sont pas rares. Mais la différence fondamentale est qu’il s’agit alors de professionnels, formés et habitués à vivre de telles situations, beaucoup moins impliqués affectivement. Si l’enfant est reçu dans une famille d’accueil de l’Aide sociale à l’enfance, celle-ci reste en retrait et ce ne sont que les personnels du service qui viennent à l’audience et donnent des avis (voir plus loin).
Autrement dit, les accueillants membres de la famille doivent être capables de garder une certaine neutralité, être suffisamment forts pour gérer sainement les probables conflits avec les parents de l’enfant confié, et maintenir autant que possible celui-ci à l’écart des tensions. C’est en pratique une tâche peu aisée à mener et qui requiert des accueillants de grandes et rares qualités humaines.
C’est au cours de l’audience qui réunira tous les adultes concernés, le mineur et les travailleurs sociaux, que le juge se forge son opinion en observant et écoutant les uns et les autres. Si tous les intéressés sont d’accord, sans réserves, pour un accueil du mineur chez un membre de sa famille, et sont de plus en mesure de fixer amiablement les modalités incidentes de cet accueil (droit de visite et d’hébergement des parents, participation aux frais, orientation scolaire…), l’intervention du juge ne se justifie pas dans le cadre de l’article 375-3, même si se justifie éventuellement la prolongation d’une AEMO préexistante ou l’instauration d’une observation en milieu ouvert pour connaître l’évolution de la famille. Si les adultes ne semblent pas capables de s’entendre, le juge des enfants doit intervenir. Dans ce cas, selon les critères énoncés, il accepte ou refuse de confier le mineur au membre de la famille, après avoir abordé avec lui précisément la question de la gestion des conflits.
Le refus parental de l’accueil chez le membre de la famille qui se propose ou les probables conflits ultérieurs ne sont sans doute pas en soi une raison suffisante pour refuser systématiquement cette mesure familiale, notamment si le mineur insiste sur son bien-être chez ce membre de sa famille, ou s’il y est déjà depuis quelque temps lors de l’audience et demande avec vigueur à y rester. Mais le juge doit alors veiller à réglementer minutieusement tous les aspects de la situation afin d’ôter aux adultes des sujets de conflits.
Reste la question de l’évolution de la situation et du contrôle par le juge des enfants. À la différence de ce qui se produit quand le mineur est confié à un service éducatif, le membre de la famille accueillant l’enfant n’est bien sûr pas tenu de remettre au magistrat des rapports écrits. Pourtant, il faut bien que le juge sache si sa décision et les droits des uns et des autres sont respectés, comment se déroule la mesure, s’il est encore nécessaire de la maintenir dans l’avenir, que penser des propos des intéressés à l’audience de révision. Pour cette raison, il faudra souvent ordonner en plus, dans le même jugement, une mesure d’action éducative en milieu ouvert. Au-delà de sa mission d’aide et de conseil à la famille naturelle, le service d’AEMO aura alors également pour mission, en plus de son travail ordinaire de soutien à la famille pour permettre le retour de l’enfant chez ses parents, de veiller à ce que les relations parents/accueillants/mineur se déroulent avec le moins de tensions possibles, en pouvant notamment servir d’intermédiaire s’il est préférable que les adultes se rencontrent peu pendant un temps. Mais si les parents naturels restent en retrait, ne revendiquent rien, si l’enfant grandit bien chez le membre de sa famille qui s’en occupe de façon satisfaisante, la mesure d’action éducative en milieu ouvert est ou devient inutile et un suivi social de prévention devient suffisant. Toutefois ces situations sont de plus en plus rares.
Précisons que, lorsque le juge des enfants confie un mineur à un membre de sa famille, comme chaque fois qu’il le confie à une personne physique, il n’est pas tenu de donner à sa décision une durée de validité, la limite légale des deux années ne s’appliquant qu’aux mesures confiant des mineurs à un service ou une institution (art. 375 al. 3). Pourtant, sauf si la situation est telle que l’on peut dès la première décision penser qu’il n’y aura pas de retour auprès de la famille naturelle avant longtemps, il est préférable de fixer quand même une durée afin que de temps en temps, au moins au début, un bilan complet soit fait au tribunal pour enfants, faute de quoi tous les dérapages sont possibles sans que le magistrat soit avisé.
Si une mesure d’action éducative en milieu ouvert est également exercée, elle est soumise à la fixation d’une durée, ce qui impose une révision à échéance, même si la disposition confiant le mineur au membre de sa famille n’est pas, elle, assortie d’une durée spécifique.
En application de l’article L. 228-3 du Code de la famille et de l’aide sociale, « le département prend en charge financièrement au titre de l’Aide sociale à l’enfance [...] les dépenses d’entretien, d’éducation et de conduite de chaque mineur confié par l’autorité judiciaire en application des articles 375-3 [...] à des personnes physiques [...]. » Dès lors, au-delà de la contribution des parents (voir plus loin), les membres de la famille à qui un mineur est confié par le juge des enfants peuvent, sous condition de ressources fixées par chaque département, obtenir de cette collectivité territoriale un soutien financier s’ils n’ont pas les moyens matériels suffisants pour élever l’enfant.
Un tiers digne de confiance
Juridiquement, par élimination, est qualifié tiers digne de confiance toute personne physique, autre que parent ou membre de la famille du mineur, et hors service éducatif, à qui le juge confie un mineur. Il peut d’abord s’agir d’un adulte hors de la famille qui se propose d’accueillir un mineur. Il s’agira alors souvent d’un adulte qui entretenait déjà une relation suivie avec le mineur et ses parents, par exemple le nouveau conjoint ou concubin de l’un des parents. Sous les mêmes conditions que celles énoncées au paragraphe précédent, c’est une solution à étudier au cas par cas, et de fait très peu utilisée car très rarement demandée.
Si la définition du tiers digne de confiance apparaît simple, la lecture des décisions des juges des enfants montre que cette notion est parfois utilisée volontairement à la place de celle de « membre de la famille ». Pourquoi cette inversion ? Sûrement parce qu’il reste dans l’imaginaire que le département n’attribue d’aide financière que lorsque la personne est désignée par le juge comme « tiers digne de confiance ».
« Si je ne suis pas tiers digne de confiance, je n’aurai pas l’allocation tiers digne de confiance », entend-on parfois dans les cabinets des juges des enfants. À supposer que cela soit vrai, rien ne justifie pour le magistrat de transposer volontairement ces notions qui ne souffrent d’aucune ambiguïté.
Pour ce qui concerne les aides financières accordées par le Conseil Général aux familles accueillant un mineur sur décision de justice, il faut se reporter à l’article L. 228-3 du Code de l’action sociale et des familles qui indique :
« Le département prend en charge financièrement au titre de l’aide sociale à l’enfance, à l’exception des dépenses résultant de placements dans des établissements et services publics de la protection judiciaire de la jeunesse, les dépenses d’entretien, d’éducation et de conduite de chaque mineur :
1º Confié par l’autorité judiciaire en application des articles 375-3, 375-5 et 433 du Code civil à des personnes physiques, établissements ou services publics ou privés… »
Cet article ne fait nulle distinction entre tiers digne de confiance et membre de la famille. Il fait au contraire obligation au département de financer les frais des placements prononcés par le juge des enfants auprès de toutes les personnes physiques désignées comme accueillant par le magistrat.
Par ailleurs, le département peut réduire sa participation aux frais en tenant compte éventuellement de l’obligation alimentaire, sur le fondement de l’article L. 228-1 du CASF qui prévoit : « Le père, la mère et les ascendants d’un enfant pris en charge par le service de l’aide sociale à l’enfance restent tenus envers lui des obligations prévues aux articles 203 à 211 du Code civil… ». Mais cette obligation alimentaire ne concerne, outre les parents, que les ascendants (les grands-parents).
Prenons alors l’exemple d’un enfant confié à son oncle. Cet oncle qui n’est pas son ascendant n’est soumis à aucune obligation alimentaire vis-à-vis de son neveu ou nièce. L’oncle, « membre de la famille », est donc en droit d’obtenir une aide financière du département pour prendre en charge son neveu qui lui a été confié par décision judiciaire.
Par contre, si l’enfant est confié à son père ou à sa grand-mère, le département peut tout à fait tenir compte de l’obligation pesant sur eux sauf « la faculté pour le juge de les en décharger en tout ou partie » (article 375-8 du Code civil). Et dans ce cas, peu importe qu’ils aient été qualifiés de façon erronée de « tiers digne de confiance ».
Ceci est rappelé également par l’article L. 228-2 du CASF :
« Sans préjudice des décisions judiciaires prises sur le fondement… de l’article 375-8 du Code civil, une contribution peut être demandée à toute personne prise en charge par le service de l’aide sociale à l’enfance ou, si elle est mineure, à ses débiteurs d’aliments. Cette contribution est fixée par le président du conseil général dans les conditions prévues par le règlement départemental d’aide sociale dans la limite d’un plafond fixé par voie réglementaire. »
Contrairement à ce qui a été parfois (mais rarement) affirmé, le tiers digne de confiance peut être un couple dont la femme est assistante maternelle agréée de l’ASE, ou l’assistante maternelle à titre individuel. Le texte ne fixe aucune limite quant aux personnes physiques que le juge peut désigner pour accueillir un mineur. La notion de tiers ne vaut que par rapport aux parents, et non par rapport à l’ASE, contrairement à ce qui a parfois été avancé .
Mais comme cela sera analysé plus loin à propos de l’orientation en foyer des mineurs préalablement confiés à l’ASE, il ne sera opportun de confier un mineur à une assistante maternelle personnellement, sans le confier à l’ASE, que dans des cas rarissimes. Une telle décision ne se justifie que s’il est démontré que l’ASE envisage de faire partir l’enfant de cette famille qui l’a jusqu’à présent accueilli, et que cette nouvelle orientation est véritablement nuisible pour l’enfant, donc qu’il s’agit d’une décision aberrante.
Il faut certainement avoir en tête que ces hypothèses peuvent exister, et que c’est le cœur de la mission du juge que de trancher ce genre de litige très délicat. Mais sur le terrain, heureusement, les pratiques ayant considérablement évolué au cours des dernières décennies, les mineurs sont de moins en moins souvent déplacés sans raisons valables, même si certaines assistantes maternelles refusent parfois violemment le retrait d’un mineur et vont jusqu’à ameuter les médias pour conserver auprès d’elle un enfant auquel elles se sont peut-être trop attachées au point de perdre une partie de leur objectivité.
Un service ou un établissement sanitaire ou d’éducation, ordinaire ou spécialisé
C’est l’intitulé du 5° de l’article 375-3 du Code civil. En pratique, le juge des enfants peut confier le mineur à plusieurs structures différentes, selon les besoins.
Un établissement médical
A priori, le juge des enfants peut confier un mineur à un établissement médical, de quelque nature que ce soit : hôpital général ou psychiatrique, centre spécialisé de rééducation, établissement de cure, etc. Cette possibilité peut être utilisée lorsqu’il est indispensable que soit effectué un bilan de la santé d’un mineur, par exemple s’il y a suspicion de maladie non soignée, et que les parents s’opposent à son hospitalisation et donc à l’examen. Elle peut l’être également si les parents, sans autre carence majeure, refusent un soin indispensable à la santé de leur enfant. S’il n’est pas utile, en dehors d’une période d’hospitalisation limitée, que l’enfant soit confié à des tiers hors de sa famille, il suffira de le confier le temps nécessaire au service de soins.
Dans ce type de cas, le juge des enfants peut également choisir de confier le mineur à l’Aide sociale à l’enfance, en précisant dans sa décision que la capacité de décider d’une intervention médicale est transférée au responsable de l’ASE. C’est alors ce service qui décide et organise l’admission dans l’établissement de soins (cf. chap. 11). Cela a l’avantage de permettre une réorientation sans nouvelle décision, par exemple si pour des raisons techniques il faut changer le mineur de centre de soins avant son retour chez ses parents.
Si la durée du séjour est connue à l’avance du médecin, le juge rend une décision de date à date, et donc une seule sera nécessaire. Par contre, si la durée est inconnue, le juge rend une première décision qui contient une durée arbitraire, suffisamment longue, et ensuite une décision de mainlevée lorsque l’enfant peut rentrer chez ses parents.
En pratique, il est plus que rare d’avoir à confier un mineur à un centre de soins. Peu nombreux sont les parents qui refusent des soins indispensables sans autre carence justifiant l’éloignement de leur enfant, et si tel est le cas une mesure d’action éducative en milieu ouvert avec obligation particulière d’assurer les soins suffit presque toujours pour impressionner les parents et les inciter à accomplir la démarche indispensable. Ou à l’inverse la carence de soins s’inscrit dans un ensemble de carences qui justifie que le mineur soit confié à un service éducatif, bien au-delà de la durée de ce soin particulier.
La question qui se posait parfois est celle de l’admission dans des établissements de soins psychiatriques. Le juge des enfants n’a jamais la compétence médicale pour apprécier la nécessité d’une hospitalisation en milieu spécialisé, même si juridiquement il peut imposer une telle admission. Il dispose donc, sauf recours à l’expertise, et encore à supposer que les conclusions soient admises par les médecins hospitaliers, de peu de moyens d’arbitrer un éventuel désaccord médecins/éducateurs.
Aujourd’hui la façon de procéder est mentionnée à l’article 375-9 ainsi rédigé :
« La décision confiant le mineur, sur le fondement du 5° de l’article 375-3, à un établissement recevant des personnes hospitalisées en raison de troubles mentaux, est ordonnée après avis médical circonstancié d’un médecin extérieur à l’établissement, pour une durée ne pouvant excéder quinze jours.
La mesure peut être renouvelée, après avis médical conforme d’un psychiatre de l’établissement d’accueil, pour une durée d’un mois renouvelable. »
En présence d’une demande d’orientation d’un mineur dans un établissement hospitalier présentée par des professionnels, le juge doit donc obligatoirement demander un avis médical.
Il faut noter que ce texte ne prévoit pas, préalablement à la décision du juge des enfants, un avis conforme du médecin sollicité. Il est simplement fait état d’un « avis médical circonstancié ». Et on relève également qu’il ne s’agit pas d’un médecin appartenant à l’hôpital vers lequel l’orientation du mineur est éventuellement suggérée, mais d’un médecin « extérieur ».
De toute façon, on imagine difficilement un juge des enfants orientant un mineur vers un hôpital psychiatrique après qu’un médecin a écrit dans son certificat que cela n’est pas approprié.
Par contre, un avis cette fois-ci conforme d’un psychiatre de l’établissement qui reçoit le mineur est impératif avant toute décision de prolongation de son séjour par le juge des enfants. C’est logiquement le médecin traitant qui doit dire à quel moment la période de soins peut prendre fin.
Si le texte ne prévoit pas de durée maximale du séjour, il impose des décisions successives ayant chacune une durée de validité maximale d’un mois. Ce texte est le bienvenu. En introduisant obligatoirement un tiers spécialiste de la maladie mentale dans le débat opposant parfois des professionnels spécialistes de l’éducation ou du judiciaire, il peut être de nature à faire cesser des polémiques inutiles qui parasitent l’ensemble des interventions.
Malgré tout, la question de la limite du travail éducatif en présence de mineurs ayant un comportement déstructuré continue à se poser réellement. Mais la réponse, complexe, est sans doute à rechercher autant dans une adaptation du contenu des mesures éducatives à la problématique de certains mineurs, que dans un transfert de leur prise en charge vers d’autres. Sur le terrain les difficultés autour de l’hospitalisation des mineurs en psychiatrie sont nombreuses.
Il n’est pas rare que le juge des enfants soit sollicité par les services éducatifs pour trouver une solution médicale au mineur dont le comportement est jugé ingérable par eux.
L’article 375-9 du Code civil est strict et ne permet pas, fort heureusement, au magistrat d’ordonner l’hospitalisation en secteur psychiatrique sans avis médical.
En pratique, il s’avère que les médecins eux-mêmes n’ont pas forcément une connaissance très approfondie des textes et n’hésitent pas à solliciter la Justice lorsqu’ils estiment l’hospitalisation indispensable. Certains pensent que les parents ne peuvent faire admettre leur enfant dans leur service et qu’une hospitalisation d’office, à la demande du préfet ou du juge des enfants (pour les mineurs), est la seule possible. D’autres continuent à certifier que l’hospitalisation d’office n’est pas applicable aux mineurs.
Voici un exemple où des médecins obtiendront du procureur de la République, en urgence, une hospitalisation à partir du signalement suivant émanant de l’hôpital :
« Nous tenons à vous alerter sur la situation préoccupante de X, actuellement hospitalisé aux urgences de l’hôpital. X a été adressé aux urgences hier soir par un médecin généraliste pour des conduites suicidaires (il a tenté de se jeter d’une voiture). Ce geste survient alors que X est en fugue de chez ses parents depuis 4 jours. Une observation en milieu hospitalier paraît justifiée mais dépasse les capacités de notre service de pédiatrie. Une hospitalisation [en secteur psychiatrique] a été évoquée avec la maman. Le caractère dangereux des conduites de X pour lui et pour son entourage justifie une intervention urgente. Nous vous remercions de ce que vous pourrez proposer à X et à sa famille. »
En l’absence du juge des enfants, le procureur de la République, sans autre renseignement, décide alors de confier le mineur en secteur psychiatrique pour adolescents :
« Qu’en effet, l’adolescent a été admis le… à l’hôpital à la suite de conduites suicidaires ; que les troubles décrits dans le certificat médical du Dr X en date de ce jour, nécessitent la prolongation de l’observation entreprise en milieu hospitalier dans un service adapté ; Attendu qu’il y a donc urgence à prendre dans son intérêt une mesure de protection à son égard. »
Le juge des enfants convoque la famille dans le délai légal de 15 jours à compter de sa saisine. Entre-temps (soit une semaine après l’ordonnance de placement provisoire du Parquet), il reçoit un courrier du médecin demandant la mainlevée de l’hospitalisation :
« Il a bien supporté le sevrage des différents toxiques qu’il pouvait consommer. Il a demandé et supporte fort bien une aide médicamenteuse qui contribue à l’apaiser. Les très nombreuses propositions de travail psychiques qui lui sont faites quotidiennement reçoivent de sa part un accueil variable. Il ne semble pas pour le moment prêt à aborder ce type de travail. Il ne présente pas de difficultés psychiques justifiant une poursuite de l’hospitalisation. Nous vous demandons la possibilité d’anticiper la mainlevée de l’OPP. »
Cet exemple appelle les remarques suivantes. Il faut redire que l’hospitalisation d’un mineur en secteur psychiatrique n’est pas, bien évidemment, du seul ressort du juge des enfants.
Le Code de la santé publique définit trois types d’hospitalisation :
- L’hospitalisation volontaire : article L. 3211-1 du Code de la santé publique : une personne ne peut sans son consentement ou, le cas échéant, sans celui de son représentant légal, être hospitalisée ou maintenue en hospitalisation dans un établissement accueillant des malades atteintes de troubles mentaux.
- L’hospitalisation est dite libre. La demande peut être formulée par le malade lui-même ou par son entourage du malade (médecin, famille). Dans tous les cas, son consentement doit être entier.
Lorsque le malade est incapable juridiquement, c’est-à-dire est sous la responsabilité d’un représentant légal (ex. : majeur sous tutelle), le consentement doit provenir de cette dernière personne.
- L’hospitalisation à la demande d’un tiers : lorsque les troubles mentaux présentés par la personne ne permettent pas de recueillir son consentement, son hospitalisation en secteur psychiatrique n’est possible qu’à deux conditions :
→ son état impose des soins immédiats assortis d’une surveillance constante en milieu hospitalier ;
→ la demande d’admission est présentée par un membre de la famille du malade ou une personne susceptible d’agir dans l’intérêt de celui-ci, à l’exclusion des personnels soignants dès lors qu’ils exercent dans l’établissement d’accueil (art. L. 3212-1 du Code de la santé publique).
Dans cette hypothèse, deux certificats médicaux datant de moins de quinze jours sont en principe exigés :
- l’un établi par un médecin exerçant hors de l’établissement et qui préconise l’hospitalisation du malade sans son consentement ;
- l’autre établi par un second médecin (qui peut exercer au sein de l’établissement) venant confirmer cette orientation.
Exceptionnellement, et en cas de péril imminent pour la santé du malade constaté par le médecin, le directeur de l’établissement peut prononcer l’admission au vu d’un seul certificat médical émanant éventuellement d’un médecin exerçant dans l’établissement d’accueil (art. L. 3212-3).
- L’hospitalisation d’office : au vu d’un certificat médical circonstancié, le préfet peut décider de l’hospitalisation d’office d’un malade dont les troubles mentaux nécessitent des soins et compromettent la sûreté des personnes ou portent atteinte, de façon grave, à l’ordre public (art. L. 3213-1).
Le maire, en cas de danger imminent pour la sûreté des personnes, attesté par un avis médical ou, à défaut, par la notoriété publique peut également prendre toutes les mesures provisoires nécessaires à charge d’en avertir le préfet dans les 24 heures.
Ces hospitalisations sont-elles toutes applicables aux mineurs ? Il faut pour cela se reporter à l’article L. 3211-10 qui dispose :
« Hormis les cas prévus au chapitre III du présent titre [qui évoquent l’hospitalisation d’office], l’hospitalisation ou la sortie d’un mineur sont demandées, selon les situations, par les personnes titulaires de l’exercice de l’autorité parentale, par le conseil de famille ou, en l’absence du conseil de famille, par le tuteur avec l’autorisation du juge des tutelles qui se prononce sans délai. En cas de désaccord entre les titulaires de l’exercice de l’autorité parentale, le juge aux affaires familiales statue. »
Les représentants légaux du mineur peuvent donc le faire hospitaliser, qu’il soit d’accord ou non. Nous sommes alors dans l’hospitalisation libre.
De même, l’hospitalisation d’office (évoquée expressément par cet article) est applicable aux mineurs, contrairement à ce que certains professionnels de la santé continuent à croire. La Cour de cassation a eu l’occasion de le confirmer (Civ. 29 mai 1996 : indépendamment de la procédure d’hospitalisation d’office, le juge des enfants tient de l’article 375-3 du Code civil le pouvoir de confier un enfant à un établissement de soins spécialisés).
Par contre, l’hospitalisation d’un mineur à la demande d’un tiers (ex : un membre de la famille) n’est pas évoquée par l’article L. 3211-10 du Code de la santé publique. Elle n’est donc pas possible.
Les cas d’intervention du juge des enfants sont exceptionnels. En effet, si les parents sont en désaccord, le différend doit être tranché par le juge aux affaires familiales. Si les parents refusent l’hospitalisation, pourtant indispensable au vu de l’état de santé du mineur, le juge des enfants peut être saisi pour venir imposer cette admission.
Or dans l’exemple cité plus haut, rien ne permettait d’affirmer, à la lecture du signalement de l’hôpital, que les parents ne voulaient pas faire hospitaliser leur enfant.
Voici un exemple d’hospitalisation prononcée par un juge des enfants qui constate le caractère indispensable de l’admission, l’impossibilité pour la mère d’accomplir cette démarche et un refus du père à admettre la pathologie de son fils :
X. est poursuivi pénalement pour avoir le 21 février 2007 violenté sa mère.
Le service éducatif mentionne que Mme F. est allée le 2 mars 2007 déposer plainte pour coups et blessures.
Le 15 mars dernier, Mme F. a fait savoir qu’une nouvelle altercation physique l’a opposée à son fils, ce dernier lui aurait passé le bras autour du cou et l’aurait serrée à deux reprises.
Mme F. indique qu’elle est à bout, qu’elle ne peut plus faire preuve d’autorité et qu’elle craint d’accompagner son fils au tribunal ou devant l’expert psychiatre par peur de représailles de X.
Parallèlement, le docteur H., par signalement auprès du procureur de la République de X en date du 16 mars, a fait savoir que X. présente des troubles anxieux massifs anciens et des troubles du comportement se manifestant par des conduites auto et hétéro agressives croissantes qui le placent, ainsi que sa famille, dans une situation de danger majeur. La cohabitation entre X. et sa mère est devenue extrêmement difficile. + Ce médecin psychiatre constate que l’administration d’un traitement antipsychotique depuis plusieurs mois n’a pas permis d’améliorer la situation critique de X. est très souffrant et sa mère ne peut plus faire face à un climat de violence et d’angoisse très intense. Il préconise que le mineur soit accueilli dans un cadre soignant et suffisamment contenant.
Dans une note postérieure du 20 mars 2007 adressée au juge des enfants, le docteur H. rappelle que la situation en famille est difficile avec des violences sérieuses. Il mentionne que le jeune est réticent à tout projet d’hospitalisation et préconise une hospitalisation pour une situation de crise aiguë compte tenu des projets du mineur.
Le service éducatif a transmis le 26 mars dernier un certificat médical du docteur A, en date du même jour et remis à la mère, attestant que les troubles présentés par X rendent impossible son consentement à l’hospitalisation et que son état impose des soins immédiats assortis d’une surveillance constante en milieu hospitalier. Il préconise alors une hospitalisation dans un établissement habilité à soigner les personnes atteintes de troubles mentaux.
De l’ensemble de ces renseignements, il apparaît que l’état de santé du mineur se dégrade, que sa prise en charge ne peut être assurée par un établissement éducatif (étant rappelé que le mineur a été exclu de l’ITEP pour des actes de violence à l’encontre des éducateurs) et que ses passages à l’acte agressifs et violents contre sa mère se multiplient.
Une expertise psychiatrique, déjà ordonnée, sera exercée dans les jours prochains.
L’urgence de la situation requiert une décision immédiate et ne permet pas d’attendre l’organisation d’une audience dans le délai légal de huit jours prévu par l’article 1188 du nouveau Code de procédure civile.
En effet, la nécessité d’hospitaliser l’enfant apparaît urgente et ne peut être différée à la survenance d’une crise aiguë qui pourrait se diriger contre le mineur lui-même, contre sa mère ou des tiers.
Mme F., craignant les réactions de son fils, est actuellement dans l’impossibilité d’accepter elle-même cette admission en urgence dans un établissement de soins.
Quant à M B., le jugement du 23 février 2007 lui fait interdiction de rencontrer son fils en raison de son influence néfaste à son égard.
La santé de l’enfant étant en danger au sens de l’article 375 du Code civil et les parents n’étant pas en mesure de consentir à une mesure d’hospitalisation ou de l’accepter, il convient de confier, conformément à l’article 375-9 du Code civil, X. [au service de psychiatrie pour adolescent] pour une durée de quinze jours.
Un établissement scolaire ordinaire
Les décisions judiciaires confiant un mineur à un établissement d’éducation ordinaire sont tout rarissimes. De tels établissements (école, collège, lycée technique) n’ont pas vocation à assurer en totalité et en permanence la prise en charge de mineurs en difficulté. Ils n’ont ni la compétence ni le personnel pour cela, et ne fonctionnent pour la plupart qu’en semaine. Si l’intervention judiciaire a pour objectif, entre autres, de mettre fin à l’absentéisme scolaire d’un mineur, le juge des enfants aura plus naturellement recours à une action éducative en milieu ouvert avec obligation de fréquenter l’école. Et si la famille est carencée de telle façon que le mineur ne peut pas y rester, le mineur devra être accueilli non seulement dans la journée mais le soir et en fin de semaines dans un milieu de totale substitution. Il faudra alors inéluctablement avoir recours à un foyer éducatif ou à une famille d’accueil .
Un établissement éducatif spécialisé
Il existe en France de très nombreux établissements spécialisés qui accueillent exclusivement et tout au long de l’année les mineurs qui ne peuvent plus demeurer au domicile familial et font l’objet d’une mesure administrative (qui suppose l’accord des parents) ou judiciaire de protection de l’enfance. Dans le langage courant et par commodité, on parle de « foyers ».
Certains de ces établissements accueillent également les mineurs qui font l’objet d’une mesure éducative mais dans le cadre d’une procédure pénale.
Ils sont pour la plupart gérés par des associations privées, nationales ou départementales ; d’autres, plus rares, sont gérés par des collectivités publiques, conseils généraux ou municipalités, ou par l’Éducation nationale , mais il existe aussi des établissements gérés par le ministère de la Justice.
Notons que même si un décret du 16 novembre 2007 rappelle les compétences de la PJJ en matière civile et non seulement en matière pénale, la volonté du ministère de la justice est de réorienter la PJJ vers des missions essentiellement pénales et de laisser les départements prendre en charge l’assistance éducative.
Le fonctionnement de ces établissements obéit à des règles très précises : de création ou d’habilitation. Les établissements qui prennent en charge habituellement des mineurs (confiés par l’Aide sociale à l’enfance ou directement par le juge des enfants) doivent solliciter une autorisation selon la procédure prévue aux articles R. 313-2 et suivants du CASF.
Celle-ci est délivrée (art. L. 313-3 du CASF) :
- soit par le président du conseil général. Elle est alors valable pour quinze ans ;
- soit par le préfet si les prestations dispensées sont susceptibles d’être financées par l’État (ex. : accueil de mineurs au titre de l’ordonnance du 2 février 1945) ;
- soit conjointement par le président du conseil général et le préfet lorsque les prestations dispensées sont susceptibles d’être prises en charge pour partie par l’État et pour partie par le département (ex : accueil de mineurs dans le cadre d’un accueil provisoire et sur le fondement de l’ordonnance du 2 février 1945).
L’autorité compétente dépend donc du projet de service, c’est-à-dire du public que se propose de prendre en charge l’établissement.
L’autorisation peut être assortie de conditions particulières. Elle peut être reconduite par tacite reconduction.
Elle vaut habilitation, sauf mention contraire, « à recevoir des bénéficiaires de l’aide sociale et, lorsque l’autorisation est accordée par le représentant de l’État, seul ou conjointement, autorisation de dispenser des prestations prises en charge par l’État ou les organismes de sécurité sociale » (article L. 313-6 CASF).
Toutefois, pour accueillir habituellement des mineurs confiés par le juge des enfants au titre de l’assistance éducative, l’établissement ou le service doit par ailleurs solliciter, dans les formes prévues par le décret du 6 octobre 1988, son habilitation auprès du préfet. Cette habilitation est couramment dénommée « habilitation Justice ».
L’habilitation est accordée pour cinq ans après avis obligatoire du juge des enfants et du procureur de la République. Elle précise « les conditions de l’habilitation, et notamment l’âge, le sexe et les catégories juridiques des jeunes reçus ainsi que les conditions d’éducation et de séjour » (art. 5 du décret).
Elle peut être retirée par arrêté du préfet « à tout moment… lorsque sont constatés des faits de nature à compromettre la mise en œuvre des mesures éducatives ou à porter atteintes aux intérêts des mineurs confiés » (art. 12 du décret).
Les « lieux de vie »
À côté des structures éducatives classiques, foyers et familles d’accueil de l’Aide sociale à l’enfance, on a vu apparaître, au cours des dernières décennies, ce que l’on a souvent appelé des « lieux de vie », pour les distinguer des autres structures dites traditionnelles. Des adultes, souvent des couples, se sont proposés pour accueillir des mineurs et se sont fait connaître auprès des services sociaux et des tribunaux pour enfants. Leur argument essentiel pour obtenir la considération des autorités était leur proposition d’accueillir des mineurs particulièrement perturbés, ceux que les autres structures étaient réticentes à prendre en charge à cause de troubles du comportement considérés à tort où à raison comme trop importants ou contredisant la vie en collectivité.
L’idée et les propositions ont semblé attrayantes car il y avait manifestement une insuffisance à combler. Il n’y a donc pas eu de rejet immédiat et global. Mais peu à peu les autorités ont découvert que sous une même appellation se cachaient des réalités très diverses. En effet, n’importe quel adulte peut prétendre être compétent pour s’occuper d’un mineur. Et si certains de ceux qui ont bâti des projets étaient issus du monde éducatif, étaient diplômés, et avaient une expérience professionnelle antérieure, d’autres venaient d’horizons n’ayant rien à voir avec les familles en difficultés et les mineurs perturbés et cherchaient sans doute plus à résoudre leurs propres problèmes que ceux des autres, ou recherchaient prioritairement une source de revenus. Il s’en est suivi des échecs cuisants et des affaires pénales qui, en leur temps, ont défrayé la chronique, certains abus ayant été commis sur des mineurs. Progressivement, les plus incompétents ont été écartés ou ont d’eux-mêmes abandonné.
De même, les textes sont venus encadrer l’organisation et le fonctionnement de ce qui a été dénommé les « lieux de vie et d’accueil ».
Un décret du 23 décembre 2004 est donc venu préciser les contours, les missions et les règles de fonctionnement de ces structures en les obligeant à s’y conformer dans un délai de 2 ans.
Le lieu de vie se définit désormais de la façon suivante (art. D. 316-1 du CASF) : il « vise, par un accompagnement continu et quotidien, à favoriser l’insertion sociale des personnes accueillies. Il constitue le milieu de vie habituel et commun des personnes accueillies et des permanents (personnes responsables de la structure) dont l’un ou moins réside sur le site où il est implanté. À l’égard des mineurs qui lui sont confiés, le lieu de vie et d’accueil exerce également une mission d’éducation, de protection et de surveillance ».
La capacité d’accueil est fixée au minimum à trois personnes, au maximum à sept (dix par dérogation). Les lieux de vie et d’accueil peuvent notamment accueillir :
- des mineurs pris en charge par l’Aide sociale à l’enfance ;
- des mineurs placés directement par l’autorité judiciaire en application du 3° de l’article 375-3 du Code civil ;
- des mineurs présentant des troubles psychiques ;
- des mineurs handicapés ou présentant des difficultés d’adaptation.
Pour exister, un lieu de vie doit, comme tout établissement, se soumettre à la procédure d’autorisation décrite plus haut (article L. 312-1 III du CASF) et est soumis à des exigences équivalentes (remise d’un livret d’accueil, association des personnes au fonctionnement de la structure notamment par la création d’un conseil de la vie sociale, élaboration d’un règlement de fonctionnement et d’un projet de service).
L’autorisation délivrée précise le public accueilli qui doit pouvoir cohabiter sans danger (art. D. 316-2 du CASF).
L’Aide sociale à l’enfance
Au sein de chaque département français existe un service de l’Aide sociale à l’enfance, en application du titre II du Code de l’action sociale et des familles.
L’article L. 221-1 précise que le service de l’aide sociale à l’enfance est chargé, notamment, « d’apporter un soutien matériel, éducatif et psychologique tant aux mineurs et à leur famille ou à tout détenteur de l’autorité parentale, confrontés à des difficultés risquant de mettre en danger la santé, la sécurité, la moralité de ces mineurs ou de compromettre gravement leur éducation ou leur développement physique, affectif, intellectuel et social, qu’aux mineurs émancipés et majeurs de moins de vingt et un ans confrontés à des difficultés familiales, sociales et éducatives susceptibles de compromettre gravement leur équilibre », ainsi que de « mener en urgence des actions de protection en faveur des mineurs mentionnés » à la phrase précédente.
L’article L. 222-5 ajoute que « sont pris en charge par le service de l’Aide sociale à l’enfance sur décision du président du conseil général » :
« 1. Les mineurs qui ne peuvent demeurer provisoirement dans leur milieu de vie habituel et dont la situation requiert un accueil à temps complet ou partiel, modulable selon leurs besoins, en particulier de stabilité affective, ainsi que les mineurs rencontrant des difficultés particulières nécessitant un accueil spécialisé, familial ou dans un établissement ou dans un service tel que prévu au 12° du I de l’article L. 312-1 ;
2. [...]
3. Les mineurs confiés au service en application du 3° de l’article 375-3 du Code civil, des articles 375-5 […] du 4° de l’article 10 et du 4° de l’article 15 de l’ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante. »
Le 1° concerne donc les mineurs confiés par leurs parents eux-mêmes, dans le cadre de ce qui est qualifié d’« accueil provisoire », et le 3° les mineurs confiés par les juges des enfants. La mention de deux articles, 375-3 et 375-5, n’est due qu’à une question de procédure, selon que la décision est prise dans le cadre de la procédure ordinaire de jugement ou selon la procédure exceptionnelle, notamment en cas d’urgence. Sous certaines conditions restrictives que nous aborderons dans le chapitre qui leur sera consacré, l’ASE peut accueillir des mineurs « délinquants » confiés dans le cadre d’une décision pénale. Nous laisserons donc pour l’instant ce point de côté.
Il est écrit dans l’article 375-3 du Code civil « à un » service de l’Aide sociale à l’enfance. Cela permet au juge des enfants de confier les mineurs à un autre service de l’Aide sociale à l’enfance que celui du département dans lequel se trouve le tribunal pour enfants et au moins l’un des deux parents, si un des mineurs retirés ou toute la fratrie se trouve dans un autre département.
Toutefois il est peu souvent opportun de pratiquer ainsi. Car si le service de l’ASE du département dans lequel les mineurs sont accueillis est mieux placé pour les suivre au jour le jour et connaître leur évolution pour faire rapport au juge des enfants, il est également indispensable que des professionnels interviennent auprès des parents, tant pour les soutenir et essayer de favoriser un rapprochement avec leurs enfants en cherchant à écarter progressivement les sources du danger, que pour suivre leur évolution, toujours dans l’optique d’informer le juge lors de l’audience de révision.
Dès lors, en confiant les mineurs concernés au service de l’Aide sociale à l’enfance du département où vivent les parents, cela permet d’avoir l’intervention de deux services de l’ASE, et non plus d’un seul. Il y a conjointement le service du domicile des parents, à qui les mineurs sont juridiquement confiés, et le service de l’ASE du lieu de résidence des mineurs, qui exerce ce qui est appelé un suivi administratif. À l’échéance le juge des enfants dispose alors des rapports de chacun de ces deux services, ce qui lui donne une vision complète de la situation familiale.
Le service de l’Aide sociale à l’enfance, pour accueillir les mineurs qui lui sont confiés par les parents ou par le juge des enfants, dispose d’abord d’un réseau d’assistantes maternelles. Celles-ci, employées du département, sont maintenant recrutées après un examen minutieux de leur candidature, des rencontres avec des professionnels, des entretiens psychologiques, et de nombreuses demandes sont rejetées. Auparavant leur sélection était beaucoup moins rigoureuse et cela a occasionné de multiples incidents, parfois graves. Leur statut a fait l’objet de dispositions légales précises (art. L. 421-1 et sqq. du CASF).
Le travail d’une assistante maternelle de l’ASE est beaucoup plus difficile que celui d’une assistante maternelle ordinaire, employée par des parents pour garder leur enfant à la journée, pendant leurs heures de travail. Sous la même dénomination, il s’agit de deux missions différentes.
Les assistantes maternelles de l’ASE doivent accueillir des enfants nuit et jour, dont certains arrivent avec des troubles du comportement ou ont vécu des événements familiaux perturbants. Elles doivent essayer de créer une relation sereine avec des parents souvent accablés par leurs difficultés personnelles, pouvant présenter eux aussi des troubles du comportement, parfois jaloux, critiques ou agressifs, quand ce n’est pas violents. Elles doivent également coopérer avec le personnel éducatif de l’Aide sociale à l’enfance, qui les soutient mais aussi contrôle leur travail. Elles doivent impérativement accepter l’idée que l’enfant qui leur est confié, arrivé parfois très jeune, dont elles vont s’occuper pendant des mois ou des années et auquel, heureusement, elles vont s’attacher, va probablement repartir un jour chez ses parents, peut-être pour ne plus jamais ensuite revenir chez elles, même pour une simple visite. Pour une assistante maternelle, il est parfois douloureux de favoriser le rapprochement parents/enfant en sachant que cela va conduire au départ de l’enfant et entraîner, peut-être pour toute la famille (on oublie trop souvent que l’assistante maternelle n’est pas seule chez elle et a mari et enfants), un réel déchirement à la mesure de l’affection donnée à l’enfant accueilli. N’ayant pas suffisamment assimilé le sens de la mesure judiciaire de protection de l’enfance, qui est de protéger les mineurs tout en utilisant tous les moyens possibles pour reconstituer une famille naturelle épanouissante pour l’enfant afin qu’il y retourne dès que possible, certaines assistantes maternelles, qui n’acceptent pas que l’enfant confié rentre définitivement chez lui, consciemment ou inconsciemment, parasitent le travail des professionnels de l’Aide sociale à l’enfance et sont à l’origine de dommages supplémentaires pour l’enfant et toute sa famille.
Mais de plus en plus, grâce à une sélection beaucoup plus sévère qu’avant et qui doit rester ainsi, grâce à un meilleur soutien et contrôle de l’Aide sociale à l’enfance sur ses employées, grâce aux révisions régulières par le juge des enfants qui permettent de traiter certains problèmes avant qu’ils ne dégénèrent, le nombre des incidents graves s’est considérablement réduit. On rencontre sur le terrain d’innombrables assistantes maternelles qui font preuve d’une très grande compétence professionnelle, de qualités de cœur exceptionnelles et admirables, et qui sont et resteront des références affectives et éducatives essentielles pour les enfants qu’elles ont un temps élevés. Dans le dispositif de protection de l’enfance, elles ont un rôle fondamental et il serait impossible d’agir sans elles.
Si dans un département il existe en plus de l’Aide sociale à l’enfance un service privé qui emploie des assistantes maternelles, le juge des enfants dispose d’un choix s’il envisage l’accueil d’un mineur en famille de substitution. Il reste alors à mettre en lumière les compétences et particularités de chaque service pour les utiliser au mieux.
Le juge des enfants se trouve face à un choix plus délicat s’il prévoit ou se voit proposer l’accueil d’un mineur dans un foyer. Il peut en effet soit le confier directement au foyer, soit le confier à l’Aide sociale à l’enfance, ce service prenant ensuite lui-même la décision d’admission en foyer. Le choix se complique encore si la décision d’éloignement concerne plusieurs mineurs d’une même famille dont certains seront accueillis en foyer et d’autres en famille d’accueil. Les professionnels sociaux et les magistrats ont des avis divergents sur cette question. Il faut donc rechercher les critères susceptibles d’orienter logiquement la décision judiciaire.
Confier un mineur à l’ASE ou directement à un foyer ?
En apparence, la question peut sembler de peu d’intérêt, notamment vis-à-vis du mineur et de ses parents, pour qui l’on pourrait croire que c’est la décision de séparation qui compte, et non le statut administratif du mineur. Mais elle est pourtant d’importance, tant pour la famille que pour les travailleurs sociaux qui vont intervenir.
Critère de choix : le mieux-être personnel et le rétablissement des liens familiaux
Pour aboutir à des critères logiques de choix, il faut repartir de l’esprit de l’assistance éducative et de la mission des professionnels. Il s’agit en effet, chaque fois que possible, de mettre en œuvre les moyens les plus efficaces pour permettre aux enfants et aux parents de retrouver un mieux-être personnel, de rétablir des relations familiales sereines et sécurisantes. Lorsqu’un mineur a été éloigné du domicile familial, les travailleurs sociaux doivent essayer de soutenir toute la famille pour que l’enfant puisse revenir chez lui dès que possible. La mesure d’éloignement ne doit pas être la seule prise en charge d’un mineur qui ne peut plus rester chez lui. Elle doit faire partie d’un tout qui comprend tout autant l’aide aux parents. L’intervention doit concerner l’ensemble de la famille, et non seulement le mineur. Il serait totalement illogique de cesser le soutien octroyé jusque-là aux parents lorsque la famille traverse une crise grave. Au contraire, lorsque la séparation devient indispensable, l’aide doit redoubler d’intensité pour que cette cassure soit la moins traumatisante possible pour tous et qu’elle soit si possible suivie d’un nouveau rapprochement.
Le juge des enfants doit donc alors rechercher le cadre juridique le plus approprié pour faciliter le travail éducatif auprès de toute la famille. Plus précisément, il doit ordonner les mesures qui permettront à des travailleurs sociaux d’intervenir tant auprès du mineur qu’auprès du reste de sa famille, de la façon la plus efficace qui soit.
Or le service à qui l’enfant est confié peut ne pas être en mesure de travailler en même temps avec le reste de la famille. En pratique, lorsqu’un mineur est accueilli dans un foyer éducatif spécialisé, le personnel n’a ni la vocation ni le temps de se rendre au domicile de chaque famille et ne peut pas être disponible en cas d’appel des parents pour les aider à résoudre leurs propres difficultés. Il faut donc envisager l’intervention d’autres professionnels, qui n’auront pas pour mission d’accompagner l’enfant éloigné mais de soutenir le reste de la famille. Mais la loi a fixé des limites à cette possibilité d’intervention conjointe.
C’est l’article 375-4 du Code civil qui prévoit l’aide à la famille en cas d’éloignement d’un ou des enfants. Il est ainsi rédigé :
« Dans les cas spécifiés aux 1°, 2°, et 4° et 5° de l’article précédent, le juge peut charger, soit une personne qualifiée, soit un service d’observation, d’éducation ou de rééducation en milieu ouvert d’apporter aide et conseil à la personne ou au service à qui l’enfant a été confié ainsi qu’à la famille et de suivre le développement de l’enfant [...]. »
L’article précédent est l’article 375-3, qui indique à qui un mineur éloigné de son milieu peut être confié. En ne mentionnant pas dans l’article 375-4 le 3° de l’article 375-3 le législateur a interdit au juge des enfants d’ordonner une mesure d’action éducative en milieu ouvert pour un mineur confié à l’Aide sociale à l’enfance.
Une action éducative en milieu ouvert ne peut donc être ordonnée pour un mineur éloigné de ses parents que lorsque ce mineur est confié à une personne physique ou à un service éducatif, foyer ou service privé d’accueil familial.
Précisons toutefois, pour une bonne compréhension, que les mesures d’action éducative en milieu ouvert sont attribuées à un service par mineur. Une mesure d’action éducative en milieu ouvert, si l’on veut qu’elle concerne une famille entière, apparaîtra sur la décision du juge comme concernant tous les mineurs de la famille, dont chaque prénom sera mentionné dans l’en-tête du jugement ainsi que dans son dispositif. La mention d’une action éducative en milieu ouvert « auprès de la famille X. » n’est pas appropriée car le financement des mesures est calculé au nombre de mineurs concernés. Si la famille comporte plusieurs enfants, il peut donc parfaitement y avoir l’un des mineurs confié à l’Aide sociale à l’enfance et une AEMO exercée auprès des autres.
Il faut donc maintenant envisager les diverses hypothèses concrètes de travail avec une famille et l’accueil par des tiers de certains ou de tous les mineurs de cette famille. Si l’éloignement d’un mineur intervient alors qu’une mesure d’action éducative en milieu ouvert est déjà en cours, s’il faut que se poursuive le soutien aux parents, et si les éducateurs ont instauré depuis de nombreux mois une relation de confiance efficace avec la famille et ont entamé un travail qui porte ses fruits, même si une séparation momentanée parents/enfants est organisée, et si en plus les parents ou les mineurs non concernés par l’éloignement provisoire souhaitent continuer à bénéficier de la présence de ces éducateurs, il serait dommageable d’interrompre leur travail et de leur substituer des professionnels de l’ASE que la famille ne connaît pas au moment de l’éloignement. Mais s’il est souhaitable de laisser l’action éducative en milieu ouvert se prolonger, y compris pour le ou les mineurs éloignés, cela impose au juge des enfants de confier directement ce(s) mineur(s) à un foyer ou à un service privé d’accueil familial pour échapper à l’exception de l’article 375-4. Ainsi, avant, pendant et après la période d’accueil extérieur, la famille dans son ensemble, y compris le(s) mineur(s) éloigné(s), a et garde les mêmes interlocuteurs et le travail y gagne en cohérence et en efficacité du fait de sa durée. Il est parfois, pour l’enfant, affectivement important et rassurant de conserver un lien avec « son » éducateur d’AEMO, même pendant son séjour en foyer. Grâce à ce lien maintenu, le douloureux sentiment de cassure familiale, de départ pour longtemps qui parfois fait suite à la décision d’éloignement, même si une longue durée n’est pas a priori envisagée, peut être plus aisément dissipé et le séjour en foyer pourra être plus facile à supporter et donc moins émaillé d’incidents.
De la même façon, si le service social départemental intervient auprès d’une famille et que malgré la mesure judiciaire d’éloignement d’un mineur, prise sur proposition de la famille et du service, ou au moins comprise et acceptée par la première, la relation établie peut se continuer au bénéfice de tous, il est préférable de confier le mineur au département (à l’ASE) pour ne pas interrompre le travail entrepris et pour que les professionnels soutenant la famille ne changent pas.
Cette opportunité dépend toutefois d’un autre paramètre : l’organisation interne des services départementaux. Dans certains départements, les travailleurs sociaux qui interviennent au titre de la prévention continuent à travailler auprès des familles en cas de retrait judiciaire parce qu’ils interviennent à la fois dans le cadre de la prévention et dans le cadre de l’Aide sociale à l’enfance. Par contre, dans d’autres départements, le service de prévention est administrativement séparé de celui de l’Aide sociale à l’enfance et les deux sont constitués de professionnels distincts. La mesure judiciaire est alors susceptible d’entraîner un changement de travailleur social auprès de la famille. Certaines situations sont mixtes, lorsqu’un mineur est confié à l’Aide sociale à l’enfance et que les travailleurs sociaux de prévention continuent à intervenir en équipe avec leurs collègues de l’ASE. Le juge doit donc, avant de prendre sa décision, observer les méthodes départementales et adapter ses choix aux particularités locales.
Si la mesure d’éloignement intervient en début de dossier, sans qu’aucun service particulier ait entamé un travail avec la famille concernée, le choix reste ouvert : foyer ou Aide sociale à l’enfance. Il s’agira là encore de rechercher quel cadre juridique est susceptible de mieux permettre un soutien aux parents et aux enfants.
Autres critères de choix
Confier un mineur à l’Aide sociale à l’enfance présente un avantage technique très important. En effet l’Aide sociale à l’enfance dispose du libre choix du lieu d’accueil du mineur qui lui est confié par décision du juge des enfants.
En pratique, sans que le juge des enfants intervienne pour rendre un jugement modificatif, l’Aide sociale à l’enfance peut dans un premier temps confier le mineur à une assistante maternelle puis, si cela devient nécessaire quelques mois plus tard, le confier à un foyer. À l’inverse, un jeune enfant peut d’abord être confié à un foyer puis ensuite à une famille d’accueil, notamment s’il supporte mal la collectivité ou réclame/a besoin d’un encadrement plus familial. Autre exemple : si le mineur est confié à un foyer dans une ville puis, du fait d’une orientation scolaire ou professionnelle nouvelle, doit aller étudier ou travailler dans une autre ville, l’Aide sociale à l’enfance peut organiser rapidement son départ vers un lieu d’accueil dans la seconde ville. Tous ces changements sont alors organisés sans intervention nouvelle du juge des enfants, sans décision modificative de sa part, et donc sans convocation ni audition des intéressés à chaque fois. Par contre, si le mineur est confié directement à un service d’accueil autre que l’ASE, tout changement de lieu d’accueil, même accepté par tous et d’organisation simple, rendra obligatoire une nouvelle décision de justice et donc le recours préalable à la lourde et longue procédure de dépôt de rapport éducatif, convocation, audition, jugement, notification, pourtant totalement inutile puisqu’il n’y aura aucun débat dans le bureau du juge, qui alors n’exercera pas une fonction réellement juridictionnelle et ne fera qu’entériner un accord déjà obtenu entre tous.
Pour ces raisons, confier un mineur à l’Aide sociale à l’enfance permet une beaucoup plus grande souplesse dans la gestion du lieu de résidence du mineur. Cela ouvre surtout la porte véritablement à toutes les possibilités d’accueil, que l’ASE sait avoir à sa disposition. Il est certain que le référent ASE d’un mineur pensera à une plus large palette de choix de lieux d’accueil que le responsable d’un foyer qui, par exemple, ne connaît pas tel lieu de vie parce qu’il n’en a ni le besoin ni l’opportunité. Un mineur confié à l’Aide sociale à l’enfance se verra alors parfois proposer des solutions originales qui ne seraient pas proposées au juge des enfants par le directeur d’un foyer.
La présence de l’ASE, lorsqu’est envisagée une modification du lieu d’accueil d’un mineur, peut permettre aussi une réflexion plus approfondie sur la réelle nécessité de modifier le lieu d’accueil préalablement choisi, et ainsi d’écarter des projets injustifiés de déplacement. En effet, s’il paraît quelquefois utile de déplacer un mineur, par exemple d’un foyer à un autre, les demandes formulées par certains directeurs ont manifestement parfois comme objectif premier de mettre fin à une difficulté rencontrée par l’équipe éducative de l’établissement avec un mineur déclaré à tort ou à raison « difficile », beaucoup plus que d’apporter au mineur un bénéfice supplémentaire en étant accueilli ailleurs. Le mineur étant confié à l’ASE, ce service a un regard moins proche sur le mineur et sur l’établissement qui l’héberge, et peut avec un plus grand recul que le personnel du foyer apprécier objectivement l’utilité d’une réorientation du mineur. Car l’éducateur de l’ASE va continuer à s’occuper du mineur lorsqu’il aura quitté le foyer qui demande son départ. Il devra lui expliquer et assumer les motifs du déplacement. Il va devoir, et cela est essentiel, assurer la cohérence des interventions successives dans le temps, et notamment devoir veiller, pour que le travail éducatif garde un minimum de sens, à ce que, à difficulté identique, répondent des réactions identiques des professionnels, quel que soit le lieu d’accueil. Autrement dit, le référent de l’ASE sera réticent à accepter une demande de départ d’un foyer s’il sait que le directeur met en avant des raisons qui ne seraient pas retenues par la plupart des autres directeurs du voisinage.
Alors que le référent ASE est toujours présent dans le temps, pour le foyer d’accueil qui demande une réorientation ce qui se passe pour le mineur une fois qu’il est parti est indifférent. C’est là une différence fondamentale.
Et si parents ou mineur sont en désaccord avec le choix du lieu d’accueil envisagé par l’ASE, ils peuvent toujours saisir le juge des enfants, qui pourra soit choisir lui-même le lieu d’accueil par le biais d’une obligation imposée à l’ASE soit plus logiquement confier directement le mineur à un foyer .
Un autre très important avantage d’un accueil des mineurs par l’Aide sociale à l’enfance est la stabilité des référents éducatifs. Lorsqu’un mineur est confié successivement à des services différents, autres que l’Aide sociale à l’enfance, il change chaque fois d’éducateur de référence et d’environnement éducatif dans son ensemble, et doit nouer une relation avec des professionnels qu’il ne connaît pas (directeur du foyer, chef de service, éducateurs). Il en est d’ailleurs de même pour les parents. On doit s’efforcer de peser l’importance de cette question du côté des familles, même si pour les professionnels son importance, parfois, ne saute pas aux yeux. Bien des gens disent combien il leur est pénible d’avoir à recommencer à bâtir une relation, à reparler d’eux-mêmes, de leur intimité, avec des personnes qui changent en cours d’année. Leurs remarques en ce sens sont aisément compréhensibles. La stabilité et la qualité de la relation éducateur/famille sont certainement un vecteur essentiel du redressement des situations. Un éducateur référent stable, c’est aussi souvent une évolution dans le temps sans à-coups, sans ruptures, sans cassures brutales. Il est bénéfique que la réorientation d’un mineur d’un lieu d’accueil vers un autre soit faite avec l’accompagnement permanent de l’éducateur qui a organisé le premier accueil et prépare le second. Un éducateur identique présent à chaque étape importante, c’est un repère, c’est un témoin stable de l’histoire familiale. C’est quelqu’un qui comprendra mieux le présent à travers le passé proche ou ancien, qui analysera plus finement l’évolution de la famille au fil du temps. Bref, c’est un atout de poids. Ce sont les familles elles-mêmes qui le disent parfois, avec leurs mots.
Si donc un mineur est confié à l’Aide sociale à l’enfance, quel que soit son lieu d’accueil, et même si celui-ci change, l’éducateur référent ASE reste le même, dans la durée.
En plus, si plusieurs mineurs d’une même famille sont confiés à ce service, il y a pour les parents et la fratrie un interlocuteur principal, le référent ASE, et non pas autant d’interlocuteurs que de mineurs et de lieux d’accueil en cas d’accueils par des services éducatifs distincts. Cela a de multiples conséquences pratiques, au-delà de la relation privilégiée déjà décrite. Il est par exemple infiniment plus simple pour les parents et les mineurs de négocier l’organisation des droits de visite et d’hébergement avec une seule personne de l’ASE qu’avec deux ou trois directeurs de foyers qui auront peut-être des conceptions variables, sans qu’aucun puisse imposer son point de vue, ce qui rend la question insoluble.
Également, il faut avoir en tête que, lorsqu’un mineur est confié à l’Aide sociale à l’enfance, s’appliquent les articles L. 223-1 à L. 223-6 du CASF réunis dans un chapitre intitulé « Droits des familles dans leurs rapports avec les services chargés de la protection de la famille et de l’enfance ». Ces textes mentionnent par exemple des informations obligatoires de l’ASE aux intéressés sur les droits et obligations de chacun, la possibilité d’être assisté d’un tiers lors des démarches envers le service, l’avis écrit du représentant légal quant au choix du lieu d’accueil ou à toute modification ultérieure, l’examen avec le mineur de toute décision le concernant et l’obligation de recueillir son avis.
Aucun de ces droits n’est par contre formalisé pour les cas où les mineurs sont confiés directement à des foyers, et, cela est une différence loin d’être négligeable, la participation des parents et des mineurs, autrement dit la place qui leur est laissée dans l’établissement, est alors laissée à la discrétion des directeurs et éducateurs. Si certains d’entre eux ont des pratiques très ouvertes vis-à-vis des familles, on trouve encore parfois, de moins en moins heureusement, quelques façons de procéder passéistes et laissant à l’écart des moments importants les parents des enfants accueillis, ou les mineurs eux-mêmes.
Il faut enfin prendre en compte un autre aspect de la question, qui n’intéresse qu’indirectement les familles. Lorsque des mineurs sont confiés directement à un foyer, le juge des enfants ne dispose pas d’une vision précise de ce qui s’y passe, au-delà des rapports, possiblement subjectifs et ne retenant que certains éléments, remis par les directeurs. La pratique montre combien les rapports d’activité annuels obligatoires contiennent peu d’éléments d’information et de réflexion sur le fonctionnement des établissements. Il est dès lors, pour le magistrat, extrêmement difficile, si ce n’est impossible, de savoir exactement ce qui se passe dans les foyers, ce qui fonctionne bien et surtout ce qui fonctionne mal.
Par contre, le service de l’ASE, qui est aussi service de tutelle et financeur des établissements, a une connaissance beaucoup plus approfondie des services éducatifs, et peut donc aux audiences apporter des renseignements qui ne seraient pas spontanément donnés par les foyers. Par exemple, il est arrivé à plusieurs reprises qu’un référent ASE souligne une mauvaise ambiance ponctuelle dans une équipe éducative, ou une mésentente éducateurs/directeur, ou une restructuration interne mal conduite, pour expliquer en partie le malaise et les troubles du comportement d’un mineur, dont le rapport écrit du foyer laisse penser qu’il est seul responsable. Or de telles informations ne sont jamais mentionnées dans les rapports de fin de mesure rédigés par les foyers concernés et versés aux dossiers judiciaires, rapports qui sont en conséquence en partie mensongers, par omission délibérée. Cela a pour conséquences qu’à défaut de telles précisions, à l’audience, le mineur (et peut-être aussi ses parents s’ils savent ce qui se passe dans le foyer) peut trouver le descriptif fait par les professionnels particulièrement mensonger et donc injuste, et se révolter contre eux, ce qui sera un obstacle à l’efficacité des interventions.
Pour toutes ces raisons, l’intervention de l’Aide sociale à l’enfance présente d’indiscutables et nombreux avantages et il est tentant de confier un grand nombre de mineurs à ce service, sauf peut-être quand dès le début de la mesure on envisage une séparation parents/enfants de courte durée, ce qui est parfois le cas. Toutefois ce choix doit être tempéré par ce qui a été décrit : l’opportunité dans certains cas de laisser des éducateurs d’action éducative en milieu ouvert continuer le travail entamé et certaines réserves locales sur la disponibilité des personnels de l’Aide sociale à l’enfance et donc la réalité et la qualité du travail auprès des familles.
Mais comme souvent, le corollaire de tous les avantages découlant de l’accueil d’un mineur par l’ASE est une éventuelle difficulté de taille : si le mineur est confié à l’Aide sociale à l’enfance, le juge des enfants n’a pas a priori de moyen juridique de s’opposer à une décision de réorientation d’un mineur prise par le service. Dans certains dossiers, fréquemment de fait, les juges ne sont même avertis du déplacement des mineurs qu’après que le déplacement a effectivement eu lieu. Or, si la décision de réorientation prise par l’ASE peut être excellente et satisfaire le mineur et ses parents, elle peut tout autant leur paraître injustifiée et aller contre leur volonté sans que ceux-ci, en l’absence d’intervention préalable du juge des enfants, aient le moyen de s’y opposer. Et si l’Aide sociale à l’enfance décide d’un déplacement géographique important, la distance supplémentaire mise entre le lieu de résidence du mineur et celui de ses parents peut devenir un obstacle matériel à l’exercice du droit d’hébergement et donc à l’exécution de la décision du magistrat, sans parler du ressentiment du mineur se sentant trop loin de son milieu.
La question est donc de savoir dans quelle mesure le juge des enfants contrôle les choix d’orientation pris par l’Aide sociale à l’enfance et s’il peut, à supposer que ce soit opportun, imposer sa propre conception du lieu d’accueil du mineur.
Le contrôle du juge sur le lieu d’accueil choisi par l’ASE
Il est indispensable de bien distinguer règle de droit et opportunité. Car si les textes sont clairs sur les droits de chacun, ils n’indiquent pas la façon de les utiliser.
Le cadre légal
C’est l’article 375-3 du Code civil qui énonce ceux à qui le juge des enfants peut confier un mineur. Puis, à la suite, l’article 375-4 prévoit la possibilité d’ordonner conjointement une action éducative en milieu ouvert sauf lorsque le mineur est confié à l’Aide sociale à l’enfance. Mais c’est le second alinéa de ce deuxième texte qui nous intéresse plus particulièrement ici. Pour bien l’analyser, il faut relire l’article dans son entier :
« Dans les cas spécifiés aux 1°, 2° 4° et 5° de l’article précédent, le juge peut charger [...] un service [...] d’apporter aide et conseil à la personne ou au service à qui l’enfant a été confié ainsi qu’à sa famille [...]. Dans tous les cas, le juge peut assortir la remise de l’enfant des mêmes modalités que sous l’article 375-2, deuxième alinéa [...]. »
Rappelons que le second alinéa de l’article 375-2, texte relatif à l’action éducative en milieu ouvert, permet au juge d’imposer aux parents et au mineur :
« [...] des obligations particulières telles que celle de fréquenter régulièrement un établissement sanitaire ou d’éducation, ordinaire ou spécialisé, ou d’exercer une activité professionnelle. »
L’articulation de ces textes est claire et indiscutable. L’article 375-4 renvoie à « l’article précédent » et donc à l’article 375-3 et aux quatre possibilités données au juge des enfants de confier un mineur. Le premier alinéa de 375-4 qui concerne la mesure conjointe d’action éducative en milieu ouvert ne s’applique qu’aux trois premiers cas. Cela signifie que le terme « tous les cas » figurant au second alinéa concerne toutes les hypothèses, et donc celle par laquelle le juge des enfants peut confier un mineur à l’Aide sociale à l’enfance.
Le juge des enfants peut donc légalement imposer les obligations particulières de l’article 375-2 à tous ceux à qui il confie un mineur, y compris à l’Aide sociale à l’enfance. Il n’y a place ici pour aucune hésitation juridique, les textes ne laissant pas place à l’interprétation du lecteur, même si des opinions divergentes ont été énoncées. C’est logiquement que la Cour de cassation a statué en ce sens :
« Sur le pourvoi formé par la direction de la protection sociale du conseil général de… ; Attendu que l’arrêt attaqué, statuant en matière d’assistance éducative, a décidé que L. et E. N. seraient confiés au service de l’Aide sociale à l’enfance “pour être accueillis au foyer X.” jusqu’à une date qu’il précise ; Attendu que le directeur de la protection sociale du conseil général fait grief à la cour d’appel d’avoir ainsi statué alors qu’il n’appartenait qu’à l’administration de déterminer le placement de l’enfant qui lui avait été confié par décision judiciaire ;
Mais attendu que l’article 375-4 alinéa 2 du Code civil énonce que dans tous les cas prévus à l’article 375-3 du même code, y compris donc dans celui où le mineur a été confié au service départemental de l’Aide sociale à l’enfance, le juge peut assortir la remise de l’enfant des modalités prévues par l’article 375-2, 2e alinéa du même code, parmi lesquelles figure l’obligation de fréquenter régulièrement un établissement sanitaire ou d’éducation, ordinaire ou spécialisé ; qu’il s’ensuit que la cour d’appel était en droit de décider que les jeunes L. et E. N., confiés par elle au service de l’Aide sociale à l’enfance, seraient accueillis à l’établissement X. ; que le moyen n’est donc pas fondé . »
À la suite de ce premier arrêt, la question s’était posée de savoir s’il fallait faire une distinction entre la notion d’accueil permanent d’un mineur dans un foyer (le « placement ») et l’obligation de « fréquenter » un établissement, selon le mot figurant dans le second alinéa de l’article 375-2. Si « fréquenter » signifie se rendre une partie du temps dans un lieu, comme l’on dit qu’un enfant qui vit chez ses parents fréquente telle école, il faut déduire de ce texte que le juge peut seulement imposer à l’ASE que le mineur qui lui est confié « fréquente » tel établissement, par exemple s’y rende dans la journée ou certains jours de la semaine, mais ne peut pas imposer, au titre des obligations de l’article 375-2, un véritable accueil permanent dans un foyer choisi par lui. Si l’on retient une telle lecture, l’ASE reste toujours seule maître du choix du lieu d’accueil, mais se voit seulement imposer l’obligation de faire fréquenter par le mineur, une partie du temps, tel établissement indiqué par le magistrat.
Encore fallait-il se mettre d’accord sur le sens des mots « accueillir » et « fréquenter », et écarter l’argument consistant à relever que la liste des obligations que peut fixer le juge des enfants est précédée du mot « notamment » (cf. chapitre 8), ce qui peut vouloir signifier qu’il peut imposer autre chose, et plus, qu’une simple fréquentation, autrement dit qu’il peut imposer à l’ASE un véritable accueil permanent dans tel service de son choix. La question a été tranchée par un arrêt postérieur de la Cour de cassation :
« Sur le pourvoi formé par le conseil général de…, en la personne du directeur des services sociaux ; Attendu que le juge des enfants statuant en matière d’assistance éducative a le 30 décembre 1990 confié provisoirement les enfants C. et N. L. à la direction de l’Aide sociale à l’enfance “pour placement à X.”, établissement spécialisé dans l’accueil d’enfants débiles légers ou présentant des troubles du comportement ou du caractère ; qu’il a décidé, par jugement du 31 mai 1991 que ces enfants devaient être maintenus dans le même établissement pendant une nouvelle période ; que le président du conseil général a relevé appel de cette décision qui a été confirmée par l’arrêt attaqué ; Sur le premier moyen ; Attendu que le président du conseil général fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir ainsi statué alors que, lorsqu’un mineur lui est confié par l’autorité judiciaire, le service de l’Aide sociale à l’enfance est maître du placement de l’enfant, sauf le droit reconnu au juge des enfants d’assortir la décision de placement de modalités obligatoires telles que la fréquentation régulière d’un établissement sanitaire ou d’éducation, ordinaire ou spécialisé ; qu’en plaçant directement les mineurs C. et N. L. dans un semblable établissement dont elle pouvait seulement imposer la fréquentation, la cour d’appel aurait violé par excès de pouvoir les articles 375-2, 375-3 et 375-4 du Code civil ;
Mais attendu que la fréquentation régulière d’un établissement d’éducation, qui figure parmi les obligations dont le juge des enfants peut assortir la remise de l’enfant au service départemental de l’Aide sociale à l’enfance auquel il en confie la garde implique, le cas échéant, le placement de ce mineur dans l’établissement choisi par le juge et sur lequel l’administration doit exercer son pouvoir de surveillance et de contrôle ; qu’il s’ensuit que la cour d’appel était en droit de décider que les jeunes C. et N. L. resteraient dans l’institution où le juge des enfants les avait initialement placés ; que le moyen n’est pas fondé. Et sur le second moyen ;
Attendu qu’après avoir énoncé que le placement des mineurs C. et N. L. dans l’institution X. permettait de maintenir les liens familiaux, l’arrêt relève que les difficultés scolaires rencontrées par les enfants rendent indispensable le soutien actif de cet établissement ; que par ces motifs qui s’inspirent de l’intérêt des enfants et qui relèvent de son pouvoir souverain, la cour d’appel a légalement justifié sa décision . »
En conséquence, il est juridiquement clair aujourd’hui que le juge des enfants peut imposer à l’Aide sociale à l’enfance à qui il confie un mineur son accueil permanent dans un foyer choisi par lui. Tel est l’état du droit.
Contre cet arrêt de 1993, certaines des critiques formulées sont injustifiées. Il a été affirmé que « la remise de l’enfant, c’est bien évidemment la remise à la famille naturelle à l’issue du placement. Cela découle tant du contexte général du chapitre que du sens même du mot : remettre, c’est mettre à sa place antérieure ».
Pourtant, si l’on relit les textes les uns après les autres, on ne peut pas aller dans leur sens. Parce qu’il existe un article spécial (art. 375-2) sur les obligations imposées alors que les mineurs sont chez leurs parents, un autre texte, indiquant que, lorsque ces mineurs après avoir été confiés à des tiers sont remis à leurs parents, il peut être imposé des obligations, ferait double emploi et ne servirait à rien. Il suffit d’un seul texte pour autoriser les obligations quand les mineurs sont au domicile parental, peu important l’endroit où ils étaient auparavant. Il faut donc obligatoirement donner au second alinéa de l’article 375-4 un autre sens que celui de l’article 375-2.
Également, le texte concernant les obligations lors de la remise des mineurs est un alinéa de l’article 375-4, et non un texte à part. Pour le juriste, c’est un élément important d’interprétation. Or le premier alinéa de 375-4 renvoie à l’article 375-3, qui concerne précisément les cas dans lesquels les mineurs sont confiés à des tiers, et son premier alinéa renvoie à tous ces cas de tiers à l’exception de l’ASE. Il est donc logique de penser que le second alinéa du même texte concerne toujours les hypothèses d’éloignement. Le premier alinéa permet d’ajouter à l’éloignement une mesure d’AEMO, dans certains cas. Le second alinéa permet d’ajouter à une mesure d’éloignement des obligations particulières, dans tous les cas.
Ces commentateurs affirment aussi, pour le regretter, qu’il y a eu un revirement de la jurisprudence de la Cour de cassation. Et ils citent deux arrêts de 1980 et 1985. Or ils commettent une erreur d’analyse car la question soumise alors à la Cour de cassation n’était pas la même. Il s’agissait de savoir si le juge des enfants qui confie un mineur à l’Aide sociale à l’enfance peut imposer le choix de la famille d’accueil à l’ASE. La Cour de cassation avait alors répondu négativement, dans deux motivations identiques :
« Vu l’article 375-3 du Code civil, ensemble l’article 79 du Code de la famille et de l’aide sociale ; Attendu que d’après le premier de ces textes le juge peut décider, au titre d’une mesure d’assistance éducative, de confier un mineur au service départemental de l’Aide sociale à l’enfance ; qu’il résulte du second que, dans ce cas, c’est le directeur départemental de l’action sanitaire et sociale qui, sous l’autorité du préfet, choisit les parents nourriciers ; Attendu que l’arrêt attaqué a décidé de confier provisoirement la jeune A. D. à la direction des affaires sanitaires et sociales “en lui laissant le soin de placer l’enfant chez M. et Mme L.” ;
Attendu qu’en statuant ainsi, alors que, sans qu’il soit porté atteinte aux pouvoirs reconnus par les articles 375-6 et 375-7 alinéa 2 du Code civil, ainsi que par l’article 1198 du nouveau Code de procédure civile, il appartenait à l’administration de déterminer, dans les conditions prévues par l’article 123-3 du Code de la famille et de l’aide sociale, le placement de la mineure qui lui avait été confiée par l’autorité judiciaire, la cour d’appel a violé les textes susvisés . »
La Cour de cassation devait statuer ainsi, et exclure tout pouvoir du juge d’en même temps confier un mineur à l’ASE et imposer son choix de la famille d’accueil.
Dans un cas comme dans l’autre, l’article 375-2, qui prévoit les obligations imposées par le juge des enfants, n’a logiquement pas vocation à s’appliquer puisqu’il s’agit d’un texte général limité par des textes particuliers relatifs aux assistantes maternelles. Et il n’existe pas l’équivalent de ces textes particuliers pour les foyers.
En abordant en 1980 et 1985 la question du choix de l’assistante maternelle, puis en 1993 celle de l’accueil en établissement éducatif spécialisé, la Cour de cassation n’a donc pas du tout modifié sa jurisprudence : elle a étudié successivement deux questions distinctes auxquelles elle a apporté forcément deux réponses distinctes .
La Cour de cassation a ensuite apporté une nouvelle pierre à la construction de ces règles. Dans un arrêt de janvier 2001, elle a indiqué, pour les mêmes raisons que celles qui viennent d’être explicitées concernant la mention dans la décision judiciaire confiant un mineur à l’ASE d’une orientation impérative de ce mineur dans un foyer nominativement désigné, que le magistrat peut imposer à ce service son orientation dans une famille d’accueil, à titre d’obligation particulière.
Mais il s’agit seulement du principe d’orientation vers une famille d’accueil. Le choix nominatif de cette famille est toujours interdit au juge des enfants. La motivation de la Cour est la suivante :
« Mais attendu que la cour d’appel a exactement décidé, par motifs propres et adoptés, qu’une orientation en famille d’accueil, sans autre indication, était l’une des obligations particulières, au sens de l’article 375-2 du Code civil, dont le juge des enfants peut assortir la remise du mineur au service de l’Aide sociale à l’enfance auquel il le confie par application de l’article 375-3 du même Code ; d’où il suit qu’aucun des moyens n’est fondé […]. »
Finalement donc, le juge des enfants qui décide de confier un mineur à l’aide sociale enfance peut, dans son dispositif, soit mentionner uniquement ce service, soit ajouter que l’enfant devra être confié à un établissement d’accueil nominativement désigné, soit ajouter que l’enfant devra être orienté dans une famille d’accueil sans autre précision.
L’opportunité
Autant le cadre légal est aujourd’hui clarifié, autant l’opportunité d’utiliser les textes pour imposer à l’Aide sociale à l’enfance une obligation particulière est incertaine, voire inexistante. Il serait en effet contradictoire de prôner de nombreux accueils des mineurs par l’Aide sociale à l’enfance afin de favoriser une grande souplesse dans le choix du lieu d’accueil, pour ensuite réduire à néant cette souplesse de choix en imposant en même temps au service un lieu d’accueil impossible à transférer sans jugement modificatif. Le juge des enfants doit prendre une position claire. S’il veut absolument que tel mineur soit accueilli dans tel foyer, et veut empêcher tout changement sans son accord, il doit le confier directement à ce foyer, le passage par l’Aide sociale à l’enfance ne présentant pas la moindre utilité.
Cela est d’autant moins nécessaire que le juge des enfants, souvent, n’a ni les moyens ni la compétence pour apprécier lui-même quel est le meilleur lieu d’accueil pour un mineur. La rencontre avec les familles une ou deux fois par an, pendant quelques dizaines de minutes, ne donne pas une connaissance suffisante des besoins des mineurs. Seules des rencontres multiples, des discussions avec les intéressés, éventuellement des tests ou examens, peuvent permettre de peaufiner l’analyse et de choisir un lieu d’accueil approprié. Tout cela, le juge des enfants n’y participe pas.
De plus, afin de conserver son sens premier à sa fonction et à sa mission, le juge des enfants doit veiller à n’intervenir que quand il faut réellement qu’un arbitre tranche une difficulté, et non pas pour gérer le quotidien, au moins quand tous les intéressés sont d’accord sur son contenu. Même si le risque que l’orientation choisie par l’Aide sociale à l’enfance soit contestée par la famille ne doit pas être ignoré, et si l’opposition ne doit pas systématiquement se terminer par le seul choix du service imposé à la famille, c’est en informant clairement celle-ci au moment de la décision d’éloignement du mineur que le juge va réduire l’obstacle. Parents et mineurs entendront le juge des enfants leur préciser que par principe c’est le service qui choisira le lieu d’accueil, sans son intervention et sans décision particulière sur ce point en cas de réorientation ultérieure. Mais ils entendront aussitôt le même magistrat leur préciser qu’ils sont libres de le saisir à tout moment en cas de désaccord avec l’ASE sur cette question de lieu d’accueil. Si ensuite une famille demande l’arbitrage du juge, il lui appartient après auditions soit de maintenir le mineur à l’ASE, ce qui revient à rejeter la demande de la famille, soit, si l’ASE maintient son choix et qu’il y a des raisons de l’estimer réellement aberrant, de confier le mineur directement à tel établissement, après avoir donné mainlevée de la dernière décision le confiant à l’ASE.
La pratique montre que, même lorsque parents et mineurs sont régulièrement informés de leurs droits à chaque révision de situation, et même pour ceux qui bénéficient de l’assistance d’un avocat, les cas dans lesquels ils contestent devant le juge des enfants les orientations proposées par l’ASE sont rarissimes, si ce n’est inexistants. De fait, les éducateurs n’ont aucune raison de proposer une orientation farfelue et leurs choix, opérés après discussions avec les intéressés, sont presque toujours parfaitement justifiés, donc non contestés.
Les accueils à temps partiel
S’agissant de l’ensemble des dispositifs d’accueil des mineurs qui sont éloignés de chez leurs parents par le juge des enfants, l’une des critiques majeures qui pouvait être faite était l’absence d’innovation importante dans les modalités de prise en charge de ces enfants.
Ainsi que le soulignaient à juste titre les auteurs du rapport de juin 2000 sur les placements d’enfants , « les méthodes de l’action éducative demeurent encore trop stéréotypées, elles sont assez peu réactives et difficilement adaptables à la situation du mineur pour lequel une séparation temporaire avec sa famille s’avère nécessaire », et « les placements demeurent, malgré quelques évolutions, dans des géométries relativement traditionnelles y compris pour les foyers de l’enfance ».
Et les auteurs de ce rapport ajoutaient :
« Cette mal-adaptation et cette faible diversification des modes de placement ont d’abord pour conséquence des séparations de plus en plus tardives et parfois trop tardives, obérant la possibilité d’un retour de l’enfant dans une famille, dont la situation est très dégradée et sera par conséquent plus difficile à reconstruire. Tout ceci crée une concentration de jeunes en grandes difficultés. Ainsi au sein des mêmes établissements où sont accueillis des mineurs qui ne devraient pas cohabiter du fait d’équations personnelles très différentes (auteurs d’abus sexuels et victimes d’abus sexuel par exemple). Au contraire il est fréquent que les frères et sœurs d’une même famille soient séparés, pour des raisons qui n’ont pas toujours à voir avec l’intérêt des enfants mais plutôt avec la disponibilité des places dans un établissement où le nombre d’enfants pour lequel est agréée une assistante maternelle. [...] Il faut souligner que les porteurs de projets innovants, interrogés par la mission, ont aussi mis en évidence l’énergie, l’inventivité et le temps bien au-delà des horaires habituels de travail qu’il leur a fallu déployer pour parvenir à mettre en place une nouvelle méthode d’intervention. Ils ont spécialement mis l’accent sur la rigidité des modes de financement, estimant qu’il s’agissait là de l’un des freins essentiels à l’imagination des acteurs et donc à la souplesse des interventions. Au total ce qui a frappé la mission c’est l’absence de prise de risque éducatif à laquelle s’autorisent les professionnels. »
Il est vrai que le dispositif existant, vu de l’extérieur, peut aisément apparaître caricatural. Ce qui est d’abord discutable, c’est la chronologie des interventions entre mesure en milieu ouvert et placement. Beaucoup trop souvent encore, le placement est considéré comme la solution ultime lorsque l’intervention en milieu ouvert n’a pas donné les résultats espérés. Il intervient lorsque la situation familiale et personnelle du mineur est profondément dégradée d’où des circonstances d’accueil délicates et des équipes éducatives plus en difficultés. C’est alors un placement sanction dont la menace a parfois été utilisée par les professionnels pendant la période de travail en milieu ouvert.
Pourtant, d’un point de vue théorique, rien ne justifie de raisonner ainsi. Mesure éducative de milieu ouvert et accueil du mineur à l’extérieur de sa famille devraient être considérés de façon égale comme deux moyens à disposition des professionnels et des intéressés pour essayer de réduire les dysfonctionnements existant. La séparation peut même être envisagée comme un moyen particulièrement efficace d’apaiser les tensions dès qu’elles apparaissent trop importantes, justement pour éviter qu’elles ne dégénèrent et qu’à la suite d’une rupture brutale souvent précédée d’incidents graves la séparation n’intervienne précipitamment et l’accueil du mineur ne se mette en place pour une durée plus longue à cause de dégâts trop lourds.
On peut penser que des séparations intervenant plus précocement auraient certainement une durée plus courte et seraient vécues beaucoup moins douloureusement. La séparation ne serait plus alors vécue comme un échec majeur, mais comme une tentative parmi d’autres de résoudre une difficulté.
Mais ici, plus que les moyens concrets, ce sont les mentalités qu’il faut faire évoluer. Le placement des enfants a tellement été considéré, pendant des décennies, comme la sanction-punission méritée de parents considérés comme fondamentalement défaillants et jugés très péjorativement par tous les professionnels, que même si l’évolution a déjà été importante, bien du chemin reste encore à faire pour obtenir que l’on considère que l’objectif est non pas de sanctionner mais de proposer aux parents et au mineur tous les moyens possibles susceptibles de leur permettre d’utiliser au mieux les compétences de chacun. Alors que cela est pourtant inscrit dans la loi, nous avons trop souvent oublié que les mesures éducatives, toutes les mesures éducatives, sont des mesures d’aide.
C’est pour cela que l’on a très souvent le sentiment que ce sont parents et mineurs qui, quelle que soit la nature exacte de leur problématique, doivent s’adapter au fonctionnement de services d’accueil généralistes et aux pratiques quasiment identiques pour tous, alors que par principe, chaque mesure éducative devrait être, pour être pleinement efficace, spécialement adaptée à une situation familiale spécifique.
C’est pour permettre la mise en place de nouveaux outils éducatifs que la loi de mars 2007 a permis l’accueil de mineurs à temps partiel, cela sous deux formes distinctes : l’accueil ponctuel par un service d’AEMO, et l’accueil régulier par un service ordinaire d’hébergement.
Les accueils ponctuels par un service d’AEMO
L’article 375-2 du Code civil, initialement consacré à l’action éducative en milieu ouvert, prévoit en plus dans son deuxième alinéa :
« Lorsqu’il confie un mineur à un service mentionné au premier alinéa, il [le juge des enfants] peut autoriser ce dernier à lui assurer un hébergement exceptionnel ou périodique à condition que ce service soit spécifiquement habilité à cet effet. Chaque fois qu’il héberge le mineur en vertu de cette autorisation, le service en informe sans délai ses parents ou ses représentants légaux ainsi que le juge des enfants et le président du conseil général. Le juge est saisi de tout désaccord concernant cet hébergement. »
Cette disposition a pour objet de permettre principalement des accueils de crise, aussitôt que le besoin se fait sentir d’une séparation famille/mineur, et cela sans attendre une audience chez le juge des enfants ni même une décision judiciaire prise en urgence. Puisque le texte prévoit que le service d’AEMO doit informer sans délai les parents, cela suppose par hypothèse que l’accueil de leur enfant n’a pas été préalablement envisagé et négocié avec eux.
La procédure est la suivante : à l’audience, après débats avec les intéressés (parents, mineur, service d’AEMO), le juge des enfants rend une décision de principe qui autorise le service d’AEMO à recevoir et héberger le mineur en cas de besoin, sans qu’à ce moment personne ne soit en mesure de dire si un tel accueil sera ou non nécessaire dans les mois suivant. Et si une crise survient qui rend indispensable une séparation, tant que les parents sont d’accord il n’est pas nécessaire de repasser devant le juge des enfants.
Une difficulté apparaît à propos de l’hébergement « périodique ». En effet, est périodique un hébergement qui se répète avec une certaine régularité. Or il est difficile de concevoir qu’un accueil « périodique » se mette en place sans que les parents en soient préalablement informés. Il semble donc y avoir une contradiction entre la notion d’accueil périodique et celle d’information des parents seulement après l’arrivée du mineur concerné dans le service éducatif. En plus, on peut s’interroger sur ce qui distingue l’accueil périodique par un service d’AEMO de l’article 375-2 de l’accueil périodique par un service d’hébergement classique de l’article 375-3 (cf. paragraphe suivant).
Par ailleurs, il n’est pas forcément aisé de prévoir, à l’avance, dans quelle famille il peut y avoir besoin de séparations de courtes durées et celles dans lesquelles cela ne sera jamais utile, les familles suivies en AEMO étant par définition des familles qui rencontrent toutes sortes de difficultés et traverses des crises aiguës à un moment ou un autre.
En tout cas, dans son principe, la possibilité d’organiser des accueils de courte durée en cas de crise et sans passer systématiquement parle juge des enfants est une bonne chose. Mais, alors qu’il s’agissait d’une revendication forte des professionnels de la protection judiciaire, jusqu’à présent très peu de services d’AEMO ont sollicité une habilitation en ce sens.
Les accueils à temps partiel par un service d’hébergement
Avec cette même volonté d’élargir la palette des moyens à disposition des professionnels, la loi de 2007 a modifié l’article 375-3 du Code civil, texte qui énumère ceux à qui un mineur peut être confié par le juge des enfants. Le nouvel alinéa 4 mentionne : « à un service ou à un établissement habilité pour l’accueil de mineurs à la journée ou suivant toute autre modalité de prise en charge ».
Il ne s’agit plus d’accueils en urgence mais d’accueils réguliers, prévus à l’avance, décidés après audition des membres de la famille, mentionnés dans un jugement, mais qui ne sont pas à plein-temps.
Si le principe est louable, ce qui étonne c’est le cadre juridique. En effet l’application de ce texte suppose qu’un mineur alterne des périodes dans sa famille et des périodes en service éducatif d’accueil. Ce peut être par exemple un hébergement uniquement les fins de semaine. On imagine mal un tel système se mettre en place sans l’accord total des parents, puisque leur collaboration est essentielle pour le bon déroulement des transitions. Or, par définition, si les parents sont pleinement d’accord pour des accueils réguliers de leur enfant hors de chez eux, c’est la nécessité même d’une décision judiciaire qui n’apparaît plus de façon évidente, tout hébergement d’un mineur pouvant/devant, quand tous les intéressés sont en accord, se mettre en place dans un cadre administratif de prévention et non dans un cadre judiciaire.
Cette nécessité de concilier tous ces impératifs apparaît dans certaines décisions judiciaires .
Le parrainage
Pour certains mineurs, encore chez leurs parents ou hébergés en service éducatif (avec l’accord des parents ou sous décision judiciaire), le besoin se fait ressentir de lieux tiers où ils peuvent être reçus pour de brèves périodes, sans les difficultés et les tensions d’un séjour permanent. C’est dans cet esprit que s’est développé le parrainage, qui consiste à permettre à ces mineurs de passer quelques jours, fins de semaines ou vacances, dans des familles qui n’interviennent que dans ce cadre-là.
Les familles qui se proposent pour un parrainage sont sélectionnées, bénévoles, et sont encadrées par des professionnels présents en permanence pour les soutenir dès qu’une difficulté apparaît.
Ces accueils, qui ne nécessitent pas de décision judiciaire préalable, se mettent en place soit avec l’accord des parents soit sur décision du service qui héberge le mineur. S’il s’agit d’une décision judiciaire le choix de faire recevoir le mineur par une famille de parrainage pour de courtes périodes relève de l’acte usuel de la vie quotidienne.
Actives surtout dans le nord de la France actuellement, les associations de parrainage ont fait leur preuve, et ont démontré, si besoin était, tout l’intérêt de tels accueils. Il faut souhaiter que le parrainage se développe sur l’ensemble du territoire.
La décision judiciaire
Le processus de jugement a déjà été décrit dans les premiers chapitres. Il ne s’agira donc ici que de quelques précisions complémentaires ou de rappels succincts.
La décision initiale
La recherche d’un lieu d’accueil avant l’audience
Dès avant l’audience, lorsque travailleurs sociaux et juge des enfants estiment un éloignement du mineur envisageable, se mettent en place les premières démarches de recherche d’un lieu d’accueil, avant même la rencontre avec la famille.
L’avis du juge des enfants
Lorsqu’un service éducatif exerce une mesure d’action éducative en milieu ouvert et constate que ce suivi en milieu ouvert est insuffisant pour protéger l’enfant, il envoie au magistrat une note d’incident décrivant précisément les faits nouveaux justifiant, selon lui, une mesure de placement. Il est alors fréquent, dans cette hypothèse, de lire en conclusion ceci : « Nous sollicitons votre avis pour préparer le placement de X. »
Le service éducatif, qui ne sait pas si le magistrat partagera son analyse, pense en effet avoir besoin de son avis avant de se lancer dans des recherches précises auprès d’établissements ou de familles d’accueil.
Néanmoins, le juge des enfants doit s’interdire de donner son avis sur la mesure suggérée par le service de milieu ouvert. En effet, comme nous le verrons plus loin, la décision de placement ne peut être prise qu’à l’issue d’une audience où seront débattus contradictoirement les éléments transmis dans les rapports éducatifs.
Il serait grave pour la famille venant consulter le dossier d’assistance éducative avant l’audience de constater que le magistrat a donné son accord pour préparer la mesure de placement.
Les recherches des éducateurs avant l’audience
Rien n’empêche le service éducatif, avant l’audience qui sera éventuellement organisée par le magistrat à la suite de l’incident signalé, de rechercher un lieu de placement.
Le juge des enfants peut alors le lui rappeler en lui répondant uniquement par une formule du type : « Lorsqu’un lieu de placement sera trouvé par votre service, une audience sera organisée afin d’apprécier l’opportunité de la mesure de placement que vous suggérez. »
Le fait pour le service de rechercher ce lieu de placement ne préjuge en rien de la décision du magistrat. Ceci lui permet simplement le jour de l’audience, si une mesure de placement est décidée, de proposer concrètement au juge des enfants un établissement ou une famille d’accueil.
L’article 375-7 du Code civil dispose en effet que « le lieu d’accueil de l’enfant doit être recherché dans l’intérêt de celui-ci et afin de faciliter l’exercice du droit de visite et d’hébergement par le ou les parents et le maintien de ses liens avec ses frères et sœurs en application de l’article 371-5 ».
Il est donc parfaitement adapté pour le service éducatif de préparer la mesure de placement qu’il propose en recherchant un lieu adapté aux besoins du mineur, un lieu permettant des liens aisés avec sa famille et, éventuellement, en présentant déjà ce lieu aux parents et à l’enfant.
Le jour de l’audience, le magistrat sera dans l’incapacité de faire ce travail de recherche.
Les démarches après l’audience
Si un lieu de placement n’a pu être recherché et trouvé avant l’audience, le magistrat peut confier l’enfant à l’Aide sociale à l’enfance. Ce service est alors chargé, sous son contrôle, de mettre à exécution le jugement de placement conformément à l’article 375-7 du Code civil. Cela suppose bien sûr qu’il n’y ait aucune urgence à éloigner le mineur.
Le juge des enfants (qui ne souhaite pas confier l’enfant à l’Aide sociale à l’enfance et attend de trouver l’établissement d’accueil adéquat) peut aussi choisir de reconduire spécifiquement la mesure d’action éducative en milieu ouvert avec pour objectif, pour le service, de rechercher un lieu de placement. Dans ce cas, étant actée dans la décision, l’orientation prise par le juge devient évidente. Le dispositif de la décision (on appelle « dispositif » la dernière partie de la décision intitulée « Par ces motifs » énonçant la décision prise) est parfois le suivant : « Renouvelons la mesure d’action éducative en milieu ouvert à l’égard de X pour une durée d’un an à compter de ce jour. » Mais une telle pratique est parfois source de difficultés.
- Il arrive de constater à la lecture de certains dossiers que le service, après une année de recherche, n’a pas été en mesure de faire une proposition au magistrat... Peu importe les raisons invoquées. La famille, dans ce cas, ne pourra qu’expliquer que leur enfant, pendant tout ce temps, est resté chez eux sans qu’il ne lui arrive quoi que ce soit. La décision de placement, initialement envisagée, n’a dès lors plus beaucoup de sens…
- Si les parents contestent l’orientation prise par le juge des enfants, ils ne pourront utilement interjeter appel. En effet, si la cour d’appel est saisie, elle ne pourra que confirmer ou infirmer la décision reconduisant la mesure d’Action éducative en Milieu Ouvert. Elle ne pourra pas, par définition, réformer une décision de placement qui n’a pas encore été prise. Aussi, les parents, qui n’ont pas intérêt à faire appel (sauf à risquer une décision de placement immédiate par la juridiction d’appel), se trouvent de fait privés d’une voie de recours.
Afin d’éviter cet inconvénient, et si le lieu de placement n’a pas été trouvé avant l’audience, il semble préférable pour le juge de prononcer le placement en désignant immédiatement un service gardien (l’Aide sociale à l’enfance) dont le mandat sera de rechercher un lieu de placement et d’exécuter la décision.
Le débat à l’audience
Lorsque le juge va ordonner pour la première fois l’accueil d’un mineur hors de sa famille, il va au préalable, sauf urgence, organiser un débat avec celle-ci, parents et enfants. Il est indispensable que soient aussi présents les travailleurs sociaux qui soit sollicitent cet éloignement, soit, si la demande vient de la famille, peuvent ajouter leur avis de professionnels. Il s’agira souvent des éducateurs d’AEMO ou des travailleurs sociaux à l’origine du signalement si dans celui-ci l’utilité d’une séparation est déjà mentionnée.
Si avant même l’audience les intéressés ont pris un premier contact avec un foyer, par exemple pour que le mineur et ses parents sachent à quoi ressemble un tel établissement dont ils ignorent tout auparavant, et si l’hypothèse d’un accueil dans ce foyer semble pouvoir être retenue à l’audience, il sera parfois intéressant d’y inviter un représentant de l’établissement, même s’il n’est pas certain que le juge des enfants va y envoyer l’enfant. Cela a l’avantage de permettre au magistrat de préciser les motifs de la décision, tous les aspects de son dispositif, les règles qui vont s’appliquer par la suite, et ce en présence de tous ceux qui vont être concernés. Cela écarte le risque de contradiction et d’incidents parasites par la suite.
La présence d’un représentant de l’ASE est d’un intérêt moindre car, du fait de l’importance du service, la personne présente à l’audience peut très bien ne pas être le référent ensuite désigné.
La décision
Comme toutes les autres décisions d’assistance éducative, et même encore plus que toutes les autres, une décision confiant un mineur à un tiers doit être minutieusement motivée, et cela d’autant plus que, par hypothèse, les parents ou le mineur concernés s’opposent à un tel choix du magistrat.
On ne pourra ici que renvoyer, avec encore plus de vigueur, à ce qui a déjà été écrit sur l’insuffisance chronique de motivation de toutes les décisions judiciaires en assistance éducative (cf. chap. 6).
Rappelons ici que, si au cours de l’audience, il apparaît que la famille est finalement d’accord pour une prise en charge d’un enfant dans un établissement d’accueil, le juge doit alors se demander ce qui rend nécessaire son intervention puisque cet accord semble permettre l’organisation de la prise en charge dans un cadre administratif de prévention.
Le dispositif de la décision confiant le mineur à un tiers doit comprendre des mentions qui se trouvent dans toutes les décisions, mais aussi des mentions particulières. Il faut en faire la liste.
Le tiers à qui le mineur est confié
Le jugement mentionne soit un service, soit une personne physique. Dans le second cas, il est important de les désigner très précisément, par leur nom et leur adresse, pour que soient connues sans équivoque la ou les personnes à qui le mineur est juridiquement confié.
L’article 375-7 du Code civil précise dans un second alinéa :
« Le juge peut indiquer que le lieu de placement de l’enfant doit être recherché afin de faciliter, autant que possible, l’exercice du droit de visite par le ou les parents. »
L’intention est louable. Lorsque le juge des enfants décide d’octroyer aux parents le droit de rendre visite ou/et de recevoir leur enfant, la mise en œuvre de cette disposition essentielle ne doit pas être contrecarrée par un éloignement géographique trop important. Et en plus le seul fait que l’éloignement soit grand peut être de nature, au-delà même de l’exercice de ces droits, à augmenter encore la souffrance des intéressés.
Mais on relève que les rédacteurs du texte ont pris soin de préciser que la recherche de la proximité entre parents et enfants trouve sa limite dans le « possible ». L’insertion de cette notion, d’un contenu totalement flou, est de nature à faire perdre au texte sa force contraignante.
Et on relève ensuite que ne reprenant pas le style impératif choisi dans l’élaboration de la disposition concernant les liens entre frères et sœurs (cf. plus haut), le législateur n’a manifestement pas voulu écrire, dans un principe général, que lorsqu’un mineur est confié à un tiers il ne doit jamais être éloigné de ses parents. Il s’est contenté de permettre au juge d’émettre ce qui pourrait ne ressembler finalement qu’à un souhait adressé aux services éducatifs.
Alors cet ajout législatif était-il inutile ? On pourrait le penser pour les raisons précitées et parce que depuis toujours, même lorsque ce texte n’existait pas, rien n’interdit au juge des enfants, bien au contraire, de s’assurer qu’à travers le choix du lieu d’accueil par le service éducatif à qui il confie un mineur sans choisir lui-même ce lieu (concrètement l’aide sociale à l’enfance), sa décision d’octroyer un droit de visite et d’hébergement n’est pas de fait anéantie ou au moins difficile à mettre en œuvre. Si tel est le cas, le juge peut soit confier le mineur à un autre service éducatif soit imposer à l’ASE le choix d’un lieu d’accueil moins éloigné sous les réserves mentionnées plus haut (à condition bien sûr que des lits disponibles existent).
Pourtant, ce texte peut au moins servir de rappel de leurs obligations aux professionnels, en formalisant dans la loi un principe de proximité parents/enfants qui, s’il est de nos jours accepté par presque tous les intervenants, n’est pas toujours mis en œuvre avec une rigueur suffisante.
Il invite les familles et leurs avocats à interpeller juge et éducateurs, à solliciter des seconds des explications sur le choix d’un lieu d’accueil trop éloigné, et en cas de réponse estimée non satisfaisante à demander au premier d’intervenir et d’utiliser le pouvoir que cette nouvelle loi lui octroie plus formellement, pour qu’il statue sur la difficulté et rende si nécessaire un nouveau jugement sur cette seule question du choix du lieu d’accueil. En cela il n’est pas totalement inutile même si sa formulation n’est pas idéale.
La durée de la mesure
La durée de validité maximale d’un jugement confiant un mineur à un service éducatif ou à l’Aide sociale à l’enfance est en principe de deux années, comme les décisions d’AEMO. Par exception à cette règle, il n’y a aucune limitation de durée lorsque le mineur est confié à l’un de ses parents, à un membre de sa famille, ou à une personne désignée comme tiers digne de confiance. Autrement dit, la limitation de durée ne s’applique pas lorsqu’un mineur est confié à une personne physique nominativement désignée .
La Cour de cassation contrôle l’existence de l’indication de la durée. L’absence de précision dans le jugement ou l’arrêt entraîne ipso facto sa nullité . Mais parce qu’une séparation bouleverse toujours profondément une famille, il faut réserver les décisions de deux années aux cas où il est quasiment certain qu’il n’y aura pas au cours de cette période de deux ans d’évolution suffisante pour permettre un retour du mineur dans sa famille naturelle. Cela arrive parfois lorsque par exemple les parents sont atteints de graves perturbations personnelles qui ne s’amenuisent pas au fil du temps, ou lorsqu’ils se désintéressent de leurs enfants. À l’inverse, une durée plus courte, avec une révision et une nouvelle décision à une date clairement fixée par avance, peut inciter à la mobilisation une famille qui voudra profiter de cette nouvelle convocation au tribunal pour obtenir le retour de l’enfant.
Lorsqu’un mineur est confié à une personne physique, il faut de la même façon ne prévoir une validité jusqu’à nouvelle décision que lorsqu’il est très probable qu’aucun espoir de retour dans la famille naturelle n’existe. Sinon, l’absence totale d’échéance peut être très mal ressentie par les intéressés et inciter les parents naturels à baisser les bras devant leurs difficultés s’ils imaginent, même malgré les explications des professionnels, que leur enfant est parti pour toujours.
La loi de mars 2007 a modifié l’article 375 du Code civil en y ajoutant un nouvel alinéa permettant de faire exception à la règle des deux années. Il y est écrit :
« Lorsque les parents présentent des difficultés relationnelles et éducatives graves, sévères et chroniques, évaluées comme telles dans l’état actuel des connaissances, affectant durablement leurs compétences dans l’exercice de leur responsabilité parentale, une mesure d’accueil exercée par un service ou une institution peut être ordonnée pour une durée supérieure, afin de permettre à l’enfant de bénéficier d’une continuité relationnelle, affective et géographique dans son lieu de vie dès lors qu’il est adapté à ses besoins immédiats et à venir. »
Cette disposition étonne car elle ne peut pas trouver sa place dans la législation sur l’assistance éducative.
D’abord, il faut rappeler que dans le cadre spécifique des articles 375 et suivants du Code civil, l’intervention du juge et des travailleurs sociaux a pour objectif, mentionné dans la loi, de maintenir autant que possible le mineur dans sa famille par le biais d’un soutien à tous ses membres. Lorsqu’une séparation a été provisoirement organisée, ils doivent s’efforcer de tout faire pour permettre dès que possible le retour du mineur auprès de ses parents. Dès lors, la notion de séparation durable est contradictoire avec celle de soutien à une famille dont les membres restent en relation.
Ensuite, s’il est constaté que dans une famille que les « compétences » des parents sont durablement atteintes, il faut utiliser non pas le cadre juridique de l’assistance éducative mais celui plus adapté de la tutelle, qui prévoit que quand aucun des deux parents n’est plus en mesure d’exercer l’autorité parentale il y a matière à ouverture d’une tutelle.
Pour ces raisons, la possibilité offerte au juge des enfants de mettre en place une séparation de longue durée sans aucune audience intermédiaire en révision de situation, qui est une aberration juridique au regard du sens de l’assistance éducative, ne doit jamais être utilisée.
Prenant sans doute conscience de ce qui vient d’être exposé, le ministère de la Justice a atténué les effets de cette nouvelle disposition lors de la rédaction du décret n° 2008-1486 du 30 décembre 2008. Ce texte concerne essentiellement les modalités d’application de la mesure d’aide à la gestion budgétaire, mais deux articles ont été inclus concernant les placements de longue durée.
L’article 1200-1 du Code de procédure civile est dorénavant rédigé ainsi :
« Les mesures d’assistance éducative sont renouvelées, conformément au troisième alinéa de l’article 375 du Code civil par le juge des enfants dans les conditions prévues à la présente section.
En cas de placement pour une durée supérieure à deux ans, le juge des enfants convoque, dans les mêmes conditions, les parties à une audience au moins tous les trois ans. »
Or, quand le législateur a introduit la possibilité de confier un mineur à un service éducatif sans limitation de durée, il a été indiqué que le but était de supprimer les rencontres régulières chez le juge des enfants afin que rien ne vienne troubler une mesure devant durer de nombreuses années. C’est pourquoi, en instituant de nouveau un rendez-vous obligatoire chez le juge des enfants au moins tous les trois ans, le décret de décembre 2008 a en partie vidée de sa substance la règle instituée en 2007.
Mais cela ne suffit pas à modifier la conclusion précitée concernant ces placements qui n’ont pas lieu d’être en assistance éducative, même si le décret vient en rogner en partie le caractère aberrant.
La date de dépôt du rapport de fin de mesure
Pour éviter tout litige sur l’appréciation de cette date, le jugement doit fixer très précisément (jour et mois) la date de dépôt du rapport de fin de mesure (art. 1199-1 du Code procédure civile). Si le jugement est valable deux années, il doit obligatoirement y avoir un rapport en fin de première année d’accueil et un rapport final.
Il est indispensable de prévoir un délai d’au moins deux mois entre la date de dépôt du rapport de fin de mesure et la date d’échéance de la décision en cours pour qu’il y ait le temps suffisant pour convoquer, statuer, rédiger et notifier le jugement, cette dernière démarche devant intervenir avant le dernier jour de validité du jugement en cours.
Plus que pour toutes les autres mesures, le respect absolu de cette date doit être une priorité pour les services à qui les mineurs sont confiés. Car ce n’est que lorsqu’il a reçu le rapport que le juge des enfants peut audiencer. Cela ne peut pas être fait avant parce que ce n’est qu’à la lecture du plus récent rapport que les adresses actuelles des parents sont connues. Si le juge fait envoyer les convocations par le greffe aux adresses datant d’il y a un an et que le jour des débats un des parents est absent et qu’il apparaît que sa nouvelle adresse était pourtant connue des éducateurs, il faut impérativement une seconde convocation, ce qui est une inacceptable perte de temps et retarde la prise de décision. Et il ne doit pas non plus être imposé au greffe, par correction, l’envoi de premières convocations avant la réception des rapports puis l’envoi de nouvelles convocations si est mentionnée une nouvelle adresse dans le document écrit arrivé trop tard.
De plus, ce n’est qu’à la lecture du rapport que le juge des enfants peut fixer la liste des personnes qu’il va convoquer, ou choisir d’entendre séparément un mineur, parce qu’il est écrit que celui-ci le souhaite ou parce que le juge l’estime opportun.
D’autre part, depuis la réforme de mars 2002 de la procédure civile d’assistance éducative, les familles ont le droit d’accéder à leur dossier judiciaire pour lire, afin de se préparer à la rencontre avec le magistrat, tous les documents qui sont versés. Comme cela a déjà été indiqué au chapitre 3, il est indispensable que les services éducatifs envoient leur rapport de fin de mesure à la date mentionnée dans le jugement pour que les intéressés puissent en prendre connaissance suffisamment longtemps avant l’audience, et qu’ils disposent ainsi de plusieurs semaines pour réfléchir au contenu des documents lus, et, s’ils le souhaitent, préparer sérieusement leur argumentation en réponse.
Si le responsable du service à qui le mineur est confié ne respecte pas la date mentionnée dans la décision judiciaire, il assume seul et entièrement la responsabilité d’une situation extrêmement délicate, en ce sens qu’au-delà de l’échéance du jugement en cours, s’il continue à héberger le mineur, il le fait sans aucun titre juridique ; à l’inverse, s’il refuse de prolonger cet accueil, il doit lui-même raccompagner le mineur chez ses parents tout en sachant qu’il y est en grave danger !
Or, en droit, il est un principe fondamental qui interdit formellement à un juge, sauf texte dérogatoire qui n’existe pas en assistance éducative, de prendre des décisions avec un effet dans le passé, dit rétroactif. Il est interdit par exemple de statuer le 1er mars et de dire que la décision prendra effet le 1er janvier précédent. Si un directeur de service envoie un rapport avec deux mois de retard, qu’à cause de cela l’audience n’est organisée qu’après l’échéance de la précédente décision, le juge ne dispose d’aucun moyen juridique pour maintenir le mineur dans le service dans un cadre légal. Lorsque des directeurs, comme cela arrive malheureusement, osent venir demander à un juge de prendre délibérément une décision rétroactive pour camoufler leur carence, la réponse du magistrat doit être fermement négative.
Mais il faut admettre, pour être honnête, que s’il y a eu autant de dérapages et de laisser-aller dans le respect des dates de dépôt des rapports, c’est d’abord parce que bien peu de magistrats ont imposé le respect à la lettre des exigences légales.
Quoi qu’il en soit, s’il y a eu non-respect des échéances, cela doit être mentionné dans le jugement afin que chacune des parties sache, par écrit, d’où provient le retard de révision.
Le droit de visite et d’hébergement
En assistance éducative, la séparation provisoire entre des parents et leur enfant n’entraîne pas, en principe, une rupture totale du lien familial. Dans la très grande majorité des dossiers, les rencontres persistent, plus ou moins fréquentes et de plus ou moins longue durée. La loi fixe le cadre juridique applicable.
L’article 375-7 alinéa deux du Code civil, modifié par la loi de mars 2007 indique que :
« S’il a été nécessaire de confier l’enfant à une personne ou un établissement, ses parents conservent un droit de correspondance ainsi qu’un droit de visite et d’hébergement. Le juge en fixe les modalités et peut, si l’intérêt de l’enfant l’exige, décider que l’exercice de ces droits, ou de l’un d’eux, est provisoirement suspendu. Il peut également décider que le droit de visite du ou des parents ne peut être exercé qu’en présence d’un tiers désigné par l’établissement ou le service à qui l’enfant est confié.
Si la situation de l’enfant le permet, le juge fixe la nature et la fréquence des droits de visite et d’hébergement et peut décider que leurs conditions d’exercice sont déterminées conjointement entre les titulaires de l’autorité parentale et la personne, le service ou l’établissement à qui l’enfant est confié, dans un document qui lui est alors transmis. Il est saisi en cas de désaccord. »
Notons qu’il s’agit toujours d’accorder ou de refuser un droit aux parents, et à eux seuls. Contrairement à ce que l’on peut lire dans certains dossiers ou décisions, ce n’est jamais le mineur qui est autorisé à se rendre chez ses parents, ce sont toujours eux qui sont autorisés à le recevoir. Il ne s’agit pas là que d’une coquetterie de formulation. Il s’agit de bien fixer la place et les droits de chacun. Il n’est certainement pas indifférent pour les parents d’entendre mentionner que ce qui est discuté est l’étendue de leurs droits personnels, plutôt que d’entendre parler d’autorisation donnée ou refusée à leur enfant, ce qui au moins symboliquement les tient à l’écart. Un parent hésitera moins à revendiquer dans la première hypothèse. Il pourra se croire sans moyen d’intervention dans la seconde. Le juge doit donc veiller à ce que la façon d’aborder la question des rencontres soit judicieusement énoncée, à partir de la rédaction de l’article 375-7.
La réglementation des rencontres
Il faut également souligner que la réglementation des relations parents/enfants est de la compétence exclusive du juge des enfants. Le magistrat ne peut en aucun cas déléguer cette compétence à un tiers, par exemple un service éducatif. Et toutes les indications écrites sur cette question dans les « règlements intérieurs » des établissements n’ont aucune valeur juridique et doivent être considérées comme inexistantes.
Le juge des enfants dispose de deux possibilités.
- Il peut se réserver exclusivement le droit de fixer toutes les modalités des rencontres parents/enfants, mais il se heurtera aussitôt à un obstacle matériel de temps insurmontable, quand il lui faudra organiser des audiences par centaines pour statuer sur ces seuls points ! Il est matériellement impossible au juge des enfants de fixer lui-même les règles d’accueil pour tous les mineurs de toutes les familles de son cabinet, fin de semaine après fin de semaine, vacances après vacances, ou à chaque incident justifiant de modifier l’organisation retenue jusque-là. Cela est d’autant plus impossible que la plupart du temps il n’y a pas de véritable urgence à statuer sur les rencontres parents/enfants, donc que le juge doit respecter intégralement la procédure ordinaire : convocations, auditions, jugement, notification.
Bien sûr, si dans un dossier il paraît exceptionnellement indispensable de réduire ou de supprimer les rencontres à très bref délai, et qu’il est impossible d’attendre quelques jours pour statuer et donc de respecter le délai minimal de huit jours entre la date de la convocation et la date des débats, le juge peut, à condition de pouvoir sérieusement motiver l’urgence dans sa décision, statuer par ordonnance, sans débat préalable, et imposer dès la notification effectuée sur-le-champ une suppression provisoire des rencontres. Mais il doit alors immédiatement convoquer tous les intéressés, à bref délai, et, après débat, remplacer son ordonnance par un jugement, soit pour confirmer la suppression des rencontres, soit pour les autoriser de nouveau.
Mais si l’on part du principe que dans une famille il n’est pas possible de prévoir des modalités de visite et d’hébergement applicables tout le temps, parce que la qualité des relations parents/enfants dans les familles en grandes difficultés varie dans le temps, et qu’il faut semaine après semaine quand ce n’est pas jour après jour revoir et modifier ce qui avait été envisagé peu avant, il n’est pas non plus possible d’envisager que le juge impose des modalités impérativement applicables pendant douze ou vingt-quatre mois, sans possibilité de modification aussi souvent que nécessaire.
- C’est pour cela que le seul moyen qui concilie respect de la législation et souplesse indispensable consiste à écrire dans le jugement que les modalités du droit de visite et d’hébergement des parents seront à négocier entre la famille et le tiers à qui le mineur est confié, et qu’en cas de désaccord seul le juge, devant être saisi à la demande de l’un ou de l’autre, a compétence pour trancher le litige et imposer une réglementation. Ainsi le juge des enfants conserve sa raison d’être d’arbitre des conflits et non pas de gestionnaire du quotidien des familles. En pratique, lorsque la plupart des modalités de rencontres sont laissées à la négociation et que les parents sont avisés par le juge, par oral puis par écrit, de la possibilité de le saisir en cas de désaccord, rares sont les cas dans lesquels le magistrat doit intervenir. Cela peut-être parce que les familles n’osent pas toujours s’opposer à certaines propositions des services éducatifs. Mais c’est probablement beaucoup plus parce que, les uns et les autres connaissant parfaitement le cadre juridique qui les met sur un pied d’égalité, il y a une réelle négociation, sur des bases raisonnables, et que le choix retenu après dialogue reçoit l’approbation de tous. Il est heureux qu’il en soit ainsi.
C’est bien pour permettre cette souplesse et laisser un espace de négociation entre famille et service d’accueil que l’article 375-7 a été modifié par la loi de 2007. Mais le texte a été maladroitement rédigé.
En effet, s’il permet la négociation pour ce qui concerne les « conditions d’exercice » des rencontres, cette expression concernant essentiellement le lieu du rendez-vous, le texte impose toujours au juge des enfants d’en fixer la « fréquence ». Or c’est bien la « fréquence » des rencontres qui varie au fil des semaines et qui nécessite souvent des réajustements, bien plus que les « conditions » des rencontres. C’est donc bien à propos de la « fréquence » des rencontres qu’il est essentiel de laisser une marge à la négociation et d’impliquer tous les intéressés. Il aurait donc été préférable de n’imposer au juge que la fixation d’un droit dans son principe, visite ou hébergement, et de laisser tout le reste entre les mains des familles et des services éducatifs, à charge pour celui qui le souhaite de faire connaître au juge l’apparition d’un désaccord .
La cour de cassation a considéré dans un arrêt de 2011 qu'est conforme aux textes la décision d'un juge des enfants qui octroie aux parents un droit de rencontre avec leurs enfants « une fois par mois en lieu neutre et en présence d'un tiers », ajoutant, alors que le parent reprochait à la décision de n'avoir précisé ni ce lieu ni le tiers, que « la cour d'appel n'avait pas à détailler plus amplement les modalités du droit de visite qu'elle avait accordé ».
Une telle souplesse est souhaitable.
Les rencontres médiatisées
Comme cela a été indiqué ci-dessus, il est indiqué dans l'article 375-7 que le juge « peut également décider que le droit de visite du ou des parents ne peut être exercé qu'en présence d'un tiers désigné par l'établissement ou le service à qui l'enfant est confié. »
Le décret n° 2012-1312 du 27 novembre 2012 a créé dans le code de procédure civile un nouvel article 1199-2 rédigé ainsi :
« La désignation d'un espace de rencontre en application de la dernière phrase du quatrième alinéa de l'article 375-7 du code civil donne lieu à une information préalable du juge des enfants. »
Le mécanisme juridique permet donc au service à qui l'enfant est confié de définir lui-même le lieu et les modalités des rencontres médiatisées. Le juge est seulement avisé et n'a pas à donner d'autorisation complémentaire. Il peut ne fixer que la nature et la fréquence des rencontres et laisser les intéressés (famille et service) en définir les modalités comme le prévoit le cinquième alinéa de l'article 375-7 du code civil.
Mais le juge des enfants peut toujours être saisi en cas de difficulté et préciser les modalités de rencontre en cas de désaccord entre famille et service. Dans ce cas il définit lui-même les « conditions d'exercice » des rencontres au sens de ce texte.
Ces rencontres médiatisées sont utiles quand le parent dont l'enfant a été confié à un tiers a eu des comportements inappropriés avec l'enfant, et qu'il est nécessaire qu'un observateur regarde comment ce parent se comporte avec cet enfant au fil du temps. C'est l'un des moyens de vérifier si des progrès sont accomplis et si le parent a modifié dans le bon sens sa façon d'être avec son enfant.
A l'inverse, la présence d'un tiers ne facilite pas la spontanéité de la relation parent/enfant.
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